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«La fontaine du canasson Pégase» : production, transmission et consommation de la culture littéraire sous Néron dans les Satires de Perse

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«La fontaine du canasson Pégase»

: production,

transmission et consommation de la culture littéraire

sous Néron dans les Satires de Perse.

Mémoire

Félix Charron-Ducharme

Maîtrise en études anciennes - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

« La fontaine du canasson Pégase »

Production, transmission et consommation

de la culture littéraire sous Néron

dans les Satires de Perse.

Mémoire

Félix Charron-Ducharme

Sous la direction de: Monsieur Alban Baudou

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Résumé

Perse débute son œuvre en rejetant systématiquement toutes les sources inspiratrices traditionnelles, dont la fontaine d’Hyppocrène, ce qui lui donne l’occasion de traiter Pégase de « canasson ». Alors que les interprétations d’ensemble réalisées par le passé sont faussées par une appréciation minimisant la construction systématique des Satires, l’objectif de cette étude est de démontrer que leur thème unificateur est la critique de la production / transmission et de la consommation de la littérature à l’époque néronienne. Dans le premier chapitre, en démontrant l’omniprésence des processus d’imitation et d’émulation dans le texte, puis en mettant au jour leur complexité et leur richesse sémantique, nous exposons la métatextualité des Satires, confirmant notre hypothèse de départ. L’analyse des Satires dans le cadre théorique du grotesque bakhtinien conduit dans un deuxième temps à révéler que le vice et la vertu y sont appariés respectivement à la mauvaise et à la bonne littérature et que Perse vise à détruire la première grâce à la philosophie. Par l’analyse de ce message subversif sous-jacent, nous expliquons quels sont les effets négatifs de la mauvaise littérature et les façons dont il faut s’y prendre pour la contrer. Dans le troisième chapitre enfin, grâce aux énoncés programmatiques et à diverses analyses stylistiques, nous donnons à connaître la cible de Perse : les poètes urbains philhellènes, cancres littéraires avides et présomptueux. Le style de Perse, en revanche, se distingue par son audace, son aspect mordax, sa modestie et sa romanité issue du mos maiorum.

Grâce à notre étude, la cohérence des Satires, trop souvent tenues pour composites, apparaît nettement.

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Table des matières

Résumé iii

Table des matières iv

Remerciements vii Introduction 1 Traduction 15 Préface . . . 16 Choliambes . . . 20 Satire 1 . . . 21 Satire 2 . . . 29 Satire 3 . . . 33 Satire 4 . . . 39 Satire 5 . . . 42 Satire 6 . . . 51 1 Aemulatio-Imitatio 59 Aperçu théorique antique . . . 60

L’imitation chez Perse en chiffres : quels sont ses modèles ? . . . 66

Études de cas : comment Perse utilise l’imitatio / aemulatio . . . 68

Bilan du premier chapitre . . . 96

2 Thématiques et vocabulaire persiens 98 Néologismes et diversité stylistique . . . 99

Grécismes et hellénophobie . . . 105

La décrépitude morale et littéraire . . . 110

La physionomie du poète . . . 118

La poésie comestible et indigeste . . . 125

Bilan du deuxième chapitre . . . 130

3 Le programme littéraire persien 132 Extraits programmatiques . . . 132

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Conclusion 163

Sources 168

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Laisse aux tragédiens les festins de têtes et de pieds, apprends à manger avec le peuple.

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Remerciements

Je tiens à rendre grâce à tous les acteurs qui m’ont épaulé lors de la réalisation de ce mémoire.

Merci à mon directeur et mentor, le professeur Alban Baudou, dont la patience immense dans son travail de correction, la sagesse, l’ouverture, la constante disponibilité, l’intérêt pour mon sujet et mon travail et l’aide à la réflexion ont été des atouts indispensables à la réalisation de mon mémoire. Je tiens aussi à le remercier pour son travail de traduction en amont, qui a permis d’améliorer de beaucoup le mien lors de nombreuses séances de mise en commun, que nous aurons le plus grand des plaisirs à poursuivre dans le futur.

Merci à la professeure de latin Madame Pascale Fleury, qui a toujours été ouverte pour m’aider à réfléchir sur mon sujet et dont les conseils pleins de sagacité me sont précieux. Merci à elle de m’avoir ramené à mes vieux amours de Perse, lors du choix de mon sujet, pour son soutien par sa lettre de recommandation à l’occasion des demandes de bourses au FQRSC et au CRSH et par son travail de prélecture.

Merci au professeur Paul-Hubert Poirier, qui s’est rendu disponible chaque semaine des deux années de ma scolarité pour m’aider volontiers à traduire de la littérature scientifique en allemand et dont la patience, la générosité et le savoir m’ont permis d’améliorer ma connaissance de cette langue lors de séances des plus agréables. Je le remercie aussi d’avoir accepté de lire mon mémoire et d’assumer le rôle de membre du jury.

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Merci à mes parents, Isabelle Charron et Nikolas Ducharme, de m’avoir donné la mo-tivation depuis les 20 dernières années d’aller à l’école d’abord et de poursuivre les domaines qui me tiennent à cœur aux études supérieures par la suite en me donnant de surcroît le soutien financier nécessaire. Merci à ma mère de m’avoir initié aux lettres, au cinéma, à l’art et la créativité et à l’appréciation critique de la culture et à mon père de m’avoir initié à la philosophie, aux idées et à la réflexion intellectuelle. Merci d’avoir ouvert mon esprit et ma curiosité toute ma vie et d’avoir été des modèles de courage et de persévérance.

Merci à ma copine Agathe Legendre, pour ses encouragements toujours renouvelés, pour les discussions et les réflexions que nous avons entretenus sur mon sujet et surtout merci de m’avoir donné la force et le courage au quotidien de mener à bien mes projets. Merci finalement au CRSH et à l’Aide financière aux études du gouvernement du Qué-bec, dont le support m’a permis de finir mon mémoire dans les temps tout en conservant une quiétude d’esprit et monétaire.

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Introduction

La littérature latine est aujourd’hui avant tout une littérature d’initiés, pour ne pas dire de cabinet d’études. Les notions de civilisation et de mythologie qui peuvent faire défaut aux lecteurs modernes et la forme trop complexe de certaines traductions font en sorte que les auteurs latins voient trop rarement la lumière du jour en dehors des enceintes scolaires. La constatation induit deux conséquences : la pertinence des études classiques au XXIesiècle, qui permettent de mettre en valeur la richesse du legs culturel

des anciens et leur rendent justice ; la nécessité pour les chercheurs de démocratiser les textes anciens, en les rendant accessibles à un public de non spécialistes.

Cela passe notamment selon nous par des traductions qui s’éloignent de la visée obtusé-ment scientifique des éditions savantes : il faut se débarrasser des structures syntaxiques compliquées qui tentent de calquer les langues à déclinaison anciennes et élucider les allusions pointues qui ne font qu’obscurcir le sens pour un lectorat plus large. Il convient de rendre avant tout la vivacité de ces textes, la complexité de leurs images et la pro-fondeur de leurs propos : c’est là l’unique façon de les rendre pertinents et présents au-delà du cadre savant et érudit.

Cette réflexion est à l’origine de notre intérêt à développer une analyse plus motivante et à effectuer une traduction nouvelle des Satires ; le texte en effet, riche et original, est sur de nombreux points inaccessible si l’on ne consacre beaucoup de temps à la com-préhension de détail. Une traduction moins opaque de son corpus permet de constater toute l’étrangeté des images persiennes, la construction au rythme effréné de ces pièces et la lucidité de ce regard sur la littérature, dernière caractéristique qui a retenu notre

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attention et avec laquelle nous avons entrevu la possibilité d’enrichir la littérature scien-tifique. Ainsi, en amont de sa problématique, ce mémoire vise à inscrire Perse dans la modernité par la mise au jour de l’intérêt si singulier de ses Satires et par la présentation d’une traduction accessible à tous.

Son livre comporte six courtes satires cumulant 650 hexamètres dactyliques, auxquelles s’ajoute un prologue de 14 choliambes1. Chaque satire développe sa thématique propre :

la première est une discussion avec un ami ou un rival fictif, dans laquelle Perse plaide contre les mauvais écrivains, la deuxième critique les prières hypocrites des hommes, la troisième s’attaque à la paresse des jeunes gens et exhorte à l’étude de la philosophie, la quatrième dénonce l’ingérence des jeunes gens dans l’État et les reproches hypocrites, la cinquième est adressée à son maître Cornutus et discute la vraie liberté, c’est-à-dire l’ataraxie stoïcienne, la sixième et dernière prend la forme d’une lettre à son ami le poète lyrique Caesius Bassius et se prononce contre les avares.

