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La Perse évoque pour nous maints souvenirs, souvent scolaires.

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DE L A PERSE A L'IRAN

L

a Perse é v o q u e pour nous maints souvenirs, souvent scolaires.

Rappelez-vous Elise dans l'Esther de Racine, que nous avons é t u d i é en t r o i s i è m e ou en seconde, Elise d é c l a m a n t :

Le fier Assuérus couronne sa captive

Et le Persan superbe est aux pieds d'une Juive

A s s u é r u s est le n o m biblique de X e r x è s Ie r, u n r o i perse de la dynastie a c h é m é n i d e . O u i , le fier Assuérus est X e r x è s . I l faut le savoir ; ainsi on évite l'embarras de ce lecteur d'une histoire de N a p o l é o n q u i ne comprit q u ' à la m o i t i é du livre que le duc d'Otrante et F o u c h é é t a i e n t le m ê m e personnage... Quant à Esther, son nom h é b r e u est Edissa (myrte) qu'elle changea pour le nom persan d'Esther en devenant reine.

Les P r é c i e u s e s de l'Hôtel de Rambouillet s ' i n t é r e s s e n t à la Perse. B i e n indirectement : Mlle de S c u d é r y publie — en dix volumes, s'il vous plaît — Artamène ou le Grand Cyre. I l s'agit i c i de Cyrus I", fondateur de l'empire perse. Là encore, i l faut savoir.

A la v é r i t é l'auteur avait affublé de noms persans, ou pseudo- persans, les personnages de son temps qu'elle met en scène. A i n s i Philomide est mon aïeule Julie d'Angennes (la Julie de la Guir- lande), Théodamas est Conrart, l'homme au silence prudent, et Sapho est M l l e de S c u d é r y elle-même, encore que Sapho soit incon- testablement moins persan que grec.

Louis X I V envoie des ambassadeurs en Perse et r e ç o i t l u i - m ê m e , en février 1715, l'envoyé de ce pays, M é h é m e t R i z a Beg, dans la Galerie des Glaces à Versailles. Antoine Coypel a fixé l a scène — son tableau à l'huile est au Palais de Versailles — et Saint- S i m o n parle de l'audience. I l nous dit que Louis X I V portait u n habit b r o d é de diamants valant douze millions de livres (douze m i l -

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liards d'anciens francs), « si pesant qu'il en changea aussitôt après dîner ». E n outre, le roi é t a i t « extrêmement faible et cassé ». Effec- tivement, i l mourut six mois plus tard, le 1e r septembre de cette année-là.

Sous la régence, le b a r o n de Montesquieu publie ses Lettres Persanes, en 1721. Il met en scène un Persan arrivant à Paris.

« Comment peut-on être Persan ? » se demande un bon bourgeois de chez nous. E n fait, ce Persan est là pour d é c r i r e ironiquement les m œ u r s françaises sous le masque de l a candeur. I l e û t p u aussi bien ê t r e un huron.

Plus p r è s de nous, Marceline Desbordes-Valmore intitule l'un de ses p o è m e s Les Roses de Saadi.

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses,

Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes-

Pourquoi les roses de Saadi ? Parce que Saadi, l'un des plus grands p o è t e s persans, a c h a n t é les roses. U n mot sur l u i .

Il a existé, et m ê m e si bien q u ' i l a vécu, affirme-t-on, cent sept a n n é e s , de 1184 à 1291. ( E n France, l'époque d'Aliénor d'Aquitaine, de Philippe-Auguste et de Saint-Louis). Nous avons des ouvrages de Saadi, dont le plus c é l è b r e , le Gôlestân, ou J a r d i n des Roses, fut traduit en français et p u b l i é d è s 1634, sous Louis X I I I . Saadi est mort à Shiraz, où i l est e n t e r r é . On l u i a, en 1952, construit un m a u s o l é e moderne que les guides bleus ou rouges jugent

« quelque peu ostentatoire ». L'ayant vu, j ' e n tombe d'accord. E n passant, un autre p o è t e persan, moins connu de l'Occident, Hafez, ou Hafiz, est é g a l e m e n t mort à Shiraz, en 1389, et l'on visite son m a u s o l é e é g a l e m e n t moderne, le Haféziyé.

E n fait, c'est p l u t ô t à Shiraz que se trouvent les fameuses roses d'Ispahan. Je rappelle que la Perse se flatte d'avoir i n v e n t é rose, jacinthe, tulipe et lilas (il est vrai que lilas vient d u persan lilac, mais tulipe vient d u turc tolupend, q u i signifie turban).

Madame de Noailles a c h a n t é dans ses vers l'antique Ispahan, dont l u i plaisaient la s o n o r i t é et le bel hyatus à l a P a s i p h a é , Ispa- han. Localement, Ispahan se prononce Esfâhane. Les quatre diph- tongues nasales un, an, on, in, sont une s i n g u l a r i t é et une b e a u t é , quand on sait en jouer, de la langue française (pour en m a î t r i s e r la difficulté, je conseillai à une é t r a n g è r e de r é p é t e r « Un grand bon vin », « un grand bon vin »), mais elles n'existent pas en iranien : on doit donc dire hâne, et non han. E n outre, l a consonne p française devient / : Esfâhane (comme les Perses sont les Fàrsi).

Cependant, nous dirons, à l a française, Ispahan.

Vers Ispahan, ainsi Pierre L o t i intitule son récit de voyage en

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1904. Alors Delcassé, aux Affaires é t r a n g è r e s , demande au minis- tre de la Marine de d é t a c h e r le capitaine de frégate Julien V i a u d , dit Pierre L o t i , de l'Académie française, pour un voyage en Perse et Afghanistan, « sans objet politique », précise-t-il. Loti d é b a r q u e au fond d u golfe Persique, à Bashir, dans « une chaleur d'étuve » (et certes, je n'y conseillerai le s é j o u r q u ' à ceux q u i supportent avec le sourire une t e m p é r a t u r e de quarante-cinq d e g r é s à l'om- bre, et humide), puis chevauche un mulet pour gagner Shiraz, Ispahan, T é h é r a n , et s'embarquer finalement sur la Caspienne pour B a k o u .

L o t i se lit encore. (Son premier livre, Azyadé, fut é c r i t i l y a p r è s de cent ans, en 1879). Il figure dans la galerie des écrivains- voyageurs qu'a t e n t é s ce pays fabuleux, la Perse. Voyons-les rapi- dement.

Le premier est un grec, H é r o d o t e , v* siècle avant l'ère chré- tienne. Nous serions injustes de dire, par un facile jeu de mots :

« Parfois Hérodote radote », car cet historien v é r i t a b l e ne déraille que lorsqu'il fait siens des contes l é g e n d a i r e s ou saugrenus ; mais quand i l voit par ses yeux — et i l voyage beaucoup — ses récits sont v é r i d i q u e s , comme l'ont p r o u v é les recoupements de la science moderne. Par l u i , nous connaissons bien les premiers rois aché- m é n i d e s .

Beaucoup plus p r è s de nous, voici : un capucin, le p è r e Paci- fique (c'est son nom) qui porte à Shah Abbas l 'r, dit le G r a n d , une lettre de Louis X I I I , en 1631. Alors r è g n e en Perse la dynastie des Séfévides, ou Séfivides, issue du cheik Séfi, d ' o ù le nom de Sophi d o n n é par les F r a n ç a i s du x v ne au souverain du pays :

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ; Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi...

nous dit L a Fontaine dans La Laitière et le Pot au Lait.

V o i c i Jean-Baptiste Tavernier, baron d'Aubonne, q u i publie ses Voyages en 1676, i l l u s t r é s , un bon document ; le chevalier C h a r d i n ; ses Voyages en Perse et autres lieux sont de 1711 ; u n envoyé de Louis X I V , en 1708, n o m m é M i c h e l , dont nous avons les rapports ; un j é s u i t e , le p è r e F r a n ç o i s ; le chevalier Padery, consul de France à Shiraz ; le g é n é r a l Gardane, ambassadeur de Napo-

léon ; le comte de Sarcey, ambassadeur de Louis-Philippe ; le comte de Gobineau, c h a r g é d'affaires de N a p o l é o n III ; Gobineau est important, et on consulte avec profit ses rapports et ses r é c i t s .

Enfin, n'oublions par Marcel Dieulafoy, un explorateur français, toulousain d'origine, q u i a é t é v é r i t a b l e m e n t u n d é c o u v r e u r de la Perse d è s 1881, et dont les r é c i t s et les envois a r c h é o l o g i q u e s à nos

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m u s é e s sont p r é c i e u x . Son é p o u s e , née Jeanne Magre, l'accompa- gnait dans ses voyages, et à cette occasion adoptait le costume masculin. E l l e le trouva si pratique que, r e n t r é e à Paris, elle demanda au p r é f e t de police l'autorisation é c r i t e de porter le pan- talon ; avant 1914, c'était nécessaire...

