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La protection non juridique du savoir-faire dans le cadre de coopération avec d’autres entreprises

Section II – Les moyens de protection du savoir-faire

B. La protection non juridique du savoir-faire dans le cadre de coopération avec d’autres entreprises

388. Dans le cadre d’une coopération entre deux entreprises, la question de la protection non juridique des secrets peut se poser sur quatre étapes : le choix de partenaire (1), durant les négociations précontractuelles (2), au cours de la coopération (3) et à l’extinction du contrat (4).

1. Le choix de partenaire

389. Mieux vaut prévenir que guérir ! Avant de décider de réaliser une coopération avec une autre entreprise, dans laquelle l’échange ou l’utilisation de certaines informations secrètes sont en jeu, il faut avoir un certain niveau d’assurance par rapport à son interlocuteur. Donc, un audit (due diligence571) doit être effectué par rapport au potentiel futur cocontractant. Cette analyse prend encore plus de valeur dans le cadre d’une coopération internationale. En conséquence, doivent être examinés les risques propres à l’entreprise partenaire (a) ainsi que ceux de son pays de destination (b).

a. Les risques propres à la coopération avec l’entreprise

390. Sont analysés l’activité de l’entreprise, sa solidité financière et son chiffre d’affaire, sa capacité à travailler sur le savoir-faire et à son tour le protéger, mais aussi son passé et la manière dont elle a coopéré avec d’autres entreprises dans des projets où des informations

569 N. SATIJA, « Trade Secret: Protection & Remedies », SSRN, 2010, p. 6.

570 B. REMICHE, V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir-faire, Bruxelles : Larcier, 2010, p. 644.

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confidentielles étaient un enjeu. Cependant, ce qui doit être étudié avec le plus grand intérêt est le risque d’une future concurrence de cette entreprise après qu’elle ait accès au secret572.

b. Les risques propres au pays de destination

391. Autre élément à prendre en compte, dans le choix de partenaire, quand un contrat, peut amener à l’échange ou du moins l’exposition de certaines connaissances secrètes, est le pays au sein duquel le savoir-faire est transmis. Il faudra prendre en compte l’environnement économique du pays, mais aussi son régime juridique et voir quelles sont les mesures mises en place par le législateur local pour protéger le savoir-faire contre l’obtention, la divulgation et l’exploitation illicite. Ainsi, quel sera le pouvoir du détenteur initial de la technologie, quant à engager la responsabilité du contrevenant, en cas d’acte illicite de ce dernier ? Sans doute, un échange technologique au sein de l’Union européenne sera moins risqué qu’un contrat à la destination de pays moins renforcés par rapport aux droits des investisseurs étrangers573.

392. Il faut cependant rester réaliste et pragmatique quant à l’analyse sur le potentiel futur partenaire et le pays de destination de la technologie. L’expérience des négociations internationales montre que l’on peut lui donner parfois un volume exagéré574. En se basant sur une analyse trop idéaliste très peu d’affaires verraient le jour au niveau international, et c’est souvent dans les pays les plus risqués que les plus grands bénéfices demeurent. « Vivre

prudemment, sans prendre de risques, c'est risquer de ne pas vivre »575.

2. Les négociations précontractuelles

393. Dans le cadre de la réalisation de coopérations entre entreprises, portant notamment sur l’exposition ou la communication de savoir-faire, les négociations précontractuelles sont influencées par le problème du « secret ». Elles sont particulièrement délicates puisque le détenteur de savoir-faire doit donner au cocontractant éventuel des renseignements suffisants pour pouvoir l’intéresser à l’opération, tout en évitant de lui fournir des indications qui lui

572 J-H. GAUDIN, L’ingénierie des licences et des coopérations industrielles, Paris : Litec, 1993, p. 177.

573 V. infra. nos 592 – 597.

574 J.-H. GAUDIN, L’ingénierie des licences et des coopérations industrielles, Paris : Litec, 1993, p. 177.

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permettraient d’obtenir ce qu’il désire sans avoir à payer une contrepartie dans le cadre d’un contrat. Dans ce cadre, le détenteur doit être vigilant à ne pas être amené au cours des négociations à divulguer involontairement une partie du secret, ou donner des informations qui permettraient de découvrir le savoir-faire576. Par conséquent, outre le cadre contractuel qui imposerait des obligations au cocontractant577, le détenteur peut se contenter de décrire uniquement « les résultats » que permettent d’obtenir le savoir-faire, sans mentionner pour autant les informations confidentielles578.