On sait peu de choses sur la vie de Perse : né à Volterra en Étrurie vers 34 ap. J.-C., il reçut une éducation à Rome, puis fréquenta les cercles des stoïciens Thrasea et Cornutus et mourut peu avant la trentaine en 62, léguant une œuvre inachevée ; son mentor, Cornutus, peaufina la fin du recueil et son ami Caesius Bassus en fit l’édition. Si l’on en croit la brève Vita Persi, le livre connut un franc succès auprès du public :

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Vita, 42-43, editum librum continuo mirari homines et diripere coeperunt2, Les hommes commencèrent à être pris d’admiration pour le livre édité et à se l’arracher des mains (Trad. personnelle).

Comme c’est le cas pour la plupart des uitae antiques, le détail de ces informations ne peut certes être pris à la lettre, mais il est certain cependant que l’œuvre de Perse connut le succès. Cette notoriété des Satires acquise dès l’antiquité persista durant le Moyen Âge3; mais dès leur première édition moderne en 1469/70 par Ulrich Han à

Rome, on les fustigea de divers reproches. Les éditeurs, commentateurs et traducteurs de Perse jugèrent défavorablement ses vers notamment parce qu’il était mort jeune : ils voyaient en lui un poète certes prometteur, mais dont la création incomplète présentait divers défauts. À partir de cette époque, l’obscurité de son style fut la plus grande faute attribuée, à tort, aux Satires. Plusieurs auteurs, comme nous l’avons mentionné, firent preuve de condescendance à son égard, le tenant pour un calque obscur d’Horace. Le contenu autrefois loué des Satires fut alors ignoré aux dépens d’une critique sévère à l’égard de leur écriture. En 1605, dans la préface de son édition de Perse, le classiciste Isaac Casaubon fut un des rares à prendre sa défense, en le plaçant sur le même plan qu’Horace et Juvénal et mettant en valeur les qualités de chacun4. Aux XVIIIe et

XIXesiècles, ce livre demeura confiné aux cercles fermés des philologues et des hommes

2. l. 42-43 dans la Vita Persi, texte édité par W. Kissel, Aules Persius Flaccus Satiren, Heidel-berg, Universitätsverlag Winter, 1990 ; sur l’authenticité de cette Vita, M. Coffey écrit « biografical information is given by an ancient Life, which a number of manuscripts assign to a commentary by Valerius Probus, a scholar of the 1st century A. D. The Famous Valerius Probus is unlikely to have written a commentary on the work of a contemporary. The Life as we have it contains material by more than one scholar. It is repetitive and badly ordered with traces of later explanatory interpolation, but it may safely be attributed in the main to the scholarship of the late 1st century or the 2nd (...) » ; cf. M. Coffey, Roman Satire, Londres / New York, Methuen & Co Ltd / Barnes & Noble, 1976, p. 235. Sauf avis contraire, toutes les éditions de textes latins et leurs traductions sont de la C.U.F., les textes grecs sont présentés avec l’édition provenant du TLG et une traduction de la C.U.F. Les détails de ces éditions sont présentés intégralement en bibliographie.

3. Pour l’estime de l’œuvre de Perse dans l’antiquité, cf. Martial 4, 29, 7-8 et Quintilien 10, 1, 94 ; pour son admiration en tant que moraliste au Moyen Âge, cf. M. Manititis, « Beiträge zur Geschichte römischer Dichter im Mittelalter », Philologus 51 (1892), p. 710-719.

4. L’édition du texte latin et sa traduction ont été réalisés par P. Medine en 1976, rendant son texte facilement accessible ; cf. P. Medine, « Isaac Casaubon’s Prolegomena to the Satires of Persius »,

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du clergé. Puis, au début du XXe siècle, son ouvrage fut négligé ; il fallut attendre la

deuxième moitié du siècle pour que la recherche s’intéressât plus intensivement à ses écrits.

Son œuvre est caractérisée par des vers contempteurs et grinçants, qui montrent que Perse a étudié la grammaire, la littérature et la philosophie ; les diverses critiques que l’auteur exprime se fondent davantage sur la lecture et l’analyse d’une tradition littéraire que sur l’observation des mœurs de ses contemporains. Les dialogues animés souvent interrompus par des aposiopèses, le vocabulaire couramment créé de toute pièce ou emprunté à la langue orale et les tournures raccourcies par des anacoluthes rendent son style très expressif, mais également complexe. L’auteur use aussi d’une ironie subtile et joue constamment avec des métaphores abstraites et concrètes, sans distinction syn-taxique des deux niveaux d’écriture. De plus, comme nous l’avons dit, le substrat de ses vers est majoritairement tiré de la satire horatienne : le poète s’est amusé à reprendre les vers de son prédécesseur en les altérant de plusieurs façons. Ce procédé imitatif lui permet de revisiter les lieux communs de la satire et de la philosophie stoïcienne tout en insérant ses champs programmatiques et critiques propres.

Nous partageons l’idée que le style hétéroclite et le message de notre poète, indisso-ciables l’un de l’autre, voulaient provoquer le lecteur de l’époque néronienne et critiquer la littérature produite par ses contemporains5. En regard de cette hypothèse, nos

tra-vaux veulent penser la réalisation du satiriste à la fois comme une construction érudite fondée sur la littérature latine et comme une critique de tous les écrits du temps. Nous souhaitons, dans ce mémoire, donner un sens d’ensemble à l’œuvre selon une ligne direc-trice faisant le pont entre les études qui expliquent ponctuellement toutes les ambiguïtés

5. S. Bartsch croit aussi que, contrairement aux théoriciens de la littérature, qui dictent les règles de la poésie sous la forme d’un guide, Perse compose son texte comme un manifeste de critique littéraire,

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des Satires et celles qui tentent de les expliquer d’un point de vue plus global. Dans un souci de transmettre au lecteur une compréhension plus immédiate, mais aussi plus profonde, du corpus persien, nous proposons une traduction nouvelle de l’œuvre. Solus hic obscurus ? : les styles de Thucydide, Platon, Pindare, Aristophane ou Théo-crite sont difficiles aussi, montre Casaubon dans les prolégomènes de son édition des Satires, se demandant pourquoi, si autant d’auteurs antiques ont un style ardu, c’est la caractéristique invariable qui fut attribuée à Perse6. Alors que les commentaires

an-tiques et médiévaux ne soulignent pas systématiquement ce point, faut-il en conclure que le savoir nécessaire à la compréhension des écrits persiens s’est perdu ? L’historio-graphie moderne s’est efforcée d’analyser formellement le texte afin d’élucider toutes ses ambiguïtés, mais malgré ces nombreux efforts pour redonner un sens aux Satires, on doit constater que ces pièces semblent aussi inaccessibles qu’auparavant. Dès lors, au fil des études sur Perse et des éditions de ses écrits, des cris du cœur reviennent pério-diquement encourager leur mise en valeur, comme si cet auteur malmené ne réussissait jamais vraiment à obtenir ses lettres de noblesse.

6. Dans la traduction de P. Medine, Casaubon écrit : « Is he alone obscure ? Does not every great writer require a most attentive and “learned” reader ? Shall I not recall Thucydides subtleties, orna-mentations, interlardings of foreign and strange phrases, grammatical anomalies, and many similar practices which a huge cloud of history covers ? I shall be silent about the “untempered and harsh metaphors” of Plato, about which Longinus spoke. Only let me say this, that the writings of the greatest are especially full of difficulties, writings which the learned of all ages have greatly admired. Who could have understood Pindar or Aristophanes were it not for their commentators ? What man learned in Greek letters runs through the choruses of the tragedies at an unhindered pace ? The ancient critics remarked the “obscure passages” in Theocritus ; but they were not angry. Shall the difficulties of Persius offend us ? And shall we, who do not object to the difficult nonsense of that shepherd, be sorry for our efforts to understand poetry as grave as Persius’ ? » ; cf. P. Medine, « Isaac Casaubon’s

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Durant l’essor des études philologiques au XIXe siècle, Perse ne fut pas délaissé des

savants. Un certain lot de publications se consacrèrent à lui pour son vocabulaire, son rapport vis-à-vis son époque ou encore l’aspect philosophique de son œuvre. On retient principalement l’édition commentée d’O. Jahn7, celle de J. Connington et H.

Nettle-ship8 et l’étude sur la langue et le style de J. Šorn9.

Au tournant du XXe siècle, plusieurs éditions ont été publiées10, mais la recherche la

plus marquante de cette période est la thèse de F. Villeneuve11; bien que l’auteur ait

tendance à inventer des pans biographiques sans disposer de sources et débute ouver-tement son étude avec un a priori négatif envers Perse, son travail présente cependant l’avantage de traiter dans le détail de plusieurs aspects de la question persienne : les influences philosophiques possibles du poète lors de sa jeunesse, la construction, les idées et le style de ses poèmes.

Après la publication de cette monographie et des nombreuses éditions commentées, il fallut attendre la deuxième moitié du XXesiècle pour que la recherche persienne

s’inten-sifie12. C’est plus précisément des années 50 aux années 70 que les études foisonnèrent,

7. Le travail de O. Jahn présente l’avantage de contenir la scholie antique et des index utiles ; cf. O. Jahn, Satirarum Liber Auli Persii Flacii, Hildesheim, Georgs Olms Verlagsbuchhandlung, 1967 (1843, Teubner).