Un jour, ainsi v ê t u e , M m e Dieulafoy se p r é s e n t a chez ma grand- m è r e maternelle, la duchesse d'Uzès. Le m a î t r e d ' h ô t e l demanda

« Qui dois-je annoncer, Monsieur ? » — « Madame Dieulafoy ».

E m b a r r a s s é , le m a î t r e d'hôtel ouvrit la porte d u grand salon et lança « Monsieur et Madame Dieulafoy » !...

Ainsi l ' i n t é r ê t est ancien qu'ont p o r t é à la Perse, pays quasi fabuleux, les voyageurs, les diplomates, les religieux, les é c r i v a i n s et les explorateurs de notre pays.

Le prestige persan vient de sa l i t t é r a t u r e , et j ' a i dit un mot de ses deux principaux p o è t e s , mais vient d'autres sources.

Nous avons les faïences, les faïences persanes ! Leur secret réside en un enduit de silicate alcalin entre la terre cuite et l'émail, qui leur confère une coloration chaude et pure. Les tapis : aucun ne date d'avant le x v r siècle, car tout ce qui p r é c è d e a é t é perdu ou d é t r u i t ; mais depuis, le tapis persan n'a cessé d'asseoir sa r é p u - tation. Il est fait de laine de mouton teinte de produits naturels : garance, brou de noix, paille d'euphorbe, peaux de grenade, coche- nille, lait t o u r n é ; ou encore chimiques : soude, acide citrique, alun.

Nous avons les tissus de soie b r o d é s d'or, les m o s a ï q u e s de verre, les incrustations d'or et d'argent dans l'acier ou le bronze, un art né en Perse, à Mossoul, aujourd'hui en Irak, Mossoul, qui a d o n n é son nom à la mousseline. E t puis les miniatures, les enluminures.

E t puis les turquoises.

Les scientifiques ont le talent de d é t r u i r e toute poésie : ils nous enseignent que la turquoise est un phosphate h y d r a t é naturel d'alumine, de formule H1 0 Al* P2 O1 6 ; c'est d é p r i m a n t . Cette pierre p r é c i e u s e est d'un bleu céleste tirant parfois sur le vert ; les plus belles sont les « turquoises de vieille roche », qu'on trouve et qu'on exploite toujours à Neychabour, une ville persane de trente mille habitants, proche de la f r o n t i è r e afghane.

E t n'oublions pas, dans le pays du shah, roi des Perses, le chat, roi des aristochats, le persan bleu, une v a r i é t é magnifique de l'an- gora.

D u caviar, je parlerai plus loin.

Mais c'est en outre par son p a s s é prestigieux et son u n i t é depuis vingt-cinq siècles, que la Perse nous attire ; ils nous faut donc aborder à larges traits, son histoire.

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A

son apogée, sous Darius Ie r, de la dynastie des A c h é m é n i d e s , vers 500 avant J . - C , l'empire perse occupe une é t e n d u e consi- d é r a b l e .

L a Perse antique couvre : Iran actuel, Irak, Arabie-Nord, Egypte-Nord, Libye, I s r a ë l , Jordanie, Syrie, L i b a n , Turquie tout e n t i è r e , partie de la Grèce, de la Bulgarie et de la Roumanie, u n morceau de l'Ukraine, la r é p u b l i q u e soviétique de l'Arménie, le Turkestan, un morceau de Cachemir, l'Afghanistan et le Bélout- chistan j u s q u ' à l'Indus. Surface totale ? Difficile d ' ê t r e exact : nous n'avons pas de p o t e a u x - f r o n t i è r e s ; disons quelque cinq mil- lions de k i l o m è t r e s c a r r é s , p r è s de dix fois l ' é t e n d u e de la France actuelle.

Mais ce qui compte plus que la surface, c'est la structure, l'or- ganisation, ce qui fait un gouvernement. A cet é g a r d , l'empire perse préfigure l'empire romain d'Auguste, cinq siècles plus tard.

Darius, m a î t r e de vingt-trois nations, met en place vingt-trois satrapies. Satrape vient d u grec satrapes, qui vient du persan kshatrapâ, « seigneur du pays ». Les satrapes sont les gouver- neurs des provinces, des s u p e r - p r é f e t s , q u i , parfois, dévient et qu'il faut tenir en main. A cet effet, Darius It r les flanque chacun de deux adjoints n o m m é s par l u i , l'un militaire, l'autre c i v i l . I l y a des routes, des relais de poste, des courriers à cheval ; rap- ports et d é c i s i o n s se transmettent. Tout cela marche, et nous en avons un t é m o i g n a g e par les fresques en relief de P e r s é p o l i s . J'y reviendrai. Mais voyons ces A c h é m é n i d e s .

Cyrus, le Grand Cyre de Mlle de S c u d é r y , bat les Mèdes, se proclame roi des Perses, puis s'attaque au r o i de Lydie en Turquie.

Ce roi est fort riche ; i l s'appelle Cré s us et son nom est devenu l é g e n d a i r e : « riche comme Crésus », dit-on encore. S u r ses terres coule le Pactole, aujourd'hui un modeste cours d'eau turc, le Bagouli, où vainement chercherait-on des p é p i t e s d'or. Cyrus con- firme ses victoires, entre à Babylone, pousse à l'Est j u s q u ' à l'Indus, et meurt à trente ans, en 528 avant J . - C , sans doute dans un com- bat contre les Scythes, à l'Est de la Caspienne, de rudes cavaliers qui s u ç a i e n t le sang de leurs chevaux pour é t a n c h e r leur soif et donnaient les vieillards et les impotents à manger aux b ê t e s , pour ne pas s'encombrer d'un budget de retraites...

A Cyrus s u c c è d e son fils, K a m b o u z i y a , dont nous avons fait Cambyse. I l conquiert l'Egypte, puis dans une crise de folie, se suicide.

Nous arrivons à Darius Ie r. C'est l u i le grand souverain. I l est moderne. J'ai p a r l é de ses routes : i l en ouvre 3 000 k i l o m è t r e s ; i l frappe une monnaie d'or, la darique, inaugure des banques, in-

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vente le c h è q u e , commence l'irrigation des terres, d é v e l o p p e agri- culture et élevage, édifie des palais à Suse et P e r s é p o l i s , arme des troupes bien munies et disciplinées, g r â c e auxquelles i l é t e n d son empire aux limites que j ' a i dites.

Sur mer, i l est moins heureux. A u cours de la p r e m i è r e guerre m é d i q u e , i l envoie sa flotte contre l a G r è c e et d é b a r q u e à Mara- thon (490 av. J.-C.), mais i l est battu par les 10 000 hoplites grecs.

L ' u n de ceux-ci court 40 k i l o m è t r e s pour annoncer la bonne nou- velle à A t h è n e s , et tombe mort en arrivant. Encore un souvenir scolaire, et j'ajouterai, sportif.

Le successeur de Darius porte un n o m presque aussi difficile à prononcer que l ' i m m a t r i c u l a t i o n d'un avion sur son fuselage. Je vais l'épeler : K , H , C, H , A, Y , A , R, C, H , A , Khchayarchâ. Aussi en avons-nous fait Xerxès, pour la c o m m o d i t é .

X e r x è s I"r — je vais à grands pas — reprend la lutte contre les Grecs, franchit les Dardanelles sur un millier de bateaux, engage le combat aux Thermopyles contre les Spartiates c o m m a n d é s par L é o n i d a s . « Rends tes armes ! », lui crie-t-on. « Viens les prendre ! », répond-il. Finalement, les Grecs ont le dessous, battent en retraite, laissant L é o n i d a s et les trois cents soldats de sa garde se faire massacrer jusqu'au dernier. V o i r au Louvre le grand tableau de Louis David, qui r e p r é s e n t e l'épisode.

X e r x è s s'empare d'Athènes et incendie le temple d ' A t h é n a , sur l'Acropole (480 av. J.-C.). Quarante ans plus tard, les Grecs y édifieront un nouveau temple : c'est le P a r t h é n o n actuel, q u i a subi, depuis, maintes tribulations, mais q u i , grâce à... Minerve, nous reste pour le principal.

Sur mer, les Grecs sont les plus forts : Xerxès est battu dans la baie de Salamine. I l regagne la Perse et meurt a s s a s s i n é à Suse, à 54 ans (465 av. J.-C).

