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Section II - La conception patrimoniale de la technologie

B. La technologie et sa forme d’expression

1. La mise en forme

107. Le détenteur d’une idée technologique ne peut espérer de vraie protection sur elle. Il faut d’abord que cette idée qui comprend un ensemble de connaissances, prenne corps. Personne ne peut donner de valeur à une idée technique abstraite, sans que celle-ci ait une structure concrète. Une information, dans la tête de son créateur est au stade zéro. Pour prétendre à un

203 D. ROUACH, J. KLATZMANN, Les transferts de technologie, Paris : PUF, 1993, p. 20.

204 V. infra. nos 301 – 304.

205 V. supra. n° 50.

206 V. Le nouveau petit Robert, déf. du terme « Informer », 2008, p. 1329.

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statut elle doit être produite. Une technologie peut être mise en forme par le biais d’un support et/ou d’une action208.

a. La mise en forme par un élément concret

108. Il s’agit du support physique sur lequel et par lequel la technologie est communiquée. Il peut s’agir de notes, de plans, de dessins, en formats papier ou digital, mais sa forme la plus aboutie est un produit, et en l’espèce un produit technologique209. Ce support a en soit une valeur en capital, mais sa valeur est indépendante de celle de l’information en tant que telle210.

b. La mise en forme par une prestation

109. L’idée est exprimée sous forme d’action quand elle est réalisée comme prestation (souvent) échelonnée dans le temps, et non par un support matérialisé211. Tel quel, un ensemble d’information peut constituer un savoir-faire dans le sens général du terme, mais ne pourra pas être susceptible de brevetabilité si la description ne se fait pas de manière concrète. Toutefois, il est parfaitement envisageable dans certains cas (en fonction des informations en question), de mettre en œuvre ces mêmes connaissances en support physique. Et, en ce qui concerne le rapport capital entre l’information et sa mise en œuvre par le service, la valeur des deux reste toujours indépendante, mais la présence du facteur humain rend la distinction du service à la connaissance – qui peut aussi parfois être considéré comme connaissance ou talent personnel de son exécuteur – complexe.

2. La communication

110. Une fois l’information produite, vient l’étape de l’expression ou de la communication de celle-ci. Ce qui veut dire transférer l’information à une autre personne. Sans quoi nous

208 G. GOFFAUX-CALLEBAUT, « Apport », Rép. soc., 2017, spéc. §§ 478 et 479.

209 V. supra. n° 50.

210 P. CATALA, « Chapitre 14 - La propriété de l’information », Mélanges offerts à P. Raymond, Paris : Dalloz, 1995, pp. 245-262, p. spéc. 246, § 3. V. aussi, M.-A. FRISON-ROCHE, « Le droit d’accès à l’information, ou le nouvel équilibre de la propriété », Le droit privé français à la fin du XXe siècle, études offertes à P. CATALA, Paris : Litec, 2001, p. 759.

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pourrions croire que l’information n’existerait pas, et donc serait démunie de statut. Les données confidentielles ne seraient donc pas considérées comme information puisqu’elles sont par hypothèse non communiquées212.

111. Nous pensons cependant, que ce n’est pas le fait de communiquer qui est nécessaire à l’existence d’une information, mais la possibilité de communiquer. En d’autres termes pour exister, une information doit être transférable et non obligatoirement transférée. Ce qui nous renvoie en quelque sorte à la définition historique de l’information qui est la mise en forme. Le détenteur d’une information technologique peut décider de ne pas rendre publiques ces connaissances213, par le brevet ou toute autre forme, mais ce n’est pas pour autant que cela le démunit du statut d’information. C’est d’ailleurs un parfait droit pour le détenteur de ne pas divulguer ses connaissances. La rétention est un attribut de la possession214. Seules des obligations légales ou contractuelles215 peuvent limiter cette liberté de non-expression.

§ 2 – L’appropriabilité de la technologie

112. Le deuxième critère de la notion de « bien » est donc le fait que la valeur en question soit susceptible d’appropriation. Dans un sens large, l’« appropriation » est définie comme « l’action de rendre propre à un usage, à une destination »216. Elle est aussi qualifiée, plus étroitement, comme l’action de faire d’une chose sa propriété217. En d’autres termes, l’appropriabilité peut englober, dans son sens le plus inclusif, la possibilité d’exploiter une chose et dans son sens plus restreint, la possibilité d’exercice d’un droit de propriété sur elle.

