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En raison de sa cohérence et de sa brièveté, le poème introductif servira d’exemple à notre analyse. Nous procéderons de manière exhaustive, vers par vers, à la manière d’un commentaire linéaire.

Nec fonte labra prolui caballino, nec in bicipiti somniasse Parnasso memini, ut repente sic pœta prodirem ; Heliconiadasque pallidemque Pirenem illis remitto, quorum imagines lambunt

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hederae sequaces : ipse semipaganus ad sacra uatum carmen affero nostrum. Quis expediuit psicatto suum “chaere” picamque docuit nostra uerba conari ? magister artis ingenique largitor

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uenter, negatas artifex sequi uoces. quod si dolosi spes refulserit nummi, coruos pœtas et pœtridas picas cantare credas Pegaseium nectar

Non, à mon souvenir, je n’ai pas rincé mes lèvres à la fontaine de Pégase le canasson et je n’ai pas ronflé sur le Mont Parnasse au double sommet, pour soudainement pouvoir m’avan- cer comme poète. J’envoie promener les Muses de l’Hélicon et la blême Pirène chez ceux dont des lierres souples caressent les portraits, avides. Moi-même à demi paysan, je contribue au culte des poètes inspirés de mon propre chant. Qui a fait connaître au perroquet son ’Hello there !’ et a instruit la pie à s’essayer à nos mots ? Docteur ès lettres et dispensateur d’esprit : leur ventre vorace est un artisan qui s’adonne à la voix qu’on lui refuse. Et si ne serait-ce que l’espoir d’un sou frauduleux venait à luire, là tu croirais entendre ces corbeaux-poètes et ces pies-poétereaux chanter la crème des Muses.

Vers 1-7 : Le modèle de base est :

Horace Sat. 1, 4, 39-48, primum ego me illorum dederim quibus esse pœtas exerpam numero : neque enim concludere uersum dixeris esse satis, neque si qui scribat uti nos sermoni propiora, putes hun esse pœtam. ingenium cui sit, cui mens diuinior atque os magna sonaturum, des nominis huius honorem,

D’abord, je me retrancherai, pour ma part, du nombre de ceux que je reconnaîtrai poètes : car, pour l’être, tu ne saurais dire qu’il suffise de remplir la mesure du vers ; et si quelqu’un écrit, comme moi, des phrases voisines du langage de la conversation, tu n’iras point le tenir pour un poète. Celui qui a du génie, celui que les dieux animent et dont la bouche est faite pour les hauts accents, à celui-là tu réserveras l’honneur de ce nom.

Sur le plan formel, ces deux passages ne sont proches que par l’analogie de la construc- tion nec... nec... ut chez Perse et neque... neque... uti chez Horace, puis de pœta prodirem et esse pœtam (Synonyme / Verbe). Sur le plan programmatique, les deux extraits sont étroitement liés, puisque les auteurs se distinguent tous deux de la masse des poètes. Vers 1 : nec fonte labra prolui caballino

Métonymie | Forme | Filiation

La formule peut être rapprochée de l’expression d’Horace : Sat. 2, 4, 26-27, leni praecordia mulso prolueris melius, un vin doux te sera meilleur pour t’humecter les entrailles.

Le prolueris praecordia est repris par prolui labra : l’un recommande de rincer ses entrailles avec du vin doux miellé, l’autre refuse de tremper ses lèvres à la fontaine du canasson. Outre la reprise évidente du verbe, on peut établir un parallèle entre le fons caballinus et lene mulsum : pour Perse, les poètes puisant leur inspiration aux sources traditionnelles produiront des vers affadis, des propos dilués, lénifiés ; le symbole de liberté Pégase n’est qu’un pauvre bourrin sans plus de piquant qu’un vin doucereux, son eau est bien loin d’engendrer la vérité enflammée qui parvient à « l’oreille décrassée » du lecteur, uaporata auris évoquée plus loin par Perse (1, 126).

