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Chapitre 4 : Rouvrir l’avenir dans le passé La représentation historique

2. Le futur-passé des vivants d’autrefois

2.3. Les promesses non tenues du passé

À la suite de ces déclarations, une question s’impose : pour qu’elle s’égale réellement à la répétition heideggérienne, l’histoire ne devrait-elle pas faire en sorte qu’en présentant l’horizon futur du passé historique, elle incite à une reprise subséquente des possibilités dévoilées ? Autrement dit, la prise en compte des possibilités avortées de l’histoire, au sens du futur non avéré des acteurs historiques, peut-elle être l’occasion d’une reprise créatrice dans le présent ? Une façon simple d’affronter ce problème pourrait consister à considérer l’histoire sous un point de vue qui est devenu aujourd’hui un lieu commun : il s’agirait de la promouvoir au titre d’institutrice publique, en lui assignant la tâche d’éduquer les consciences actuelles aux erreurs et aux bons coups du passé, de

passé en un sens moral, cela veut dire être responsable de l’autre qu’on a à charge : ici, les morts du passé. Pour méditer plus avant la responsabilité à l’égard du passé, on se reportera également à H. Jonas, Le Principe responsabilité, trad. J. Greisch, Paris, Flammarion, 1990, p. 207-209.

453 MHO, p. 473.

454 Cette finalité éthique n’est pas à confondre avec le caractère judiciaire ou moraliste que certains voudraient voir accentué

dans le travail de l’historien. Dans La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur milite ouvertement en faveur de la neutralité axiologique (relative) de l’histoire, ce qui lui a valu l’appui de quelques historiens (notamment P. Nora, « Pour une histoire de second degré », Le Débat, 122, 2002, p. 30). À l’encontre des perspectives trop idéologiques qui croient que le jugement historique devrait être inséparable d’un jugement moral, principalement en ce qui concerne l’histoire récente où les grands crimes de guerre ont abondé sur la scène mondiale, Ricœur soutient qu’une différence de fonction et de finalité doit stratégiquement séparer le jugement moral du jugement historique (MHO, p. 335). Même s’il admet que « c’est le citoyen faiseur d’histoire qui est interpellé dans l’historien(« La mémoire saisie par l’histoire », Revista de Letras, vol. 43, no. 2, 2003, p. 24) », il croit aussi que ce dernier peut œuvrer à expliquer et à comprendre le passé « sans inculper ni disculper » (P. Ricœur, « L’écriture de l’histoire et la représentation du passé », Annales, no. 4, 2000, p. 744). Car plus l’histoire reste neutre envers son objet, plus elle est à même d’éclairer son lecteur sur la charge morale inhérente aux actions passées, sans néanmoins lui retirer le soin de leur adresser louanges et blâmes (ibid., p. 745). En ce sens, on peut dire, à la suite de J. Michel, que « [l]’idéal d’impartialité est une tâche elle-même éthique » (J. Michel, Paul Ricœur une philosophie de l’agir humain, p. 209-210), puisqu’elle élève, sans le dicter, le jugement moral du citoyen.

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manière à procurer des modèles (ou anti-modèles) d’action à la praxis collective. Mais est-ce là une manière satisfaisante de concevoir la répétition en histoire ? Il s’agit là au moins d’un point de départ intéressant, d’autant que l’œuvre de Ricœur n’est pas restée muette à ce sujet. Sans évidemment réduire la fonction de l’histoire à son statut d’éducatrice politique, notre auteur a parfois réfléchi, en s’appuyant sur les principes de son herméneutique philosophique, la capacité des récits historiques à prodiguer des modèles d’action susceptibles d’être réactualisés dans le présent effectif. Sur ce point, il convient de parcourir l’opuscule intitulé : « Le modèle du texte : l’action sensée considérée comme un texte »456.