Après l u i , voici son fils A r t a x e r x è s Ie r (465-425), un souverain bon et généreux, type rare à l ' é p o q u e : i l libère les Juifs de Baby- lone et leur permet de retourner à J é r u s a l e m . Puis nous avons Darius II (424-406) et A r t a x e r x è s II (405-359).

Je ne ferai à celui-ci qu'un p r o c è s : de s'être, à la m a n i è r e d u roi Pausole, cher à Pierre Louys, affublé de 366 é p o u s e s , une par j o u r de l'année, plus une « haut-le-pied », peut-on dire, sans avan- cer qu'elle fût là pour les a n n é e s bissextiles, car l ' a n n é e bissextile, due à Jules César, est une invention s u b s é q u e n t e .

Enfin, nous avons Darius II, mort en l'an 330 avant J é s u s - C h r i s t , a p r è s un règne de six ans. C'est l u i qui eut, pour son malheur, à faire avec Alexandre le G r a n d . C'est l u i le dernier des Achémé- nides, une dynastie q u i compte neuf rois et r è g n e fastueusement sur la Perse pendant deux siècles.

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Alexandre bat les Perses — i c i se place la retraite des Dix M i l l e , c o m m a n d é s par X é n o p h o n — s'empare de la Syrie, de la Turquie et de l'Egypte, entre à Babylone et arrive à P e r s é p o l i s . Là, au cours d'un souper orgiaque pour c é l é b r e r sa victoire, Alexandre force trop sur la boisson et, excité, dit-on, par la courtisane grec- que Thaïs, qui d é s i r e venger l'incendie d'Athènes par les Perses,

150 ans auparavant, ordonne de mettre le feu à P e r s é p o l i s , dont ne restent aujourd'hui que les ruines, qu'il nous faut maintenant visiter.

L

e temps est loin où Pierre L o t i , cap sur Ispahan, allait à dos de mulet et ne trouvait de gîte que dans un c a r a v a n s é r a i l au sol en terre battue. Aujourd'hui, de Paris, on atteint Shiraz en six heures d'avion, et de Shiraz, Persépolis en une heure d'auto, sur une bonne route, et l'on y trouve un grand h ô t e l moderne, le Darius Intercontinental.

Persépolis est le nom grec (« ville de Perse ») du lieu o ù Darius c o n t i n u é par son fils X e r x è s , construisit son immense palais-ter- rasse. (On ignore son nom persan).

Un palais-terrasse rectangulaire de 14 hectares environ. Pour la pierre de construction, on l'a sous la main : c'est un calcaire dur, à grain fin, voué à la sculpture et à la d u r é e , qui l u i donne un beau poli.

Les fouilles ont c o m m e n c é voici une centaine d ' a n n é e s , et se poursuivent. L'incendie d'Alexandre b r û l a n t tout ce q u i était com- bustible, et donc beaucoup de bois, accumula un bon m è t r e d'épais- seur de cendres. Or la cendre conserve. Ainsi, la ville de P o m p é i , victime du Vésuve en l'an 79, et r e d é c o u v e r t e en 1750, sous Louis X V , est-elle, peut-on dire, intacte et facile à d é g a g e r parce que gisant sous la cendre, au contraire d ' H e r c u l a n u m , qui disparut sous un c o n g l o m é r a t compact de lapilli volcaniques, exigeant d è s lors le pic et la pioche, au lieu de la b ê c h e et de la pelle, comme la cendre.

On a c c è d e à l'esplanade de P e r s é p o l i s par u n escalier monu- mental à double r é v o l u t i o n , à marches larges et plates où pou- vaient monter les chevaux et les animaux. V o i c i la Porte de X e r x è s ; nous y faisons connaissance avec un t h è m e f r é q u e n t de la sculpture persane : les deux gigantesques t ê t e s de taureaux contre-affrontés o ù est indiscutable l'influence assyrienne. V o i c i la grande salle d'audience ou Apadana, ses trente-six colonnes, ses inscriptions à la gloire de Darius et de X e r x è s , et à la louange de Ahura Mazda, ou Ormuzd, le dieu unique de l a religion des Perses, le m a z d é i s m e , qui fit place à l'islamisme au v ne siècle.

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V o i c i le palais d'hiver de Darius, le Tatchara, voici le Trypilon ( b â t i m e n t à trois portes), le palais de X e r x è s , le Hadich, ou harem, la vaste T r é s o r e r i e , la Salle aux Cent Colonnes, et je ne cite là que les principaux des é l é m e n t s monumentaux de cet é t o n n a n t Versailles d'il y a vingt-cinq siècles, élevé en plein d é s e r t .

Une originalité remarquable : le défilé des personnages en bas- relief, qui gravissent les escaliers avec le visiteur et je regrette que la d é c o r a t i o n moderne n'en ait pas retenu le t h è m e . Je serais, quant à m o i , e n c h a n t é d ' ê t r e e n c o u r a g é , dans la m o n t é e d'un esca- lier parisien, quand l'ascenseur est en panne, par des compagnons en fresque sur les murs, mettant avec m o i leurs pas sur les marches.

Rappelons que P e r s é p o l i s est un palais d'audience i m p é r i a l , et que tous les ans, les nations de l'empire, les peuples tributaires venaient, en grand apparat et grand costume, apporter leurs offran- des au R o i des Rois. A i n s i montent, à l'Apadana, u n défilé en bas-relief d'archers avec arcs et carquois, p r é c é d a n t des M è d e s , Afghans, Egyptiens, Parthes, Scythes, Assyriens, Ioniens, Indiens, M a c é d o n i e n s , B é d o u i n s , Ethiopiens, Libyens. Qu'apportent-ils ? Des vases remplis d'or et d'argent, des bijoux, bracelets, armes, outils, étoffes p r é c i e u s e s , fourrures, et puis des animaux vivants : lionceaux, chameaux, b œ u f s à bosse, chevaux, c h è v r e s , moutons, et m ê m e une girafe.

L a nation des personnages se r e c o n n a î t à leur coiffure, à leur barbe, à leur costume : cagoule pointue des Scythes, bonnet phry- gien des Assyriens, toque nationale des Perses.

A noter qu'on ne trouve pas une seule effigie f é m i n i n e à Per- sépolis. Le vote des femmes est encore une perspective lointaine au temps de Darius...

Le style de la sculpture a c h é m é n i d e est à la fois h i é r a t i q u e et r é a l i s t e : h i é r a t i q u e dans la r e p r é s e n t a t i o n du lion ailé a n d r o c é - phale (à t ê t e d'homme), et réaliste dans la scène d'un lion v é r i t a b l e attaquant u n taureau é g a l e m e n t v é r i t a b l e .

Passons sur les inscriptions c u n é i f o r m e s , les socles et les cha- piteaux des colonnes, les vasques de pierre, les murs c r é n e l é s , les frises décoratives...

Rien de plus ingrat que de d é c r i r e un palais, m ê m e en ruines.

Comme disait une bonne femme é v o q u a n t un spectacle indescrip- tible : « C'est rien d'y dire, c'est tout d'y voir ». Aussi ne m'attarde- rai-je pas davantage sur Persépolis, non plus que sur les tombeaux des A c h é m é n i d e s , tant ceux qui sont taillés dans la paroi de la col- line rocheuse sur laquelle s'appuie P e r s é p o l i s , le Kouh-Rahmat, o ù sont e n t e r r é s les A r t a x e r x è s II et III, où l'on voit les rois d é f u n t s se recueillant devant u n autel du feu, sous l'aile t u t é l a i r e du dieu

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Ormuzd, que ceux é g a l e m e n t taillés dans de hautes falaises rocheu- ses de Nakche Rostem, à 5 k i l o m è t r e s de P e r s é p o l i s , o ù sont les tombes des Darius I et II, de X e r x è s I r et d'Artaxerxès I 'r. (Bien plus tard, à l ' é p o q u e Sassanide, au 11' siècle a p r è s Jésus-Christ, huit sculptures rupestres a j o u t é e s sous l'ouverture des tombes rappel- lent les triomphes des rois de cette dynastie.)

Ici, deux questions :

L'eau : d ' o ù venait-elle dans ce d é s e r t ? V o i c i : on a t r o u v é et déblayé des puits profonds dans la montagne, d'où l'eau, élevée par m a n è g e de b ê t e s de trait, se déversait dans des bassins. E n fait, l'eau ne manquait pas à Persépolis.

L ' é c r i t u r e : elle est c u n é i f o r m e , mais on a pu la déchiffrer, car les A c h é m é n i d e s ont eu le bon esprit de r é p é t e r leurs inscriptions invocatoires ou f u n é r a i r e s en trois langues, dont l ' a r a m é e n , et c'est ainsi qu'on a pu lire la langue des anciens Persans.