8. L’édition commentée de J. Connington et H. Nettleship est aujourd’hui obsolète, du fait que de nombreuses analyses sont remises en question ou démenties par les commentaires plus récents ; elle est cependant demeurée longtemps un point de repère pour ceux qui s’intéressèrent à Perse ; cf. J. Connington et H. Nettleship, The Satires of A. Persius Flaccus : with a Translation and Commentary, Oxford, Clarendon Press, 1874.

9. L’étude de J. Šorn sur le style est très utile parce qu’elle regroupe sous différentes catégories d’analyse stylistique plusieurs expressions et mots persiens ; cf. J. Šorn, Die Sprache des Satirikers Persius, Ljubljana, Verlag des K. K. Obergymnasiums, 1890.

10. G. Albini, Le Satire di A. Persio Flacco, Imola, Galeati, 1890 ; G. Némethy, Satirae Edidit, adnotationibus exegeticis et indice verborum instruxit Geyza Némethy, Budapest, Budapestini Acade-miae Litterarum Hungaricae, 1903 ; S. G. Owen, A. Persi Flacci et D. Iuni Iuvenalis Saturae cum additamentis Bodleianis rec. brevique adn. crit. instr. Oxford, Clarendon Press, 1903 ; F. Ramorino, Le Satire di A. Persio Flacco, Turin, Ermanno Loescher, 1905 ; S. Consoli, A. Persii Flacci Satu-rarum liber, Rome, H. Loescher, 1911 ; J. v. Wageningen, Auli Persi Flacci Saturae, Groningue, P. Noordhoff, 1911.

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dont la plupart s’évertua à expliquer les incertitudes linguistiques et sémantiques du texte13. C’est aussi à cette époque qu’on commença à s’intéresser au texte du satiriste

de Volterra pour ses qualités littéraires14, angle d’approche dont le développement

ul-térieur doit beaucoup aux articles de H. Bardon15.

En s’appuyant sur la riche production des années 50, 60 et 70, deux commentaires d’ensemble qui permettent de comprendre les vers persiens furent produits : celui de R. A. Harvey16 en anglais et dix ans plus tard, celui de W. Kissel17 en allemand. Le

premier explique les sous-entendus des vers de Perse et vise à expliquer le sens du texte d’une façon claire et efficace ; le second retrace, avec érudition et en plus de 800 pages, toutes les discussions retrouvées dans la littérature à propos de chaque vers. Ces outils indispensables furent ceux que nous avons utilisés de manière prédominante lors de la traduction des Satires.

13. Nous citons ici les études les plus marquantes : D. Henss, « Die Imitationstechnik des Persius », Philologus 99 (1954), p. 277–294 ; W. S. Anderson, « Part versus Whole in Persius’ Fifth Satire », Philological Quarterly 39 (1960), p. 66–82 ; W. H. Semple, « The Poet Persius, Literary and Social Critic », Bulletin of the John Rylands Library 44 (1961), p. 157–174 ; K. Reckford, « Studies in Persius », Hermes 90 (1962), p. 476–504 ; D. Bo, Auli Persii Flacci lexicon, Hildesheim, G. Olms Verlagsbuchhandlung, 1967 ; C. S. Dessen, Iunctura Callidus Acri : A Study of Persius’ Satires, Urbana / Chicago / Londres, University of Illinois Press, 1968 ; H. Beikircher, Kommentar zur 6. Satire des A. Persius Flaccus, Vienne, Hermann Böhlaus Nachfolge, 1969 ; D. D. Venuto, F. Iengo et R. Scarcia, Gli auctores di Persio, Rome, Fratelli Palombi Editori, 1972 ; J. H. Brouwers, « Allitération, anaphore et chiasme chez Perse », Mnemosyne 26 (1973), p. 249–264 ; N. Scivoletto, « La “poetica” di Persio », Argentea Aetas, sous la dir. d’E. Marmorale, Genève, Istituto di Filologia Classica e Medievale, 1973, p. 83–106 ; E. S. Ramage, « Method and Structure in the Satires of Persius », Illinois Classical Studies 4 (1979), p. 136–151.

14. E. Pasoli, « Persio e il bagno durante il banchetto (Sat. 3,98-106). Tecnica imitativa ed es-pressionismo », Scritti in onore di Antonio Scolari, sous la dir. d’Istituto per gli Studi Storici Veronesi, Vérone, Istituto per gli Studi Storici Veronesi, 1976, p. 221–233 ; J. C. Bramble, Persius and the Programmatic Satire : A Study in Form and Imagery, Cambridge, Cambridge University Press, 1974 ; J. P. Sullivan, « Ass’s Ears and Attises : Persius and Nero », American Journal of Philology 99 (1978), p. 159–170.

15. H. Bardon, « Perse, ou l’homme du refus », Revue belge de philologie et d’histoire 53 (1975), p. 24–47 ; H. Bardon, « Perse et la réalité des choses », Latomus 34 (1975), p. 319–335 ; H. Bardon, « À propos de Perse : surréalisme et collage », Latomus 34 (1975), p. 675–698 ; H. Bardon, « À propos de Perse : morale et satire », Rivista di cultura classica e medioevale 18 (1976), p. 49–70.

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Depuis les années 80 et 90, la recherche littéraire est la tendance observée pour les études persiennes : plusieurs auteurs ont entrepris des analyses en ce sens18, prenant souvent

la forme d’essais, qui interprètent le travail de Perse comme une œuvre de littérature et non plus comme simple objet de curiosité à déchiffrer. Les dernières années ont été marquées par les publications de la spécialiste S. Bartsh19, par la parution de deux

Companions20 ainsi que par l’édition la plus à jour du texte par W. Kissel21, qui éclipse

les éditions réalisées au cours du XXe, notamment celles de W. V. Clausen, qui était

jusqu’alors la référence, et de N. Scivoletto22. Nous inscrivant dans cette mouvance,

18. Nous citons entre autres : W. S. Anderson, « Persius and the Rejection of Society », Essays on Roman Satire, sous la dir. de W. S. Anderson, Princeton (N. J.), Princetown University Press, 1982, p. 169–193 ; M. Morford, Persius, Boston, Twayne Publishers, 1984 ; K. Abel, « Die dritte Satire des Persius als dichterisches Kunstwerk », Kontinuität und Wandel : Lateinische Poesie von Naevius bis Baudelaire, sous la dir. de W. Maaz, U. J. Stache et F. Wagner, Hildesheim, Weidmannsche Verlagsbuchhandlung, 1986, p. 143–183 ; F. Bellandi, Persio : dai verba togae al solipsismo stilis-tico - studi sui Choliambi e la poetica di Aulo Persio Flacco, Bologne, Pàtron, 1988 ; R. Jenkinson, « Impressions Concerning Persius, Style and Content. Dark at First Reading, V », Studies in Latin Literature and Roman History, sous la dir. de C. Deroux, Bruxelles, Latomus, 1989, p. 336–363 ; R. Jenkinson, « Impressions Concerning Persius, Style and Morality », Latomus 49 (1990), p. 663–675 ; W. T. Wehrle, The Satiric Voice : Program, Form and Meaning in Persius and Juve-nal, Hildesheim / Zürich / New York, Olms-Weidmann, 1992 ; M. Squillante Saccone, Persio : il linguaggio della malinconia, Naples, M. D’Auria Editore, 1995 ; K. Reckford, « Reading the Sick Body : Decomposition and Morality in Persius », Arethusa 31 (1998), p. 337–354 ; D. M. Hooley, The Knotted Thong : Structures of Mimesis in Persius, Ann Harbor, The University of Michigan Press, 2000 ; J. C. Zietsman, « Persius on Poetic (In)Digestion », Akroterion 49 (2004), p. 73–88 ; M. Squillante Saccone, « Techniques of Irony and Comedy in Persius », Persius and Juvenal, sous la dir. de M. Plaza, New York, Oxford University Press, 2009, p. 138–172 ; N. Rudd, « Association of Ideas in Persius », Persius and Juvenal, sous la dir. de M. Plaza, New York, Oxford Univer-sity Press, 2009, p. 107–137 ; P. A. Miller, « Persius, Irony, and Truth », American Journal of Philology 131 (2010), p. 233–258.

19. S. Bartsch, « Persius, Juvenal, and Stoicism », A Companion to the Neronian Age, sous la dir. d’E. Buckley et M. T. Dinter, Oxford, Blackwell Publishing, 2013, p. 217–238 ; S. Bartsch, « Persius’ Fourth Satire : Socrates and the Failure of Pedagogy », The Philosophizing Muse : The Influence of Greek Philosophy on Roman Poetry, sous la dir. de M. Garani et D. Konstan, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2014 ; Bartsch, Persius : A Study in Food, Philosophy, and the Figural .

