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Chapitre   III.   Les interventions auprès des lecteurs en difficulté de compréhension : éléments pour une

2. Quelles interventions auprès des adolescents présentant un déficit dans l’activité de compréhension ?

2.3. Des programmes multidimensionnels

Les programmes multidimensionnels reposent sur une conception globale de l’acte de lire. Ainsi, dans le programme « Récréature » de Sandrine Aeby (2004), qui sera décrit ci-après, la définition de la lecture qui fonde et soutient le dispositif d’intervention comprend :

 la maitrise de compétences techniques, allant du code à la mise en œuvre de stratégies de lecture adaptées aux situations de lecture ;

 le développement d’un rapport positif à l’écrit ;

 l’éducation au rapport de connivence entre lecteur et texte qui sous-tend la lecture comme pratique culturelle ;

 la connaissance des lieux de la lecture et la participation à la socialisation à laquelle la lecture donne accès (Aeby, 2004 : 150).

S’agissant de l’aide aux lecteurs en difficulté au secondaire, plusieurs chercheurs ou équipes de chercheurs s’orientent prioritairement vers des programmes

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multidimensionnels. L’ONL recommande en conclusion de l’ouvrage Maitriser la lecture de penser les interventions en classe de manière à « conduire tous les élèves à pratiquer l’activité de lecture dans sa totalité » (ONL, 2000 : 309). De son côté, Francis Grossmann considère que les entrainements techniques, ciblant des compétences spécifiques, doivent s’appuyer complémentairement sur des démarches plus globales et rappelle, ce faisant, l’importance de mettre en interaction le local et le global (Grossmann, 2003 : 10). Michel Dabène et François Quet, quant à eux, posent la complémentarité de trois orientations indispensables dans toute intervention auprès des faibles lecteurs :

Trois orientations pourraient guider l’enseignant soucieux de jouer un rôle effectif de médiation entre ses élèves et le monde de l’écrit. La première est essentiellement culturelle : elle met en cause la fonction de l’écrit dans la classe de français, ses usages, sa théorisation. La deuxième concerne les aides à la lecture de textes susceptibles de développer à la fois investissement personnel et construction de sens. Pour finir, on verra qu’une méthodologie de la lecture passe aussi par l’autonomisation de processus réflexifs et l’élaboration de savoirs sur les textes et les procédures de lecture. (Dabène et Quet, 1999 : 123)

Parmi les programmes multidimensionnels, je choisis d’en retenir deux de façon privilégiée, outre les programmes Reading Apprenticeship (Schoenbach et al., 1999) et

Lector & Lectrix (Cèbe et Goigoux, 2009), lesquels font l’objet de plus longs

développements au chapitre premier de la troisième partie de la thèse. Ces dispositifs ont été élaborés à destination d’adolescents du début de l’enseignement secondaire et ils ont fait l’objet d’expérimentations récentes respectivement en France et en Suisse. Le premier programme retenu ici, les Maclé36 (Modules d’Approfondissement des

Compétences en Lecture-Ecriture), a été mis au point par André Ouzoulias. Ces modules se caractérisent par une intervention « massive » sur une durée très limitée, au sein de petits groupes de besoins, et par des activités variées, adaptées aux besoins de chaque élève (Ouzoulias, 2004). Le dispositif, tel qu’il est proposé pour les classes de collège, comporte trois types d’activités (dont le dosage varie selon les profils des lecteurs rassemblés dans les groupes de besoins) :

 des activités d’apprentissage des stratégies pour résoudre les problèmes de compréhension en lecture (les activités conduisent les élèves à prendre conscience de la nature spécifique des difficultés de compréhension qu’ils peuvent rencontrer et à mettre au point des stratégies pour chacune des difficultés ; elles les amènent aussi à s’entrainer à utiliser ces stratégies, d’abord de façon isolée, puis en les combinant à la « demande » de textes qui

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cumulent plusieurs difficultés ; elles mettent en évidence les progrès ainsi réalisés dans la compréhension en lecture) ;

 des activités d’entrainement à la lecture par groupes de mots avec une tâche de préparation d’une lecture à haute voix ;

 des activités de consolidation et d’enrichissement du lexique orthographique par la « dictée sans erreur » (chaque dictée est préparée collectivement la veille).

