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Michel Hottelier

B. Le champ d’application

Le cas d’application du principe de faveur que l’on rencontre le plus fréquem-ment concerne la portée des droits garantis57. Il conduit à s’interroger sur le champ respectif de différentes normes de rang constitutionnel ou conven-tionnel susceptibles d’entrer en concours. Ce cas de concours se divise à son tour en plusieurs catégories, qui permettent de révéler les contours du champ opératoire et, partant, l’envergure des droits en cause. On distingue ainsi entre le champ d’application personnel, matériel et territorial.

1. Le champ d’application personnel

Sous l’angle de leur champ d’application personnel, également appelé titula-rité, les droits fondamentaux et les droits de l’homme peuvent connaître des variations sensibles. La même garantie peut ainsi être conçue de façon plus ou moins étendue en fonction du cercle de ses bénéficiaires.

A teneur de l’article 24 Cst., la liberté d’établissement n’est par exemple reconnue qu’aux citoyens suisses, lesquels sont ainsi seuls à disposer du droit de s’établir en un lieu quelconque du pays58. L’article 25 alinéa 1 Cst. les pro-tège également contre l’expulsion, l’extradition ou le refoulement. L’article 2 du Protocole no4 CEDH consacre pour sa part la liberté de circulation plus largement, dans la mesure où « quiconque » se trouve régulièrement sur le

53 ATF 130 I 113, 123 A. ; RSDIE 2002, p. 448 A. Z., X.

54 ATF 129 I 12, 16 V.und 20 Mitb.

55 ATF 122 I 101, 103 E. M.

56 ATF 131 I 166, 172 X.

57 Voir, par exemple, les développements de Grabenwarter (note 22), p. 16 et de Nowak (note 23), p. 118 ; Jan De Meyer, « Brèves réflexions à propos de l’article 60 de la Convention européenne des droits de l’homme », in :Mélanges Gérard J. Wiarda, Cologne 1988, p. 125.

58 FF 1997 I 172.

territoire d’un Etat partie a le droit d’y circuler librement et d’y choisir sa rési-dence. Cet instrument n’est toutefois toujours pas applicable en Suisse, faute de ratification par le Conseil fédéral59.

L’article 12 Pacte II consacre pour sa part une garantie identique, à la-quelle le Conseil fédéral a toutefois apporté une réserve précisément relative au caractère cantonal des autorisations de séjour et d’établissement délivrées aux étrangers. Pour les ressortissants communautaires en revanche, l’Accord sur la libre circulation des personnes garantit une liberté de circulation qua-siment inconditionnelle qui, sous l’angle de son champ d’application person-nel, octroie une protection plus étendue que l’article 24 Cst.

2. Le champ d’application matériel

Le principe de faveur trouve un terrain d’action privilégié dans le champ d’application matériel des droits fondamentaux. Il s’agit en effet de l’un des domaines dans lesquels ce principe est le plus communément utilisé pour arbitrer les problèmes occasionnés par la coexistence de garanties de contenu prima vista identique, mais procédant de sources normatives différentes.

On peut mentionner, à titre d’exemple, le droit d’obtenir une réponse, le cas échéant dans un certain délai, en cas de pétition, tel qu’énoncé par plu-sieurs constitutions cantonales60, alors même que l’article 33 alinéa 2 Cst.

n’oblige pour sa part les autorités qu’à prendre connaissance des pétitions qui leur sont adressées, sans autre obligation61.

Citons également l’article 29a Cst., qui garantit le droit général d’accès au juge, alors que les articles 6 paragraphe 1 CEDH et 14 paragraphe 1 Pacte II confinent la portée du droit de voir sa cause traitée par un tribunal aux seules contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil ou sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale62. De même, la garantie du procès équitable au sens de l’article 29 alinéa 1 Cst. vaut pour toute procé-dure judiciaire ou administrative. Elle va au-delà de celle de l’article 6 para-graphe 1 CEDH et de l’article 14 parapara-graphe 1 Pacte II63.