20. M. Plaza, éd., Persius and Juvenal, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; S. M. Braund et J. Osgood, éds., A Companion to Persius and Juvenal, Chichester / West Sussex / Malden, Wiley Blackwell, 2012.

21. W. Kissel, Saturarum liber, Berlin, Teubner, 2007.

22. W. V. Clausen, Saturarum liber, accedit Vita / ed. Clausen W. V. Oxford, Clarendon Press, 1956 ; N. Scivoletto, Saturae / testo crit. e commento a cura di Scivoletto N. Florence, La Nuova

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nous préconisons dès lors une étude littéraire de l’œuvre : autant il était nécessaire de rendre possible la compréhension de la poésie de Perse, autant il apparaît indispensable aujourd’hui de l’apprécier et de l’étudier pour ses qualités artistiques et ses idées. Nous nous distançons de certains savants, qui, en se fiant sur la courte Vita Persii, ont avancé que ce jeune homme à l’éducation sévère avait composé ses Satires seulement dans une optique moralisatrice et stoïcienne. Il convient toutefois de nuancer l’idée : Lucilius s’en prenait aux personnalités publiques des hautes sphères, Horace à des per-sonnages types, des idiots sans nom : Perse quant à lui s’attaque davantage, par divers procédés, à l’âme des lecteurs. C’est pourquoi plusieurs études ont tenté de comprendre ses Satires sur le plan philosophique, notamment en regard du stoïcisme23 : certains

savants ont même affirmé que ses écrits participaient au prosélytisme stoïcien24, mais

réduire son travail à cette définition ne permet pas d’en faire un examen consciencieux. Depuis les années 90, les chercheurs ont écarté cette définition univoque et cette as-sociation trop restrictive de Perse et du stoïcisme25; comme notre perspective ne se

situe pas à ce niveau, nous n’aborderons pas cet aspect dans le cadre de notre mémoire. Nous tenons également à nous distancier de K. Freundenburg26 et de son disciple27,

qui s’évertuent à lier Perse à un programme politique anti-néronien.

Nous ne voulons pas réduire les Satires de Perse à un cours philosophique ou à un programme politique, comme l’ont fait les savants susmentionnés, mais contribuer à la recherche persienne en offrant une lecture d’ensemble de l’œuvre ; nous voulons com-prendre les Satires comme un tout et mettre à profit la richesse des recherches de la

23. Cf. Reckford, « Studies in Persius » ; P. S. Bowman, The Treatment of the Stoic Paradoxes by Cicero, Horace and Persius, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1972 ; A. Cucchiarelli, « Speaking from Silence : the Stoic Paradoxes of Persius », The Cambridge Companion to Roman Satire, sous la dir. de K. Freudenburg, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 62–80.

24. C’est notamment le cas de Bellandi, Persio : dai verba togae al solipsismo stilistico - studi sui Choliambi e la poetica di Aulo Persio Flacco.

25. Kissel, Aules Persius Flaccus Satiren, p. 1-14.

26. K. Freudenburg, « Persius : Of Narrative and Cosmogony - Persius and the Inven-tion of Nero », Satires of Rome : Threatening Poses from Lucilius to Juvenal, sous la dir. de K. Freudenburg, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 125–208.

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deuxième moitié du XXe siècle. Pour ce faire, nous avons d’abord choisi une hypothèse

qui recoupe toutes les satires. Notre objectif est de présenter le texte de Perse comme un témoin littéraire de l’époque néronienne critiquant la production, l’enseignement et la consommation de la culture littéraire de cette période. Aucune étude, à ce jour, n’a envisagé de réfléchir à Perse en adoptant cette définition. De plus, nous sommes convaincu que Perse ne soutient pas seulement un programme critique et moralisateur ; il poursuit également une fin esthétique. Si l’auteur critique la littérature de son temps, il ne ferait aucun sens qu’il n’ait pas eu lui-même l’ambition, par ses vers, d’être un poète exemplaire.

Comme notre façon de procéder est détaillée ponctuellement dans les trois chapitres de ce mémoire, il convient ici de définir plutôt les approches méthodologiques générales de notre réflexion et de définir certains concepts.

Tout au long de notre travail, nous écrivons « Perse », « l’auteur », « le personnage de Perse », « l’œuvre » etc., pouvant donner l’impression qu’une différence est établie entre ces diverses composantes. Il est vrai que pour nous l’auteur existe toujours en arrière-plan, l’auteur n’est pas mort28, mais nous trouvons plus utile, dans le cadre de la

problématique que nous avons posée, de fondre tous ces niveaux en un seul, considérant les Satires de Perse comme un texte qu’il nous est libre d’interpréter. Cette façon de procéder nous permet de soustraire une variable à notre analyse, pour mieux nous concentrer sur le cœur de notre sujet : savoir si le texte est dans son ensemble une critique de la littérature ; le but n’est pas de montrer l’intention de l’auteur, mais plutôt de faire entendre au lecteur des Satires en quoi elles sont une critique de la littérature de l’époque néronienne.

Ce choix méthodologique doit s’accorder avec le fait qu’une vaste part de notre argu-mentation dépend de la notion de « programme littéraire ». Il faut donc différencier le « programme littéraire » et l’« intentionnalité de l’auteur ». L’« intentionnalité » repré-sente la volonté de l’auteur lors de l’écriture, elle emprisonne dans un carcan restreint

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l’œuvre, qui peut seulement être expliquée à partir des intentions reconstituées de son créateur. Le « programme littéraire », quant à lui, est une visée de l’œuvre, explicitée par divers moyens « programmatiques » et ne peut se concrétiser que lors d’une interaction avec le lecteur.

Il convient aussi de clarifier ce que nous entendons par « intertextualité », terme aujour-d’hui si fréquemment utilisé dans les études littéraires qu’il apparaît comme compris de tous ou même auto-compréhensible. Loin de prétendre donner une définition de ce concept complexe, nous énoncerons seulement les principes qui modèleront notre réflexion.

L’intertextualité trouve son origine dans la sémiotique saussurienne et dépend du prin-cipe que nous produisons des signes linguistiques. Le signe linguistique est la combi-naison d’un signifié et d’un signifiant, c’est-à-dire d’un concept rattaché à une image tangible. Ces signes n’ont un sens que dans leur système linguistique propre et dans la période de temps précise où ils sont utilisés. Si l’on prend un système linguistique à un moment précis dans le temps, on l’appelle système synchronique et si l’on prend ce même système qui évolue dans le temps, on l’appelle système diachronique. Ce système a deux axes : syntagmatique et paradigmatique. L’axe syntagmatique est l’ordre et la place des mots dans une phrase et l’axe paradigmatique est le choix du mot utilisé hors d’une sélection possible. L’utilisation des mots sur les deux axes de la langue crée un vaste réseau relationnel : la langue synchronique.

En partant du concept que les signes linguistiques sont utilisés sur les deux axes de la langue, selon Saussure, il est possible d’opérer la même analyse avec les signes lit-téraires. Les auteurs d’œuvres littéraires ne se contentent pas de sélectionner les mots d’une langue, mais vont également adopter une intrigue, des caractéristiques plus gé-nériques, des traits de caractère des personnages, des façons de raconter l’histoire et même des expressions ou des phrases tirées d’autres œuvres et de la tradition litté-raire. En se fondant sur les réflexions de Julia Kristeva, on peut ainsi considérer qu’un objet littéraire est une « compilation » par l’auteur de textes littéraires antérieurs. De cette façon, l’intertextualité est la relation qui unit un texte à ceux avec lesquels il

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est façonné. Fort de cette conception, nous rejetons donc une définition selon laquelle l’intertextualité serait comprise seulement comme désignant les influences ou les ori-gines d’un texte, puisque tout texte est une compilation d’une textualité culturelle. Ainsi, l’intertextualité n’est pas pour nous une méthodologie, mais plutôt un outil pour penser notre problématique, le cadre de notre réflexion pour ainsi dire29.

Au cours de notre mémoire, nous utilisons certains concepts qu’il convient ici de définir : La conscience de soi littéraire et l’ironie : nous avons établi que ces deux composantes sont déterminantes de l’écrit persien. La conscience de soi littéraire est à lier avec le concept de métatextualité tel que l’entend W. Ommundsen dans Metafictions ?30 :

Le texte de fiction sera métatextuel s’il invite à une prise de conscience critique de lui-même ou d’autres textes. La metatextualité appelle l’attention du lecteur sur le fonctionnement de l’artifice de la fiction, sa création, sa réception et sa participation aux systèmes de signification de la culture.

La conscience de soi littéraire serait donc, selon nous, la capacité d’un auteur à établir un dialogue métatextuel avec le lecteur et les autres auteurs, dans lequel il critique la production, la transmission et la consommation de la littérature par son texte de fiction et grâce à sa prise de conscience du processus créatif dans lequel il est engagé. Cette conscience de soi demande que l’auteur soit en pleine connaissance du contexte littéraire sur lequel il émet un commentaire.