A

lexandre le Grand meurt à Babylone à 32 ans, et l'empire Perse est, sans jeu de mots, d i s p e r s é , abandonnant la Grèce, l'Egypte et une partie de la Syrie. Cependant, le noyau asiatique, encore fort é t e n d u , passe à un officier d'Alexandre n o m m é Séleu- cos, fondateur de la dynastie des Séleucides qui, eux, doivent faire face aux Gaulois, aux Egyptiens et aux Romains. Les Séleu- cides durent un siècle ; leur s u c c è d e n t les Parthes, puis les Sassa- nides (224 à 638 apr. J.-C). Quoique le m a z d é i s m e zoroastrien (de Zoroastre, ou Zarathoustra, son c r é a t e u r ) , fût religion d'Etat, les c h r é t i e n s sont t o l é r é s , m a l g r é quelques p e r s é c u t i o n s sporadiques.

Les Sassanides disparaissent devant la c o n q u ê t e arabe en 640 a p r è s Jésus-Christ, et la Perse passe sous la domination des Califes, chefs à la fois temporels et spirituels de l'Islam. Mais l'islamisme et sa morale connaissent, en Perse, une h é r é s i e , disons p l u t ô t une déviation, sous l'influence des mollahs (les religieux mu- sulmans) qui instituent là doctrine chiite, i n t e r p r é t a n t librement le Coran.

Quant à la religion d'Ormuzd, fuyant l'islamisme, elle se réfugia en Inde et y s u r v é c u t . Aujourd'hui, les Parsis (le mot signifie Perses) y sont au nombre de 300 000, principalement à B o m b a y . Par leur q u a l i t é , ils forment une m i n o r i t é religieuse importante au sein des millions d'hindous. (Ainsi les dirigeants d'une des plus grosses affaires de l'Inde, les Tata Steel Works, sont des Parsis).

On sait que l'usage des Parsis est de placer leurs d é f u n t s au som- met d'une tour du silence, où les vautours viennent les manger. I l p a r a î t qu'actuellement les vautours se font rares, et on est obligé d'en importer... de Tchécoslovaquie...

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A la disparition des Sassanides, voici les Abbassides. I c i deux noms : E l Mansour, fondateur de Bagdad, et A r o u n E l Rachid, h é r o s des contes des M i l l e et une Nuits. A noter, à cette é p o q u e , un contact avec l'Occident : Charlemagne et A r o u n é c h a n g e n t des envoyés.

Ensuite, une dynastie turque, celle des Seldjoukides, gouverne la Perse de 1040 à 1220. L'empire comprend, à l'époque, toute l'Asie Mineure et tout l'Iran. Mais c'est l'ère des invasions mon- goles. Après Gengis K h a n , vient Tamerlan et sa dynastie, les Timourides. Aux X I V et xv' siècles, l'Iran subit des vagues de noma- des, des invasions en armes qui mettent le comble à une p é r i o d e , i n c o m p l è t e m e n t connue, de troubles, d'incendies et de massacres.

E n 1502 a p p a r a î t la dynastie des Séfévides. Ici un grand nom : Shah Abbas Pr (1587-1629), c i n q u i è m e souverain de sa lignée.

Son nom est i n s é p a r a b l e de cette ville de porcelaine, ou p l u t ô t de faïences, Ispahan.

Une histoire détaillée de la Perse exigerait qu'on y consacre une vie e n t i è r e . Rappeler ses principales dynasties, comme je l'ai fait, est un p r o c é d é didactique, une approche sommaire, excluant les anecdotes, et cependant, celles-ci sont hautes en couleur, sinon en tendresse, comme dans tous les pays d'Orient. I l est rare qu'un grand vizir, ou m ê m e un r o i , meure paisiblement dans son l i t . Les palais sont les t h é â t r e s d'intrigues sanglantes et de r é v o l u t i o n s f e u t r é e s ; les favorites — et les favoris — se disputent et s'entre- tuent ; les guerres sont incessantes et s'accompagnent d'horreurs.

Les princes et les seigneurs sont à la fois raffinés et cruels, avec toutefois des traits inattendus de g é n é r o s i t é . Sur tout ceci je passe.

Des historiens avancent, et la notion est à retenir, qu'on peut diviser l'histoire de la Perse en deux p é r i o d e s égales chacune de douze siècles : la p r e m i è r e est celle qui se termine en l'an 640 de notre è r e , avec l'arrivée de l'Islam huit ans a p r è s la mort de son fondateur Mahomet, mort à Médine en 632, et l'autre, celle qui va de 640 à nos jours.

L'Islam apporte à la Perse sa religion, sa langue, l'arabe, et son é c r i t u r e , qui s'est fort t r a n s f o r m é e en devenant iranienne. U n a m i marocain à qui, chez moi à Paris, je demandais ce que signifiait une inscription sur un tapis persan, me r é p o n d i t : « Je ne peux pas vous le dire, c'est du persan, et non de l'arabe. » Disons que les deux é c r i t u r e s diffèrent, comme le cyrillique russe du r o m a i n occidental.

L ' I s l a m apporte aussi son art, mais, et c'est heureux pour les c h e f s - d ' œ u v r e que nous admirons en Iran, cet art s'est diversifié.

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J'ai dit que les Chiites ont i n t e r p r é t é librement le Coran. Deux prescriptions de Mahomet chiffonnaient les Persans. D'abord l'in- terdiction des boissons f e r m e n t é e s , la prohibition de l'alcool, car ils produisaient un v i n blanc qu'ils savaient a p p r é c i e r , bien frais ; ils biffèrent la difficulté et c o n t i n u è r e n t , m a l g r é le Coran, à boire le vin de leurs vignes, e s p é r a n t sans doute qu'en priant A l l a h avec suffisante ferveur, le vin blanc, en passant dans leur gosier, se transformerait en eau fraîche. Après tout, le p r o p h è t e des chré- tiens n o m m é J é s u s avait bien accompli à Cana un miracle ana- logue, en sens inverse, i l est vrai. Alors, pourquoi pas ?

L'autre é t a i t l'interdit j e t é sur la r e p r é s e n t a t i o n des formes vivantes : feuille, fleur, fruit, animal et, pire encore, ê t r e humain.

Copier ces c r é a t u r e s de Dieu par l'image était une offense au Tout- Puissant, un sacrilège. Là encore, nos Persans t r o u v è r e n t le biais : les fleurs de leurs c é r a m i q u e s et de leurs peintures é t a i e n t styli- sées ; stylisées, tout est là ; ce fut leur défense.

De fleur en feuille et de feuille en aiguille, si je puis dire, ils s t y l i s è r e n t de moins en moins et p a s s è r e n t aux animaux et aux hommes. Aussi l'art persan est-il t r è s vivant, car i l ne se borne pas aux triangles, c a r r é s , losanges, hexagones, octogones, étoiles et cercles des entrelacs, v a r i é s et fort beaux, mais toujours géo- m é t r i q u e s , de l'art musulman de pure o b é d i e n c e , tels qu'on les voit dans les palais de Grenade, de Tunisie, d'Algérie et du Maroc.

Mais revenons à Shah Abbas Ie r et à Ispahan.

I

spahan ! C'est un peu pour Ispahan qu'on vient aujourd'hui et qu'on venait jadis, en Perse.

E n t r e la montagne et le d é s e r t , c'est une ville-oasis qui appa- r a î t dans sa verdoyance. U n cours d'eau, le Zayandeh-Roud (« Ri- vière qui donne la vie ») la traverse et va se perdre dans les marais du Gavkhane, à l'Est. U n mot là-dessus.

Imaginez que la Seine, notre h o n n ê t e Seine parisienne, dis- paraisse du côté de Mantes ou des Andelys ; nous en serions éton- nés. C'est que notre pays, sous un climat t e m p é r é , est naturelle- ment i r r i g u é , parfaitement d r a i n é : le plus mince filet d'eau se d é v e r s e dans u n ruisseau, le ruisseau dans une rivière, l a rivière dans un fleuve, et le fleuve dans la mer. Nous n'avons pas, en France, de chotts, d'un mot arabe, de ces é t e n d u e s s a t u r é e s par l ' é v a p o r a t i o n , comme le Chott-el-Hodna, en Algérie, et le G r a n d Lac Salé dans l'Utah, en A m é r i q u e d u N o r d . Inconnu é g a l e m e n t chez nous, ou à peu p r è s , l'oued, lit de sable aride, cours d'eau sans eau, sinon b r i è v e m e n t a p r è s un orage brutal.