Le principe d’égalité n’échappe pas non plus à la nécessité de déterminer le champ d’application matériel des normes constitutionnelles et convention-nelles qui le consacrent. Tel qu’énoncé par l’article 8 Cst. et par nombre de constitutions cantonales, ce droit possède une portée indépendante qui, en

59 FF 2004 3606.

60 Art. 11 al. 2 let. b Cst. BS ; art. 3 let. d Cst. SG ; art. 8 al. 2 let. l Cst. TI ; art. 21 al. 2 Cst. NE.

61 FF 1997 I 190 ; ATF 119 Ia 53, 55 St.

62 Voir également Auer / Malinverni / Hottelier (note 35), p. 41 et les autres références citées.

63 ATF 131 II 169, 173 Abacha et consorts ; 130 I 269, 272 X.

dépit de formules ambiguës employées parfois par la jurisprudence, peut être invoqué tel quel par ses bénéficiaires. Il en va tout différemment des instru-ments conventionnels auxquels la Suisse est partie.

L’article 14 CEDH est en effet conçu dans une perspective restrictive, qui fait dépendre sa mise en œuvre de l’invocation d’une autre norme conven-tionnelle. Autrement dit, là où le droit suisse garantit l’égalité face au droit dans son ensemble, l’article 14 CEDH ne consacre que l’égalité devant la Convention et ses instruments additionnels. Il en va de même de l’article 2 Pacte II. Quant à l’article 26 du même instrument, sa portée est conçue plus largement, puisque la disposition énonce le principe général d’égalité devant la loi. Aussi, afin d’éviter que le principe de faveur conduise à privilégier la norme onusienne au détriment du principe constitutionnel d’égalité, le Conseil fédéral a formulé une réserve qui a pour effet de priver l’article 2 Pacte II de toute indépendance, réduisant du même coup sa portée à la seule égalité devant le Pacte lui-même.

3. Le champ d’application territorial

Un cas d’application plus théorique du principe de faveur a trait à l’envergure territoriale des droits fondamentaux et des droits de l’homme. Les diverses garanties portant sur le même objet peuvent ainsi être dotées d’une dimen-sion géographique plus ou moins étendue.

Pour ne concerner que les autorités locales, soit les organes de rang can-tonal et communal, les droits fondamentaux prévus par les constitutions des cantons ne déploient qu’un champ opératoire limité d’un point de vue géographique. On sait d’ailleurs que cette particularité constitue l’une des raisons qui ont poussé le Tribunal fédéral à doter certaines libertés d’essence traditionnellement cantonale d’une force expansive sur le plan national à tra-vers la reconnaissance, au début des années 1960, de libertés non écrites64.

La nécessité de lier également les autorités fédérales à travers la mise en place de standards de rang fédéral a ainsi agi comme un puissant levier tendant à assurer à des libertés telles que la garantie de la propriété65, la li-berté d’expression66 ou la liberté personnelle67 une protection plus étendue, donc plus favorable que des standards diffus, limités au seul territoire des éventuels cantons qui les avaient instituées. L’exigence tirée de la réalité cons-titutionnelle («Verfassungswirklichkeit ») posée par la jurisprudence, selon

64 Holger Schäfer,Die ungeschriebenen Freiheitsrechte in der schweizerischen Bundesverfas-sung von 1874 im Vergleich mit dem Grundgesetz, Francfort-sur-le-Main 2002, p. 31 ss.

65 ZBl. 1961, pp. 69, 72 Keller.

66 ATF 87 I 114, 117 Sphinx-Film.

67 ATF 89 I 92, 98 Kind X.

laquelle la faculté érigée au rang de liberté non écrite fédérale suppose une reconnaissance préalable par un grand nombre de cantons, souligne l’impor-tance que les juges fédéraux attachent au champ d’application territorial des droits fondamentaux68.

La dimension territoriale du principe de faveur joue également un rôle considérable à l’échelon international, dès lors que l’envergure des instru-ments de protection des droits de l’homme varie selon que ceux-ci revêtent une portée régionale ou universelle. Dans le domaine de la coopération inter-nationale en matière pénale, le Tribunal fédéral a fréquemment l’occasion de souligner que la CEDH et le Pacte II garantissent des standards minimaux en matière de protection des droits individuels qui font partie de l’ordre public international69. Le Pacte II déploie néanmoins un effet utile pour légitimer les exigences que les autorités suisse peuvent imposer à des Etats non européens qui, faute d’être liés par la Convention, sont néanmoins soumis au respect des garanties de cet instrument70. On peut également citer, dans ce contexte, le respect des principes découlant des règles impératives du droit international qui, à l’image de l’interdiction de la torture, lient l’ensemble des Etats, indé-pendamment du fait que ceux-ci sont parties à la CEDH ou au Pacte II71.