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Section I - Les effets de la protection de la technologie par le brevet d’invention

C. Les connaissances non décrites et revendiquées

344. Toutes les informations relatives à une invention ne sont pas toujours décrites et divulguées dans le cadre d’une description et revendication de brevet. Certaines de ces informations sont du domaine technologique (1) et d’autres des domaines plutôt commercial et managérial liés à l’invention (2)517. Nous étudions leur sort juridique.

1. Les connaissances technologiques non décrites et revendiquées

345. Une partie des connaissances technologiques liées à l’invention, peuvent ne pas être divulguées dans la demande de brevet. Ce manque de communication peut enfreindre la législation et la règlementation du régime juridique du brevet d’invention, avec une description insuffisante du brevet (a). Le demandeur peut également, tout en étant dans la régularité, s’abstenir de divulguer d’autres connaissances utiles, liées à la technologie brevetée (b).

a. Les connaissances technologiques non divulguées et le risque de rejet ou d’annulation du brevet

346. Par intention ou par négligence, un demandeur de brevet peut ne pas respecter toutes les dispositions quant à la divulgation des connaissances techniques liées à l’invention qu’il souhaite breveter. Les caractéristiques qui rendent une invention brevetable (la nouveauté, l’activité inventive et l’applicabilité industrielle)518 sont de l’ordre qualificatif de l’invention. Ce qui nous intéresse ici, c’est la l’insuffisance de description, d’où un manquement dans la divulgation de l’information qui peut être de l’ordre quantitatif. Le parfait exemple est la

515 Com., 17 décembre 1964, Ann. propr. ind. 1966, 105.

516 J. AZÉMA, J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Paris : Dalloz, 2017, p. 180.

517 Les organ ware v. supra. n° 92.

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description d’un mode de réalisation du brevet519, qui n’est pas suffisamment claire pour être réalisé par l’homme du métier. Ce manque de description peut faire face à des conséquences différentes en fonction que le brevet soit demandé à l’INPI ou à l’OEB.

347. Le système français. Historiquement, l’administration française se focalise sur un contrôle plutôt formel de la demande de brevet520. Sur le fond, le contrôle de l’INPI se limite au fait de pouvoir rejeter une demande en cas d’une « manifeste » non brevetabilité pour raison de non applicabilité industrielle521, ou l’absence « manifeste » de nouveauté dans les dispositions de l’article L. 612-12, 7522. À cela s’ajoute les inventions « manifestement » non brevetables aux termes des articles L. 611-17, L. 611-18 et L. 611-19 du CPI523. Concernant l’analyse de la suffisance de la description, ceci ne peut plus faire l’objet d’un rejet par l’administration mais peut entrainer l’annulation du brevet par décision de justice524. Donc, le demandeur peut, pour éviter de s’exposer face aux concurrents, décrire son invention de façon insuffisante à travers la description, les revendications et les dessins et protéger sa technologie par un brevet, mais bien que l’examen effectué par l’INPI ne soit pas approfondi, un tiers intéressé peut contester le brevet et obtenir l’annulation de ce dernier.

519 V. Art. R. 612-12, 5° CPI.

520 Art L. 612-12 CPI : « Est rejetée, en tout ou partie, toute demande de brevet : 1° Qui ne satisfait pas aux conditions visées à l'article L. 612-1 ;

2° Qui n'a pas été divisée conformément à l'article L. 612-4 ;

3° Qui porte sur une demande divisionnaire dont l'objet s'étend au-delà du contenu de la description de la demande initiale ;

4° Qui a pour objet une invention manifestement non brevetable en application des articles L. 16 à L. 611-19 ;

5° Dont l'objet ne peut manifestement être considéré comme une invention au sens de l'article L. 611-10, deuxième paragraphe ;

6° Dont la description ou les revendications ne permettent pas d'appliquer les dispositions de l'article L. 612-14 ;

7° Qui n'a pas été modifiée, après mise en demeure, alors que l'absence de nouveauté résultait manifestement du rapport de recherche ;

8° Dont les revendications ne se fondent pas sur la description ;

9° Lorsque le demandeur n'a pas, s'il y a lieu, présenté d'observations ni déposé de nouvelles revendications au cours de la procédure d'établissement du rapport de recherche prévu à l'article L. 612-14.

Si les motifs de rejet n'affectent la demande de brevet qu'en partie, seules les revendications correspondantes sont rejetées.

En cas de non-conformité partielle de la demande aux dispositions des articles L. 17, L. 18, L. 611-19 (4° du I) ou L. 612-1, il est procédé d'office à la suppression des parties correspondantes de la description et des dessins. »

521 Art. L. 611-16 CPI.

522 J. SCHMIDT-SZALEWSKI, J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Paris : Litec, 2009, p. 63.

523 Inventions dont l’exploitation serait contrainte à la dignité de la personne humaine, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ; le corps humain ; les obtentions végétales ; races animales et procédés essentiellement biologiques de végétaux ou d’animaux, etc.

