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Premier groupe de difficultés : un déficit de familiarisation, de clarification et d’autorégulation

Chapitre  II.   Les lecteurs en difficulté

84   Comprendre et accompagner les élèves en difficulté de lecture au début du secondaire 2.1.3.3 L’influence des facteurs contextuels sur le degré de réussite

2.2. Les difficultés de lecture et leurs possibles causes

2.2.2. Vers une typologie (provisoire) des difficultés de lecture

2.2.2.2. Des difficultés de lecteurs

2.2.2.2.1. Premier groupe de difficultés : un déficit de familiarisation, de clarification et d’autorégulation

• Certains élèves sont peu familiarisés avec l’univers du livre, la culture de l’écrit et la diversité de ses usages ; ils sont peu familiers des pratiques de la lecture (littéraire) et des formes de relation à l’écrit requises à l’école

Une première catégorie de difficultés a trait au manque de familiarisation des élèves avec l’univers du livre et, plus généralement, avec les pratiques sociales de l’écrit. Comme le montrent de façon récurrente les évaluations institutionnelles, de nombreux élèves en difficulté de lecture ne fréquentent qu’exceptionnellement les lieux du livre (librairie, bibliothèque…) et ne manipulent que peu ou pas de livres (en dehors de l’école ou, plus exactement, du cours de français). Leur représentation de l’objet-livre est par conséquent approximative. Par ailleurs, la lecture n’est pas toujours une activité valorisée dans leur entourage ; ces élèves n’appartiennent pas à un cercle, à une « communauté » où les lectures sont partagées, échangées ; ils ne perçoivent donc pas l’utilité des livres et éprouvent des difficultés à choisir un ouvrage en fonction d’un projet de lecture.

Cette absence de projet est susceptible d’entraver la construction de sens. Comme le rappelle Gérard Chauveau, « lire, c’est nécessairement lire pour : s’informer, se divertir, agir, imaginer, apprendre, se cultiver, répondre à une question, satisfaire sa curiosité, s’émouvoir, etc. […] La lecture n’existe pas en dehors de l’intention du lecteur » (Chauveau, 2003 : 5). En situation scolaire, la tâche proposée par l’enseignant tient souvent lieu de projet de lecture. L’élève qui ne développe aucun projet personnel de lecture, qui considère exclusivement cette activité comme une tâche scolaire à effectuer, risque bien de ne jamais entrevoir le sens du texte qui lui a été proposé. On touche là aux difficultés de lecture générées par le contexte ou la situation de lecture (scolaire), lesquelles seront développées ultérieurement.

En outre, les faibles lecteurs se sentent bien souvent exclus des pratiques de lecture littéraire, pour y être, là aussi, peu familiarisés par leur origine socioculturelle. Relativement à la lecture de textes de fiction, et plus particulièrement de textes résistants, les mauvais lecteurs semblent souffrir d’un manque de familiarisation. Rappelons qu’au 1er degré différencié, les évaluations institutionnelles ont révélé que

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les lecteurs réguliers de romans constituent une minorité des élèves. Or la compétence lecturale dépend, entre autres, de la fréquence des rencontres avec les livres. Dans le cas contraire, les lecteurs sont trop étrangers au fonctionnement, à la mécanique d’un récit. Ceci les empêche d’émettre des hypothèses sur la suite de l’histoire, voire de mobiliser leurs compétences interprétatives. Plus précisément, le déficit de familiarisation aux récits peut se traduire par un « rapport inadéquat à la fiction », comme l’a montré Catherine Tauveron (2005). Ce rapport inadéquat, observé chez des élèves en difficulté de lecture au primaire, peut prendre trois formes différentes. Certains enfants « entrent de plain-pied dans les histoires sans jamais se poser de questions parce que pour eux tout est possible, tout est admissible sans examen (et donc rien n’est surprenant) dès lors qu’on est dans la fiction » : s’ils ne s’étonnent pas, ces enfants sont donc aussi incapables de se questionner sur le texte ou de rechercher une logique aux mondes fictionnels (Tauveron, 2005 : 99). D’autres jeunes lecteurs, mais ils sont moins nombreux d’après la chercheuse, « n’entrent pas dans la fiction, au nom du principe de réalité » : l’histoire est tout simplement impossible, parce qu’elle

n’existe pas vraiment (Tauveron, 2005 : 99). D’autres, enfin, « lisent la fiction au

travers de leur réalité » : ces enfants ont alors des difficultés « à entrer dans les univers de fiction et à accepter comme une donnée leurs propres lois de fonctionnement et leur propre système de valeurs », ils ne peuvent « aborder la lecture des histoires comme un renoncement (provisoire) à soi » (Tauveron, 2005 : 99).