Vers 2-4 : nec in bicipiti somniasse Parnasso / memini, ut sic pœta prodirem ; / Helliconiadasque

Forme | Distanciation Résidence pour les Muses, le mont Parnasse et le mont Hélicon jouent les rôles de hauts lieux de l’inspiration poétique, l’Hélicon est aussi le lieu où se trouve la fontaine d’Hypocrène (fons caballinus), que Perse mentionne en ouver- ture. Bien que les deux monts soient mentionnés ailleurs dans la littérature19, la seule

intégralement chez Ovide, Met, 2, 221, et plus tardivement chez Silius Italicus, Pun. 15, 310 et partiellement chez Virgile, Bucoliques, 10, 11, Parnassi iuga, « les sommets du Parnasse ». Quant au verbe meminisse, il semble renvoyer à Ovide, Met. 15, 160 : nam memini, « je m’en souviens en effet », et à Ennius Ann. 15 : memini me fiere pa- vom, « je me souviens être devenu un paon ». Les deux poètes en effet y relatent la métempsychose, le premier en donnant la parole à Pythagore lui-même, qui se sou- vient « avoir été Euphorbe, du temps de la guerre de Troie », le second en évoquant sa propre réincarnation. L’allusion à Ennius est confortée par le fait que Perse y re- vient à la satire 6 (10-11). On voit que Perse, avec ironie, établit des liens entre son œuvre et celles d’autres auteurs pour les rejeter en bloc en utilisant à deux reprise le nec, emprunté à Horace. La poésie pastorale des Bucoliques, mythographique et épique des Métamorphoses et tout ce que représente Ennius ne sont pas cependant les cibles directes de Perse : il critique plutôt ces sources d’inspiration traditionnelles qui, selon lui, sont prétentieuses et élevées.

Vers 5-6 : illis remitto, quorum imagines lambunt / hederae sequaces Ces quelques mots sont révélateurs de la méthode persienne d’imitation. Singulier / Pluriel | Synonyme / Verbe | Forme

Le canevas de départ est :

Horace, Ép. 15, 5, artius atque hedera procera adstringitur, plus étroitement que le lierre n’étreint l’yeuse élancée.

Perse cependant transpose hedera au pluriel, subtitue sequax à procerus et lambo à adstringo. Le sens originel étant perdu, il forge le sien grâce à une fusion complexe de termes des auteurs présentés ci-dessus.

Deux passages de Virgile sont en outre mis à contribution : Virgile, Én. 10, 828, parentum manibus et cineri... remitto, Je te rends aux Mânes et à la cendre de tes pères ;

2, 683-684, tactuque innoxia mollis lambere flamma comas et circum tempora pasci,

comme une flamme aux douces caresses, elle léchait sa souple chevelure et prenait force autour de ses tempes.

Perse effectue deux opérations pour les réemployer : 1. Imbrication | Forme

L’image chez Virgile est figurée et solennelle : tandis qu’au cœur des ruines, Créüse tend à Énée leur fils, une flamme, signe de la protection divine, entoure doucement le visage d’Ascagne ; chez Perse, en revanche, le symbole est littéral et grotesque : le lierre grimpant s’accroche aux statues des poètes. Ces imagines sont en outre réelles et tangibles, figurations plastiques des poètes anciens ; mais alors que ces uates se situent indéniablement dans un monde matériel et terrestre, les mânes, représentations de ses aïeux, auxquelles Énée confie l’ennemi qu’il vient de tuer, sont pour leur part spirituelles ou cosmiques. Le double emprunt laisse entendre que parmi ces statues figées dévorées par lierre figure également l’imago de Virgile. 2. Imbrication | Confiscation

Perse met ensuite à contribution le verbe lambere, « caresser », utilisé ailleurs par Virigle et dans la haute poésie pour parler d’une flamme20 au lieu de adstringere,

« serrer », qu’on trouve chez Horace et qui convient mieux aux lierres21. Quant à

l’adjectif procerus, « allongé » d’Horace, il est remplacé par sequax, spécialement virgilien, mais ne qualifiant jamais les lierres22pour créer une image incongrue et

peut-être, ironiquement, pour travestir une image virgilienne avec du vocabulaire virgilien, en transformant le lyrisme et la noblesse de son vers en une image graphique et déshonorante.

20. Virgile, Én. 3, 574, attollitque globos flammarum et sidera lambit, « (l’Etna) pousse des boules de flammes et lèche les étoiles » ; Ps. Sénèque, Hercule sur l’Œta 1752, ignis, lamberent flammae caput, « les flammes lèchent la tête ».

Forme | Sens | Filiation ?

