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Section II – La détention de la technologie par le régime du secret d’affaires

B. La co-détention du savoir-faire

372 J.-H. GAUDIN, L’ingénierie des licences et des coopérations industrielle, Paris : Litec, 1993, p. 16.

373 V. J. SCHMIDT-SZALEWSKI, J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Paris : Litec, 2009, p. 74.

374 La version digitale de l’enveloppe Soleau proposée par l’INPI disponible sur

https://www.inpi.fr/fr/services-et-prestations/e-soleau, consulté le 10/02/2020.

375 L’enveloppe Soleau auprès de l’INPI ne confère cependant aucun droit de propriété industrielle sur les informations qu’elle contient. V. Com., 20 octobre 1998.

376 J.-H. GAUDIN, L’ingénierie des licences et des coopérations industrielle, Paris : Litec, 1993, p. 17.

377 La blockchain est la méthode la plus innovante pour prouver la possession d’un savoir-faire à une date précise. Pour une première mondiale, le tribunal internet de Hangzhou (en Chine) a rendu un arrêt dans lequel il admet un dépôt blockchain à titre de preuve dans le cadre d’un contentieux de propriété intellectuelle. Cette démarche pourrait être imitée par d’autres juridictions. A ce sujet, v. B. CHANIOT, « Blockchain et Possession Personnelle Antérieure PPA : une révolution en matière de preuve des inventions non-divulguées », Le blog de

Blockchainyour IP, 2018, disponible sur

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215. Pour bien comprendre le cas de la co-détention du savoir-faire, il faut étudier les causes de cet événement (1), ainsi que le rapport ou l’organisation de ce fait (2).

1. Les cause de la co-détention

216. La co-détention ou le co-contrôle du savoir-faire peut se produire à travers plusieurs scénarios :

217. La recherche commune : dans le cadre des contrats de recherche et développement, les cocontractants peuvent être à plusieurs, à l’origine de la création de la technologie, et donc bénéficier tous du statut de codétenteur378.

218. La succession : avec le décès du détenteur du savoir-faire, ce dernier étant avant tout une valeur, sera transféré aux successeurs. Le cas de plusieurs successeurs créerait une situation de co-détention.

219. Le transfert par contrat : le détenteur du savoir-faire pourrait aussi le communiquer à un tiers. Dans ce cas ils seront tous deux détenteurs du savoir-faire. Pour reprendre les mots du « Economic espionage act » de 1996 des États-Unis, dans une « Licence Agreement », à la fois l’émetteur, et le licencié sont considérés comme « owner » du savoir-faire379. Un arrêt a été prononcé en France à ce sujet sur un contrat de licence de brevet complété par un savoir-faire (contrat de licence mixte380) qui avait comme clause : « Les parties acceptent de maintenir de telles informations

confidentielles en confiance et de s’abstenir de s’approprier ou d’employer ou de révéler directement ou indirectement de telles informations à des tiers »381. Cette clause réduit la détention du licencié à l’utilisation restreinte prévue dans le contrat, et lui interdit de l’exploiter en dehors de l’accord. Le savoir-faire non breveté est en fait assimilé aux connaissances brevetées.

378 V. infra. nos 853 – 863.

379 V. infra. nos 182 – 188.

La susceptibilité de l’appropriation du savoir-faire par la propriété.

380 V. infra. n° 629.

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220. La découverte ou la création indépendantes : deux personnes indépendantes l’un de l’autres et sans aucun lien contractuel peuvent être à l’origine d’une même technologie, dont toutes les deux décideraient de le garder secret de leur côté382. Dans ce cas, le deuxième auteur, ne dépossèdera pas le premier de son savoir-faire. Par contre, la valeur de la première technologie peut baisser du fait de l’augmentation de l’offre sur le marché.

221. L’ingénierie inverse : l’autre moyen sera l’ingénierie inverse. A partir du moment où le produit tangible, résultat du savoir-faire, est public, ou légalement à la disposition de quelqu’un, ce dernier a parfaitement le droit de l’étudier, le démonter et obtenir sa technologie via l’ingénierie inverse383. Ils seront alors deux à contrôler la technologie et une situation de co-détention se produira. Ici encore, il n’y a pas de raison pour que le créateur soit dépossédé de sa création, tant que l’auteur de l’ingénierie inverse n’a pas rendue publique la technologie.