Par ailleurs, comme l’a bien montré Bernard Lahire, il convient de « relativiser sociologiquement [la lecture interprétative, qui est une] "lecture par références" : cette lecture qui ne se fait que dans le rapport à d’autres lectures préalables n’est pas le mode de lecture de ceux qui lisent en faisant référence, non pas à des livres, mais à des schèmes éthico-pratiques d’expériences » (Lahire, 1993 : 114-115). Les faibles lecteurs, issus le plus souvent de milieux socioculturels défavorisés ou populaires (le pluriel s’impose, ces milieux populaires étant sensiblement différents selon les origines géographiques, les origines urbaines ou rurales…), pratiquent une autre forme de lecture, qui n’est pas une lecture « littérairement ancrée », mais « pragmatiquement ancrée », mettant en avant « le thème, le sujet et les effets de réel produits par le style et/ou par le contexte » quand la première mobilise essentiellement des références culturelles « relativement autonomes » et favorise une approche centrée sur la forme, à l’exclusion de toute dimension pragmatique (Lahire, 1993 : 115).

Nicole Robine a, quant à elle, bien montré que les obstacles à la lecture des jeunes dans les milieux populaires résident en premier lieu dans l’opposition entre deux systèmes de valeurs référentielles et de pratiques culturelles et, en second lieu, dans

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un rapport différent, particulier au livre, au texte et aux contenus que ceux-ci véhiculent (Robine, 2005). Cette relation particulière est constitutive des milieux populaires par comparaison avec les milieux dits lettrés et plus aisés. Ainsi, la vie familiale prépare ces jeunes à une conception instrumentale du savoir, centrée sur l’intelligence pratique, alors que l’école (primaire et secondaire) attend une adhésion à la lecture littéraire sans, bien souvent, parvenir à la construire. Le conflit entre la culture scolaire d’une part, la culture professionnelle et familiale d’autre part, « prend sa source et se manifeste dans une autre relation à l’écrit » (Robine, 2005 : 7). Les enquêtes psychosociales ainsi que les observations au cours de séances de psychothérapie individuelles et collectives conduites par Nicole Robine depuis vingt ans auprès de jeunes issus de milieux populaires ont permis de caractériser quelque peu la relation à l’écrit de ces jeunes (Robine, 2005). Celle-ci est marquée par :

 une vision du texte comme instance de dévalorisation de soi ;

 des gouts fondés sur des modes de récit et d’écriture plus que sur des genres ;

 une rupture prononcée entre la lecture (un loisir personnel) et la lecture à/pour l’école (un travail scolaire comme un autre) ;

 des modes d’approvisionnement centrés sur les circuits commerciaux et/ou le circuit familial et amical (ces jeunes éprouvent des difficultés à choisir leurs lectures dans la mesure où le maniement du livre et le vocabulaire afférent leur sont inconnus, où le repérage dans la division en chapitres ou dans une encyclopédie à renvois successifs leur parait compliqué... ; ils ont peur de paraitre malhabiles et excluent donc l’idée d’entrer dans une librairie ; ils privilégient dès lors les circuits commerciaux et les livres de littérature de grande consommation dont ils sont familiers, dans la mesure où ceux-ci les sécurisent et facilitent le choix grâce à un tri déjà opéré à l’intention d’un lecteur populaire ; mais ils s’appuient aussi, parce que cela dispense de choisir soi-même, sur les livres qui circulent (éventuellement) dans la famille ou le cercle amical) (Robine, 2005 : 7-10).

En somme, « le lecteur populaire cherche à lire dans des bornes de sécurité culturelle » (Robine, 2005 : 11). Discerner l’offre de lecture est une opération hautement qualifiée à laquelle le lecteur populaire ne se sent pas initié. L’ensemble des obstacles à la lecture des jeunes en milieux populaires que je viens de tenter de décrire touchent aux valeurs qui régissent ces mêmes milieux : comme le précise

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Nicole Robine, « lire peu et de façon sporadique, c’est se conformer aux habitudes familiales, c’est affirmer une filiation culturelle25 » (Robine, 2005 : 12).

