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L’élaboration de règles conventionnelles pour la protection des minorités

2. Comment la Commission de Venise intervient dans le développement d’un droit des minorités

2.1. L’élaboration de règles conventionnelles pour la protection des minorités

La première initiative, et peut-être la plus importante, de la Commission de Venise consiste à travailler, très promptement, à l’élaboration d’une proposi-tion pour une Convenproposi-tion européenne pour la protecproposi-tion des minorités. Ce texte sera adopté par la Commission dans son ensemble le 9 février 1991, et sera transmis au Comité des Ministres. Il est en effet clair que quelle que soit la qualité des travaux de cette Commission et la compétence des membres qui la composent, celle-ci ne constitue qu’un organe consultatif constitué d’experts indépendants36, et ne possède à ce titre pas la légitimité permettant l’adoption d’un texte appelé à lier sur le plan européen les Etats. Son mandat initial prévoit cependant que « la Commission peut effectuer de sa propre initiative des recherches et élaborer, le cas échéant, des schémas de lois, de recommandations et d’accords internationaux »37. De plus il est indiqué que

« toute proposition de la Commission peut être discutée et adoptée par les organes statutaires du Conseil de l’Europe. »38 Aussi la Commission est-elle bien dans son rôle en élaborant un projet et en le transmettant à l’organe compétent du Conseil de l’Europe39.

Mais une sorte de compétition va s’engager avec l’autre organe principal du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire, qui parallèlement aux tra-vaux de la Commission de Venise, s’engage en 1990 dans la recherche de solu-tions normatives aux revendicasolu-tions des minorités. Ces travaux connaissent une première consécration en octobre 1990 avec l’adoption par l’Assemblée parlementaire d’une Recommandation40 et d’une Directive41 relatives toutes deux « aux droits des minorités nationales ». Ces textes, outre qu’ils consti-tuent le retour après quelques trente années de silence de l’Assemblée parle-mentaire à une approche plus générale de la question des minorités, font le constat qu’il existe en Europe de nombreuses catégories de minorités et que

« avec l’évolution des Etats d’Europe centrale et de l’Est vers la démocratie, de graves problèmes de minorités apparaissent également dans ces pays »42, que le Conseil de l’Europe se doit de les traiter. En conséquence, l’Assemblée énonce une série de normes minimales pour assurer une protection juridique

36 Article 3 §§ 1 et 2 de la Résolution (90) 6 du Comité des Ministres du 10 mai 1990.

37 Article 2 § 1 de la Résolution (90) 6 du Comité des Ministres du 10 mai 1990.

38 Ibid.

39 En vertu des articles 1.b et 15.a du Statut du Conseil de l’Europe (STCE n° 1), c’est bien le Co-mité des Ministres qui est compétent pour adopter des accords internationaux dans le cadre du Conseil de l’Europe.

40 Recommandation 1134 (1990) relative aux droits des minorités, adoptée le 1er octobre 1990.

41 Directive N° 456 (1990) relative aux droits des minorités, adoptée le 1er octobre 1990.

42 Recommandation 1134 (1990) § 6.

adéquate des minorités (Recommandation 1134) et se propose d’une part « de définir plus en détail les principes concernant les droits des minorités qui ont été énoncés [par la Recommandation 1134] et qui pourraient être inclus dans un Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme ou dans une convention spéciale du Conseil de l’Europe »43, et d’autre part

« de jouer un rôle de médiation et de conciliation dans les conflits mettant en cause des minorités chaque fois que la demande lui en sera faite »44.

Ce second rôle, nous l’avons vu, sera confié à la CSCE et non au Conseil de l’Europe45. L’élaboration d’un texte conventionnel va par contre continuer à occuper l’Assemblée. Considérant que le processus n’avance pas assez rapidement46, les Parlementaires ne sont pas non plus convaincus par la pro-position de Convention formulée par la Commission de Venise. Non que son contenu soit jugé inapproprié ou mal rédigé, mais parce que « bien qu’elle contienne une définition remarquable des droits à garantir, la proposition de convention paraît faible sur le mécanisme de contrôle. Aussi l’Assemblée estime-t-elle préférable et urgent d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme »47.

Ce que fera l’Assemblée parlementaire l’année suivante, en annexant à sa Recommandation 120148 une « Proposition de protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fonda-mentales concernant les personnes appartenant à des minorités nationales ».