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Alors que la conscience de soi littéraire est un état d’esprit, un pré-requis, l’ironie est une des méthodes stylistiques de Perse pour établir un dialogue métatextuel. Elle réfère tout simplement à un décalage entre ce qui est écrit et ce qu’il faut comprendre et elle permet à notre poète de ridiculiser et de tourner en dérision tout en conduisant le lecteur vers une réflexion sur la production de littérature31.

Le grotesque est un terme théorique moderne à priori ambigu que nous avons choisi pour décrire une esthétique littéraire parfois visée par Perse32. Alors que les théoriciens

littéraires antiques dont nous traitons au début du premier chapitre visent le sublime par l’émulation (zèlosis / aemulatio), Perse, tel que nous l’avons observé à quelques reprises, vise parfois le grotesque, l’antithèse du sublime. Ce serait donc une dissonance et une incongruité littéraire qui servirait à créer un inconfort chez le lecteur et qui favoriserait sa sortie du paradigme littéraire dans lequel il est enfermé, afin qu’il puisse remettre en question les dogmes établis de la littérature. La visée du grotesque par Perse serait donc comprise autant comme faisant partie intégrante de son programme de critique littéraire, que comme imbriquée dans sa volonté de créer des formes littéraires nouvelles.

Dans l’élaboration de notre plan, nous avons concilié deux moyens pour vérifier notre hypothèse : montrer comment la littérature est critiquée et quelle est cette littérature. Les éléments de preuve recherchés se sont manifestés sous deux catégories : les preuves explicites et implicites. Les preuves explicites sont les déclarations programmatiques dans lesquelles la littérature est directement critiquée, on les trouve dans le prologue

31. Le petit article de J. Marouzeau présente bien en quoi Perse est un maître du décalage ironique ou de l’expression indirecte, comme il la nomme ; cf. J. Marouzeau, « Un procédé favori des poètes latins : l’expression indirecte », Revue des études anciennes 42 (1940), p. 473–475 ; L’excellent article de M. Squillante Saccone montre comment Perse use de l’ironie pour produire un effet comique dans ses métaphores incongrues ; cf. Squillante Saccone, « Techniques of Irony and Comedy in Persius ».

32. L’article de Y. Maes coïncide avec notre découverte. Cependant, là où il élabore une théorie du grotesque applicable à la littérature néronienne sans vraiment donner d’exemples concrets, nous utilisons pour notre part ce terme pour décrire des exemples concrets chez Perse. Bien que des éléments se ressemblent, sa définition ne rejoint pas tout à fait la nôtre et surtout il n’intègre pas Perse dans son analyse ; cf. Y. Maes, « Neronian Literature and the Grotesque », Studies in Latin Literature and

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d’ouverture, tout au long de la première satire et au début de la cinquième. Les preuves implicites sont des mots ou des passages que nous interprétons comme les témoins d’une critique littéraire, ce qui demande dans chaque cas une démonstration qui rende crédible leur prise en compte dans notre bilan final.

Nous avons choisi de traiter des preuves implicites lors des premier et deuxième cha-pitres : la variation des moyens qui y sont employés permet de créer des portraits riches et de soulever des caractéristiques constituant l’essence de l’œuvre. Ces approches ex-périmentales permettent de multiplier les réflexions, mais empêchent de traiter chaque fois de l’ensemble des vers persiens, c’est pourquoi nous travaillons soit à partir de sélections d’extraits quand nous traitons d’un thème et d’échantillons plus aléatoires de texte quand nous traitons d’une technique dont nous voulons vérifier la présence et le fonctionnement. Cette façon de procéder nous a permis de déceler dans le texte les principes fondamentaux à notre démonstration, mais qui demandaient encore à être vérifiés et mis en application dans une perspective plus large. Le troisième chapitre se fonde sur les preuves explicites pour traiter de questions d’ensemble, autrement inso-lubles sans les principes établis lors des deux premiers chapitres. Il permet de finaliser et d’unifier l’argumentation par une approche plus globale.

Le premier chapitre est dès lors consacré à la question de l’imitation, nous réfléchissons au lien que Perse entretient avec la littérature au moyen de nombreux réemplois. Le deuxième chapitre se concentre sur le choix de différents types de vocabulaires et à des thématiques particulières. Le troisième chapitre montre quel est le programme de cri-tique littéraire persien et comment ses Satires représentent l’antithèse de la littérature qu’il condamne. Alors que les trois chapitres semi-autonomes accumulent des indices et émettent des constats, c’est en conclusion que nous formulons définitivement une réponse à notre hypothèse de départ.

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Aules Persius Flaccus

Satires

Texte traduit Par

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Préface à la traduction

Aucune des quatre traductions françaises modernes des Satires de Perse n’arrive à ce jour à rendre à la fois le fond et la forme du texte de façon satisfaisante. En effet, le traducteur de la première (A. Cartault, 1920) censure ouvertement des passages qu’il trouve grossiers ; le sens du texte se perd alors dans la pudeur de sa traduction. La seconde traduction (H. Clouard, 1934) est sur le modèle du mot à mot, ce qui rend les vers persiens souvent incompréhensibles. L.Herrmann (1962) pour sa part modifie l’arrangement et l’ordre du texte original selon un agencement qu’il trouve plus logique, mais qui ne paraît pas toujours convaincant. La tentative de B. Pautrat (1995) de rendre le texte en alexandrins, forme censée remplacer au mieux les hexamètres dacty-liques de Perse, noie davantage le sens de ses Satires au profit d’un exercice d’écriture en langue française ; le texte est, dès lors, accompagné de très nombreux commentaires visant à le rendre compréhensible. La meilleure traduction en français, selon nous, est celle de l’Abbé Le Monnier (1817), mais le français utilisé à l’époque est aujourd’hui vieilli33.

Notre traduction se différencie de ces dernières d’abord parce qu’elle distingue visuelle-ment les différents niveaux du texte : en effet tous les jeux de dialogues et de saynètes insérés dans les discours n’étaient pas séparés dans les anciennes traductions ; les tra-ducteurs inséraient l’ensemble dans des paragraphes monolithiques qui rendaient la lecture presque impossible. Le deuxième avantage de notre traduction est d’avoir

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mo-dernisé certaines références : des noms propres ou des références mythographiques qui ne pouvaient être compris sans l’aide de notes de bas de page empêchaient une lecture suivie ; si nous avons également inséré un certain nombre de notes concernant nos choix de traduction ou expliquant des notions de civilisation qui pourraient faire défaut à un lectorat non initié, celles-ci sont placées à la fin de la traduction et ne sont pas nécessaires pour comprendre le texte.

On remarquera que les extraits du texte insérés dans le cadre de notre mémoire sont parfois différents de la traduction présentée ici ; la raison en est simple, nous visons à offrir un texte littéraire et non une traduction de travail. Cette approche nous permet de prendre certaines libertés, quelques écarts en regard du texte latin qui visent à re-fléter l’essence originale des Satires. Il va sans dire qu’une infinité de résultats auraient été possibles, c’est pourquoi notre traduction est inévitablement teintée de notre ap-préciation subjective de l’œuvre, sacrifiant l’exactitude pour communiquer au lecteur les éléments qui nous ont frappé et nous ont fait sourire.

Ceux et celles qui décident de s’aventurer dans la traduction de l’un des textes latins, disons-le, des plus difficiles de l’antiquité, verront que la seule façon de procéder est de prendre un vers persien à la fois, le traitant comme un défi, comme une curiosité énigmatique face à laquelle une prise de recul est chaque fois nécessaire. Notre façon de procéder a été d’abord de chercher à comprendre ce que chaque mot, puis chaque vers signifiait dans son contexte, grâce au commentaire de H. A. Harvey, dont la majorité des interprétations nous ont été d’une grande utilité, puis ensuite à celui de W. Kissel, dont l’exhaustivité et la densité nous a maintes fois rendu la tâche difficile, tout en permettant d’élucider de nombreuses énigmes. Simultanément, nous avons procédé de la même façon pour départager la structure narrative toujours complexe, pour comprendre qui sont les interlocuteurs et où se délimitent les dialogues, les monologues, les saynètes et plus rarement les aphorismes. De plus, nous avons rendu un certain nombre de grécismes par l’anglais, pour les cas programmatiques qui touchaient particulièrement l’hellénisation de la culture romaine ; le parallèle semble à propos mais le procédé n’est pas utilisé à outrance pour ne pas alourdir le texte. Nous avons usé du même degré

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de parcimonie pour ce qui est des créations néologiques, que nous avons rendu parfois par des translittérations, parfois par des créations lexicales différentes du mot latin employé.

Notre traduction tente de transmettre au lecteur tout ce travail de compréhension que nous avons effectué, afin de rendre l’expérience la plus fluide possible et les détails incon-grus comme autant de trouvailles fascinantes, plutôt que de laisser le lecteur perplexe devant un texte autrement incompréhensible.