Dans cet article, Ricœur rapproche l’herméneutique et les sciences sociales, sous prétexte qu’une action sensée, une fois effectuée, possède des qualités apparentées à celles du texte. Sur cette base, Ricœur soutient que l’action peut être élevée au statut d’œuvre interprétable. Parmi toutes les ressemblances, qui manifestent l’analogie entre l’action et le texte, nous en signalerons trois. Premièrement, tout comme le sens du texte, la signification d’une action déjà produite est rendue autonome par rapport à l’intention de son agent. Puisque l’action politique s’insère dans un réseau d’interactions, qu’elle s’incorpore l’agir d’autrui et qu’elle se produit à l’intérieur de circonstances non maîtrisées, elle est rarement réductible, du point de vue de son effectuation et de ses conséquences (voulues ou non voulues), à une volonté individuelle. Comprendre la signification d’une action, ce n’est donc pas comprendre une intention subjective, mais comprendre le tout signifiant que forme une initiative concrète avec l’action des autres, les circonstances sociopolitiques concernées et la chaîne des conséquences engendrées. Deuxièmement, à l’instar du texte, la signification de l’action paraît elle aussi survivre à l’évanouissement du contexte d’où elle a émergé. Rendue autonome, l’action se donne à lire à distance, de sorte qu’elle se voit ainsi offerte à des lecteurs subséquents qui sont appelés à l’interpréter, au sens où ils ont à en expliquer les relations causales et à en comprendre les impulsions initiales à la lumière de facteurs contextuels incidents. Troisièmement, la ressemblance entre texte et action repose sur l’idée que l’action sensée est susceptible de se prolonger dans une « référence non ostensive457 »,

comparable à la référence indirecte qu’ouvre le texte littéraire. Ricœur considère ainsi que le sens de l’action, aussi, dénote un monde, lequel, comme toute visée référentielle indirecte, est sujet à être refiguré par des lecteurs ultérieurs.

C’est précisément en regard de cette refiguration possible du champ référentiel ouvert par l’action passée que l’histoire se manifeste comme une réserve de modèles pratiques. Ce qui est en jeu, c’est alors la « pertinence durable » d’un certain type d’action. Est pertinente, estime Ricœur, une action qui

456 P. Ricœur, « Le modèle du texte : l’action sensée considérée comme un texte », TA, p. 205-236. 457 P. Ricœur, « Le modèle du texte : l’action sensée considérée comme un texte », TA, p. 219.

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répond à un contexte problématique déterminé avec efficacité. Dans le cas d’une « action importante458 », c’est-à-dire une action dont les répercussions sur le cours de l’histoire sont

considérables, Ricœur croit que la pertinence de l’action « transcende les conditions sociales de sa production459 ». Affranchie de son milieu pratique d’origine, la signification de l’action suppose une

configuration sociale – autrement dit un « monde » –, qui, elle aussi, n’est plus en principe exclusive à un contexte historique déterminé. Cette configuration se comprend dès lors comme le réseau de possibilités à l’intérieur duquel l’action à sa source demeure potentiellement pertinente. Sur cette base, l’action aussi est sujette à des interprétations multiples460, qui sont justement susceptibles d’en élargir

le champ possible d’application461. Ce genre d’extension, au cœur même de la praxis, se rencontre, par

exemple, lorsque des individus s’inspirent d’une action historique en vue de configurer leurs propres initiatives sociales. Même si le contexte a changé, il reste possible de transposer le monde que porte en elle l’action passée sur les circonstances du présent, et ce, en raison des similitudes formelles qui existent entre les deux situations pratiques (lorsque, par exemple, les institutions, les mesures politiques en place, les systèmes culturels ou les formes d’organisation politique se montrent analogues jusqu’à un certain degré)462. On observe également ce genre de transposition sur des cas négatifs, quand on

rencontre notamment une opposition publique aux groupes politiques présentant des caractères convergents avec les organisations totalitaires du XXe siècle. Dans ces cas, une crainte que l’on reproduise les « erreurs du passé » motive légitimement la prohibition de certaines entreprises actuelles.

Bien que l’idée de référence indirecte permette à Ricœur de justifier le préjugé qui veut que la vocation prime de l’histoire soit de procurer des modèles d’action pour la praxis actuelle, elle ne résout cependant pas le problème de savoir si une telle refiguration du passé peut intégrer, non seulement des actions effectives, comme dans les exemples précédents, mais encore des possibilités passées, au sens des attentes non avérées des acteurs d’autrefois. En d’autres mots, comment jumeler la signification

458 P. Ricœur, « Le modèle du texte : l’action sensée considérée comme un texte », TA, p. 219. 459 P. Ricœur, « Le modèle du texte : l’action sensée considérée comme un texte », TA, p. 219.

