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La protection interne des droits fondamentaux 1. Le déficit actuel

Vincent Martenet

B. La protection interne des droits fondamentaux 1. Le déficit actuel

L’effectivité des droits fondamentaux dépend étroitement de la protection ju-ridictionnelle dont ils bénéficient ainsi que de l’accès à la justice des particu-liers qui s’estiment victimes d’une violation de leurs droits38. La protection de ceux-ci au niveau de l’Union laisse encore à désirer39. Ce constat a été établi à maintes reprises. La procédure de recours en annulation sur saisine des par-ticuliers présente d’incontestables lacunes, notamment en ce qui concerne la qualité pour recourir, et n’offre pas une garantie juridictionnelle satisfaisante en matière de droits fondamentaux40. En effet, la preuve du fait que le recou-rant est concerné directement et individuellement est difficile à apporter41.

La procédure de renvoi préjudiciel ne permet pas non plus de protéger pleinement les droits fondamentaux des particuliers42. Ces derniers n’ont pas un contrôle suffisant sur la procédure43. Au surplus, la protection des droits fondamentaux dans le troisième pilier, tel qu’issu du Traité d’Amsterdam, présente diverses carences44. Or les domaines faisant partie du troisième pi-lier sont sensibles sous l’angle des droits fondamentaux et le risque d’atteinte

37 Sur ce processus, voir notamment Beutler (note 33), pp. 74-75, nos 8-11 ; Dumont / Van Drooghen-broeck (note 13), notamment pp. 65 et 84.

38 Bribosia (note 13), p. 119.

39 Voir notamment Bribosia (note 13), pp. 119-123 ; Paweł Filipek, « Protection of Human Rights in the EU – Meeting the Standards of a European Human Rights System ? », in : A. Bodnar / M. Kowalski / K. Raible / F. Schorkopf (éd.), The Emerging Constitutional Law of the European Union, Berlin et al. 2003, pp. 59-62 et 67.

40 Voir notamment Bribosia (note 13), p. 120 et les références doctrinales ; Fabrice Picod, « Les voies juridictionnelles de garantie des droits fondamentaux », in : Cohen-Jonathan / Dutheil de la Rochère (note 19), pp. 241-252, 246-247 ; Bernadette Lebaut-Ferrarese / Michaël Karpenschif,

« La ‹ constitutionnalisation › de la Charte : un acte fondamental pour l’Union européenne », in : C. Philip / P. Soldatos (dir.), La Convention sur l’avenir de l’Europe, Bruxelles 2004, pp. 125-161, 157.

41 Voir notamment Renucci (note 15), pp. 654-655, no 428.

42 Voir notamment Bribosia (note 13), p. 121 et les références doctrinales.

43 Voir notamment Renucci (note 15), p. 660, no 434 ; Bribosia (note 13), p. 121 ; Lebaut-Ferrarese / Karpenschif (note 40), p. 157.

44 Voir l’article 35 TUE. Voir Bribosia (note 13), pp. 122-123 et les références ; Flauss (note 36), p. 706 ; Lebaut-Ferrarese / Karpenschif (note 40), pp. 157-158 ; Henri Labayle, « Architecte ou spectatrice ? – La Cour de justice de l’Union dans l’Espace de liberté, sécurité et justice », RTDE 2006, pp. 1-46, 35-46.

à ces droits y est élevé. Aussi le droit au juge communautaire en matière de droits fondamentaux demeure-t-il globalement déficitaire45.

Il est cependant intéressant de noter que l’absence de mécanismes de protection des droits fondamentaux pleinement efficaces a peut-être – encore que cela reste à démontrer – favorisé la marche en avant de la construction européenne. En effet, les droits fondamentaux canalisent et restreignent l’ac-tion d’une communauté, même s’ils s’analysent aussi comme des objectifs à atteindre46, ce qui renvoie à l’idée d’un projet commun. Une certaine in-dulgence a pu être de mise dans le passé, compte tenu du jeune âge de la Communauté et du fait que son action consistait, dans une très large mesure, à octroyer de nouveaux droits aux particuliers, essentiellement en matière économique. Cela rendait dès lors moins perceptible les carences relatives aux mécanismes de protection des droits fondamentaux.

Devenue adulte et voyant son champ d’action augmenter sans cesse, l’Union ne saurait aujourd’hui opposer la construction européenne à la pro-tection des droits fondamentaux. Il serait erroné d’opposer intégration et légi-timation. L’une ne va, en réalité, pas sans l’autre.

