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Chapitre 2 Analyse cognitive des erreurs

1. Cognition et apprentissage linguistique

1.1 A propos de la cognition

La cognition est un terme spécifique pour désigner le mécanisme de la pensée. En psychologie, elle désigne la faculté de connaître. Au sens courant, le mot cognition signifie un « acte intellectuel par lequel on acquiert une connaissance »40. Plus précisément, elle renvoie à l’ensemble des processus mentaux qui interviennent dans l’acquisition de connaissances et dans la compréhension chez l’individu, tels que la pensée, le raisonnement, la mémoire, le jugement, la prise de décision et la résolution de problèmes.

Dans le milieu psychologique, l’étude de la cognition suscite la psychologie cognitive qui a succédé à la psychologie behavioriste préconisée par Skinner. Les deux courants se

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Lokman DEMIRTAS, Huseyin GUMUS, 2009, « De la faute à l’erreur : une pédagogie alternative pour améliorer la production écrite en FLE », dans Synergies Turquie n° 2, p. 126.

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distinguent l’un de l’autre par leur façon de traiter les processus mentaux. Selon la psychologie behavioriste, les mécanismes mentaux sont inaccessibles, seulement le stimulus (input) et les réponses corrélées (output) sont observables. Mais dans les années 1950, on s’est mis à construire des modèles de processus mentaux pour étudier les états mentaux dans leur aspects représentationnels et computationnels. C’est pour cela qu’on a commencé à parler de psychologie cognitive.

Du point de vue de la linguistique, la perspective cognitive est apparue à la fin des années 1970. Auparavant, la linguistique était structurale (années 1920 – 1960), puis surtout générative (à partir de 1960). A la différence des théories linguistiques précédentes, la linguistique cognitive voit dans le langage le recours à des mécanismes de la pensée et elle vise à appréhender les liens entre langage, esprit et cerveau.

Dans le domaine de la didactique des langues, une « approche cognitive » « qui s’intéresse aux activités mentales sous-jacentes à l’acquisition et à l’utilisation d’une langue non maternelle »41 a aussi vu le jour. Elle :

- considère que l’on ne peut dissocier les contenus de connaissance des formes langagières qui permettent de les représenter ;

- met généralement en avant une position constructiviste ; - lie travail morphosyntaxique et négociation du sens.42

1.2 Apprentissage de la langue : une activité cognitive

1.2.1 Différents points de vue à propos de l’apprentissage linguistique

Dans l’histoire des théories de l’apprentissage, plusieurs analogies du cerveau ont été proposées.

De la fin du 19e siècle au début 20e siècle, la psychologie des facultés compare le cerveau à un muscle. Selon cette théorie, « le cerveau comprend plusieurs facultés, chacune

41

Daniel GAONAC’H, Monique LAMBERT, Clive PERDUE, Rémy PORQUIER, Gérard VIGNER, 1990, « Approche cognitive et didactique des langues : des processus aux exercices » dans Acquisition et utilisation d’une langue étrangère,

l’approche cognitive, Hachette, pages 182-191 : 182.

42

Henri PORTINE, 2010, « La notion de “position énonicative” : Sur la question du sujet-apprenant », dans Le français dans

le monde Recherches et applications, Interrogations épistémologiques en didactique des langues, coordonné par Dominique

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d’elles pouvant être développée avec de l’entraînement de la même manière qu’un muscle peut être développé par des exercices »43. Autrement dit, plus on pratique et plus la tâche est difficile, plus d’apprentissage aura lieu.

De ce point de vue, dans l’apprentissage de la langue, les exercices jouent un rôle déterminant et la méthode grammaire-traduction devient la méthode d’enseignement la plus efficace, car la langue n’est qu’un ensemble de règles et que de multiples exercices de traduction peuvent aider les apprenants à acquérir ces règles.