3. Au cours de la coopération

394. A ce stade, l’accord est acquis entre les parties et la coopération doit être mise en place. De ce fait, des savoir-faire doivent être communiqués entre les parties ou du moins être exposés au cocontractant. Il faut savoir qu’une fois une information communiquée, il n’est quasiment plus possible de la récupérer. Donc, le détenteur fera attention à limiter la divulgation uniquement à ce qui est nécessaire dans le cadre du contrat en question. La question est sensible surtout quand l’objectif de la coopération n’est pas de communiquer toutes ces informations au récepteur, afin que le détenteur initial conserve toujours un intérêt après la réalisation de la coopération. Par exemple, dans le cadre d’un contrat de production, le détenteur de la technologie communique au producteur un ensemble de connaissances techniques quant au produit, mais aussi au procédé de fabrication. Ces connaissances sont normalement constituées de technologies brevetées et non brevetées. L’objectif de cette coopération industrielle est qu’à l’issue de la production, le détenteur exploite lui-même la technologie. Donc, les savoir-faire doivent être protégés contre une exploitation future du constructeur. C’est pourquoi, pour garantir une protection maximale à leurs clients, les producteurs prévoient des mesures physiques assez strictes quant à l’accès aux informations stratégiques du détenteur. Dans certaines conditions, seuls les ingénieurs du client ont accès et s’occupent d’une partie du procédé de fabrication, et le rôle du producteur se limite à la mise à disposition des infrastructures et des machines.

576 NATIONS UNIES, Guide sur la rédaction de contrats portant sur le transfert international de « know-how »

dans l’industrie mécanique, New York, 1970, nos 16 et 17.

577 V. Infra. Chapitre Protection contractuelle de la technologie.

578 NATIONS UNIES, Guide sur la rédaction de contrats portant sur le transfert international de « know-how » dans l’industrie mécanique, New York, 1970, n° 18.

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4. L’extinction de la coopération

395. Les obligations créées par le contrat de coopération, s’éteignent par les différentes causes du droit commun : arrivée du terme extensif, résiliation unilatérale dans les contrats à durée indéterminée, décision judiciaire de résolution ou d’annulation. Par conséquent, l’effet de l’extinction est de mettre fin aux relations contractuelles et le récepteur des savoir-faire sera (sous certaines réserves579) libre de divulguer ou d’exploiter les informations acquises. Évidemment, le détenteur initial veillera à mettre en place les obligations de non divulgation ou de non exploitation dans le contrat, mais dans certains cas il peut aussi être pertinent de restituer les supports techniques qui ont été remis dans le cadre de la communication de savoir-faire580. Cette solution peut uniquement être envisagée quand le récepteur est contrôlé durant la coopération, et que la technologie est à un point complexe qu’il n’est techniquement pas possible de mettre en place sans avoir les supports à la disposition.

§ 2 - La protection du savoir-faire par le droit de la responsabilité et l’action en concurrence déloyale

396. Le savoir-faire étant dépourvu de droit exclusifs, la reprise de ses éléments est considérée comme une suite de libertés de commerce et d’industrie581. En revanche, le savoir-faire est protégé contre tout acte fautif d’obtention, de divulgation ou d’exploitation. Et, c’est sur le terrain du droit de la responsabilité que le détenteur du savoir-faire peut agir pour protéger l’atteinte à ces connaissances. Cette responsabilité peut être de natures pénale et civile. Sur le plan pénal, les secrets de fabrique bénéficient en France d’une protection par l’article L. 621-1 du CPI, qui se réfère à l’article L. 1227-1 du code du travail et punit le salarié ou directeur d’une entreprise qui révèle ou tente de révéler le secret. L’usurpation de savoir-faire peut également être sanctionnée, le cas échéant, au titre du délit de trahison ou d’espionnage582, d’atteinte au secret de la défense nationale583, ou plus normalement, d’une infraction générale de vol584, abus de confiance585, etc586. Une action illicite sur le secret