• Certains élèves se méprennent sur la nature de l’activité de lecture (littéraire) ; leurs représentations font obstacle à l’apprentissage et à la pratique de la lecture

Une deuxième catégorie de difficultés concerne un déficit de clarification de la nature de l’activité de lecture (littéraire), notamment en raison de représentations erronées qui font obstacle à la pratique de la lecture et à son apprentissage.

Tout d’abord, pour poursuivre sur les difficultés que rencontrent les jeunes issus des milieux populaires, pointons une autre de leurs caractéristiques qui semble bien constituer une représentation faisant obstacle à la pratique de la lecture littéraire. Aux yeux de ces élèves, la lecture littéraire revêt en effet un caractère hautement arbitraire. Comme le soulignent Jean-Maurice Rosier et Marie-Christine Pollet, « la lecture interprétative relève, pour l’apprenant-élève, de la subjectivité et de l’avis personnel se situant, par son arbitraire même, dans un en-deçà de la lecture-compréhension, car le lecteur ne fait aucune prévision raisonnée » (Rosier et Pollet, 1996 : 292). En d’autres termes, l’élève ne perçoit ni la valeur ni le sens d’une lecture prenant en compte la littérarité du texte, qu’il assimile à « un commentaire erratique, subjectif et arbitraire » (Rosier et Pollet, 1996 : 294). Dès lors, l’étude des textes littéraires parait dérisoire au « faible lecteur » qui ne peut concevoir que celle-ci lui permette de développer des compétences transférables. En somme, les élèves issus de milieux populaires résistent à pratiquer la lecture littéraire, considérée comme arbitraire, non raisonnée et donc, non valide (De Croix et Ledur, 2001). En outre, le lecteur populaire semble peu conscient de la possibilité de chercher (et de trouver) un (des) sens caché(s) dans le texte et est intimement convaincu qu’il n’y a qu’une vérité (très souvent, si son travail de lecteur n’aboutit qu’à des hypothèses ou à la coexistence de plusieurs interprétations, il est déçu) : « en raison de l’effort à fournir, il veut être certain de ce qu’il lit » (Robine, 2005 : 10).

Ensuite, les élèves se méprennent sur la nature de l’activité de lecture : la compréhension résulte pour eux de la somme d’identifications des différents mots qui composent un texte (Goigoux, 1997, 2002 ; Cèbe et Goigoux, 2007 ; Tauveron, 2004). Les élèves n’ont pas conscience de l’activité de compréhension en elle-même et du

25 Bien entendu, la culture scolaire sera elle aussi constitutive des lecteurs populaires : l’école contribue à modeler les

gouts et les comportements de lecture, tout comme la famille et l’origine socioculturelle. Le métissage de ces deux cultures s’opère toutefois de façon très différente d’un sujet à l’autre.

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travail qu’elle présuppose : ils semblent la considérer comme un « produit naturel » de l’identification des mots. Comme le précise Danièle Manesse à la suite de l’analyse d’un questionnaire de représentation soumis à plus de 300 élèves de collège, « la lecture est envisagée comme l’oralisation de l’écrit. Lire, c’est dire, en articulant, en s’arrêtant aux points, en mettant le ton, etc. » (Manesse, 2007 : 29). Si, en principe, cette représentation, courante vers 7 ou 8 ans, devrait faire place vers 12 ou 13 ans à une représentation associant la lecture à une activité de construction de sens, on constate qu’elle persiste bel et bien à cet âge chez les lecteurs en difficulté (Rémond, 2003). Amenés à s’exprimer sur les difficultés qu’ils rencontrent en relation avec la lecture, ces élèves évoquent toujours en premier lieu les problèmes techniques de déchiffrage, et ce dans une proportion qui s’amenuise sans disparaitre entre le début et la fin du collège (Manesse, 2007 : 29). Ils évoquent aussi de façon récurrente des difficultés lexicales et ce jusqu’à la fin du collège (Manesse, 2007 : 30). Les résultats issus de ces études (Rémond, 2003 ; Manesse, 2007) en recoupent bien d’autres, par exemple ceux qu’obtiennent Sylvie Sylvalise et Gérard Chauveau à partir d’un corpus d’entretiens métacognitifs réalisés auprès de « bons » et de « mauvais » lecteurs de sixième (début du secondaire en France) : dans leurs essais de définition du savoir- lire, les lecteurs les moins performants « s’attachent seulement à l’oralisation (ou à la diction) et aux unités lexicales » (Chauveau, 1997 : 211).

