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Chapitre 1 Qu’est-ce qu’une erreur ?

2. Erreur et Norme

2.2 A propos de la Norme

2.2.1 Définition de la norme

La notion de norme est une notion sociale qui dépasse largement les phénomènes linguistiques. Il y a des normes pour la nourriture, pour les vêtements, etc., c’est-à-dire pour tous les systèmes relevant de la sémiologie au sens de Saussure.

Selon le Dictionnaire de la langue française (Gallimard / Hachette, 1966), le mot « norme » vient du latin norma, qui signifie l’équerre, et dont le sens figuré est la règle ou le modèle. Dans le Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe

siècle, on cite plusieurs définitions de norme concernant la grammaire et la linguistique, par

exemple :

a. les règles définissant ce qui doit être choisi parmi les usages d’une langue, ce à quoi

doit se conformer la communauté linguistique au nom d’un certain idéal esthétique ou

socio-culturel, et qui fournit son objet à la grammaire normative ou à la grammaire au sens

courant du terme (d’apr. Ling. 1972 et Greimas-Courtés, 1979) ;

b. tout ce qui est d’usage commun et courant dans une communauté linguistique et

correspond alors à l’institution sociale que constitue la langue (d’apr. Ling. 1972)22.

Dans la première définition, il s’agit d’une norme par référence à laquelle la langue standard ou formelle se détermine. Elle correspond à la norme sociale ou le « bon usage » nommé par les linguistes, qui désigne l’édiction des principes à respecter dans l’emploi d’une langue. Autrement dit, c’est une « loi » sociale.

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Quant à la deuxième définition, elle désigne la norme linguistique ou la norme d’usage. C’est-à-dire que tout ce qui se dit dans une communauté fait partie de la langue, par exemple le français populaire et le français familier.

2.2.2 Norme sociale et norme linguistique

La norme sociale ou le « bon usage » a été construite historiquement comme norme nationale notamment aux 16ème et 17ème siècles par des grammairiens comme Vaugelas, Ménage, le père Bouhours, etc. Elle s’appuie toujours sur un groupe considéré comme celui des « bons parleurs », en France, ce sont des « Parisiens cultivés ». C’est à travers la promulgation des lois, des déclarations et des décrets que les règles de langues sont imposées dans le public. Il est à noter que la norme sociale ne constitue pas une coupure radicale entre le dicible socialement et le non dicible socialement. D’une part, il y a des puristes pour qui la norme la plus traditionnelle doit être respectée ; d’autres part, il y a eu des avancées dans l’acceptation (acceptation diffuse aux frontières floues reflétées par exemple par les présentateurs radio ou télévision ; déclarations de l’Académie française, lois et décrets qui ne sont d’ailleurs pas toujours respectés)23. Cette norme sociale définit une vérité : est exact ce qui doit se dire et inexact ce qui ne doit pas se dire. Quand on ne respecte pas ces lois, il y a risque d’être écarté par une certaine classe sociale :

Une faute de grammaire, l’emploi d’un terme populaire ou familier, classe ou déclasse

son auteur, l’exclut du groupe social : « Il ne faut qu’un mauvais mot, écrit encore Vaugelas,

pour faire mépriser une personne dans une compagnie, pour décrier un prédicateur, un

écrivain, un avocat »24.

L’écart est donc ici un écart par rapport au « bon français » édicté socialement par ceux qui considèrent qu’ils ont le pouvoir de l’édicter.

En ce qui concerne la norme linguistique, elle est aussi nommée la norme d’usage. Mais la notion d’usage doit être considérée avec précaution, car les puristes se réclament eux aussi de l’usage mais il s’agit alors de l’usage d’un groupe social restreint (la Cour royale pour Vaugelas au 17ème siècle ; le « Parisien cultivé » pour la plupart des puristes d’aujourd’hui).

23

Ces connaissances de la norme sociale proviennent des instructions de Monsieur Portine, directeur de la présente thèse.

24

C. MARCELLESI, 1976, « Norme et enseignement du français » dans La Norme, Cahier de linguistique sociale, n°1, Université de Rouen – Université de Perpignan, pages 7-10 : 7.

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En revanche, la notion d’usage qui correspond à la norme linguistique, provient de l’usage de la communauté linguistique dans son ensemble, ce que Saussure a appelé « la masse parlante ».

Ces deux types de normes correspondent respectivement aux notions de « norme » et de « système de la langue » chez Yaguello25. Dans son livre En écoutant parler la langue, il les distingue l’une de l’autre en précisant que la première est liée aux notions de l’« écart » et de la « marginalité », tandis que la deuxième est souvent associée au « paradigme » et à la « structure ». Selon lui, il est possible qu’un natif produise des énoncés qui ne respectent pas la norme, mais toujours dans le système, mais ce n’est pas forcément le cas chez les apprenants étrangers. Par manque de l’intuition langagière existant normalement chez les parleurs natifs, il est possible que les apprenants étrangers commettent à la fois des erreurs dérivant de la norme (norme sociale) et des erreurs qui ne conforment pas au système de la langue (norme linguistique).

Bref, la norme linguistique sert à séparer ce qui forme des phrases et ce qui forme des non-phrases de la langue. Elle est respectée inconsciemment par sa « masse parlante ». La norme sociale reflète un « bon usage » du français préconisé par les personnes cultivées et le gouvernement. Si un écart de la norme sociale ne nuit pas à la compréhension de l’énoncé, (par exemple un puriste comprend « je vais bosser » même s’il dit qu’il ne faut pas parler ainsi), l’écart de la norme linguistique provoque souvent de la non-compréhension.