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Choliambi

Nec fonte labra prolui caballino1,

nec in bicipiti somniasse Parnaso, memini, ut repente sic poeta prodirem ; Heliconiadasque pallidamque Pirenen

illis remitto, quorum imagines lambunt 5

hederae sequaces : ipse semipaganus ad sacra uatum carmen affero nostrum. Quis expediuit psittaco suum ‘chaere’ picamque docuit nostra uerba conari ?

magister artis ingenique largitor 10

uenter, negatas artifex sequi uoces. quod si dolosi spes refulserit nummi, coruos poetas et poetridas picas cantare credas Pegaseium nectar.

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Choliambes

Non, à mon souvenir, je n’ai pas rincé mes lèvres à la fontaine de Pégase le canasson et je n’ai pas ronflé sur le Mont Parnasse au double sommet, pour soudainement pouvoir m’avancer comme poète. J’envoie promener les Muses de l’Hélicon et la blême Pirène chez ceux dont des lierres souples caressent les portraits, avides. Moi-même à demi paysan, je contribue au culte des Inspirés de mon propre chant.

Qui a fait connaître au perroquet son « Hello there ! » et a instruit la pie à s’essayer à nos mots ? Docteur ès lettres et dispensateur d’esprit : leur ventre vorace est un artisan qui s’adonne à la voix qu’on lui refuse. Et si ne serait-ce que l’espoir d’un sou frauduleux venait à luire, là tu croirais entendre ces corbeaux-poètes et ces pies-poétereaux chanter la crème des Muses.

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Satira prima

O curas hominum, o quantum est in rebus inane !

‘quis leget haec ?’ min tu istud ais ? nemo hercule. ‘nemo ?’ uel duo uel nemo. ‘turpe et miserabile !’ quare ?

ne mihi Polydamas et Troiades Labeonem

praetulerint ? nugae ! non, si quid turbida Roma 5

eleuet, accedas examenque improbum in illa castiges trutina, nec te quaesiueris extra.

nam Romae quis non – a, si fas dicere ! – sed fas : tunc cum ad canitiem et nostrum istud uiuere triste

aspexi ac nucibus facimus quaecumque relictis, 10

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Satire 1

Perse

— Ah les angoisses des hommes. . . Ah comme leurs affaires quotidiennes sont futiles !

Un Rival

— Qui va lire ceci ? Perse

— C’est à moi qu’tu parles ? Personne bon Dieu ! Un Rival

— Personne ? Perse

— Deux au mieux, sinon personne. Un Rival

— Misérable. . . pitoyable ! Perse

— Pourquoi tu dis ça ? Parce qu’un critique coincé et les fins de race préféreront lire un Homère en latin2 plutôt qu’moi ? Foutaises ! Non,

si Rome, sens d’ssus d’ssous, humilie une œuvre, tu n’abonderas pas dans son sens, tu ne corrigeras pas l’aiguille truquée de sa balance, ne cherche qu’en ton for intérieur.

Car qui à Rome n’aurait pas. . . Ah si on peut oser dire !

Oui on peut le dire : Alors, quand tristement j’aperçus notre vie partir en grisonnant et tout ce que nous faisons au sortir des jeux de billes, quand nous goûtons l’oncle acariâtre, alors, alors. . .

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quid faciam ? –, sed sum petulanti splene) – cachinno. Scribimus inclusi, numeros ille, hic pede liber,

grande aliquid, quod pulmo animae praelargus anhelet.

scilicet haec populo pexusque togaque recenti 15

et natalicia tandem cum sardonyche albus sede leges celsa, liquido cum plasmate guttur mobile collueris, patranti fractus ocello. hic neque more probo uideas nec uoce serena

ingentes trepidare Titos, cum carmina lumbum 20

intrant et tremulo scalpuntur ubi intima uersu. tun, uetule, auriculis alienis colligis escas, articulis, quibus et dicas cute perditus ‘ohe’ ?

‘quo didicisse, nisi hoc fermentum et quae semel intus

innata est rupto iecore exierit caprificus ?’ 25

en pallor seniumque ! o mores ! usque adeone scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter ?

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Je ne veux pas. Que puis-je faire ?

Hey ! j’ai la ratte effrontée, je pouffe de rire !

* **

Nous écrivons reclus, l’un en uers, l’autre en prose quelque propos sublime, qui, le souffle ample, halète un seul poumon. Et bien sûr, tout cela, à la foule, bien peignée, le complet neuf et puis au cou la médaille de ta naissance, en blanc, tu en feras lecture du haut de la scène. L’œillade au climax, épuisé, tu auras rincé ta gorge souple avec un vibrato maniéré. Regarde alors Pierre, Jean, Jacques, bien robustes, frémissant sans pudeur aucune, gémissant sans retenue, alors que la poésie pénètre leurs reins et qu’ils sont titillés quand un de tes vers trémulant leur gratte l’intime palpitant.

* **

Perse

— Hey vieux chnoque !

C’est toi, les membres goutteux et la peau ruinée, qui ramasses la pi-tance pour les oreilles étrangères, à la lecture desquels tu dirais : « Pitié ! Au Secours ! » ?

Un Rival

— Pourquoi avoir appris, si le ferment et le figuier qui sont nés en nous, à l’intérieur, ne rompent pas notre foie pour sortir au jour ?

Perse

— Voilà un sage à la peau blême et un grave vieillard ! Quelle mentalité, au point que ton savoir est nul si personne ne sait que tu sais ?

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‘at pulchrum est digito monstrari et dicier “hic est” ; ten cirratorum centum dictata fuisse

pro nihilo pendes ?’ ecce inter pocula quaerunt 30

Romulidae saturi, quid dia poemata narrent :

hic aliquis, cui circum umeros hyacinthina laena est, rancidulum quiddam balba de nare locutus

Phyllidas, Hypsipylas, uatum et plorabile siquid,

eliquat ac tenero supplantat uerba palato. 35

assensere uiri : nunc non cinis ille poetae felix ? non leuior cippus nunc imprimit ossa ? laudant conuiuae : nunc non e manibus illis, nunc non e tumulo fortunataque fauilla

nascentur uiolae ? ‘rides,’ ait, ‘et nimis uncis 40

naribus indulges. an erit qui uelle recuset os populi meruisse et cedro digna locutus

linquere nec scombros metuentia carmina nec tus ?’ Quisquis es, o modo quem ex aduerso dicere feci,

non ego, cum scribo, si forte quid aptius exit, 45

(quando hoc ? rara auis est), si quid tamen aptius exit, laudari metuam, neque enim mihi cornea fibra est. sed recti finemque extremumque esse recuso

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Un Rival

— Mais, il est beau d’être pointé du doigt et que l’on dise : « c’est lui ! ». Que tu sois matière à dictées pour autant de gamins bouclés, tu tiens ça pour rien ?

* **

Voici que, entre deux coupes de vin et le ventre bien plein, les gens de souche demandent ce que racontent les divins poèmes. Celui-là, les épaules couvertes d’un foulard lavande, nasille en bégayant quelque propos putride et déverse les « Blanche Neige » et les « Cendrillon » et autre braillaird’rie de poète inspiré, puis de son palais débile avorte les mots. Les héros applaudissent ! Alors, la cendre illustre du poète n’est pas heureuse ? Alors, la tombe plus lé-gère sur l’os ? Les convives encensent ! Alors, de ses mânes, alors du tombeau et de l’urne fortunées des violettes ne naîtront pas ?

* **

Un Rival

— « Tu railles, dit-il, et tu concèdes une moue ostensible. En sera-t-il un, pour refuser d’aspirer à l’honneur d’être sur les lèvres du peuple, et, après avoir dit des propos à graver dans le marbre, de léguer des poèmes qui ne craignent pas de finir en emballage chez le poissonnier ou l’épicier3? »

Perse

— Qui que tu sois, ô toi que je viens de faire parler comme un Rival : non moi, si j’écris et que, par hasard, il sort un truc bien ficelé – Quand ça ? les poules auront des dents. . . –, mais s’il sort quelque chose de bien ficelé, je ne craindrai pas d’être encensé : je n’ai pas de la corne sur le cœur ! Mais je refuse de considérer ton « Fort bien ! » et ton « Superbe ! »

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‘euge’ tuum et ‘belle’. nam ‘belle’ hoc excute totum :

quid non intus habet ? non hic est Ilias Atti 50

ebria ueratro ? non siqua elegidia crudi

dictarunt proceres ? non quidquid denique lectis scribitur in citreis ? calidum scis ponere sumen, scis comitem horridulum trita donare lacerna,

et ‘uerum’, inquis, ‘amo, uerum mihi dicite de me.’ 55

qui pote ? uis dicam ? nugaris, cum tibi, calue, pinguis aqualiculus propenso sesquipede extet. o Iane, a tergo quem nulla ciconia pinsit, nec manus auriculas imitari mobilis albas,

nec linguae, quantum sitiat canis Apula, tentae ! 60

uos, o patricius sanguis, quos uiuere fas est occipiti caeco, posticae occurrite sannae.

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comme frontières du convenable.