Cette proposition, bien qu’elle reprenne pour l’essentiel les mêmes principes que ceux développés par la Commission pour la démocratie par le droit – la divergence principale portant sur la forme et les modalités de contrôle49,

43 Directive N° 456 (1990), § 3.

44 Directive N° 456 (1990), § 5.

45 Si l’on excepte les « mesures de confiances » qui seront mises sur pied par le Secrétariat du Conseil de l’Europe, dans le but de mettre en œuvre une des décisions du Sommet de Vienne du 9 octobre 1993 ; mais ces actions n’auront pas, sur la durée, l’impact de l’action normative du Conseil de l’Europe.

46 La Recommandation 1177 (1992) adoptée le 4 février 1992 indique que « Les pétitions et les dé-clarations de principe d’autorités gouvernementales en faveur d’une reconnaissance, d’une pro-tection, voire d’une promotion des droits des « minorités » sont aujourd’hui nombreuses, que celles-ci soient qualifiées de nationales, d’ethniques et de culturelles, de linguistiques ou de religieuses. […] L’extrême diversité des situations est désormais convenablement recensée et analysée. Il en est de même de la très grande complexité des problèmes soulevés et des difficul-tés à la fois juridiques et politiques à résoudre ceux-ci. Dire cela aujourd’hui ne suffit plus. […]

Il est urgent de déboucher sur des décisions et des engagements internationaux susceptibles d’être mis en œuvre rapidement sur le terrain. Il en va de la paix, de la démocratie, des libertés et du respect des droits de l’homme sur notre continent. » (§§ 6, 7 et 8).

47 Recommandation 1177 (1992) § 12.

48 Adoptée le 1er février 1993.

49 Dans l’avis adopté par la Commission de Venise sur ce projet de Convention, rédigé en décembre 1992 par Giorgio Malinverni (disponible en anglais uniquement sur Internet, à l’adresse www.

un Protocole additionnel à la CEDH impliquant que les dispositions qu’il contient pourraient, contre les Etats y ayant souscrit, être invoquées devant la Cour européenne des droits de l’homme – aura surtout un retentissement en raison du seul article allant nettement au-delà des propositions des ex-perts vénitiens. En effet, l’article 11 de ce projet énonce : « Dans les régions où elles sont majoritaires, les personnes appartenant à une minorité nationale ont le droit de disposer d’administrations locales ou autonomes appropriées, ou d’un statut spécial, correspondant à la situation historique et territoriale spécifique, et conformes à la législation nationale de l’Etat ». Le lien entre les droits des minorités nationales et des modalités d’autonomie territoriale constitue une thématique explosive, que les Etats voudront écarter, parce que considérée comme porteuse d’instabilité. Ainsi durant cette même année 1993, le premier Sommet du Conseil de l’Europe50 adopte à Vienne le 9 oc-tobre une « Déclaration de Vienne », à laquelle est annexée une Déclaration sur les minorités nationales. Les chefs de gouvernement européens y font le constat que « les minorités nationales que les bouleversements de l’histoire ont établies en Europe doivent être protégées et respectées afin de contribuer ainsi à la stabilité et à la paix. Dans cette Europe que nous voulons bâtir, il faut répondre à ce défi :assurer la protection des droits des personnes appartenant à des minorités nationales au sein d’un Etat de droit, dans le respect de l’intégrité ter-ritoriale et de la souveraineté nationale des Etats. A ces conditions ces minorités apporteront une précieuse contribution à la vie de nos sociétés »51. Ainsi la

venice.coe.int/docs/1992/CDL-MIN(1992)008-e.asp ), celle-ci constate que la différence fonda-mentale entre son projet (de deux ans antérieur) et celui-ci concerne la forme et le mécanisme de mise en œuvre des droits. Pour le reste, bien que plusieurs dispositions de caractère général qui figurent dans le projet de la Commission pour la démocratie par le droit ne se retrouvent pas dans le projet de l’Assemblée, ce qui aura pour effet de limiter les droits dont pourraient bénéficier les minorités, la Commission note que les dispositions proposées correspondent à celles de son propre projet. Pour ce qui est du mécanisme de mise en œuvre par contre, la Commission sous la plume de G. Malinverni, tout en reconnaissant qu’un Protocole additionnel à la CEDH aurait des avantages, réitère ses doutes sur l’efficacité d’un mécanisme de protection juridictionnelle des droits énoncés, avançant pour cela deux raisons. Premièrement, « while it is closely linked to the protection of human rights, the protection of minorities does present far more marked political features », ce qui aurait pour conséquence qu’une décision de la CEDH ne serait pas nécessaire-ment le meilleur moyen de régler le problème. Deuxièmenécessaire-ment, la Commission de Venise doute que la nature de certains droits énoncés au bénéfice des minorités se prête à une mise en œuvre judiciaire. Aussi la Commission ne soutient-elle pas le projet de l’Assemblée. Il est intéressant de noter sur cette question de la mise en œuvre une forme de renversement des fronts, les hommes et femmes politiques exigeant un mécanisme placé sous la supervision des juges, les experts en droit constitutionnel trouvant plus de mérite à une solution négociée sur la base de principes juridiques (« The Commission therefore persists in its belief that flexible, diplomatic solutions applied by a non-judicial body may prove more efficient in this tricky field »).