460 C’est d’ailleurs ce qui fait dire à M. Fœssel que si l’herméneutique ricœurienne de l’action tend à privilégier « l’action déjà

faite » sur l’action « en train de se faire », elle n’occulte pas totalement « l’imaginaire en tant qu’origine dissimulée de toutes les créations sociales », puisqu’elle considère en fin de compte l’action déjà faite comme une « œuvre ouverte qui laisse place à une pluralité de lectures » (M. Fœssel, « Action, normes et critique. Paul Ricœur et les pouvoirs de l’imaginaire »,

Philosophiques, 41, 2014, p. 247.

461 P. Ricœur, « Le modèle du texte : l’action sensée considérée comme un texte », TA, p. 220.

462 Évidemment une telle répétition de l’histoire comporte ses propres dangers, comme l’a bien vu Nietzsche dans la Seconde

considération intempestive : « L’histoire monumentale, écrit-il, trompe par les analogies. Par de séduisantes assimilations, elle pousse

l’homme courageux à des entreprises téméraires, l’enthousiaste au fanatisme. Et si l’on imagine cette façon d’histoire entre les mains de génies égoïstes, de fanatiques malfaisants, des empires seront détruits, des princes assassinés, des guerres et des révolutions fomentés […] Il suffit de ces indications pour faire souvenir des dommages que peut causer l’histoire

monumentale parmi les hommes puissants et actifs, qu’ils soient bons ou mauvais » (F. Nietzsche, Seconde considération intempestive, p. 92).

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durable d’une action et l’ouverture vers l’avenir inhérente aux anticipations lésées par le cours de l’histoire ? La réponse se trouve dans un thème philosophique cher à Ricœur, celui de la promesse. Selon notre auteur, en effet, reprendre les potentialités refoulées du passé historique, c’est récolter ce qui, dans l’histoire, s’identifie à des « promesses non tenues », parce que justement empêchées par les circonstances de jadis463. Déjà, l’association entre la réouverture de l’horizon futur du passé historique

et l’être-en-dette pointait implicitement dans cette direction : si l’historien se fait le gardien du passé en en rouvrant le futur inaccompli, c’est afin que les acteurs du présent se reconnaissent les débiteurs, non seulement d’histoires effectivement survenues, mais aussi de promesses inaccomplies, auxquelles correspondent autant de projets inachevés. C’est que le phénomène de la promesse ne se soumet pas selon Ricœur à une dynamique temporelle unilatérale : si l’acte de promettre est avant tout orienté vers l’avenir – il vise précisément, comme le pensait déjà H. Arendt, à diminuer, par l’engagement envers autrui, l’imprévisibilité du futur464 –, il s’effectue aussi sur la base d’autres promesses dont les acteurs actuels

demeurent à plusieurs égards tributaires. Dans un passage révélateur du Parcours de la reconnaissance, Ricœur écrit avec éloquence :

[Il resterait] à replacer les promesses dont je suis l’auteur dans la mouvance des promesses dont j’ai été et suis encore le bénéficiaire. Il ne s’agit pas seulement de ces promesses fondatrices, dont la promesse faite à Abraham constitue le paradigme, mais de cette suite de promesses dans lesquelles des cultures entières et des époques particulières ont projeté leurs ambitions et leurs rêves, promesses dont beaucoup sont des promesses non tenues. De celles-là aussi je suis le continuateur endetté465.