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E n Iran, latitude des d é s e r t s arabiques, libyen et nord-saharien, le soleil tape dur. E n outre, le pays est u n vaste plateau de mille m è t r e s d'altitude moyenne, c e i n t u r é de montagnes b o r d i è r e s , l ' E l b o u r z au N o r d , le Zagros à l'Ouest et au S u d et le Kouhistan à l'Est. Aussi les cours d'eau, é p u i s é s par le soleil, sont-ils sans force pour franchir ces hautes b a r r i è r e s et arriver à la mer. On ne compte que quatre modestes rivières c ô t i è r e s , de cours persistant, qui se jettent dans la Caspienne, au N o r d , et u n fleuve m é r i t a n t ce nom, le K a r o u n , qui d é b o u c h e dans le golfe Persique, au Sud.

A Ispahan, sur le Zayandeh, voici des ponts anciens.

Le Pont aux Trente-Trois Arches, d'un dessin adroit, avec v o û t e s ogivales, piles et tours en pierre, superstructure en brique, et long de trois cents m è t r e s , d û à Shah Abbas Pr. Le pont-bar- rage de Khardjou, 1659, d û à Shah Abbas II. E n dehors de l a ville, le pont du Chahrestan, celui-ci plus ancien, car datant du x r f siècle, construit par les Seldjoukides, reste intact avec ses dix arches reposant sur des piles massives à é p e r o n s arrondis.

Mais allons au c œ u r de la ville, la Place Royale, la Méidâne.

C'est un vaste rectangle de huit hectares où, au temps des Séfé- vides, on jouait au polo, un t r è s ancien jeu perse devenu indien, que les Anglais i m p o r t è r e n t des Indes en Europe, de cela une cen- taine d ' a n n é e s .

L a Place Royale est e n c a d r é e de merveilles.

D'abord la m o s q u é e du shah, Masdjed E Shah, (1612-1628, contemporaine de Louis X I I I chez nous). G r a n d portail d ' e n t r é e avec arcade garnie d'une triple torsade turquoise sortant de deux vases de marbre. De v é r i t a b l e s tapisseries de faïence encadrent le portail. A l'intérieur, c'est le ruissellement chatoyant de la mo- s a ï q u e c é r a m i q u e , avec l'élégance des inscriptions coraniques en grands c a r a c t è r e s cursifs. Une coupole immense, un d ô m e en faïence bleue s'harmonise avec l'azur profond du ciel iranien.

Pour ceux qui aiment les chiffres, i l a fallu cinq cent mille car- reaux de faïence pour orner cette m o s q u é e .

Puis la m o s q u é e du cheik Lotfollah. Ici encore, un d ô m e et des faïences é t i n c e l a n t c s au soleil comme des vitraux. L o r d B y r o n clas- sait cette m o s q u é e au m ê m e rang de b e a u t é que Versailles, S c h œ n - b r u n n , le Palais des Doges et Saint-Pierre. V o i c i le palais d ' A l i K à p o u , sur la face ouest de la M e i d â n e , face à la m o s q u é e du shah Lotfollah. Une terrasse haute, sous un dais monumental soutenu par de longues colonnettes en bois, permettait au shah d'assister aux parties de polo et à d'autres divertissements moins innocents, se d é r o u l a n t sur la M e i d â n e . Le bazar i m p é r i a l est là tout p r è s , o ù l'on aura plaisir à se perdre dans le quartier des artisans et des c o m m e r ç a n t s .

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L'art préséfévide est p r é s e n t à Ispahan par la fameuse m o s q u é e du Vendredi (Masdjed-e-Djomah), datant de l'époque seldjoukide, mais ayant subi maintes tribulations, dont un incendie. C'est un ensemble complexe, o ù l'on admire l'habileté des constructeurs de v o û t e s en arcs à ogive, et la façon dont les i n g é n i e u r s seldjou- kides ont su r é s o u d r e le p r o b l è m e de poser une coupole circulaire sur une base c a r r é e ; on y admire aussi ses stucages, ou p l â t r e - ries, s c u l p t é s et fouillés en mille arabesques. L a m o s q u é e du Ven- dredi est l'objet de restaurations soigneuses.

D'autres m o s q u é e s , et bien d'autres, on en trouve à Ispahan.

On y trouve aussi ce qu'on appelle les médressés. Ce sont des u n i v e r s i t é s , des facultés. L a plus célèbre est celle de la M è r e du Shah (Medresseh Madar-e-Shah) (1706-1714). Aussi des minarets.

Le minaret est à l'Islam ce que le clocher est à nos églises, avec cette différence que c'est du haut du minaret que le muezzin lance ses appels p s a l m o d i é s aux fidèles à la p r i è r e . On p r é t e n d que jadis, les muezzins, profitant de leur situation, élevée, si l'on peut dire, jetaient un coup d'œil indiscret sur les cours des harems ; aussi choisissait-on, pour l'emploi, des aveugles. De nos jours, les mina- rets islamiques sont munis en leur sommet de haut-parleurs, et le muezzin n'a plus à gravir trois fois par j o u r un obscur et inter- minable escalier ; i l ne quitte plus le rez-de-chaussée et se borne à enclencher u n disque...

Aux palais maintenant. L ' u n d'eux est célèbre : Tchehel Sotun, t e r m i n é sous le r è g n e d'Abbas II (sous le r è g n e de Louis X I V chez nous), a p p e l é aussi Palais des Quarante Colonnes, ainsi n o m m é , quoiqu'il n'en comporte que vingt, parce qu'on y ajoute leur reflet dans les eaux du bassin : vingt plus vingt égale quarante. A u sur- plus, le chiffre 40 a quelque vertu magique chez les Orientaux : les 40 jours du déluge, A l i B a b a et les quarante voleurs. Ce palais est élégant, p r é c é d é de son haut portique soutenu par de fins piliers de bois, dans une note t r è s chinoise que confirme l ' i n t é r i e u r , o r n é de peintures murales anecdotiques, o ù l'influence du Céleste E m - pire est t r è s perceptible.

Aux ponts, aux m o s q u é e s , aux m é d r e s s é s , aux minarets, aux palais, aux jardins, i l faut ajouter les m a u s o l é e s . Vous en trouvez des xiv«, XVE, x v r et x v i r siècles. Enfin, n'oublions pas les monu- ments c h r é t i e n s , l'église B e t h l é e m et la c a t h é d r a l e du Saint-Sau- veur.

U n a r c h é o l o g u e français, A n d r é Godard, é c r i t : « Ispahan, isolée dans ses déserts, merveilleusement ornée, chargée d'his- toire, est, plus encore que Tolède, ou Aranjuez, une image de l'exaltation dans la solitude. Impossible de comprendre l'art et

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l'âme de l'Iran, si l'on ignore la poignante beauté de cette ville » (1).

C'est une chance que cette ville nous soit parvenue intacte, ou à peu p r è s . Elle a é c h a p p é à deux dangers.

E n 1722, les Afghans envahirent la Perse et, a p r è s u n siège de plusieurs mois, e n t r è r e n t à Ispahan, dont ils m a s s a c r è r e n t tous les habitants. Ils auraient p u incendier la ville. Ils s'en abstinrent, et p'est une chance.

L a dynastie séfévide fut r e n v e r s é e , et Ispahan perdit son rang de capitale, é c h a p p a n t ainsi — d e u x i è m e danger — à la moderni- sation, dont T é h é r a n nous donne u n m o d è l e parfois contesté...

J'ai insisté sur P e r s é p o l i s et Ispahan, car ce sont, en Perse, les deux pôles qui attirent et attachent le touriste p r e s s é , ou q u i ne dispose que de peu de temps. Mais bien d'autres t é m o i g n a g e s de l'art et du p a s s é iraniens m é r i t e n t , comme on dit, le d é t o u r .

Shiraz : que nous offre cette ville persane et islamique s'il en fut, de 100 000 habitants, à p r è s de 2 000 m è t r e s d'altitude et à l a latitude du Caire ?

H o r m i s les tombeaux modernes des p o è t e s Saadi et Hafiz dont j ' a i p a r l é , voici, bien s û r , des m o s q u é e s : celle dite « du Régent », Masdjed-e-Vakil, dont Pierre L o t i admirait « le grand portique rose sous son revêtement de vieil émail » ; l'ancienne m o s q u é e Madjed- e-Jome, i n s p i r é e de la K a a b a de la Mecque, et la nouvelle, Madjed- e-Nô, qui, m a l g r é son nom, est du x i T siècle, comme le Pont-Neuf à Paris est le plus ancien de la capitale. E t puis un m u s é e Pars dans un pavillon octogonal du xvnr*, d û à K a r i m K h a n Zand (Shah sans en avoir pris le titre), o ù des fresques r e p r é s e n t e n t des per- sonnages occidentaux du temps de Louis X I V , dont les natifs devaient juger les v ê t e m e n t s le comble de l'extravagance et de l'in- confort...