50 Lequel réunit pour la première fois les chefs de gouvernement ou d’Etats des Etats membres du Conseil de l’Europe à l’invitation du gouvernement autrichien, qui exerce la Présidence du Conseil de l’Europe, les 9 et 10 octobre 1993.

51 Annexe II à la Déclaration de Vienne, §§ 1 et 2. C’est nous qui soulignons.

question d’une dimension territoriale en lien à des solutions aux revendica-tions, par ailleurs légitimes, de minorités nationales est écartée.

Par contre, dans le corps de la déclaration elle-même, les dirigeants euro-péens s’engagent à « souscrire des engagements politiques et juridiques rela-tifs à la protection des minorités nationales en Europe et de donner mandat au Comité des Ministres d’élaborer les instruments juridiques internationaux appropriés ». De plus, ils demandent expressément au Comité des Ministres, entre autres mesures, « de rédiger à bref délai une convention-cadre précisant les principes que les Etats contractants s’engagent à respecter pour assurer la protection des minorités nationales. Cet instrument serait ouvert également à la signature des Etats non membres ».

En fait, le Comité des Ministres n’avait pas attendu cette injonction pour transmettre, en mai 1992, la proposition formulée par la Commission de Venise au Comité directeur des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, afin que celui-ci en examine les mérites. Mais les discussions au sein de ce Comité directeur achoppaient sur la résistance des représentants de plu-sieurs Etats européens (France et Turquie notamment). Par contre, une fois une telle instruction clairement énoncée par les plus hautes autorités éta-tiques, l’adoption d’un texte conventionnel européen dans un délai raison-nable est acquise. Cependant, se fondant sur le nouveau mandat confié par la Déclaration des Chefs d’Etat et de gouvernement, les Etats membres du Conseil de l’Europe vont abandonner l’examen du projet de Convention de la Commission de Venise, pour charger un nouveau Comité ad hoc52 de rédiger un nouveau projet de Convention-cadre. Si le rapport explicatif à la Conven-tion-cadre qui sera ouverte à la signature au sein du Conseil de l’Europe le 5 février 1995 précise que le projet de la Commission de Venise a été examiné parmi plusieurs autres textes, l’examen des dispositions du projet vénitien et du texte adopté par le Comité ad hoc, puis le Comité des Ministres, montrent la claire filiation de cette nouvelle convention qui reprend la structure, les orientations de principe (comme par exemple l’affirmation – au demeurant historiquement contestable53– que « la protection des minorités nationales et des droits et libertés des personnes appartenant à ces minorités fait partie intégrante de la protection internationale des droits de l’homme et, comme telle, constitue un domaine de la coopération internationale »54) ainsi que la

52 Mis en place par le Comité des Ministres le 4 novembre 1993, dans le but de concrétiser la de-mande des chefs d’Etats et de gouvernements énoncée à Vienne le mois précédent, il s’intitule Comité ad hoc pour les minorités nationales (CAHMIN).

53 Puisque la protection internationale des minorités est antérieure à la protection internationale des droits de l’homme.

54 Article 1er, § 1 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du 1er février 1995, STCE n° 157. A comparer avec le texte de l’article premier du projet de la Commission de

plupart des dispositions, à la notable exception de la définition de ce qu’est une minorité nationale !

Ainsi, si la Commission n’a pas elle-même formellement rédigé le texte qui donnera le fondement à la Convention-cadre de 1995, son projet de 1991 a, nous y reviendrons dans notre conclusion, fait plus que jeter les bases du texte conventionnel.

2.2. L’évaluation des législations nationales