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Conclusion : une dimension vénitienne du droit européen des minorités ?

A l’heure d’un bilan, loin d’être définitif – même si cette question ne semble pas aujourd’hui en Europe, avec la notable exception de certains territoires des Balkans et, le cas échéant certaines situations en (ou autour de la) Turquie, d’une même actualité qu’elle ne le fut dans les années nonante du siècle dernier – de la contribution de la Commission de Venise au développement d’un droit des minorités en Europe, nous souhaitons mettre en évidence une contribution plus essentielle que toutes les autres, de l’activité de la Com-mission de Venise sur le développement de ce droit. Tellement centrale et structurelle pour ce qui concerne ce droit, qu’elle n’est à notre avis pas suffi-samment mise en évidence par les analyses.

Nous avons certes montré ci-dessus que les actions de la Commission ont été multiformes et ont concerné un nombre important de situations les plus diverses. Pourtant, ce qu’il nous paraît essentiel de retenir c’est la volonté, dès l’origine de ses travaux en la matière, de la Commission de Venise de proposer une approche normative globale à la question de la protection des minorités.

Prenant l’exact contre-pied de l’Assemblée générale de l’ONU qui, lorsqu’elle se prononça sur la question en 1948 constatait « qu’il est difficile d’adopter une solution uniforme de cette question complexe et délicate qui revêt des as-pects particuliers dans chaque Etat où elle se pose », la Commission de Venise essaie au contraire dans son projet de Convention de 1991 de « fournir une réponse globale à toutes les situations concernant les minorités »86. Cette pre-mière proposition de texte conventionnel ne sera certes pas formellement à la base des textes conventionnels finalement acceptés par les Etats membres du Conseil de l’Europe. Mais la conception selon laquelle une solution norma-tive globale aux questions soulevées par la protection des minorités pouvait être apportée – en totale rupture avec les acquis antérieurs d’un droit des minorités – exercera une influence majeure sur les autres acteurs, notamment

86 Description de sa propre proposition de Convention dans l’avis que la Commission rend concer-nant la Charte européenne de l’autonomie locale (CDL(1991)20, § 5).

l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et surtout les chefs de gou-vernement réunis à Vienne à l’automne 1993. Lesquels instruiront ainsi sans hésitation le Comité des Ministres « de rédiger à bref délai une convention-cadre précisant les principes que les Etats contractants s’engagent à respecter pour assurer la protection des minorités nationales »87. Ce qui conduira au premier instrument conventionnel posant des principes juridiques globaux applicables à la protection des minorités. C’est une véritable révolution dans la conception même du droit des minorités, et c’est à la Commission de Venise qu’elle est due. Cela est sa contribution majeure.

Ce qui ne doit cependant pas conduire à négliger les autres éléments substantiels que la Commission a permis d’apporter au développement de ce droit par l’adoption de ses différents avis sur des questions plus concrètes.

De ce point de vue, il est étonnant de noter que la Commission de Venise a toujours souligné et privilégié la dimension des droits fondamentaux liés à la protection des minorités, alors que son mandat initial et sa composition auraient pu la porter à prendre en considération des solutions constitution-nelles plus larges, réalisant une protection effective des droits des groupes minoritaires hors de l’attribution de droits subjectifs aux individus membres d’un groupe minoritaire. Ce ne sera pas le cas. Au contraire, comme cela ressort de son avis « sur les groupes de personnes auxquelles pourrait s’ap-pliquer la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales en Belgique », la Commission considère – sans que cela ne ressorte nullement de la lettre des textes adoptés – que les personnes appartenant à un groupe de population auquel les agencements constitutionnels au sein de l’Etat offrent des garanties de participation effective et paritaire aux processus décision-nels, ne relèvent alors plus de la question de la protection des minorités. Point de vue tout à fait défendable et cohérent en ce qui concerne la protection ef-fective des droits fondamentaux des personnes appartenant à de tels groupes de populations, mais pas nécessairement évident au regard du mandat ini-tial que l’article premier de la Résolution (90) 6 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe assignait à cette Commission… Il est également vrai que le mandat initial ne mentionnait pas cette question de la protection des mi-norités, et qu’ainsi cette activité majeure de la Commission de Venise, comme nous avons tenté de le monter dans cette contribution, semble s’être dévelop-pée en marge des objectifs et des principes directeurs initialement assignés à cette Commission. Avec cependant des résultats probants.

Il est dans cette perspective intéressant de noter que la révision du statut de la Commission, en 2002, bien que « souhaitant développer le Statut de la

87 Déclaration de Vienne, Annexe II.

Commission à la lumière de l’expérience acquise »88, ne fait toujours aucune mention de la question de la protection des minorités et ne mentionne tou-jours, comme l’Accord partiel initial, que « les droits et libertés fondamen-taux, notamment ceux qui concernent la participation des citoyens à la vie publique », précisément le critère utilisé par la Commission pour exclure, lorsqu’une telle participation est correctement réalisée, du bénéfice des règles du droit des minorités les personnes appartenant à un groupe numérique-ment minoritaire. Ce dernier constat nous paraît illustrer que, bien que la Commission de Venise ait pour la première fois permis de proposer des prin-cipes généraux applicables à la protection des minorités, le traitement de cette question continue à se faire de manière plus pragmatique que strictement normative. Peut-être est-ce d’ailleurs, malgré tout, là le premier principe gé-néral applicable au traitement juridique de toutes les situations de groupes minoritaires.

88 Paragraphe 6 des considérants de la Résolution (2002)3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 21 février 2002. Le but principal de cette révision est de transformer la Commis-sion de Venise en accord partiel élargi, c’est-à-dire autorisant la pleine association d’Etats non-membres du Conseil de l’Europe. Actuellement, le Chili, le Kirghizstan, le Monténégro et la Répu-blique de Corée sont ainsi parties à cet Accord partiel. Alors que le Belarus est membre associé et que l’Afrique du Sud (à des conditions particulières), l’Argentine, le Canada, les Etats-Unis d’Amérique, Israël, le Japon, le Kazakhstan, le Mexique, le Saint-Siège et l’Uruguay y ont un sta-tut d’observateur.

La légitimation de l’Union européenne