Mais surtout Shiraz est l a ville des roses et des p o è t e s . De l'écri- vain Vincent Monteil (2) : « Shiraz est la plus douce des villes de l'Iran, la plus persane. Je ne la quitte qu'à regret, et c'est dans ses jardins que je voudrais finir mes jours. »

Dans la m ê m e région, proche de P e r s é p o l i s , voici Pasargade, o ù se trouvent le m a u s o l é e de Cyrus et les restes d'un palais q u i préfigure celui de P e r s é p o l i s , que Pasargade avait p r é c é d é comme capitale de la Perse j u s q u ' à Darius Ie r.

A u n o r d du pays, dans l'Azerbaïdjan, Tabriz est une ville musulmane, (quoique p e u p l é e d ' A r m é n i e n s ) , assez d é c h u e , car elle fut maintes fois m a l m e n é e par des s é i s m e s . U n seul monument,

(1) André Godard, Ispahan, dans Athar-E-Iran, 1937.

(2) Iran, Collection Petite Planète.

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mais exceptionnel : la M o s q u é e Bleue (Masdjed-Kaboud) de 1465, célèbre par son d é c o r émaillé et ses r e v ê t e m e n t s de m o s a ï q u e . Dans la m ê m e région, K a z v i n conserve quelques monuments an- ciens, mais la c u r i o s i t é locale est la Citadelle des Assassins dans la montagne. E n v i r o n l'an 1100 de notre è r e , un familier de Nizam- el-Mulk, vizir des Seldjoukides, fonde la secte m e u r t r i è r e des Hachischin ( d é r i v é de haschisch, nom arabe du chanvre indien) et s'installe fortement en la forteresse d'Alamout, proche de K a s v i n . Les « Assassins » e s s a i m è r e n t en Syrie, et les Croisés eurent affaire à eux. L a secte disparut à la fin du x me siècle.

Dans le Khouzistan, non loin du fond du golfe Persique, voici Suse, datant de 3 000 ans avant J . - C , ville royale au temps des A c h é m é n i d e s , et aujourd'hui lieu de fouilles dans les sables du d é s e r t .

A u sud de T é h é r a n , K ô m est une ville de p è l e r i n a g e , o ù l'in- fidèle, le Roumi, c'est-à-dire le non-musulman, doit se montrer discret, quoique depuis 1930, l'accès des m o s q u é e s , en Iran, soit permis aux visiteurs.

Il y a d'autres villes ; et i l y a les sites. Comme dit Vincent Monteil : « En Perse, un monde à part vous attend, de la four- naise du golfe Persique aux brumes de la Caspienne, des plages de pêcheurs de perles au royaume de l'esturgeon... »

A

vec la m é d i o c r e dynastie des Kadjars, qui s u c c è d e aux Séfé- vides, l'histoire de l'Iran, j u s q u ' à la r é v o l u t i o n de 1926, est celle d'une longue d é c h é a n c e .

Le p a r a l l è l e s'impose avec la Chine et la Turquie.

Ces pays d'ancienne et rayonnante puissance, mais figés dans leurs structures, sclérosés dans leurs institutions, g o u v e r n é s par des princes d é g é n é r é s , allaient avoir à subir le contact percutant des nations occidentales modernes.

Le Japon, l u i , s'en t i r a par l'extraordinaire reconversion de l ' é p o q u e Méidjé, sous le grand empereur Mutsu-Hito. Quant à la Chine, l a Turquie et l'Iran, ces pays furent la proie des rivalités occidentales a r m é e s , et plus encore, perdirent peu à peu leur s o u v e r a i n e t é par la mainmise de l'Europe sur leurs é c o n o m i e s . A cet é g a r d , l'exemple de la Turquie est é l o q u e n t : une adminis- tration internationale permanente, la Dette Ottomane, avait pris h y p o t h è q u e sur le pays, cueillant l ' i m p ô t « à la source », comme on dit de nos jours, pour s û r e t é d u remboursement et d u service des emprunts. Quant à l a Perse, elle eut affaire à la Russie et l u i abandonna maints territoires, dont une partie de l'Arménie.

Elle eut affaire à l'Angleterre, qui mit les finances et l ' a r m é e

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persanes sous son c o n t r ô l e . L ' I r a n du dernier K a d j a r rappelle la Chine de l ' i m p é r a t r i c e Tsou-Hsi, et la Turquie d'Abdul-Hamid.

Les Kadjars sont une dynastie dont le fondateur est d'une rare férocité : ayant assiégé et pris la ville de K e r m a n , i l fit crever les yeux de tous ses habitants m â l e s .

Son successeur est Fath A l i Shah, au temps de N a p o l é o n chez nous. Sous son r è g n e , les Russes envahissent le nord de la Perse et mettent la m a i n sur B a k o u . O n y a signalé des suintements huileux. Une commission russe les examine et con- clut : « Le pétrole est un liquide gluant qui sent mauvais et ne peut servir à rien »...

Les Shahs suivants, peu importe leurs noms, tant ils sont falots, visitent l'Europe en grands seigneurs, dilapident le t r é s o r royal, empruntent à tour de bras, c è d e n t aux c r é a n c i e r s é t r a n g e r s l a concession des mines, le monopole des forêts, la ferme des douanes, bradent les p ê c h e r i e s de la Caspienne et les mines de turquoises de Neychabour.

P r e m i è r e Guerre mondiale. L a Perse devient u n champ de ba- taille entre Russes et Turcs et subit, en plus, les ravages des bandits locaux, car l'anarchie est c o m p l è t e sous l ' a u t o r i t é évanes- cente d'Ahmed Shah, souverain nominal.

Ce dernier Kadjar vint à Paris en 1920. O n r e ç u t avec quelque honneur le Shah de Perse, u n jeune homme de vingt-deux ans, qu'on vit au pesage de Longchamp en chapeau melon, et q u i vint chasser à courre en forêt de Rambouillet. I l suivit, n o n à cheval, mais en voiture à chevaux, ne comprit rien à ce q u ' i l voyait, n'ayant qu'un souci (c'était en fin de saison, en avril) : se garantir d u soleil avec son parapluie...

Comme en Turquie avec Mustapha-Kemal, et plus tard en Chine avec M a o Tsé-toung, une r é a c t i o n nationale et sociale é t a i t fatale en Iran.

1920. U n gigantesque gaillard, Reza K h a n , colonel de Cosaques persans, se bat contre les Cosaques russes. E n 1921, i l fait son coup d'Etat, s'empare de T é h é r a n , la capitale, et prend le pouvoir, d'abord comme ministre de la Guerre, puis, en 1925, comme Shah, Reza Pahlavi, d é t r ô n a n t le jeune Ahmed, alors à l ' é t r a n g e r , et qui n'en reviendra pas, mais saura pourvoir à sa subsistance, ayant eu le bon esprit, dit-on, d'emporter dans sa valise ce q u ' i l avait p u des bijoux de la Couronne.

Pahlavi est le n o m de la langue perse au temps des Sassanides, et en le prenant, Reza K h a n marque u n retour aux a n c ê t r e s perses et une défiance contre l'Islam.

Ce dictateur est une exacte r é p l i q u e d'Ataturk, alias Musta-

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pha K e m a l en Turquie : modernisation forcée, scolarisation obli- gatoire, r é f o r m e s de l ' a r m é e , pactes avec les voisins afghan, turc et irakien, constructions de filatures, cimenteries, raffineries, cen- trales é l e c t r i q u e s , chemins de fer, routes, ouvertures de puits de p é t r o l e , r é f o r m e agraire, code civil, laïcisation, tout y est, d'une main de fer.

Deuxième Guerre mondiale. Le « vieux roi », comme on l'ap- pelle, d é t e s t e les Russes, ennemis h é r é d i t a i r e s , et les Anglais qui pillent la richesse du pays, le p é t r o l e . Il est donc m a l placé en face des Alliés q u i le contraignent d'abdiquer en 1941, et l'en- voient m o u r i r en Afrique du Sud en 1944.

C'est en faveur de son fils, M o h a m m e d Reza, q u ' i l abdique ; de son fils, le shah actuel, aujourd'hui âgé de 53 ans, et avec l u i nous aborderons l'Iran moderne.

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uelques chiffres, i l le faut bien, et je prie qu'on m'en excuse.