Puis, le behaviorisme a exercé des influences prédominantes des années 1920 aux années 1960 sur la théorie de l’apprentissage. Selon le behaviorisme, le fonctionnement du cerveau humain est incompréhensible. Pour décrire cette incompréhensibilité, ils comparent même le cerveau à une « boîte noire ». Donc, « toute tentative d’évaluer le rôle que joue le cerveau dans l’apprentissage est anti-scientifique sinon impossible »44. Les behavioristes croient que le processus d’apprentissage est composé de trois maillons : stimuli, réponses et renforcements. L’apprentissage est ainsi considéré comme « un processus mécanique contrôlé par les forces extérieures conditionnant les apprenants de telle sorte qu’ils adoptent la conduite souhaitée à travers la sélection des stimuli et le renforcement des réponses appropriées »45. De ce point de vue, l’apprentissage est simplifié, il est identifié à une formation de l’habitude ou à une réaction automatique face à un certain stimulus dans lesquelles l’intelligence et la cognition n’interviennent pas.

Influencée par cette théorie, la langue devient « un “comportement” et le comportement s’apprend uniquement en amenant l’élève à se comporter » (W. Rivers, 1971, p.28 et suiv.)46 et la méthode d’enseignement des langues en vogue était la méthode audio-orale qui met l’accent sur les exercices structuraux et les exercices d’imitation. On vise à doter les apprenants d’une capacité de répondre sans réfléchir à des stimuli linguistiques. Dans ce cas-là, pour ne pas avoir un faux renforcement, l’erreur doit être exclue de l’apprentissage.

1.2.2 Apprentissage linguistique du point de vue cognitif

Mais de 1960 à aujourd’hui, avec l’apparition des sciences cognitives, on commence à

43

Kenneth CHASTAIN, 1990, « La théorie cognitive de l’apprentissage et son influence sur l’apprentissage et l’enseignement des langues secondes » dans Etudes de linguistique appliquée, Didier Erudition, page 22.

44

Ibid., page 22.

45

Ibid., page 23.

46

Cité par Gheorghe DOCA, 1981, Analyse psycholinguistique des erreurs faites lors de l’apprentissage d’une langue

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avoir un point de vue totalement différent sur l’apprentissage. Le modèle du cerveau, en psychologie, est comparé alors à un ordinateur (il y a encodages, traitements et décodages), ce qui s’oppose au modèle behavioriste de la « boîte noire ».

De façon générale, la cognition humaine pourrait être définie, à la manière d’une

machine, en terme de calcul (« computation »), correspondant au traitement des divers types

d’informations reçues par l’humain.47

Et désormais, le processus d’apprentissage est considéré comme un processus mental interne contrôlé par les apprenants.Il comprend l’attention, la perception, la compréhension, le stockage d’informations et l’action. C’est comme un processus de résolution de problèmes dans lequel l’apprenant doit d’abord être attentif (il perçoit de nouvelles informations ou il ressent une envie de réagir stimulée par l’environnement), active les anciennes connaissances pertinentes afin de les comprendre ou de produire une action cohérentes et stocke enfin les connaissances nouvelles après les avoir comprises et l’expérience réussie dans leur mémoire afin de les réutiliser plus tard.

En ce qui concerne l’apprentissage de la langue, il est « une activité d’ordre cognitif de traitement de données (Corder, 1971, traduction française : 1980, p.20) ».48 Il renvoie à

un processus complexe, non-uniforme, dont l’évolution présente des tapes distinctes et

dans lequel interviennent des mécanismes différents. L’apprentissage de la langue n’est ni un

simple processus mécanique qui crée des automatismes par imitation, ni seulement une

acquisition dans laquelle le caractère créateur est expliqué uniquement par l’existence de

capacité innées.49

Par exemple, dans un exercice oral ou un jeu de rôles entre les apprenants, pour exprimer une idée, « les locuteurs stimulés par un besoin émotionnel ou cognitif activent l’information acquise et les connaissances linguistiques afin de créer un message qu’ils croient être compréhensible pour les récepteurs. Ceux-ci, motivés par un besoin émotionnel ou cognitif

47

Catherine FUCHS, 2004, La linguistique cognitive, Edition Ophrys, page 7.