113. L’appropriabilité dont il est question en droit des biens, devrait pouvoir comprendre la définition la plus large (car certains biens, comme nous allons le voire par la suite, peuvent

212 P. CATALA, « Le marché de l’information (Aspects juridiques) », LPA, 16/10/1995, n° 124, p. 5, spéc. § 21.

213 V. infra. nos 420 – 441.

214 P. CATALA, « Chapitre 14 - La propriété de l’information », Mélanges offerts à P. Raymond, Paris : Éd. Dalloz, 1995, pp. 245-262, p. spéc. 257, § 28.

215 Par exemple, dans le cas d’une invention de salarié dans un contrat de travail ou d’un entrepreneur dans un contrat d’entreprise.

216 LAROUSSE, déf. du terme, « approprier », disponible sur

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/approprier/4778?q=approprier#4751, consulté le 10/02/2020.

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être sans propriétaire218). Ainsi, comme le souligne, à juste titre à notre sens, Thierry Revet, une entité est appropriable, à partir du moment où elle est identifiable et porteuse d'utilités219. Et, la technologie, telle que nous l’avons définie est identifiable, et porteuse d’utilité220.

114. En commençant par la propriété, nous allons étudier les différents droits et faits qui peuvent qualifier le rapport entre une technologie et celui qui se l’approprie.

A. La propriété

115. La propriété est considérée comme l’appropriation la plus complète sur une chose. Elle est définie comme « la qualité qu’a un bien d’appartenir à une personne »221. Le législateur français la décrit comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus

absolue »222. Le droit de propriété, est alors composé de la jouissance et de la disposition, et se traduit par trois droits réels223 :

116. L’usus : le droit d’utiliser ou ne pas utiliser une chose, sans que l’on n’en perçoive obligatoirement les fruits. Ce droit donne à son titulaire la possibilité de priver les autres d’utiliser la chose. Ce droit privatif n’a pas besoin de contrat pour exister.

117. Le fructus : le droit de recueillir les fruits de la chose. C’est aussi le droit de choisir comment faire fructifier son bien, le droit d'exploiter, le droit de ne pas exploiter son bien et d'interdire aux autres d'exploiter son bien (droit privatif).

118. L’abusus : le droit pour le propriétaire de disposer librement de son bien, à la fois juridiquement, et matériellement. Matériellement, dans le sens qu’il est libre de faire ce qu'il veut sur son bien et même si son acte affecte la substance même de la chose. Le propriétaire n'a pas l'obligation de conserver la substance de son bien, il

218 Res nullius.

219 T. REVET, « Notion de bien : tout produit de l’activité intellectuelle constitue un bien », RTD Civ.,2005, p. spéc. 164.

220 V. supra. n° 51.

221 F. ZÉNATI-CASTAING, T. REVET, Les biens, Paris : PUF, 2008, n° 163.

222 Art. 544 du C. Civ.

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peut disposer matériellement de la chose. Et en ce qui concerne la disposition juridique, ce droit donne cette faculté au propriétaire de faire ce qu'il souhaite de son droit de propriété. Il peut garder ce droit dont il est titulaire, ou décider de le céder. Cette cession peut se faire à titre onéreux ou à titre gratuit (donation). Le propriétaire peut aussi abandonner son droit de propriété.

119. Le bien et la propriété. Comme nous le savons, il faut distinguer le bien de la propriété. Toute propriété représente un bien mais tout bien n’est pas une propriété. En d’autres termes, un bien peut être dépourvu de propriétaire dans le cadre de l’article 714 du code civil français (ci-après code civil) : « Il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est

commun à tous ». C’est le cas par exemple, des animaux sauvages. Ils représentent un bien

aux yeux du code civil224, mais nul n’a un droit de propriété dessus. Le droit civil les considère donc comme Res nullius (une chose sans maître, c'est-à-dire qui n'a pas de propriétaire mais est susceptible d’appropriation) ou res communis (chose commune qui, de par sa nature, appartient à tous et ne peut être appropriée)225.

120. La possibilité pour une technologie de constituer une propriété est traitée dans le chapitre suivant, à travers ses régimes de protection.