L'Iran occupe 1 600 000 k i l o m è t r e s c a r r é s , soit trois fois l ' é t e n d u e de la France, mais la m o i t i é du pays est i n h a b i t é e , parce qu'inhabitable, d é s e r t i q u e , sans la moindre p o s s i b i l i t é de vie végé- tale ou animale.

L a population, 26 millions d'habitants, est t r è s i n é g a l e m e n t r é p a r t i e ; ainsi les provinces fertiles du Guilan et du Mazanderan, aux rives de la Caspienne, sont s u r p e u p l é e s . Ailleurs, les Ira- niens s'essaiment en d'innombrables bourgs et villages au pied des montagnes, ou habitent les villes — T é h é r a n , deux millions et demi de citadins, est aussi p e u p l é e que Paris (1) — ou encore, sont des pasteurs nomades (deux millions).

Groupes ethniques ? Ils sont nombreux. L a Perse, entre Cas- pienne et golfe Persique — mille k i l o m è t r e s les s é p a r e n t — fut toujours un lieu de passage de l'Est à l'Ouest, et de l'Ouest à l'Est.

Asianiques, S é m i t e s , Aryens, Grecs, Arabes, Turcs, Mongols, tous y ont défilé, s'y sont combattus, ont é m i g r é ou r é s i d é . Donc pas de race pure i c i , non plus qu'ailleurs, d'ailleurs. Existe cepen- dant un type iranien, nez fort, teint b a s a n é , qu'on a c o m p a r é au type espagnol. Les Iraniens, Irani, ou Aryani, sont au prin- cipal des Aryens et n'en sont pas peu fiers. Ils sont à l'origine des I n d o - E u r o p é e n s , dont nous descendons, et de leur langue sont issues celles que nous parlons : P è r e se dit padar, m è r e madar, fille dokhter (en anglais daughter, en allemand, tochter).

M i n o r i t é s actuelles ? A r m é n i e n s en A z e r b a ï d j a n , et surtout dans les villes, o ù ils sont actifs et p r o s p è r e s . A T é h é r a n , les Armé- niens figurent en bonne place dans les Mille Familles qu'on dit

(1) Sans l'agglomération parisienne, bien entendu.

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d é t e n i r les affaires (comme on a p a r l é chez nous, au temps du Front populaire en 1936, des Deux Cents Familles). Autres mino- rités ? Des Turcs, des Arabes, des Kurdes, ceux-ci g r o u p é s en tribus nomades.

Parlons climat. E n gros, t r è s chaud en é t é , t r è s froid en hiver (aussi faut-il aller en Iran au printemps, ou mieux, à l'automne), mais latitude et altitude nuancent le tableau.

L a guerre de Corée nous a familiarisés avec l a notion de parallèle ; rappelons-nous le fameux parallèle 38. Paris est sur le p a r a l l è l e 49, plus p r è s du pôle que de l ' é q u a t e u r , par consé- quent (Bordeaux, p a r a l l è l e 45, est à mi-chemin.) E n Iran, nous sommes entre p a r a l l è l e s 25 et 37. Vingt-cinq, c'est la mer d'Oman, de chaleur intense, constante et humide, qui rend le climat in- supportable ; 37, c'est l a Caspienne avec des brouillards et des pluies. Altitude ? M i l l e m è t r e s en moyenne, je l'ai dit, ce q u i t e m p è r e la chaleur. A T é h é r a n , les maxima sont de 40 d e g r é s en plein é t é , et de moins 15 en hiver ; une plus large fourchette q u ' à Paris et plus brutale.

Sur les montagnes, de la neige, bien s û r . Nous avons les hauts sommets de la c h a î n e de l ' E l b o u r z : volcan é t e i n t de De- mavend, 5 700 m , cimes de l'Alamou, 4 850, et de Chahkadeh-Kouh, 5 600, q u i tous trois battent notre Mont-Blanc.

Plantes et b ê t e s ?

Arbres : toute la gamme tropicale, d é s e r t i q u e et montagnarde.

Des essences de chez nous, c h ê n e , peuplier, noyer, p i n , é r a b l e , platane. Fleurs : roses, lilas, œillets, pivoines ; les tulipes pous- sent naturellement ; n u l besoin d'importer des bulbes de H o l - lande. Bêtes ? Le lion ne figure plus que sur les armoiries royales et les bas-reliefs de P e r s é p o l i s , mais on trouve au n o r d , dans les montagnes b o i s é e s bordant la Caspienne, u n zoo estimable : tigres d'Hyrcanie, loups, l é o p a r d s , g u é p a r d s , bouquetins, mouflons et sangliers.

Mais voyons l ' é c o n o m i e du pays.

E l l e est surtout rurale. Les paysans, s é d e n t a i r e s ou nomades, sont plus de l a m o i t i é de la population. Peu de terre arable cependant, car l'eau est rare ; on y a pourvu depuis Darius par de curieux forages rustiques, les kanats, dont on voit les orifices de puits dont est grêlé le pays quand on le survole. On a m é l i o r e , à la moderne, avec barrages et drainages, m a l g r é quoi 10 % seulement du pays est cultivable (ce serait, en France, la culture r é d u i t e aux seules provinces de Bretagne et Normandie).

Que produit-on ? Blé, orge, r i z , t h é , betterave, tabac, et aussi...

pavot, d ' o ù l'opium, à l'origine des t é n é b r e u s e s affaires de drogue

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(mais les a u t o r i t é s y veillent s é v è r e m e n t ) . Fruits ? Excellents : raisins, abricots, p ê c h e s , oranges, pommes, poires, cerises. Lé- gumes ? Melons, tomates, concombres, pois chiches, haricots. Cul- tures industrielles ? Coton et m û r i e r à soie. Elevage : 30 millions de moutons, 15 de c h è v r e s , 5 de bovins ; on élève aussi des che- vaux et des dromadaires, lesquels s'effacent peu à peu devant le camion.

Pêche enfin : 10 000 tonnes de poissons, mais surtout le caviar, le fameux caviar iranien : 150 ou 200 tonnes par an, mais i l y a une crise de production et j ' y reviendrai.

Le p é t r o l e . Une affaire d'importance.

L ' I r a n n'est pas u n « don du pétrole » comme le K o w e ï t , mais ce fameux naphte y compte beaucoup. Deux chiffres : cent cin- quante millions de tonnes produits par an et 80 % de l'expor- tation.

L'Occident est gros consommateur. Chez nous, on arracherait le c œ u r du F r a n ç a i s moyen p l u t ô t que l u i interdire son week- end en auto avec sa petite famille. I l nous faut donc de l'essence.

Mais l'essence n'est g u è r e que le c i n q u i è m e de ce qu'on tire du p é t r o l e , m a t i è r e p r e m i è r e de bien d'autres produits. Bref, le pé- trole est indispensable aux nations i n d u s t r i a l i s é e s . Or on le trouve dans des pays « en voie de développement », comme on dit, d'où conflits â p r e s , difficiles, o ù intervient la politique et se met la passion.

Thèse des producteurs : le p é t r o l e est à nous, Allah l'a mis dans notre sol, sous nos pieds. R é p l i q u e des Occidentaux : si nous ne l'avions pas t r o u v é , extrait, t r a n s p o r t é , raffiné, i l resterait richesse en potentiel, c'est-à-dire, pour le p r é s e n t , zéro. U n d é b a t sans issue.

Les producteurs ont deux armes : nationalisation, hausse des prix.

Nationalisations, (ici je parle en g é n é r a l ) tant nationales q u ' é t r a n g è r e s , je crois qu'on en revient. V o i c i une affaire pros- p è r e ; on la nationalise ; de deux choses l'une : ou bien elle ne marche plus, ou bien elle marche bien, mais c o û t e cher au con- tribuable. Je n'insiste pas.

E n Iran, le D r Mossadegh a n a t i o n a l i s é , en 1952, les installa- tions de l'Anglo-Persian O i l Company, devenues l'Anglo-Iranian.

Ce ne fut pas un s u c c è s ; on négocia et l'on parvint à un accord.

Avec l'autre"arme, hausse des prix, la position des producteurs est plus forte et, m a foi, plus justifiée : ils nous disent « Vous êtes riches, nous sommes pauvres ; payez notre pétrole au prix de l'étiquette, et c'est nous qui le fixons. »

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560 DE LA P E R S E A L ' I R A N

Mais attention : de nos jours, une d é c o u v e r t e de gisement, une invention, une n o u v e a u t é technique, font faire à l ' é c o n o m i e des voltes si soudaines que nous en sommes d é c o n c e r t é s . Pour ne parler que du p é t r o l e , je ne dirai pas qu'on en trouve partout, sous condition de forer un trou assez profond : ce ne serait pas le propos d'un géologue sérieux. Mais on en trouve en beaucoup d'endroits, et m ê m e sous la mer : on en extrait de la mer d u N o r d , et nous savons q u ' i l y en a dans le golfe de Gascogne ; je pense que dans peu d ' a n n é e s , nous l'en extrairons.