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348. Le système européen. L’examen par l’administration européenne est différent de celui effectué par l’INPI. L’OEB a l’autorité pour un contrôle à la fois de forme, mais aussi de fond sur les questions de caractéristiques et suffisance de description de l’invention525. Toutefois, une opposition à une invention européenne brevetée est toujours possible dans les neuf mois qui suivent la publication du brevet526 pour raison, entre autres, de la non brevetabilité ou de l’insuffisance de la description527.

b. Les connaissances techniques légitimement non divulguées

349. Pour avoir un droit exclusif sur une technologie, le demandeur n’est pas dans l’obligation de divulguer toutes les informations techniques relatives au brevet. Le législateur permet au demandeur de brevet de ne pas communiquer tous les éléments.

350. Le mode de réalisation optimale du brevet. L’article L. 612-5 du CPI impose au demandeur de décrire l’invention d’une manière « suffisamment claire et complète pour

qu’un homme du métier puisse l’exécuter ». Et selon l’article R. 612-12 5, la description de

l’invention comprend « un exposé détaillé d'au moins un mode de réalisation de l'invention ». De ce fait, le demandeur peut se limiter à donner un mode de réalisation moins important et s’abstenir de décrire le mode optimal.

351. Ce mode d’exécution et les moyens de la mettre en œuvre relèvent de « la mise au point

industrielle »528 et constituent un savoir-faire gardé secret par le breveté. Ce savoir-faire peut être exploité exclusivement par ce dernier ou être concédé accompagné du brevet dans le cadre d’une « licence mixte »529.

352. Les technologies complémentaires. Outre les informations technologiques qui identifient une invention, et doivent être divulguées dans le cadre d’une demande de brevet, certaines connaissances techniques – brevetables ou pas – peuvent compléter et renforcer une invention. Ces informations étant indépendantes de l’invention brevetée, le détenteur n’a pas

525 V. Art 90, 92 et règ. 61 et s. CBE.

526 Art. 99 CBE.

527 Art. 100 CBE.

528 P. MATHÉLY, Le nouveau droit français du brevet d’invention, Paris : Journal Notaires et Avocats, 1992, p. 211.

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obligation à les rendre publiques. Si le choix du secret est fait par ce dernier, leur protection ne reviendra pas du domaine du droit du brevet, mais du domaine du régime des secrets d’affaires. Or, elles pourront être objet d’un contrat de communication de savoir-faire ou une licence mixte530. Des clauses contractuelles viendront dans ce cas protéger le secret. A cette protection s’ajoute celle octroyée par le régime juridique de la responsabilité délictuelle en cas d’accès illicite au savoir-faire531.

2. Les connaissances non divulguées de nature non technologique

353. Les connaissances technologiques secrètes suscitent un grand intérêt en raison de la valeur économique qu'elles représentent parmi les actifs de l'entreprise 532. L'intérêt, initialement apparu dans le secteur industriel, gagne aujourd'hui le secteur du commerce, de l'information et du management. Donc, l’exploitation d’une invention ne se limite pas à la connaissance de savoirs purement technologiques. Ces informations de nature commerciales ou de gestion viennent compléter les informations techniques de l’invention, pour permettre à son bénéficiaire d’en tirer l’intérêt maximal. L’ensemble des informations nécessaires pour l’exploitation de la technologie constitue ce qui est qualifié par une doctrine de « savoir industriel » ou de « maitrise industrielle »533. Ces informations, si elles sont gardées confidentielles, doivent être protégées. Leur protection se fait par le régime des secrets d’affaires534.

530 V. infra. nos 758 – 897.

531 V. infra. nos 396 – 416.

532 V. A. CAPPEAU, G. LAVALETTE, Les savoir-faire technologiques : évaluation, valorisation ; Précis d'économie normative, Paris : éd. J.-P. Huguet, 1999, pp ?

533 P. LE TOURNEAU, L’ingénierie, les transferts de technologie et de maîtrise industrielle, Paris : LexisNexis, 2016, p. 11 ; V. supra. nos 92 et 93.

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Conclusion du Chapitre

354. La méthode classique de la protection de la technologie est le régime des brevets d’invention. Cette protection consiste en l’interdiction de l’exploitation de la technologie par les tiers. L’exploitation d’une technologie brevetée se traduit par sa fabrication, son utilisation, sa détention, son importation, son exportation, son transbordement ainsi que son offre et sa mise dans le commerce. Toute exploitation illicite du brevet par un tiers est qualifiée de contrefaçon.

355. La protection octroyée par le brevet a néanmoins ses limites. Ces limites peuvent être de nature temporelle à cause de la durée de vie d’un brevet, ou territoriale à cause du principe de territorialité imposé aux titres de brevet. Ces limites peuvent aussi provenir des intérêts légitimes des tiers et de la société par le biais des licences imposées au breveté, des exploitations non commerciales ou bien des exploitations liées à un droit de possession personnel antérieur. Aux limites de cette nature s’ajoute celles liées à l’ordre public et au droit de la concurrence. L’étendue de la protection peut aussi se voir sous l’angle du champ des revendications du demandeur de brevet. Le brevet protège uniquement ce qui a été revendiqué par ce dernier.

356. Toutes les technologies ne sont pas brevetables et/ou brevetées. Le prochain chapitre est consacré à la protection octroyée par le régime du secret d’affaires.

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CHAPITRE II

LA PROTECTION DE LA TECHNOLOGIE PAR LE RÉGIME DU