Sous cet angle, la promesse paraît appartenir au règne des actions passées dont la signification est à la fois persistante et ouverte. Elle jette un pont, pourrait-on dire, entre la pertinence durable d’une action jugée importante et la prise en compte du futur-passé que comportent les situations historiques. C’est que la promesse passée, à titre d’acte effectivement posé, est susceptible, comme toute action passée, de revêtir une signification durable qui peut en principe être réactivée dans l’avenir. Mais puisqu’elle se caractérise justement par le fait de ne pas avoir été tenue, elle contient en son sein la perspective d’un avenir attendu, parce que justement non avéré. Dans cette optique, l’idée de promesse non tenue conjugue la possibilité de reprendre au présent la signification d’une action passée avec l’horizon d’avenir que

463 Dans La Critique et la conviction, Ricœur écrit : « C’est pourquoi, à l’idée d’une défatalisation du passé, j’ajouterais pour ma

part l’idée d’une délivrance des promesses non tenues. Car les gens du passé avaient des espérances et des projets dont beaucoup ont été déçus […] Au fond, chaque période a autour d’elle une aura d’espérances qu’elle n’aura pas remplies ; c’est cette aura qui permet des reprises dans le futur… » (CC, p. 189).

464 H. Arendt, The Human Condition, Chicago, The University Press of Chicago, 1958, p. 243 sq. ; trad. G. Fradier, Condition

de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1994, p. 311.

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renferme toute situation historique. Sa reprise implique plus spécifiquement que le lecteur d’histoire effectue une redistribution des possibilités actuelles d’action sous l’inspiration des promesses inaccomplies que ravive l’historien lorsqu’il s’emploie à exhumer le futur-passé des vivants d’autrefois466. À titre d’exemple, on pensera notamment au projet inachevé de la Modernité selon

Habermas, qui ne peut être dit tel qu’en fonction de la promesse, formulée par les auteurs des Lumières (notamment Condorcet), d’une réconciliation de l’humanité entière par une « pratique vécue » menée sous l’aiguillon des arts et des sciences467. Quand Habermas, « au lieu de renoncer à la modernité et à

son projet », propose de « tirer des leçons des égarements qui ont marqué ce projet et des erreurs commises par d’abusifs programmes de dépassement468 », il conseille de réorienter l’avenir sur un

héritage passé, le projet de la modernité des Lumières, en tant que celui-ci se caractérise spécifiquement par des promesses qui n’ont jamais été parfaitement remplies. Quant à Ricœur (lui aussi attaché jusqu’à un certain point au projet des Lumières), tout porte à croire qu’il considère surtout les promesses du christianisme héritées des milieux protestants dont il est issu, même si, probablement, il se dirait également tributaire des promesses du passé qui visent l’avènement d’une plus grande justice sociale, comme dans les organisations féministes, syndicales, politiques, etc. Selon lui, une reprise du passé serait dans ces cas plus qu’un acte sensé, cela témoignerait d’une intention évidente de reconnaître la dette qui nous relie aux morts du passé et à leurs promesses pérennes.

Pour conclure cette section, nous voudrions exposer comment l’idée de promesses non tenues permet également de raccorder nos analyses sur la dialectique de l’être-en-dette et des possibilités historiques avec nos développements antérieurs, tant ceux qui portent sur l’après-coup en histoire (section 1) que ceux qui concernent la reprise des possibilités de sens issues de nos héritages passés (chapitre 3).

Dans un premier temps, il faut souligner que l’idée selon laquelle les promesses inaccomplies de l’histoire sont susceptibles d’être reproduites dans le présent arrache à la pure rétrospection la mobilité du sens qui, comme on l’a vu, caractérise les événements du passé. Avec la reprise des promesses non tenues, le

466 C’est ce qui selon A. Breitling différencie principalement la position de Ricœur de celle de M. de Certeau. Ce dernier

accentue davantage dans sa promotion de l’histoire comme acte de sépulture, la différence ultime du présent vivant et du passé aboli, alors que Ricœur insiste surtout sur la continuité historique qui se fait jour à travers la transmission de promesses, voire de possibilités d’être ou d’agir. La cérémonie que conduit l’histoire semble ainsi intrinsèquement solidaire chez Ricœur d’une « libération des possibles » passés (voir A. Breitling, « L’écriture de l’histoire : un acte de sépulture ? », dans M. Revault-D’Allonnes et F. Azouvi (dir.), Paul Ricœur, Paris, L’Herne, 2004, p. 237-245).