Alors, les consommateurs, et c'est leur arme, peuvent dire aux producteurs : mes bons amis, n'exagérez pas ; ne tirez pas trop sur la corde, la corde à puits, à puits de pétrole... Nulle vache n'existe, à donner du lait à p e r p é t u i t é , et nulle poule à toujours pondre des œufs d'or, et m ê m e des œufs tout court. Craignez qu'un j o u r on vous dise : votre p é t r o l e ? Nous en obtenons ailleurs à meilleur prix ; bien le bonjour !...

L ' I r a n , sachant tout cela, et que l'entente avec les nations industrielles est n é c e s s a i r e , m è n e une politique p é t r o l i è r e raison- nable, et c'est à la louange des dirigeants du pays.

Autres industries : m i n i è r e , textile, alimentaire, mais modestes.

A cet é g a r d , l'Iran est encore u n pays pauvre.

^-J Une monarchie constitutionnelle avec Chambre de 200 dé- p u t é s élus, et S é n a t de 60 membres, dont 30 élus et 30 d é s i g n é s par le Shah. E n fait, le pouvoir appartient à celui-ci.

Les journaux français reprochent parfois à Sa M a j e s t é i m p é - riale M o h a m m e d Reza Shah Pahlavi — ce sont ses titre et n o m — de se montrer m é d i o c r e m e n t libéral et d'exercer durement son a u t o r i t é . R é c e m m e n t , une douzaine de terroristes ont é t é p a s s é s par les armes à T é h é r a n .

Je suis m o i - m ê m e u n libéral, mais gardons-nous de juger u n pays et son gouvernement sans les placer, comme on dit, « dans leur contexte ». Autre chose est la France, politiquement m û r e , pai- sible m a l g r é quelques bavures, o ù l'on vote et s'exprime libre- ment, o ù dans 35 000 villages, M . le Maire p r é s i d e son Conseil sous le regard sans regard d'une Marianne en p l â t r e , ayant de longtemps perdu toute agressivité, et u n pays comme l ' I r a n o ù tous les p r o b l è m e s de l a modernisation se posent au sein d'une population assez disparate, en partie nomade, et qui souvent conserve une m e n t a l i t é primitive et un fond de violence native.

Encore une fois, avant de nous prononcer, tenons compte des circonstances.

n mot du gouvernement.

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Relations franco-iraniennes ? Elles sont bonnes et m ê m e excel- lentes. Les F r a n ç a i s sont bien accueillis en Iran. Notre culture y est a p p r é c i é e , et l'élite se flatte de parler notre langue. V o i c i le Journal de Téhéran, qui sous-titre « Le plus ancien quotidien en français du Moyen-Orient ».

Incidemment, je mentionnerai la r é c e n t e exposition au m u s é e Cernuschi, des relations diplomatiques entre Iran et France, depuis le x v ne siècle, sous le patronage des Affaires é t r a n g è r e s , des Affaires culturelles et de la V i l l e de Paris.

S

i j ' a i eu l'idée de tracer cette esquisse, de la Perse an- tique à l'Iran moderne, c'est que j ' a i passé, en octobre der- nier, quelques jours là-bas. On parle toujours mieux de ce qu'on a vu, quoique le vicomte de Chateaubriand ait abondamment d é c r i t les rivages du Mississipi sans y avoir jamais mis les pieds, mais je ne suis pas Chateaubriand.

L'occasion du voyage que j'acceptai avec mon é p o u s e é t a i t le bal des Petit Lits Blancs.

Les Petits Lits Blancs furent fondés en 1921 pour porter secours aux jeunes tuberculeux osseux qui devaient, les mal- heureux, rester allongés des mois et m ê m e des a n n é e s . Mais l'œuvre a élargi sa mission, l ' é t e n d a n t aux jeunes cardiaques et aux enfants infirmes ou atteints d'amblyopie (une tare congé- nitale de la vue).

Tous les ans, une fête de bienfaisance de grand renom permet de recueillir des fonds substantiels. C'est en Iran qu'en 1971 la baronne Seillière, n é e R e n é e de Wendel, p r é s i d e n t e — avec quelle souriante et courageuse efficacité ! — convia les amis de l ' œ u v r e .

Le mercredi 27 octobre 1971, nous embarquions à Orly au nombre de 150, dans deux avions de la compagnie Iran-Air, appe- lés comme i l se doit Cyrus et Darius, atterrissions à Shiraz et arri- vions à P e r s é p o l i s dans la nuit.

Le lendemain, visite des ruines et des environs, et le soir m ê m e , grand d î n e r suivi de bal.

Il faut rappeler que le camp de tentes mis en place pour les c é r é m o n i e s du 25e centenaire de la Perse, é t a i t toujours là.

Ce terme de tentes traduit mal le luxe de ces demeures éphé- m è r e s dont la plus grandiose é t a i t la tente i m p é r i a l e o ù en- v i r o n mille participants furent accueillis pour le d î n e r et le bal par Sa Majesté la Shahbanou.

Un mot sur cette gracieuse souveraine.

Lorsqu'en 1938 naquit une fillette, d'un p è r e originaire de

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562 DE LA P E R S E A L ' I R A N

Tabriz, dans l'Azerbaïdjan, et qui avait été Saint-Cyrien en France, et d'une m è r e du Guilan, sur la Caspienne, la province de la soie, ses parents la b a p t i s è r e n t Farah, joie, et Diba, soie.

Farah Diba é t u d i e à T é h é r a n , d'abord à l'école Jeanne d'Arc, puis au lycée français et, à dix-sept ans, vient à Paris travailler l'architecture pendant trois ans.

Elle a vingt ans. Le Shah de Perse, m a r i é deux fois, n'a pas de fils, grave situation pour le souverain d'une jeune dynastie.

I l vient à Paris, rencontre Farah Diba é t u d i a n t e , l'invite à T é h é r a n et, en d é c e m b r e 1959, l'épouse. U n conte de fées.

L ' i m p é r a t r i c e a quatre enfants, dont deux filles et deux fils, Reza Cyrus et A l i Reza, des petits princes de fort bonne mine.

C'est dans le domaine social que Farah Diba est une incom- parable auxiliaire de son i m p é r i a l é p o u x . Je ne citerai pas les in- nombrables institutions qu'elle a créées et qu'elle anime.

Lors du bal des Petits Lits Blancs, un coffret en or i n c r u s t é de pierres p r é c i e u s e s , offert par l ' i m p é r a t r i c e , fut mis aux en- c h è r e s , aux e n c h è r e s a m é r i c a i n e s ( o ù l'on verse le montant de chaque s u r e n c h è r e ) et atteignit le prix de 260 millions d'anciens francs, dont moitié alla aux œ u v r e s de la Shahbanou et m o i t i é à celle de la baronne Seillière. L'heureux adjudicataire eut la géné- r o s i t é de rendre le fameux coffret à l ' i m p é r a t r i c e , en sorte q u ' i l pourra resservir...

Notre visite continua les jours suivants par Shiraz, Ispahan, et c'est de T é h é r a n que nous r e g a g n â m e s Paris par avion.

Il est rare qu'on parle d'un pays sans parler de sa capitale, et je n'ai rien dit de T é h é r a n .

C'est q u ' i l n'y a rien à en dire. T é h é r a n est une grande ville moderne dont on cite cependant les m o s q u é e s , le Palais des Roses, le Bazar, les parcs et jardins, et surtout les m u s é e s : d'Ethno- logie, de l'Artisanat, et d'Archéologie.

E n quittant T é h é r a n , on nous remit à chacun, pour un prix d'ami, cinq cents grammes de caviar que les a u t o r i t é s avaient d é b l o q u é s en notre faveur.

Il y a un p r o b l è m e du caviar. I l p a r a î t que les esturgeons de la Caspienne pondent moins. U n a m i p é r i g o u r d i n m'a dit de m ê m e qu'on ne trouvait plus de truffes en P é r i g o r d . Le caviar et la truffe valent non leur pesant d'or, mais l i t t é r a l e m e n t leur pesant d'argent, d'argent m é t a l . On ne peut, d'ordinaire, en faire son ordinaire, mais je serais p e i n é qu'ils disparaissent, car je le confesse en terminant, au grand dommage de m a t r é s o r e r i e , j ' a i m e é g a l e m e n t le caviar et la truffe.

D U C D E B R I S S A C

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