Le TECE apportait diverses améliorations en la matière. Le deuxième pa-ragraphe de l’article III-365 TECE indiquait clairement que la Cour de justice serait notamment habilitée à se prononcer sur les recours pour « violation de la Constitution ». L’article III-369 TECE devait, pour sa part, rendre la Cour de justice compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation de la Constitution ainsi que sur la validité et l’interprétation des actes des insti-tutions, organes et organismes de l’Union. Ainsi, le contrôle devait s’opérer par rapport à la future Constitution européenne et donc par rapport aux droits fondamentaux qu’elle consacrait. Cependant, le TECE n’avait pas totale-ment comblé les lacunes concernant la protection des droits fondatotale-mentaux au sein de l’Union, même si la qualité pour recourir en annulation, prévue à l’article III-365 § 4 TECE, était reconnue de manière plus large aux parti-culiers s’agissant des actes réglementaires self-executing, ce que la doctrine salue unanimement47. De plus, le TECE accroissait le contrôle juridictionnel des actes relevant des domaines afférant à l’Espace de liberté, de sécurité et

45 Voir notamment Olivier De Schutter, « Les droits fondamentaux dans le traité d’Amsterdam », in : Y. Lejeune (dir.), Le traité d’Amsterdam, Bruxelles 1998, pp. 153-187, 167-170 ; Jacqueline Dutheil de La Rochère, « Droit au juge, accès à la justice européenne », Pouvoirs no 96 (2001), pp. 123-141, 136-141 ; Bribosia (note 13), pp. 119-123 ; Dumont / Van Drooghenbroeck (note 13), p. 91.

46 Voir notamment Rubio Llorente (note 20), pp. 417-418 et 426 ; De Schutter (note 30), notam-ment pp. 114-115.

47 Sur ce point, voir spécialement Kokott / Rüth (note 6), p. 1329 et les références aux travaux pré-paratoires ; Jean-Victor Louis, « La fonction juridictionnelle – De Nice à Rome… et au-delà », in : De Schutter / Nihoul (note 30), pp. 119-140, 135.

de justice48, même si une limite importante subsistait49. En somme, le TECE aurait indiscutablement permis à l’Union d’avancer dans la bonne direction, sans toutefois combler intégralement le déficit existant en matière de pro-tection des droits fondamentaux50.

2. Le défi

a) La protection effective des droits fondamentaux

La reconsidération complète des conditions de recevabilité du recours en an-nulation est une solution souvent évoquée pour remédier aux défauts de la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne51. Cependant, une telle solution risque de n’être, en définitive, qu’une demi-mesure. Il peut s’avérer délicat de maintenir les voies de droit actuelles tout en les élargis-sant. En effet, même après une réforme de celles-ci, les règles de procédure, les conditions de recevabilité et les moyens de recours risquent fort de diffé-rer en fonction de l’auteur du recours – un Etat membre, une institution de l’Union ou un particulier. Il ne faut pas perdre de vue que ces voies de droit s’inscrivent aussi dans une perspective interétatique et interinstitutionnelle très marquée. Le contexte diffère dès lors de celui qui existe en droit interne, où il semble plus aisé d’assigner à des voies de droit ordinaires la fonction supplémentaire d’assurer la protection des droits fondamentaux.

Une voie de droit spécifique, centrée sur la protection des intérêts des particuliers, présente l’avantage de la clarté. A l’inverse, une voie de droit générale court plusieurs lièvres à la fois. Elle contribue à assurer le respect du droit de l’Union européenne et de la hiérarchie des normes qui en font partie. Elle protège la répartition – horizontale et verticale – des compé-tences et pouvoirs. Elle est utilisée pour faire respecter les droits fondamen-taux, etc. Cette multiplicité des fonctions remplies par une seule et même voie de droit peut se traduire par un manque de lisibilité de l’organisation juridictionnelle de l’Union et, surtout, par des confusions dans l’esprit des

48 Voir Henri Labayle, « L’Espace de liberté, sécurité et justice dans la Constitution pour l’Europe », RTDE 2005, pp. 437-472, 453-459 ; Bribosia (note 32), pp. 136-137, nos 29-30 ; Koen Lenaerts / Ignace Maselis, « Le système juridictionnel de l’Union », in : Dony / Bribosia (note 32), pp. 219-239, 238-219-239, nos 38-40.