Perse tire la séquence quorum imagines de l’annonce introductive du traité agricole de Varron, Économie rurale, 1, 1, 4, dans lequel l’auteur déclare puiser son inspiration, non pas chez les Muses comme Homère et Ennius, mais chez les douze dei Consentes, qui ne sont pas les dieux « dont les statues » se trouvent autour du forum recouvertes d’or, mais bien des maxime agricolarum duces :

Varron, Économie rurale, 1, 1, 4, prius invocabo eos, nec, ut Homerus et Ennius, Musas, sed duodecim deos Consentis ; neque tamen eos urbanos, quorum imagines ad forum auratae stant, sex mares et feminae totidem, sed illos XII deos, qui maxime agricolarum duces sunt,

Je les invoquerai d’abord ; non pas, comme Homère ou Ennius, les Muses, mais les douze Dei Consentes, et non pas cependant ceux-là, les citadins, dont les images dorées se dressent au forum, six divinité masculines et autant de féminines, mais ces douze dieux qui sont les guides préférés des agriculteurs.

Alors que Varron réfute les statues des douzes Olympiens, chez Perse, il s’agit plutôt des bustes de poètes connus installés dans les bibliothèques publiques, qu’il considère aussi prétentieux que les dieux auratae du forum. On notera également que Varron, tout comme Perse, préfère camper son adresse dans un milieu modeste et agricole ; doit-on pour autant penser que Perse se joue de Varron en disant vouloir offrir son poème en étant lui même semipaganus23, rien n’est moins certain : il s’agit encore d’un jeu subtil

et d’une démultiplication des parallèles entre son œuvre et celle qu’il imite. Synonyme / Substantif | Synonyme / Verbe | Fonction

Perse fait aussi référence à ces deux passages où il est question de lierres enserrant la tête d’un poète qui en est digne :

Ovide Tristes, 1, 7, 1-3, si quis habes nostris similes in imagine uultus, deme meis hederas, Bacchiaca serta, comis ! Ista decent laetos felicia signa poetas,

Qui que tu sois, si tu as un portrait de moi, ôte de mes cheveux la couronne de lierre consacrée à Bacchus ! Ces marques de bonheur ne conviennent qu’aux poètes heureux ;

Properce, 2, 5, 25-26, rusticus haec aliquis tam turpia proelia quaerat, cuius non hederae circuiere caput,

Ces honteuses violences, je les laisse au rustre dont le lierre jamais ne ceignit la tête.

Dans le premier passage, comme le souligne W. Kissel24, le buste du poète est ceint

d’une couronne faite de lierre véritable et non pas sculptée dans le marbre : c’est donc une gloire conditionnelle qui peut être retirée à l’artiste, car Ovide se plaint de ne plus mériter cet attribut, du fait de son état déplorable. Chez Properce, ce rusticus est un poète indigne et conséquemment, il ne méritera jamais de voir sa tête couronnée de lierre. Toujours à contrecourant, Perse ne tient pas ce lierre pour un honneur, mais bien pour une caractéristique présomptueuse des poètes sequaces25 : il rappelle le terme rus-

ticus en s’autoproclamant semipaganus, mot volontairement ambigu, sans doute pour réduire en ridicule la pédanterie de ses prédécesseurs avec ironie et faux-sérieux (Dis- tanciation). L’imitation est dans ce cas l’occasion de critiquer les idées et les intentions d’Ovide et de Properce, sans avoir à les nommer ; Perse en appelle à la connaissance littéraire de ses lecteurs pour railler la gloire que cherchent ces auteurs : ces lierres qui selon eux ne conviennent qu’à un club sélect.

Vers 6-7 : ipse semipaganus / ad sacra uatum carmen affero nostrum. Forme | Sens | Distanciation | Imbrication | Confiscation

Brève et apparemment simple, cette phrase est typique de la complexité de la com- position persienne. En premier lieu apparaît la question du mot semipaganus, qui a laissé perplexes tous les commentateurs de Perse26. Ils s’accordent en général pour

campagnarde qui rassemble les communautés rurales. Il est certainement à rapprocher de l’idée de rusticitas que présentent Varron et Properce ; pour saisir son utilisation par Perse, il faut en outre prendre en considération deux passages de Calpurnius Siculus :

