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L’évaluation des législations nationales relatives aux minorités

2. Comment la Commission de Venise intervient dans le développement d’un droit des minorités

2.2. L’évaluation des législations nationales relatives aux minorités

Comme le prévoit son statut, « la Commission formule des avis sur demande de l’Assemblée parlementaire, du Secrétaire général, ainsi que de tout Etat membre du Conseil de l’Europe […] »55. Elle sera ainsi amenée à se pronon-cer sur le cadre juridique relatif à la protection des minorités au sein de dix

« Etats »56. Ses avis concernent tant des Etats membres57 que des « Etats » non-membres58. Cinq d’entre eux ont été rendus sur la demande de « l’Etat » concerné lui-même59, cinq sur demande de l’Assemblée parlementaire, que ce

Venise, lequel se lit comme suit : « La protection internationale des droits des minorités eth-niques, linguistiques et religieuses, ainsi que les droits des personnes appartenant à ces mino-rités, telle que garantie par la présente Convention, est une composante essentielle de la pro-tection internationale des droits de l’homme et, comme telle, est un domaine de la coopération internationale ».

55 Article 2 § 2 de la Résolution (90) 6 du 10 mai 1990. Le paragraphe 3 de cet article étend la possibilité à des Etats non membres du Conseil de l’Europe de formuler une telle requête, par l’intermédiaire du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

56 La demande formulée par le ministre chargé de la protection des droits des groupes nationaux et ethniques de la République du Monténégro en novembre 2003 ne peut véritablement être assimilée à une demande d’un Etat, le Monténégro étant à cette date clairement une République de la Fédération de Serbie-Monténégro. Cette question n’est cependant pas même soulevée par l’avis rendu en 1994 par la Commission de Venise (CDL-AD (2004) 026 (www.venice.coe.int/

docs/2004/CDL-AD(2004)026-f.asp). Signalons encore l’avis rendu à propos « des groupes de personnes auxquels la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales pourrait s’appliquer en Belgique adopté par la Commission lors de sa 50e session plénière (Venise, 8-9 mars 2002) », que nous classons tant dans la présente catégorie que dans celle des avis interpré-tatifs (voir ci-dessous).

57 Hongrie (1993 et 2001), Moldova (1999), Belgique (2002), Croatie et Lituanie (2003), Ukraine et Roumanie (2005).

58 Moldova (1993), Croatie (1996), Bosnie-Herzégovine (2001) et Monténégro (2004, voir note 56).

Des avis concernant certains Etats ont été rendus tant préalablement à leur adhésion que posté-rieurement à celle-ci, raison pour laquelle ils apparaissent dans les deux catégories.

59 Hongrie, en 1993 et 2001, Lituanie en 2003, Monténégro (voir note 56) en 2004, Ukraine et Rou-manie en 2005.

soit préalablement à l’adhésion60, ou postérieurement à celle-ci, dans le cadre du contrôle du respect des engagements pris au moment de l’adhésion61. La demande relative à la Belgique a été formulée par l’Assemblée à la demande de députés belges francophones, relayés par une majorité de membres de la Commission des affaires juridiques de l’Assemblée.

Soulignons enfin le mode de saisine particulier pour ce qui a concerné le projet de loi relatif aux communautés et minorités nationales en Bosnie-Herzégovine, puisque celui-ci a été demandé par le Bureau du haut-représen-tant, fonction internationale liée à la mise en œuvre des Accords de Dayton sur le territoire de la Bosnie. Ce dernier cas illustre tant l’ouverture dont à fait tout au long de son existence preuve la Commission de Venise dans sa collaboration avec des institutions ou Etats n’ayant pas de lien direct avec le Conseil de l’Europe, que la reconnaissance par la Communauté internatio-nale de la pertinence et de l’importance du rôle joué par cette Commission dans des situations politiquement complexes.

Sans pouvoir nous livrer, faute de place, à une analyse détaillée du contenu de ces différents avis, soulignons à leur propos trois éléments qui nous paraissent significatifs pour caractériser le rôle de la Commission de Venise en l’espèce.

Premièrement, constatons que cette modalité d’action revient à « l’ap-proche classique » – celle qui a prévalu dans le cadre de la Société des Na-tions – de la question des minorités, c’est-à-dire à un examen de la situation de certaines minorités dans certains pays, au cas par cas. Ce qui n’empêche pas que des éléments juridiques communs puissent se dégager de la lecture combinée de ces avis, comme nous allons le voir.