48

Cité par Daniel GAONAC’H, 1991, Théories d’apprentissage et acquisition d’une langue étrangère, Editions Didier, Paris, page 124.

49

Gheorghe DOCA, 1981, Analyse psycholinguistique des erreurs faites lors de l’apprentissage d’une langue étrangère, C.I.R.E.R, page 28.

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activent l’information acquise et les connaissances linguistiques pour recréer le message des locuteurs»50. Le « comportement de langage » :

ne serait donc pas de ce point de vue une succession de mouvements des lèvres et du

larynx, ni même un « flot de parole » ; ce serait essentiellement une activité de

communication visant à transmettre un message ou à obtenir quelque chose à travers des

productions verbales.51

Cela nous évoque la notion d’« énonciation » chez Culioli qui est beaucoup traitée par professeur Portine. Selon ce dernier, la notion d’énonciation qui signifie le fait d’émettre un énoncé à l’oral ou à l’écrit renvoie à une activité langagière qui « s’inscrit dans une prise en compte de la cognition »52. Elle implique les opérations de se situer, d’agir et de représenter. Ainsi, l’apprenant n’est-il plus « l’utilisateur d’un outil descriptif. Il investit véritablement son apprentissage de la langue »53 en fonction de la situation de production et de son intention d’engagement. En ce sens, la notion d’énonciation est proche de la notion de cognition54 ou compatible avec celle-ci.55

Il est donc évident que l’apprentissage linguistique demande une intervention de la cognition. Il est actif et les apprenants passifs n’apprennent pas.

En un mot, tout comme le processus des autres apprentissages, celui de l’apprentissage linguistique, y compris l’apprentissage de la langue maternelle et l’apprentissage de la langue seconde, nécessite une activation du système cognitif : perception, mémoire, résolution de problème, traitement d’informations, etc. Il constitue un processus consécutif dans lequel les connaissances antérieures pourraient influencer l’acquisition de connaissances ultérieures et que les connaissances nouvelles ne peuvent être acquises qu’à travers un traitement mental actif et quelquefois pénible.

50 Kenneth CHASTAIN, 1990, « La théorie cognitive de l’apprentissage et son influence sur l’apprentissage et

l’enseignement des langues secondes » dans Etudes de linguistique appliquée, Didier Erudition, page 25.

51

Daniel GAONAC’H, 1991, Théories d’apprentissage et acquisition d’une langue étrangère, Editions Didier, Paris, page 66-67.

52

Henri PORTINE, 2008, « Activités langagière, énonciation et cognition, La centration sur les apprentissages », dans Les

Cahiers de l’Acedle, volume 5, numéro 1, 2008, pages 233-254 : 236.

53

Henri PORTINE,1994, « La notion d’énonciation et l’évolution de la didactique des langues », dans Théories, données et

pratiques en français langue étrangère, Danièle FLAMENT-BOISTRANCOURT, Presse universitaire de Lille, pages 39-59 :

47.

54

Henri PORTINE, 2009, « La linguistique substrat du discours didactique : quand l’histoire nous parle au présent », dans

Les cahiers de l’Acedle, volume 6, numéro 2, 2009, Didactique des langues et linguistique, pages 13-38 : 36.

55

Henri PORTINE, 2010, « La notion de “position énonciative” : Sur la question du sujet-apprenant », dans Le français dans

le monde Recherches et applications, Interrogations épistémologiques en didactique des langues, coordonné par Dominique

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Vu la caractéristique cognitive de l’apprentissage linguistique, l’analyse des erreurs sous l’angle cognitif doit se mettre en place. Elle nous permet de revaloriser l’erreur et d’analyser l’erreur en considérant le processus cognitif de l’apprentissage.