579 V. infra. nos 399 – 413.

580 J. SCHMIDT-SZALEWSKI, « Savoir faire », Rép. com., 2009, n° 107.

581 Paris, 18 octobre 2000 ; D. 2001, 850, note J. PASSA.

582 Art. 411-6 du C. pén.

583 Art. 413-10 du C. pén.

584 Art. 311-1 à 311-6 du C. pén.

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d’affaires peut aussi être sanctionnée par le droit pénal dans d’autres pays comme les États-Unis avec l’article 19 de son Economic Espionage Act (droit fédéral) et l’Italie comme le disposent les articles 513 et 623 de son Codice Penale. Quant à notre étude, elle se porte plutôt sur la protection par la voie de la responsabilité civile délictuelle587.

397. La responsabilité civile délictuelle et l’action en concurrence déloyale. Malgré tous les efforts du titulaire pour garder le savoir-faire secret, le risque zéro quant à la non-obtention, la non divulgation ou la non utilisation illicite du savoir-faire par les tiers n’existe pas. C’est là que le titulaire pourra mener des actions en responsabilité contre les « présumés contrevenants ». Dans le domaine des activités économiques, l’action en responsabilité civile588 est désignée sous la dénomination d’action en « concurrence déloyale »589. L’article 39 1 de l’ADPIC exige de ses membres d’assurer « une protection effective contre la

concurrence déloyale conformément à l'article 10 bis de la Convention de Paris ». Et l’article

10 bis 2 de la CUP qualifie un acte de concurrence déloyale comme : « tout acte de

concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ». Le

même article donne une liste non exhaustive des actes pouvant être qualifiés d’actes de concurrence déloyale mais aucun ne concerne les secrets d’affaires590. Cependant, la note de bas de page 10 de l’ADPIC définit l’expression « d'une manière contraire aux usages

commerciaux honnêtes », comme « des pratiques telles que la rupture de contrat, l'abus de confiance et l'incitation au délit, et comprend l'acquisition de renseignements non divulgués par des tiers qui savaient que ladite acquisition impliquait de telles pratiques ou qui ont fait preuve d'une grave négligence en l'ignorant ».

398. C’est donc par les éléments classiques de la responsabilité civile qu’il faut engager la responsabilité d’un contrevenant sur les savoir-faire et par conséquent mener une action en

586 Pour plus de développements, v. J. SCHMIDT-SZALEWSKI, « Savoir faire », Rép. com., 2009 nos 27 à 42 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, Paris : LGDJ, T. 2, 2013, p. 1013.

587 Sur la responsabilité civile contractuelle, v. infra. nos 802 – 824.

588 Com., 23 mars 1965 : Bull. civ. III, n° 228.

589 J.-H. GAUDIN, L’ingénierie des licences et des coopérations industrielles, Paris : Litec, 1993, p. 14.

590 Art. 10 bis 3 CUP : « Notamment devront être interdits :

i) tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent ;

ii) les allégations fausses, dans l’exercice du commerce, de nature à discréditer l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent ;

iii) les indications ou allégations dont l’usage, dans l’exercice du commerce, est susceptible d’induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l’aptitude à l’emploi ou la quantité des marchandises. »

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concurrence déloyale. En France selon l’article L. 152-1 du code de commerce « toute

atteinte au secret des affaires… engage la responsabilité civile de son auteur ». La

responsabilité civile est ainsi décrite aux articles 1240 et 1421 du code civil. Selon l’article 1240 : « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige

celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Donc, pour engager la responsabilité du

présumé contrefacteur il est nécessaire de démontrer l’existence d’un dommage (B) directement causé (C) par sa faute (A)591. Par contre, bien qu’il s’agisse de concurrence déloyale, la démonstration de l’existence d’une concurrence entre les parties n’est pas exigée par la jurisprudence592.