467 Il est pertinent à cet égard de souligner le rôle actif de la fusion d’horizons dans la reprise des promesses passées. Car

c’est toujours à partir de l’horizon herméneutique du présent que l’on pénètre l’horizon des promesses passées de nos prédécesseurs, lesquelles se montrent à cette occasion comme des héritages de sens qu’il nous est encore possible, voire impératif de faire fructifier.

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phénomène de l’après-coup, qui fait en sorte que la signification d’un événement passé dépende d’autres événements survenus ultérieurement, reçoit en effet une extension dans le présent, entendu comme dimension temporelle de l’initiative. C’est qu’en reprenant activement une possibilité du passé dans un agir actuel, on prolonge, pour le dire ainsi, l’histoire du possible concerné, de même qu’on amplifie, ce faisant, sa signification pour l’histoire. Imaginons par exemple que des peuples dont l’histoire est marquée par une lutte pour la souveraineté étatique, comme chez les Écossais, les Catalans ou les Québécois, se mobilisent finalement en faveur d’une séparation de leur territoire et de leur État. Ce qui n’était qu’une possibilité longtemps convoitée par les groupes souverainistes deviendrait ainsi une réalité concrète. Ce serait alors toute l’histoire de ces mouvements politiques qui se transformerait sous le coup des changements opérés sur la scène du monde. Car ce qui était seulement une promesse non tenue de certains dirigeants ou acteurs du passé deviendrait à cette occasion une promesse désormais remplie par les collectivités actuelles, ce qui aurait pour effet de jeter une nouvelle lumière sur les tentatives échouées du passé. Quoiqu'il s’agisse là d’une simple fiction – dont il importe peu, d’ailleurs, que l’on soit ou non en faveur des décisions politiques qu’elle implique – elle nous permet d’envisager une situation où les agents du présent, en reprenant les promesses non tenues du passé, participent intentionnellement à la mouvance du sens inhérente aux faits qui composent ce qu’ils considèrent comme leur histoire. Il appert dès lors que la signification après-coup des événements passés n’est pas en tout temps à considérer comme une simple affaire d’historien. Car, sous l’angle de notre fiction, la mobilité du sens qui affecte les histoires collectives paraît reposer en partie sur les capacités d’initiative dont disposent les acteurs du présent. De là le fait, encore une fois, que l’expérience de l’histoire peut être imagée par la figure d’un cercle temporel, où le présent et l’avenir modifient rétrospectivement la signification des choses survenues dans le passé. C’est ce cercle qu’amplifie potentiellement toute reprise des promesses non tenues du passé.

Dans un second temps, l’idée de promesse non tenue nous reconduit au phénomène de la tradition dont nous avons traité dans le précédent chapitre. C’est que pour Ricœur nos héritages passés, aussi, contiennent des promesses non tenues qu’il nous appartient de considérer comme des legs de sens à part entière. En effet, si ce sont des acteurs concrets qui ont formulé les promesses dont on reçoit aujourd’hui la transmission, c’est sur fond de propositions de sens, d’horizons d’existence ou de pratiques exemplaires, bref, sur fond de traditions existantes ou d’innovations devenues traditions avec le temps que pareilles promesses ont initialement été faites. Les exemples fournis précédemment (le projet des Lumières, promesses du christianisme, etc.) en témoignent clairement. Cela est sans compter toutes les promesses non remplies du passé qu’il est difficile d’assigner directement à des agents individuels

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(même collectifs), comme celles que consignent notamment les traditions religieuses (pensons par exemple à la promesse d’un Messie dans la tradition judaïque ou de son retour dans la tradition chrétienne). En ce sens, il faudrait, pour être pleinement rigoureux, loger les promesses non tenues du passé, telles que les conçoit Ricœur, à l’intersection de l’événement historique et de l’héritage transmis. D’un côté, en effet, une promesse est un acte singulier effectué à un moment défini de l’histoire, et si elle n’a pas été tenue, c’est en raison d’autres événements qui lui ont été défavorables, parmi lesquels on peut compter la défaillance de volonté de ses auteurs. D’un autre côté, les promesses du passé sont non seulement incluses dans des traditions dont l’efficace sur le présent est irrécusable, elles sont elles-