2. L’organisation de la co-détention

222. Contrairement à la copropriété du brevet, qui est explicitement organisée par la législation française, l’organisation de la co-détention se fait par contrat (a) et par les règles qui sanctionnent la concurrence déloyale (b).

a. L’organisation de la co-détention par des accords contractuels

223. Quand les différents détenteurs sont liés par contrat, ils peuvent prévoir des règles pour l’exploitation du savoir-faire. Ces règles peuvent préciser : l’exploitation du savoir-faire, la non-divulgation aux tiers, la non compétition de chacun des cocontractants, la non utilisation en dehors des règles de l’accord, l’organisation de la communication du savoir-faire aux tiers, comment déposséder des codétenteurs du savoir-faire et les méthodes de sorties de l’accord pour chacun des codétenteurs. La co-détention se fait souvent sous forme de société et ces règles sont définies dans le pacte d’actionnaire.

382 V. Art. 3 a) de la directive 2013/0402.

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b. L’organisation de la co-détention par la sanction de la concurrence déloyale

224. Cette occasion se présente surtout quand les codétenteurs ne sont pas liés par contrat. Dans le cas de la découverte indépendante ou celui de l’ingénierie inverse, le nouveau codétenteur est a priori libre de faire du savoir-faire ce qu’il souhaite. Il peut le breveter s’il est brevetable, le fabriquer et le mettre sur le marché et le rendre potentiellement vulnérable quant à une ingénierie inverse. Il peut le communiquer à qui bon le souhaite ou même dans un cas extrême, le rendre public et ainsi vaporiser non seulement le contrôle du premier détenteur, mais aussi le sien sur la technologie en question. La seule sanction envisageable contre ces actes est alors la voie de la concurrence déloyale selon les termes de l’article 10 bis de l’accord de l’Union de Paris384, qui est rejoint par les articles 3.1 d) et 4.2 b) de la directive 2013/0402 souhaitant sanctionner tout « comportement qui, eu égard aux circonstances, est

considéré comme contraire aux usages honnêtes en matière commerciale ». Cette voie ne

sera pas la plus simple et nécessitera la preuve de la mise en œuvre d’un comportement non admissible dans le secteur d’activité concerné. Pour ce, le demandeur devra s’aventurer dans le droit de la responsabilité civile délictuelle et ainsi prouver la cause, le lien de causalité et le fait générateur385.

384 Art. 10 bis 2) : « Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. ».

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Conclusion du Chapitre

225. La conception patrimoniale de la technologie dépend de son régime de protection. La technologie brevetée est une « propriété intellectuelle » octroyée par les États, donc une « propriété spéciale ». Elle est aussi un bien et une propriété au sens des dispositions du droit commun. La question se pose surtout quand la technologie est protégée par le régime des secrets. À défaut de bénéficier d’un statut de propriété intellectuelle, l’analyse se fait donc par les critères du droit commun : la valeur économique est d’emblée acquise, car elle fait partie des critères de définition du secret ; mais son appropriabilité relative (pour la qualifier de bien) ou absolue (pour la qualifier de propriété) ne fait pas l’unanimité chez les différents régimes juridiques. Elle est pour nous un bien sans être une propriété, mais reste avant tout un actif exploitable par son détenteur légitime.

226. Une technologie qui n’est pas dans le domaine public a un ou plusieurs titulaires. Quand la titularité est au pluriel, elle fait l’objet d’arrangements législatifs ou contractuels. Le titulaire de la technologie – qui a le statut de propriétaire pour les brevets et de détenteur pour les secrets – est normalement son créateur. Il peut aussi être l’employeur ou le commanditaire de son créateur. Le régime des secrets permet également une titularisation du savoir-faire par la découverte ou la création indépendante ou par l’ingénierie inverse. Et comme tout bien ou actif, la technologie peut aussi changer de titulaire par voies de succession ou de transfert contractuel.

227. Le titulaire de la technologie est amené à utiliser sa technologie dans le cadre de coopérations scientifiques ou industrielles. Il devra la protéger contre l’exploitation, la divulgation et la transmission illicite. Ceci est l’objet de notre prochain titre.

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TITRE II