B. La possession

121. Contrairement au common law qui ne distingue par vraiment la possession de la propriété (ownership)226, la possession est en droit écrit, un concept moins absolu que la propriété. Dans le Livre trois du code civil, elle est envisagée comme une « manière dont on

acquiert la propriété ». Selon l’article 2255 du code, « la possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom ». La doctrine française distingue de

manière classique deux éléments constitutifs de la possession, à savoir : le corpus (qui

224 Art. 515-14 du C. civ. : « … les animaux sont soumis au régime des biens. ».

225 S. ANTOINE, « L’animal et le droit des biens », D., 2003, p. 2651 ; J. JULIEN, « Responsabilité du fait des animaux », D., 2014.

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correspond au comportement du possesseur) et l’animus (qui correspond à l’état d’esprit du possesseur)227.

122. Le corpus : le corpus consiste dans la mainmise ou la maîtrise matérielle sur une chose, le fait d'accomplir sur cette chose tel ou tel acte. En outre, le possesseur doit, par son comportement à l'égard de la chose ou du droit, donner l'impression qu'il est propriétaire. Cette notion de maîtrise matérielle peut correspondre soit à l’acte de détenir la chose (par exemple le fait d’habiter une maison, de clôturer un terrain ou de planter un arbre), soit à l’acte de jouir de la chose, c’est-à-dire de l’exploiter économiquement (il s’agit par exemple du fait d’encaisser les loyers provenant de la location d’un immeuble). Il faut savoir que les actes juridiques en eux-mêmes ne suffisent pas à caractériser le corpus. Ils ne sont admis que lorsque des actes matériels d’usage viennent les compléter228. Le corpus dans sa définition classique est donc limité aux choses corporelles229. L’exposition du corpus sur une chose incorporelle - en l’occurrence intellectuelle - peut donc être vu : soit à travers la détention d’une chose matérielle230 qui servirait de support à la chose intellectuelle, et donc une jouissance de cette dernière à travers le support matériel, soit, par la simple connaissance et éventuellement l’exploitation de la technologie231.

123. L’animus domini : cela consiste en l’intention du détenteur de se comporter comme le propriétaire de la chose. Il doit donc être conscient et capable d’exprimer cette volonté.

C. La détention

124. La détention est un pouvoir moins absolu que la possession. C’est la maîtrise physique d’une chose, ce qui peut permettre l’utilisation ou la jouissance de la chose. L’expression de la détention sur une chose immatérielle suit la même logique que celle développée pour la possession.

227 W. DROSS, Droit des biens, Issy-les-Moulineaux : LGDJ, 2019, p. 198.

228 Civ. 3e, 12 mars 1970 ; Civ. 3e, 30 juin 1999 ; Civ. 3e, 19 novembre 2015.

229 Com., 7 mars 2006 ; Com., 29 mars 2006.

230 V. infra. n° 460.

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Il est aussi à noter que la détention peut être qualifiée de « précaire », et ce quand ce pouvoir est temporaire et voué à disparaître232.

D. La paternité

125. La paternité est davantage employée en droit d’auteur qu’en propriété industrielle. Elle fait partie des droits moraux de l’auteur d’une œuvre. Elle permet à ce dernier d’affirmer sa qualité de créateur – sa paternité au sens étymologique du terme – en exigeant que son nom soit accolé à l’œuvre233. Dans le domaine de la propriété industrielle, c’est plutôt l’utilité économique, qui se traduit par le droit d’exploitation de la chose technologique qui est en question, et l’enjeu de la paternité a moins sa place dans ce registre.

E. La titularité

126. L’expression la plus neutre, voire la plus juste, qui peut être employée pour définir le lien entre une technologie et celui qui en a la maîtrise – et ce, indifféremment du régime de protection de la technologie – est, à notre avis, la « titularité ». Le maître de la technologie n’est autre que le titulaire du droit de l’exploiter et de l’approprier.

127. La question se pose maintenant de voir, dans le cadre d’une chose technologique, à qui pouvons-nous attribuer le statut de titulaire. Pour cela, nous pouvons classifier le titulaire de la technologie selon trois catégories : le statut juridique du créateur (1), la source de la titularité (2) et le métier du titulaire (3).