Calp. Siculus Bucoliques, 4, 12-15, quicquid id est, siluestre licet uideatur acutis auribus et nostro tantum memorabile pago, nunc mea rusticitas, si non ualet arte polita carminis, at certe ualeat pietate porbari,

Quoi qu’il en soit, même si ma poésie paraît rustique à des oreilles raffinées et seulement digne de notre village, pourtant ma rusticité, si elle ne vaut pas par l’habileté et le poli du chant, devrait du moins être agréée pour sa piété ;

4, 157-159, at tu, si qua tamen non aspernanda putabis, fer, Meliboee, deo mea carmina : nam tibis fas est sacra Palatini penetralia visere Phœbi,

Mais toi, pourtant, si tu penses que mes vers ne sont pas à mépriser, porte-les, Mélibée, au dieu. Car tu as le droit de pénétrer au fond de la demeure sacrée de l’Apollon du Palatin.

Dans le premier extrait, tout comme Perse se dit semipaganus, Calpurnius campe sa persona poétique dans un village (nostro pago), attribut qui rehausse sa rusticité (mea rusticitas) et sa modestie (si non ualet arte polita carminis). Par ailleurs, le vers de Perse et l’extrait de Calpurnius sont étroitement liés par la forme : tout comme ce dernier oscille entre les possessifs singuliers (mea) et pluriel (nostro), Perse utilise l’ex- pression carmen nostrum pour encadrer le verbe affero au singulier.

Le deuxième passage explique la construction de la phrase par les parallèles fer / afferro, mea carmina / carmen nostrum, deo / sacra uatum. Le rapprochement permet de mieux comprendre le procédé mimétique de Perse, qui emprunte une construction chez un autre poète et la modifie par des termes et des idées trouvées ailleurs pour servir ses visées (Confiscation). Ici l’alliage est heureux, puisque une partie du sens et une partie de la construction se trouvent dans la même éclogue de Calpurnius (Imbrication). On trouve aussi le topos de la rusticité associée à la modestie du poète dans l’introduc- tion des Élégies de Tibulle :

Tibulle, Élégies, 1, 1-8, Diuitas alius fuluo sibi congerat auro / et teneat culti iugera multa soli, / quem labor adsiduus uicino terreat hoste, / Martia cui somnos classica pulsa fugent : / me mea paupertas uita traducat inerti, / dum meus adsiduo luceat igne focus, / ipse seram teneras maturo tempore uites / rusticus,

bien cultivé, pour trembler dans des fatigues perpétuelles au voisinage de l’ennemi, pour que les sonneries guerrières de la trompette chassent loin de lui le sommeil : moi, que ma pauvreté me fasse traverser une vie de loisir, pourvu que, sans jamais s’étreindre, le feu brille dans mon âtre ; que je plante moi-même, dans la saison propice, les ceps délicats, en vrai paysan.

Forme | Distanciation

Grâce aux extraits de Calpurnius et à celui-ci, on comprend dès lors que Perse raille ce thème de la rusticité, dont certains poètes usent pour rehausser la modestie de leur persona, exprimée ici par mea paupertas et ipse rusticus ; à ce dernier adjectif convenu Perse substitue l’hapax semipaganus, dont la rareté et la fausse préciosité ajoutent à la critique.

Si l’on s’intéresse à présent aux termes sacra uatum que Perse substitue à deo, c’est vers les Pontiques d’Ovide qu’il faut se tourner :

Ovide, Pontiques, 2, 5, 65-72, distat opus nostrum, sed fontibus exit ab isdem... thyrsus abest a te gustata et laurea nobis... iure igitur studio confinia carmina uestro et commilitii sacra tuenda putas,

Nos genres diffèrent, il est vrai, mais ils sortent des mêmes sources (...) À toi le thyrse, à moi le laurier (...) Tu penses donc avec raison que la poésie se rattache intimement à tes études, et que nous devons défendre les prérogatives de cette union sacrée ;

2, 10, 17, sunt tamen inter se commmunia sacra pœtis, Cependant il est des liens sacrés qui unissent les poètes ; 3, 4, 67, sunt mihi uobiscum communia sacra, pœtae,

Poètes, nous partageons des liens sacrés (Trad. personnelle) ; 4, 8, 81, et prosit opemque ferat communia sacra tueri,

que cela me profite et m’aide à conserver nos liens sacrés (Trad. personnelle).