Comme le montrent Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, ce « faux savoir » semble bien conduire les lecteurs à des traitements inadéquats : lecture mot à mot, traitement des phrases comme autant de phrases isolées, confusion entre lecture-compréhension et recherche d’informations au départ d’un questionnaire soumis à postériori, ignorance de la nécessité d’élaborer des représentations provisoires, d’être prêt à les remettre en cause au fil de sa lecture (pas de prise en compte de la compréhension comme processus cyclique)… (Cèbe et Goigoux, 2009). Mais les élèves, eux, n’ont pas conscience qu’ils ne comprennent pas (ou pas ce qu’il faudrait) ; plus exactement, le problème est qu’ils comprennent quelque chose dont ils pensent qu’il s’agit de ce qui est à comprendre : Roland Goigoux montre bien à cet égard que ces élèves picorent des informations éparses dans le texte, se construisent des représentations juxtaposées, fragmentaires, chacune renvoyant à des compréhensions partielles (éventuellement correctes) mais qui ne présentent aucune articulation d’ensemble (ce que le chercheur nomme la compréhension « en ilots ») (Goigoux, 2002). Seule une intervention extérieure (celle d’un pair ou, le plus souvent, de l’enseignant) permettra à l’élève de prendre conscience des limites ou des incohérences de sa compréhension. Ce manque de conscience de la non-compréhension en cours handicape fortement

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l’élève dans ses tentatives de faire signifier un texte comme dans les tâches censées mesurer la qualité de sa compréhension (Cèbe et Goigoux, 2009).

Relativement à cette méprise, à cette représentation erronée de l’activité de lecture comme activité de traitement des mots, Catherine Tauveron (2004) fait l’hypothèse qu’elle pourrait expliquer en grande partie le défaut d’automatisation de l’identification des mots chez les faibles lecteurs. La non-maitrise de la fonction instrumentale (et des autres traitements de l’écrit) devient alors la conséquence (et non la cause) de cette représentation erronée.

Enfin, les représentations erronées des élèves peuvent concerner la référence, vécue comme prioritaire, aux données iconiques. Dans une recherche sur les élèves en difficulté de lecture au primaire, Catherine Tauveron interroge le lieu commun selon lequel « les élèves en difficulté auraient besoin d’images », et montre que le besoin d’images ne nait pas des difficultés du lecteur, mais les forge au contraire (Tauveron, 2005 : 99). Elle en réfère au rituel, fréquent en maternelle, de la présentation d’albums de manière fragmentée, l’image venant illustrer la partie de texte lu ou servant à répondre aux questions posées par les enfants, pour mettre en relation la représentation erronée des élèves et les pratiques didactiques des maitres qui, parce qu’« elles […] donnent à penser que lire c’est inventer une histoire en regardant les images », « sont préjudiciables à une bonne perception de l’acte de lire par les élèves » (Tauveron, 2005 : 100). Si la lecture d’albums se fait bien entendu moins fréquente au début du secondaire, on peut penser que cette représentation erronée fait toujours obstacle à la pratique de la lecture chez les adolescents. En particulier, la présentation de supports comportant des données iconiques (depuis les illustrations insérées dans un roman jusqu’aux bandes dessinées ou aux mangas) génère chez certains élèves ce traitement déséquilibré des données textuelles par rapport aux données iconiques – de tels supports n’étant pas associés dans leur représentation à la nécessité d’ « une lecture conjointe et dialectique » des deux types de données (Tauveron, 2005 : 99).

• Certains élèves souffrent d’un déficit métacognitif et n’autorégulent pas leur activité de lecture

Une troisième catégorie de difficultés observables dans le travail des élèves touche au déficit d’autorégulation. Selon Roland Goigoux, ce sont les compétences métacognitives qui, en lecture, différencient le plus nettement les lecteurs experts des lecteurs faibles (Goigoux, 1997). Un bon lecteur évalue fréquemment sa propre

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compréhension, et sait que cet autocontrôle est non seulement possible, mais nécessaire. Il a construit un ensemble de connaissances métacognitives (relatives au lecteur, aux tâches, aux stratégies de lecture) et de compétences métacognitives relatives à la régulation de son activité (établir des buts, s’en servir pour diriger les traitements du texte et pour contrôler la compréhension…).