Deuxièmement, et selon une interprétation stricte de son mandat par la Com-mission, c’est dans le cadre d’une protection des minorités selon les mécanis-mes de l’Etat de droit que s’inscrivent les avis de la Commission. Ce qui ne limite néanmoins pas l’examen aux dispositions qui peuvent être invoquées

60 Moldova (1993), Croatie (1996). Il est depuis 1951 acquis que les adhésions au Conseil de l’Europe ne peuvent se faire qu’après que l’Assemblée parlementaire a rendu un avis positif concernant l’Etat candidat. Cependant, depuis 1993, l’adhésion conditionnelle d’Etats membres est devenue la règle. Ainsi dans son avis positif relatif à la candidature d’un Etat, l’Assemblée constate que certains éléments posent encore problème au regard des standards européens, et prend acte de l’engagement unilatéral de l’Etat candidat à se conformer dans les meilleurs délais à ces divers standards ; sur la base de ces engagements précis, l’Assemblée parlemen-taire se déclare alors favorable à l’adhésion de l’Etat candidat. L’Assemblée qui ensuite souhaite contrôler le respect de ces engagements a donc mis au point une procédure de suivi qui lui per-met d’engager des actions pour vérifier la satisfaction effective des engagements contractés (voir notamment la Résolution 115 (1997) amendée par la Résolution 1431 (2005), laquelle ins-titue une Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe).

61 Moldova (1999), Croatie (2003).

devant les juridictions, puisque la Commission traite également dans une majorité de ses avis en la matière de dispositions qui, par exemple, visent à assurer une participation équitable de groupes minoritaires aux processus décisionnels.

Troisièmement, la procédure d’avis dans ces cas s’apparente plus à un dialogue, s’inscrivant dans la durée, qu’à la seule analyse statique de disposi-tions législatives. Le dialogue se noue tant avec les différents acteurs concer-nés dans le pays à propos duquel doit être rendu l’avis (autorités gouver-nementales, mais aussi membres du Parlement ou instituts spécialisés dans la protection des minorités, ainsi que représentants de groupes minoritaires eux-mêmes) qu’entre les membres de la Commission. Ainsi les rapporteurs désignés par la Commission se rendent dans le pays en question pour rencon-trer les acteurs et comprendre les enjeux. Quant au dialogue entre membres de la Commission, il se manifeste – outre les discussions en séance ou autour dont il n’existe pas de compte-rendu détaillé – par des commentaires écrits nominalement signés et rendus publics. C’est de ce dialogue qu’émerge (ou parfois n’aboutit pas) le texte de l’avis que la Commission adopte ensuite en séance plénière. Ainsi, outre la dimension normative qui peut être attachée au texte de l’avis adopté, cette procédure d’avis s’inscrit aussi dans une procé-dure de dialogue politique dont la valeur, même si nous n’avons la place d’en traiter plus en détail ici, ne doit pas être sous-estimée.

Quant au fond, ces avis insistent tout d’abord sur les possibles consé-quences, principalement en relation avec les exigences d’un Etat de droit, que pourra avoir la mise en œuvre des dispositions soumises à l’examen des membres de la Commission. Ainsi les avis sont attentifs à la nécessité de ne pas garantir les droits des personnes appartenant à un groupe minoritaire au détriment des droits de personnes appartenant à un tel groupe mais sou-haitant jouir, à égalité avec les autres citoyens, du droit commun à tous les ci-toyens. A l’inverse, les avis de la Commission mettent toujours en exergue les possibilités que les textes législatifs laissent aux autorités pour apporter des dérogations aux droits garantis aux minorités, soulignant le danger qu’un texte positif dans son contenu puisse être privé de ses effets par des décisions ultérieures des autorités administratives ou politiques. Enfin, l’existence de mécanismes juridictionnels effectifs qui pourront garantir le respect des droits énoncés est également toujours soulignée comme constituant une par-tie intégrante et nécessaire d’une protection d’une minorité.

Les autres éléments relèvent des situations particulières à chaque texte soumis à examen, et nous n’en traiterons pas dans cette brève contribution.

2.3. L’adoption d’avis interprétatifs d’autres textes