En effet, secoue ton « Fort bien ! » rigoureusement : qu’est-ce qu’il ne contient pas ?

Ah, ne serait-ce pas là l’œuvre de GoogleTrad aux vertus purgatives4?

Ah, et là le Gratin qui dicte de petites élégies indigestes ? Finalement, n’est-ce pas tout ce qui s’écrit sur les bureaux en chêne ?

* **

Tu sais servir des tétines de truie fumées, tu sais offrir des guenilles à qui te suit en grelottant. Tu dis : « J’aime le vrai, dites-le-moi sur moi5! ».

* **

Perse

— Qui peut ?

Tu veux que j’te dise ?

Tu dis des niaiseries crâne d’oeuf, ta grasse bedaine ressort en pendant d’un pied et demi.

* **

Ô Double-face6, aucun ne fait de geste moqueur dans ton dos, ne singe des

cornes blanches derrière ta tête, ni ne te tire la langue comme une chienne assoiffée par le soleil d’Apulie ! Mais vous, sang noble7, les dieux vous ont

permis de vivre sans avoir d’yeux derrière la tête, affrontez les moqueries faites derrière vous !

* **

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nunc demum numero fluere, ut per leue seueros

effundat iunctura ungues ? ‘scit tendere uersum 65

non secus ac si oculo rubricam derigat uno. siue opus in mores, in luxum, in prandia regum dicere, res grandes nostro dat Musa poetae.’ ecce modo heroas sensus afferre docemus

nugari solitos Graece, nec ponere lucum 70

artifices nec rus saturum laudare, ubi corbes et focus et porci et fumosa Palilia feno, inde Remus sulcoque terens dentalia, Quinti, quem trepida ante boues dictatorem induit uxor

et tua aratra domum lictor tulit. euge poeta ! 75

est nunc Brisaei quem uenosus liber Acci, sunt quos Pacuuiusque et uerrucosa moretur Antiopa, aerumnis cor luctificabile fulta. hos pueris monitus patres infundere lippos

cum uideas, quaerisne unde haec sartago loquendi 80

uenerit in linguas ? unde istud dedecus, in quo trossulus exultat tibi per subsellia leuis ?

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— Que dit le peuple ? Qu’a-t-il d’autre à dire, mise à part qu’« enfin, maintenant, les poèmes ont une souple cadence, que leurs joins au fini lisse trompent les ongles expérimentés qui les sondent8».

L’Opinion populaire

— Ah oui, on sait bander un vers comme on dessine un trait à main levée. Ou si l’œuvre s’attaque aux mœurs, contre le luxe ou contre les festins des rois, la Muse donne alors à notre poète de grandes choses9!

Perse

— Bon. . . on apprend à formuler des sentiments héroïques à ceux qui ont l’habitude d’écrire des fadaises en alexandrins, des artisans incapables de décrire un bois sacré selon les règles de l’art ou de louer les verts bocages10.

(Parodie d’un poète incompétent )

Là les corbeilles à fruits, et le foyer, et les cochons, et la fête de Palès enfumée par le foin, d’où le cousin du maire surgit. Quin-tus11, alors que tu tires le soc sur un sillon, ton épouse dandinante

te nomme dictateur devant tes bœufs et le commissaire ramène ta charrue chez toi.

— Wow ! Bien joué le poète ! Aujourd’hui encore, il y en a qui traînent dans le livre à varices d’Accius le bachique et d’autres, dans l’Antiope ridée de Pacuvius12.

(Parodie de Pacuvius)

Son cœur luctificable supportoit les tribulations.

— Quand tu vois les pères de famille chassieux gaver les enfants de ces conseils, tu t’demandes comment cette poutine langagière s’est intro-duite dans nos bouches et d’où vient ce déshonneur qui fait trépigner en ton honneur le blanc-bec épilé dans les rangées de banc.

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Nilne pudet capiti non posse pericula cano

pellere, quin tepidum hoc optes audire ‘decenter’ ?

‘fur es,’ ait Pedio. Pedius quid ? crimina rasis 85

librat in antithetis, doctas posuisse figuras

laudatur : ‘bellum hoc.’ hoc bellum ? an, Romule, ceues ? men moueat ? quippe et, cantet si naufragus, assem protulerim ? cantas, cum fracta te in trabe pictum

ex umero portes ? uerum nec nocte paratum, 90

plorabit, qui me uolet incuruasse querella ! ‘Sed numeris decor est et iunctura addita crudis. claudere sic uersum didicit “Berecyntius Attis” et “qui caeruleum dirimebat Nerea delphin”,

sic “costam longo subduximus Appennino”. 95

arma uirum, nonne hoc spumosum et cortice pingui, ut ramale uetus uegrandi subere coctum ?’

quidnam igitur tenerum et laxa ceruice legendum ? ‘torua Mimalloneis implerunt cornua bombis,

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N’as-tu pas honte de ne pouvoir défendre une tête grise au palais de justice, sans espérer entendre ce tiède éloge « C’est correct ! »13? « Tu es un voleur »

dit-on à monsieur Untel. Et que répond monsieur Untel ? Il fait de chaque accusation le sujet d’une antithèse pile-poil, puis on le loue d’avoir placé son style savant : « C’est bôô ! », « Formidable ! ». Tu te remues le derrière Grand Chef ? Moi m’émouvrait-il ? Pour sûr, s’il était naufragé chantant sa peine14,

lui donnerais-je une poignée de change ? Tu chantes et tu as d’accroché à ton cou, une planchette avec la scène de ton navire fracassé peinte dessus15.

Celui qui voudra que je m’apitoie sur son sort devra y aller d’un flot de larmes sincères et non pas d’une plainte qu’il a potassée aux petites heures de la nuit.

* **

Un Rival

— Mais, un charme et une structure ont été ajoutés aux vers indigestes. On a appris les clausules ainsi :

John le New-Yorker16. — Comme ça :

Le dolphin qui fendait le big blue sea. — Et ainsi :

De l’Apennin long une côte nous avons prise17.

— « les armes et les héros » n’est-il pas ronflant, fait d’une écorce durcie par l’épaisseur du liège ?

Perse

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Bassaris et lyncem Maenas flexura corymbis euhion ingeminat, reparabilis assonat echo.’ haec fierent, si testiculi uena ulla paterni uiueret in nobis ? summa delumbe saliua

hoc natat in labris, et in udo est Maenas et Attis, 105

nec pluteum caedit nec demorsos sapit ungues. ‘Sed quid opus teneras mordaci radere uero auriculas ? uide sis, ne maiorum tibi forte limina frigescant : sonat hic de nare canina

littera.’ per me equidem sint omnia protinus alba : 110

nil moror. euge omnes, omnes bene, mirae eritis res. hoc iuuat ? ‘hic’, inquis, ‘ueto quisquam faxit oletum.’ pinge duos angues : ‘pueri, sacer est locus, extra meite.’ discedo ? secuit Lucilius urbem,

te Lupe, te Muci, et genuinum fregit in illis ; 115

omne uafer uitium ridenti Flaccus amico tangit et admissus circum praecordia ludit, callidus excusso populum suspendere naso :

me muttire nefas ? nec clam ? nec cum scrobe ? nusquam ?

hic tamen infodiam : uidi, uidi ipse, libelle : 120

auriculas asini quis non habet ? hoc ego opertum, hoc ridere meum, tam nil, nulla tibi uendo

(43)

Ils emplirent les trompettes farouches de grondements mi-mallonéens et la Bassaride qui emportera la tête volée au veau faraud et la Ménade qui guidera le lynx avec ses lierres répète son « AHUMM » et l’écho répond en redoublant leurs paroles.

— Créerait-on ça, si la moindre veine des couilles ancestrales vivait en nous ? Ce truc flasque flotte à la surface de leurs lèvres salivantes, leur « John » et leur « Ménade » sont spongieux, l’auteur n’a pas martelé son pupitre, ça ne goûte pas les ongles rongés.

Un Rival

— Mais pourquoi écorcher nos oreilles fragiles avec ta vérité corrosive. veille à ne pas te heurter à la porte glacée des grands poètes. Tes poèmes sonnent comme un chien qui grogne : « Rrrrrrrrr ».

Perse

— Bon alors, en ce qui me concerne, tout est blanc, pas de problème ! Bravo tout le monde ! C’est bon la gang ! Que de prodiges serez-vous. C’est réjouissant ?

« Là » tu dis, « je te défends d’écrire des trucs merdiques » Dans ce cas-là peins deux serpents18 [et écris dessous] : « ceci est un lieu sacré,

allez uriner ailleurs les enfants. » Je me retire ?

Lucilius déchira la cité et te mordit à belles dents Lupus, et toi aussi Mucius.

Horace, subtil, piqua son ami, qui en riait, pour tous ses vices, admis près de son cœur, il y folâtrait, habile à tenir le peuple en suspens en fronçant le nez19.

Et pour moi, il serait criminel de moufter ? Même pas en cachette ? Même pas dans un trou ? Nulle part ?