Les résultats des expériences menées dans différents collèges au départ d’un tel dispositif sont plutôt encourageants. André Ouzoulias met en lumière quelques-unes des conditions qui permettent d’expliquer la réussite des Maclé :

 les activités sont adaptées aux besoins des élèves les moins avancés avec une priorité accordée aux échanges métacognitifs sur les tâches proposées et sur les objectifs visés, échanges qui jouent un rôle très positif dans la qualité de la mobilisation des élèves, surtout à partir du moment où ces derniers sont suffisamment « décentrés et avancés dans leur expérience de la lecture » (ces échanges se révèlent ainsi plus faciles et plus efficaces en début de collège qu’au cours de la scolarité primaire) (Ouzoulias, 2004 : 154) ;

 les besoins des élèves sont précisément diagnostiqués, au départ d’un modèle global de l’activité de lecture (incluant l’ensemble des composantes de la lecture, sans surdétermination des unes par rapport aux autres) (Ouzoulias, 2004 : 155-158) ;

 les élèves les plus fragiles sont rassemblés dans des tout petits groupes de quatre à six élèves, ce qui permet une adaptation très fine des activités (le taux d’encadrement est supérieur à l’ordinaire, mais sur une période temporelle plus brève) (Ouzoulias, 2004 : 159-160) ;

 l’action se veut intense et continue dans une période sensible (idéalement à la rentrée scolaire), ce qui aide l’enfant à automatiser les compétences construites de jour en jour et renforce sa motivation dans la mesure où il perçoit rapidement les progrès réalisés (Ouzoulias, 2004 : 161-164).

Le second programme sélectionné pour son caractère multidimensionnel a été proposé par Sandrine Aeby à destination d’élèves en difficulté de lecture de 13 à 14 ans. Ce programme de littératie, nommé « Récréature », envisage la lecture dans une perspective plus large qu’un enseignement principalement technique (le champ des apprentissages inclut les dimensions affectives, sociales et culturelles de la lecture- écriture) ; il met en particulier l’accent « sur la manière dont les élèves vivent et

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perçoivent cet apprentissage » (Aeby, 2004 : 146). Comme les Maclé, le programme expérimenté par la chercheuse a pour spécificités :

 d’intensifier le travail sur une durée de huit semaines (les deux premières et la dernière, intensives, entourent cinq semaines pendant lesquelles les élèves retournent dans leurs classes tout en maintenant un contact avec l’enseignant du programme) ;

 et de proposer une alternance dans les tâches proposées aux élèves (certaines sont centrées sur une meilleure maitrise de l’acte de lire par l’utilisation systématique du logiciel ELSA ; d’autres, telles que la lecture-cadeau, les cercles de lecture, la rédaction d’un journal, la lecture avec les parents ou la visite d’une librairie, visent le développement d’un rapport positif au lire et à l’écrire tout en prenant en compte le contexte social de toute lecture).

L’analyse des productions (notamment les journaux de lecture) et des « trajectoires » des élèves lors de l’expérimentation du programme « Récréature » révèle :

 que les élèves expriment très rapidement un sentiment de progrès (rendu notamment manifeste par le logiciel ELSA, qui affiche le pourcentage de réussite de chaque élève aux différents exercices qu’il propose), ce sentiment de progrès contribue à remobiliser les élèves à l’égard de la lecture ;

 que cette remobilisation des ressources attentionnelles conduit les élèves à réfléchir sur les tâches qu’ils réalisent, dont ils clarifient les composantes et à propos desquelles ils s’interrogent sur les stratégies qui permettent d’en venir à bout (forme de réflexion métacognitive qui atteste la prise en charge, par les élèves, de leur propre fonctionnement cognitif) ;

 que les élèves développent peu à peu un rapport positif à l’écrit (ils restent notamment positifs face aux difficultés qu’ils rencontrent dans la mesure où ils se sentent capables de réussir ; ils interrogent leur situation de lecteur et s’affirment peu à peu comme sujets lecteurs) ;

 que les élèves quittent progressivement un rapport d’immédiateté avec le texte littéraire pour entrer dans une démarche de problématisation de celui-ci ;

 et que les élèves inscrivent peu à peu la lecture dans un espace social, de discussion et d’échange autour des textes, favorisant la construction collective du sens.