Forme | Sens | Confiscation

Dans les Tristes et les Pontiques, Ovide exprime toute l’oppression que l’isolement lui inflige. Dans les quatre extraits cités, le poète se sent retiré du monde et cherche à retrouver quelque lien, ne serait-ce que par la solidarité des poètes entre eux ; c’est pourquoi il évoque cette notion de communia sacra pœtarum : ce sont les façons de faire

la terre de son exil, qui met en exergue sa capacité à demeurer poète dans une terre où le langage lui est incompréhensible ; les communia sacra représentent pour lui une forme d’élévation d’esprit opposée à l’animalité, c’est l’élite des Poètes, celle de Rome qu’il porte en lui. Cette interprétation est d’ailleurs renforcée par l’utilisation dans le premier extrait du terme commilitium, « fraternité d’armes », au lieu de communia, « ce qui est commun », avec lequel Ovide veut montrer que les poètes sont liés par la force d’un sentiment de solidarité semblable à celui qui unit les soldats.

Dans le vers de notre poète, le mot pœta est devenu uates, terme vieilli marqué religieu- sement, que l’on trouve aussi lié au sacré chez Horace, Odes, 4, 9, 28 : vate sacro, et chez Properce, 4, 6, 1 : sacra facit uates. Perse prend ces termes chez Horace et Properce pour exagérer la dimension sacrée chez Calpurnius et Ovide (pietas / deo / sacra). Cela lui permet de se moquer de l’offrande faite au dieu chez Calpurnius, en dédiant son carmen à la caste des poètes présente chez Ovide. Cette substitution montre aussi qu’il dédaigne la solidarité de l’élite poétique romaine qu’évoque son prédécesseur élé- giaque, dont il se désolidarise ; il est seul (ipse en regard de commilitii et de communia) face aux uates inspirés à qui il offre son carmen par dérision. Perse souligne également par là son dédain pour l’élite intellectuelle urbaine : il est rustique comme les barbares qu’Ovide oppose à sa romanitas27.

L’expression résultante sacra uatum présente ainsi une lourde charge ironique et auto- dérisoire : après avoir rejeté les sources d’inspiration qu’il considérait comme hautaines, Perse affecte de se rabattre sur des déclarations plus modestes et plus humbles mais les dépossède de tout sérieux, dans le même esprit que lorsqu’il use du mot semipaganus. En feignant une telle annonce, le satiriste se moque ipso facto des auteurs qui campent le contexte de leur inspiration plus modestement, comme Varron dans son traité agricole, Calpurnius dans ses Éclogues ou Tibulle dans ses Élégies.

Vers 8-11 quis expediuit psitacco suum “chaere” / picamque docuit nostra uerba co- nari ? / magister artis ingenique largitor / uenter, negatas artifex sequi uoces.

La présence du perroquet conduit naturellement à penser que le modèle de base est Ovide :

Amours, 2, 6, 37-38 ; 48 ; 62, occidit ille loquax humanae uocis imago psittacus [...] clamauit moriens lingu “Corinna, vale” [...] ora fuere mihi plus “ave” docta loqui, Et il est mort, cet oiseau qui savait si bien imiter la voix de l’homme ; ce perroquet ! (...) tu t’écrias en mourant : Corinne, adieu (...) j’avais, pour lui parler, plus de talent qu’il n’en est donné aux oiseaux.

On constate dès lors cinq opérations :

1. à clamauit correspond expediuit (Synonyme / Verbe) ; 2. à Corinna, uale ! correspond chaere (Complication) ;

3. à humanae uocis correspond nostra uerba (Synonyme / Verbe et Fonction) ; 4. à ora... docta correspond uenter... artifex (Forme) ;

5. à loqui correspond sequi (Forme). Forme | Confiscation

Ici le modèle n’est pas repris pour son signifié, mais plutôt pour son signifiant. Le passage imité est un extrait des Amours d’Ovide, où ce dernier pleure la mort du perroquet de sa bien aimée. Le lien majeur qui unit les deux textes est la présence d’un perroquet s’exprimant en mots humains ; or Perse se sert de ce contexte à des fins tout autres et dans son texte, le psittacus, la pica et le coruus sont figurés ; ils désignent les