Tant pis, je les enfouirai ici, mes mots : mon petit livre chéri, je les ai vues, je les ai vues moi-même ; mais qui n’a pas des oreilles d’âne ?

(44)

Iliade. audaci quicumque adflate Cratino iratum Eupolidem praegrandi cum sene palles,

aspice et haec, si forte aliquid decoctius audis. 125

inde uaporata lector mihi ferueat aure,

non hic qui in crepidas Graiorum ludere gestit sordidus et lusco qui possit dicere ‘lusce’

sese aliquem credens, Italo quod honore supinus

fregerit heminas Arreti aedilis iniquas, 130

nec qui abaco numeros et secto in puluere metas scit risisse uafer, multum gaudere paratus, si cynico barbam petulans nonaria uellat. his mane edictum, post prandia Calliroen do.

(45)

troquerais contre aucune Iliade.

Qui que tu sois, ô lecteur, insufflé par l’effronterie de Cratinos, tu blê-mis devant le courroux d’Eupolis et du très grand Aristophane20, lis

aussi mon livre, si, par hasard, tu le trouves mieux mijoté.

Mon lecteur, grâce à ses oreilles décrassées à la vapeur, doit s’échauffer de la lecture des Comiques, je ne veux pas, au contraire, d’un insigni-fiant qui prend un malin plaisir à se moquer des sandales que portent les Grecs, qui va à la rencontre d’un borgne pour lui dire : « tu es borgne ! », qui se prend pour un autre, présomptueux parce qu’il eut un titre d’administrateur d’un bled en Italie, en province, et se mit à briser des pots qui n’étaient pas d’une dimension conforme, qui encore se complaît à se moquer des chiffres dessinés au tableau et des figures géométriques tracées dans le sable, bon pour se tordre de rire quand une noctambule effrontée tire la barbiche d’un intello blasé. Je suggère à de telles gens d’assister au discours du maire le matin et d’aller voir les filles après le dîner21.

(46)

Satira secunda

H, Macrine, diem numera meliore lapillo, qui tibi labentis apponit candidus annos, funde merum genio, non tu prece poscis emaci quae nisi seductis nequeas committere diuis.

at bona pars procerum tacita libabit acerra : 5

haut cuiuis promptum est murmurque humilesque susurros tollere de templis et aperto uiuere uoto.

‘ mens bona, fama, fides’ haec clare et ut audiat hospes ; illa sibi introrsum et sub lingua murmurat : ‘o si

ebulliat patruus, praeclarum funus !’ et ‘o si 10

sub rastro crepet argenti mihi seria dextro

Hercule ! pupillumue utinam, quem proximus heres impello, expungam, namque est scabiosus et acri bile tumet ; Nerio iam tertia conditur uxor.’

haec sancte ut poscas, Tiberino in gurgite mergis 15

mane caput bis terque et noctem flumine purgat. heus age, responde (minimum est quod scire laboro) : de Ioue quid sentis ? est, ut praeponere cures

hunc – ‘cuinam ?’ cuinam ? uis Staio an (scilicet haeres) ?

(47)

Satire 2

– les prières coupables au temple –

Macrinus, marque du signe le plus favorable ton jour d’anniversaire22, qui

souligne pour toi dans sa clarté le fil des années et trinque pour ton Génie23.

Non, tu ne réclames pas par des prières acheteuses, ce qu’on ne peut pas confier autrement qu’en prenant les dieux à l’écart24. Presque toute l’Élite

offre une cassette d’encens silencieuse. Il n’est pas donné à n’importe qui de sortir de ses susurrements et de ses murmures retenus du temple pour vivre au grand jour ses promesses :

« Un esprit sain, une bonne réputation et la droiture ! » On prononce de telles prières nettement afin que le voisin puisse les entendre.

Voici ce qu’on marmonne sous sa langue, en son for intérieur : « Ah. . . si l’oncle pétait au frette. . . funérailles magnifiques. . . ! » et « Ah. . . si par ta faveur. . . Hercule. . . un vase rempli d’argent pouvait retentir sous mon râteau propice ! » ou « Puissé-je rayer cet orphelin derrière qui j’hérite . . . d’autant plus qu’il fait de l’eczéma. . . et est en proie à des maux d’estomac. . . Shylock n’a-t-il pas enterré sa troisième femme ? »

Pour réclamer ces choses saintement, le matin, il plonge sa tête dans le gouffre du Tibre deux, trois fois pour purger sa nuit dans le fleuve ?

Perse

— Hey toi, réponds - un petit détail me chicotte : Jupiter, t’en dis quoi ? Est-ce que tu penserais le mettre avant. . .

un Avare — Qui donc ? Perse

(48)

hoc igitur, quo tu Iouis aurem impellere temptas, dic agedum Staio : ‘pro Iuppiter ! o bone,’ clamet, ‘ Iuppiter !’ at sese non clamet Iuppiter ipse ? ignouisse putas, quia, cum tonat, ocius ilex

sulpure discutitur sacro quam tuque domusque ? 25

an quia non fibris ouium Ergennaque iubente triste iaces lucis euitandumque bidental, idcirco stolidam praebet tibi uellere barbam

Iuppiter ? aut quidnam est qua tu mercede deorum

emeris auriculas ? pulmone et lactibus unctis ? 30

Ecce auia aut metuens diuum matertera cunis exemit puerum, frontemque atque uda labella infami digito et lustralibus ante saliuis

expiat, urentes oculos inhibere perita ;

tunc manibus quatit et spem macram supplice uoto 35

nunc Licini in campos, nunc Crassi mittit in aedes : ‘hunc optent generum rex et regina ; puellae

hunc rapiant ; quidquid calcauerit hic, rosa fiat.’ ast ego nutrici non mando uota ; negato,

(49)

— Qui donc ? ? Jack l’Éventreur25 disons... - évidemment tu hésites ! Quel

meilleur juge ou quel meilleur protecteur des petits orphelins ? !

Voyons, les prières par lesquelles tu cherchais à ébranler l’oreille de Jupi-ter, eh bien dis-les donc à Jack : « Par JupiJupi-ter, invoquera-t-il d’horreur, ô Jupiter de bonté ! », et Jupiter ne s’invoquera-t-il pas lui-même ? Tu crois qu’il t’a offert son pardon, parce que lorsqu’il fulmine, un chêne est fracassé par sa foudre sacrée plutôt que toi ou ta demeure ? Ou parce que tu ne gîs pas tristement dans les bois tel un autel tabou26, sur ordre

du Grand Prêtre et des entrailles de brebis ? Du coup, il t’inviterait à tirer sa barbe imbécile, Jupiter ? Et bien quel est donc. . . quel est le prix qui te permet d’acheter l’oreille de Jupiter ? Un poumon et des boyaux ?

* **

–les prières de nourrices –

Tiens, tiens, une grand-mère ou une grenouille de bénitier27, qui a enlevé un

nourrisson de son berceau, puis bénit son front et ses lèvres humides avec son majeur humecté de bave expiatoire : elle est habile à conjurer le feu du mauvais œil. Alors, elle l’agite dans ses bras et, dans un vœu suppliant, projette son maigre espoir [se nourrir] tantôt dans les domaines de Licinius, tantôt dans les palais de Crassus28 : « Que le roi et la reine le souhaitent

pour gendre, que les filles se l’arrachent et que des roses naissent sous ses pas ! »

Pour ma part, je ne délègue pas une nourrice pour faire mes prières. Ju-piter ! rejette ses demandes, même si elle met sa robe immaculée pour te les adresser29.

(50)

Poscis opem neruis corpusque fidele senectae, esto, age. sed grandes patinae tuccetaque crassa annuere his superos uetuere Iouemque morantur. rem struere exoptas caeso boue Mercuriumque

accersis fibra : ‘da fortunare penatis, 45

da pecus et gregibus fetum !’ quo pessime, pacto, tot tibi cum in flammas iunicum omenta liquescant ? ac tamen hic extis et opimo uincere ferto

intendit : ‘iam crescit ager, iam crescit ouile,

iam dabitur, iam iam –’,donec deceptus et exspes 50

nequiquam fundo suspiret nummus in imo. Si tibi crateras argenti incusaque pingui auro dona feram, sudes et pectore laeuo excutiat guttas laetari praetrepidum cor.

hinc illud subiit, auro sacras quod ouato 55

perducis facies ; ‘nam fratres inter aenos somnia pituita qui purgatissima mittunt praecipui sunto sitque illis aurea barba.’ aurum uasa Numae Saturniaque impulit aera

uestalesque urnas et Tuscum fictile mutat. 60

o curuae in terris animae et caelestium inanes, quid iuuat hoc, templis nostros immittere mores et bona dis ex hac scelerata ducere pulpa ? haec sibi corrupto casiam dissoluit oliuo,

et Calabrum coxit uitiato murice uellus ; 65

haec bacam conchae rasisse et stringere uenas feruentis massae crudo de puluere iussit.

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