49 Voir l’article III-377 TECE.

50 Joël Rideau, « La greffe de la Charte des droits fondamentaux sur le projet de Constitution européenne », in : Olivier Beaud et al. (dir.), L’Europe en voie de Constitution, Bruxelles 2004, pp. 347-365, 360-361 ; Bribosia (note 32), pp. 133-135 et 136-137, nos 27 et 30 ; voir également Lenaerts / Maselis (note 48), pp. 231-233 et 240, nos 26-27 et 40.

51 Voir spécialement Picod (note 40), pp. 248-249 ; voir également Filipek (note 39), pp. 67-68 ; Lebaut-Ferrarese / Karpenschif (note 40), pp. 158-159.

justiciables, voire dans celui des juges eux-mêmes sur le rôle qui leur est dévolu52.

Il nous sera encore permis de douter que la seule proclamation, à l’ar-ticle 47 de la Charte (arl’ar-ticle II-107 TECE), du droit à un recours effectif puisse entraîner un bouleversement de l’architecture juridictionnelle de l’Union européenne53. La Cour de justice des Communautés européennes pourrait certes être amenée à modifier sa jurisprudence, eu égard à cette garantie. En revanche, la mise sur pied de nouvelles voies de droit nécessite l’accord des Etats membres54.

La création d’une voie de droit spécifique55, destinée à assurer la pro-tection des droits fondamentaux au sein de l’Union, impliquerait de définir certaines des caractéristiques essentielles de la procédure de recours. Deux d’entre elles méritent un examen attentif : la question de la saisine et celle des moyens de recours. Au préalable, il faut souligner que l’ouverture d’une telle voie de droit irait sans doute de pair avec la mise en place de certains mécanismes de filtrage – au niveau national ou au niveau européen – afin d’éviter l’engorgement de la Cour de justice56. Une réflexion approfondie sur l’architecture juridictionnelle de l’Union serait, par conséquent, nécessaire.

b) La saisine par les particuliers

La saisine par les particuliers revêt une grande importance dans un système démocratique, dans la mesure où « la défense des principes constitutionnels, la défense des droits et libertés ne se délègue pas ; elles n’est pas l’affaire des représentants, mais celle des citoyens [mieux : des particuliers] eux-mêmes »57. En ce sens, la procédure du renvoi préjudiciel ne sera jamais pleinement satis-faisante. Les particuliers n’ont pas un contrôle suffisant sur cette procédure, par ailleurs aléatoire.

52 Comp. Labayle (note 44), p. 45 : « Juge de l’action des pouvoirs publics européens ou nationaux, la juridiction de Luxembourg éprouve, semble-t-il, quelques difficultés à se débarrasser de cette tunique de Nessus pour adopter l’angle de vue de l’individu réclamant protection face à l’ingé-rence des pouvoirs publics. »

53 Egalement circonspecte, Bribosia (note 13), p. 132.

54 Voir, par analogie, CJCE, arrêt Unión de Pequeños Agricultores / Conseil du 25 juillet 2002, C-50/00 P, Rec., pp. I-6677 ss, 6735-6736, points 44 et 45, dans lequel la CJCE indique que si un système de contrôle de la légalité des actes communautaires de portée générale autre que celui mis en place par le TCE est certes envisageable, c’est aux Etats membres et non au juge qu’il appartient de réformer ce système.

55 Voir aussi Martenet (note 35), pp. 309-311.

56 Dans ce sens, voir notamment Guillaume Drago, « Le contrôle juridictionnel », Revue des af-faires européennes 2001-2002/6, pp. 721-733, 728 ; voir également Mayer (note 18), p. 183.

57 Dominique Rousseau, « Pour une Cour constitutionnelle ? », RDP 2002, pp. 363-375, 374, à pro-pos du contrôle de constitutionnalité en France. D’un autre avis, Henry Roussillon, « La saisine du Conseil constitutionnel : contribution à un débat », RIDC 2002, pp. 487-511, 506-507.

Cette procédure est instituée plutôt dans l’intérêt du droit communau-taire que dans celui des particuliers. Elle exprime une coopération « de juge à juge »58. L’affirmation est sans doute quelque peu réductrice. Il n’en demeure pas moins que le renvoi préjudiciel apparaît avant tout comme une procédure d’ordre public ayant comme but l’unification de l’interprétation du droit communautaire dans les Etats membres59. Dès lors, seul un recours sur sai-sine des particuliers sert véritablement les intérêts de ces derniers et en est le vecteur effectif.