Dans les conclusions de sa recherche, Sandrine Aeby confirme l’hypothèse selon laquelle « le travail hors du cadre scolaire habituel, la multiplication et la diversification des tâches de lecture et d’écriture jouent comme des facteurs de remobilisation pour des adolescentes et des adolescents volontaires qui ont souvent connu l’échec tout au

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long de leur parcours scolaire » (Aeby, 2004 : 159). La visibilité des progrès réalisés, la possibilité d’affirmer son statut de lecteur et de scripteur (dans le cadre d’une lecture à d’autres ou d’un cercle de lecture par exemple) contribuent aussi à cette remobilisation.

Outre ces deux programmes, les Maclé et « Récréature », qui débouchent sur des résultats très encourageants, on peut aussi mentionner les résultats de deux recherches résolument ancrées dans une conception globale de l’acte de lire, dont les publics sont d’une part les adultes en situation d’illettrisme, d’autre part, de jeunes enfants (Fijalkow, Fijalkow et Pasa, 2004). Ces deux recherches mettent clairement en évidence l’influence des facteurs sociaux dans l’apprentissage de la lecture-écriture. La première étude, conduite par Yona Fijalkow, porte sur des productions d’adultes illettrés, recueillies sur une période de 10 ans, dans le cadre d’un concours d’écriture (le CLAP). L’analyse révèle que ces productions « présentent des propriétés que l’on peut mettre en rapport avec l’histoire personnelle et les conditions de vie des personnes en situation d’illettrisme » et, en cela, elle « confirme l’intérêt qu’il y a, pour les recherches sur l’illettrisme, à faire appel à une définition large de la littératie qui considère l’écriture comme une activité socioculturelle inscrite dans un contexte social » (Fijalkow, Fijalkow et Pasa, 2004 : 64).

La seconde étude, menée en situation naturelle par Laurence Pasa, porte sur trois classes de CP suivies au fil d’une année scolaire. Une première classe (dite « classe langage oral ») fonctionnait selon une approche de la lecture centrée sur les sons, mais aussi sur la constitution d’un registre de mots fréquents ; une deuxième classe (nommée « classe langage écrit ») entrait dans la langue écrite à partir de textes choisis en littérature de jeunesse pour construire, outre les compétences sémantiques et pragmatiques, des habiletés phonographiques, morphographiques et logographiques ; une troisième et dernière classe (la « classe culture écrite ») entrait dans la culture écrite par un enseignement orienté vers la découverte des aspects fonctionnels et communicationnels, au travers d’écrits sociaux divers et dans des situations de lecture-écriture qui s’appuient sur les interactions sociales (Fijalkow, Fijalkow et Pasa, 2004 : 64-65). Les résultats à une épreuve de discrimination phonologique montrent que la performance des élèves est inversement proportionnelle à l’entrainement qu’ils pratiquent en classe : les élèves de la classe « langage oral » réussissent moins bien cette épreuve, bien que les différences ne soient pas significatives, que les élèves des deux autres classes. Autre résultat, plus instructif dans la perspective qui est la mienne : la classe « culture écrite » comporte, au début de l’année, les élèves dont les performances en lecture orale sont les plus faibles et

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dont les performances en rappel de contenu sont les plus élevées de tout l’échantillon. Dans le courant de l’année, ces élèves ne perdront pas de vue la signification, tout en progressant en lecture orale (leurs résultats en lecture orale restent toutefois inférieurs à ceux des autres classes en fin d’année). Ils obtiendront la progression la plus forte de l’échantillon en reconstitution de phrases, vraisemblablement parce qu’ils utilisent mieux que les autres l’aide donnée dans la consigne. Ils sont aussi ceux qui parviendront le mieux à imaginer une suite à une histoire dont ils ont lu le début, qui soit à la fois cohérente et développée.

Au total, les élèves qui « bénéficient de la démarche la plus globalisante de l’enseignement de la lecture-écriture sont aussi ceux qui ont une approche la plus complète de l’acte lexique » (Fijalkow, Fijalkow et Pasa, 2004 : 68). Et les chercheuses de conclure, relativement à cette approche globalisante de la lecture- écriture : « en réduisant ce que l’enseignement et la formation peuvent avoir d’abstrait pour les enfants et les adultes socialement éloignés de la langue écrite, les activités proposées à l’école, ou dans les stages, peuvent acquérir un sens qu’elles n’ont pas quand elles résultent des [autres approches]. Ainsi contextualisées, les pratiques d’enseignement et de formation sont donc susceptibles de réduire les résistances et les refus qui résultent de cette abstraction » (Fijalkow, Fijalkow et Pasa, 2004 : 68).

3. Quelles interventions selon les évaluations et les instructions

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