À l’inverse, les lecteurs en difficulté « n’ont pas une représentation claire de leur propre activité de lecture et ne savent pas comment s’y prendre » (Goigoux, 1997 : 76) ; « ils ont une très faible conscience de leurs propres procédures de lecture et des modalités de contrôle de la compréhension qu’ils pourraient mettre en œuvre » (Goigoux, 1997 : 85). En un mot, ce qui fait défaut aux lecteurs les plus fragiles, c’est tout ce qui a un rapport avec la planification, l’anticipation, la régulation, le contrôle et l’évaluation, toutes ces démarches étant assurées par l’élève lui-même sur sa propre activité intellectuelle (Goigoux, 2002 : 7). Les problèmes d’autorégulation caractérisent à des degrés divers les élèves dont les enseignants déclarent qu’ils ont, plus généralement, des difficultés de centration de leur attention sur la tâche scolaire, qu’ils ne planifient pas leurs actions, mais se jettent au contraire très vite dans la réalisation (Goigoux, 2002, 2007).

D’autres chercheurs pointent eux aussi le déficit métacognitif des élèves en grande difficulté de lecture. C’est notamment le cas de Martine Rémond, qui relève de façon récurrente, à travers les diverses études qu’elle a menées auprès de populations de mauvais compreneurs d’âges différents, une même difficulté à « exercer un contrôle métacognitif aussi achevé que celui des bons compreneurs » (Rémond, 2001 : 118). Diverses tâches utilisées comme instruments de mesure (par exemple la tâche de détection des incohérences, celle d’autoévaluation de la compréhension lors de la lecture de textes) montrent :

 que les mauvais compreneurs surévaluent leur compréhension (justement parce qu’ils n’ont pas conscience qu’ils ne comprennent pas, comme j’ai tenté de l’expliquer ci-avant) ;

 qu’ils manquent de procédures de contrôle de la lecture en cours, telles que la planification, l’autoévaluation et la révision (ces lecteurs ne modifient pas leur méthode d’analyse du matériel textuel en fonction de sa « nature » ni de l’objectif qu’ils poursuivent ou qui leur est assigné ; ils ne modulent pas leur vitesse pour un traitement plus approfondi du texte et ne font pratiquement jamais de retours en arrière, alors que cette stratégie de révision est fort utile en lecture, en particulier face à des textes résistants) ;

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 qu’ils ont des connaissances métacognitives moins nombreuses et moins précises que les « bons » compreneurs.

Les expériences menées par Martine Rémond ont permis de conforter l’hypothèse d’une relation entre l’exercice pertinent du contrôle métacognitif, le niveau de connaissances métacognitives et l’efficience de la compréhension (Rémond, 2001 : 119). J’évoquerai par la suite les résultats des interventions qu’elle a menées.

De leur côté, Kate Cain et Jane Oakhill constatent semblablement, autant par leurs propres travaux qu’à la suite d’une revue rigoureuse des principales études expérimentales sur le sujet, que les problèmes liés au contrôle de la lecture en cours sont récurrents chez les mauvais compreneurs. Plus encore, il semble que ce soit la seule difficulté reconnue unanimement comme étant caractéristique de la sous- population des mauvais compreneurs (Cain et Oakhill, 2007). De même, la plupart des travaux réunis dans le numéro 35 de la revue Repères consacré aux « Ratés de l’apprentissage de la lecture à l’école et au collège », évoquent une déficience prégnante des mauvais lecteurs dans le domaine métacognitif (Nonnon et Goigoux, 2007a).

Le déficit métacognitif, comme les représentations erronées de l’activité de lecture, peut déboucher sur des traitements inadéquats. Relèvent du déficit d’autorégulation (et peuvent dès lors contribuer à le rendre perceptible à un observateur extérieur), les attitudes et comportements suivants :

 le contrôle de la compréhension au seul niveau propositionnel (rarement au niveau interphrastique et textuel) ;

 la dépendance totale à l’égard de l’enseignant qui, seul, pose les questions, valide les réponses (la compréhension n’est pas le fruit d’un processus autonome de construction progressive du sens, mais repose sur une tutelle externe) ;

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