Grâce à la création d’une procédure juridictionnelle de garantie des droits fondamentaux, sur saisine des particuliers, ces derniers deviendraient des ac-teurs à part entière du respect de leurs droits fondamentaux au sein de l’Union européenne60, et donc des acteurs du droit constitutionnel européen61. Certes, les particuliers sont, aujourd’hui déjà, indirectement des acteurs de la construction européenne puisque la Cour de justice a été amenée à rendre bon nombre de ses grands arrêts suite à des procédures initiées par des par-ticuliers au plan national62. Une voie de droit spécifique destinée à assurer le respect des droits fondamentaux peut néanmoins contribuer à l’effectivité de la protection des droits fondamentaux au sein de l’Union européenne63. L’Union européenne en tirerait un surcroît de légitimité64.

c) Les moyens de recours

La création d’une telle voie de droit suppose, à notre avis, presque inévita-blement de définir les moyens qui pourront être invoqués par des particuliers dans leurs recours65. Permettre à ceux-ci d’invoquer n’importe quel moyen

58 Denys Simon,Le système juridique communautaire, 3e éd., Paris 2001, p. 662.

59 Jean-Paul Jacqué, « L’avenir de l’architecture juridictionnelle de l’Union », RTDE 1999, p. 443.

60 Comp. Koen Lenaerts / Eddy De Smijter, « A ‹ Bill of Rights › for the European Union », CMLR 38 (2001), pp. 273-300, 300, à propos de la Charte.

61 Dans un sens voisin, Dutheil de la Rochère (note 19), pp. 231-232. Comp., dans une optique plus générale, Renaud Dehousse, « Un nouveau constitutionnalisme ? », in : R. Dehousse (dir.), Une Constitution pour l’Europe ?, Paris 2002, pp. 19-38, 31-34.

62 Dehousse (note 3), p. 29.

63 Dans le même sens sur ce dernier point, Renucci (note 15), p. 655, no 428.

64 Dans le même sens, voir notamment Kokott / Rüth (note 6), p. 1329. Voir également Beutler (note 33), p. 137, no 194 ; Flauss (note 36), p. 706 ; Drago (note 56), pp. 727-728, qui préconise cependant de confier cette fonction au juge national, tout en relevant ensuite que « le contentieux devra à un moment ou à un autre remonter vers la Cour de justice pour assurer une unité d’inter-prétation » (p. 737). Plutôt réservé, tout en reconnaissant les insuffisances du système actuel, Bruno de Witte, « Le rôle passé et futur de la CJCE dans la protection des droits de l’homme », in : P. Alston (dir.), L’Union européenne et les droits de l’homme, Bruxelles 2001, pp. 895-935, 911-914 et 931-934.

65 Dans le même sens, quoique critique, Picod (note 40), pp. 251-252. D’un avis semble-t-il diffé-rent, Bribosia (note 13), p. 121, note 39.

risquerait, en effet, de surcharger et même de paralyser les juridictions de l’Union. Dans ce contexte, la notion de « droits fondamentaux » deviendra pratiquement incontournable, même si la distinction, au stade de la receva-bilité, entre les recours qui seraient fondés sur un moyen tiré de la violation d’un droit fondamental, d’une part, et les autres recours, d’autre part, peut s’avérer délicate.

La distinction entre normes institutionnelles et droits fondamentaux est parfois réductrice. Ainsi, « la défense de certaines prérogatives des organes constitutionnels est au cœur de la défense des droits fondamentaux »66. Si une norme en apparence institutionnelle ou procédurale a clairement pour fonc-tion de protéger – même indirectement – certaines prérogatives fondamen-tales, individuelles et justiciables des particuliers, alors elle devrait pouvoir être invoquée par un particulier dans un recours, à certaines conditions et selon des modalités qui restent bien évidemment à définir. Au reste, les parti-culiers sont d’ores et déjà habilités à invoquer, selon des modalités variables, certains principes s’imposant aux institutions communautaires, comme le principe démocratique, le principe de subsidiarité ou encore le respect de la sécurité juridique67.

C. La protection externe des droits fondamentaux