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De quels lecteurs parle-t-on quand on parle de « lecteurs en difficulté » ?

Chapitre  II.   Les lecteurs en difficulté

1. De quels lecteurs parle-t-on quand on parle de « lecteurs en difficulté » ?

Qui sont ces élèves de collège que l’on dit « non lecteurs », « mauvais lecteurs », « faibles lecteurs » ou encore « lecteurs précaires » ? S’il n’est sans doute ni possible ni souhaitable d’aboutir à un consensus sur la signification de ces différentes dénominations, on peut tout de même tenter de les clarifier et, surtout, de cerner les réalités diverses qui sont regroupées derrière ces termes.

Le terme « faible » lecteur (ou faible lecture) a principalement cours dans les travaux de sociologie de la lecture. Joëlle Bahloul précise dans son ouvrage consacré aux

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Lecteurs précaires (Bahloul, 1990) que les « faibles » lecteurs correspondent d’abord

à une population spécifiée par une variable statistique, à savoir le nombre de livres lus pendant l’année. Ainsi, la recherche lancée par le Ministère de la Culture en 1982 sur les pratiques culturelles des Français a posé les critères de cette quantification selon l’échelle suivante :

 0 = non lecteurs

 1 à 4 ; 5 à 9 = faibles lecteurs

 10 à 24 = moyens lecteurs

 plus de 25 = gros lecteurs (Ministère de la Culture – Service des Etudes et Recherches, 1982 : 72).

Quatre catégories de lecteurs apparaissent au sein de cette conception, dont Bahloul rappelle très justement qu’elle présuppose une légitimation sous forme quantitative d’une certaine pratique lectorale, instituée en modèle. En réalité, précise la sociologue, les trajectoires des personnes qualifiées selon cette typologie de « faibles lecteurs » sont très diverses. C’est ce constat qui la conduit à sonder aussi, selon une approche plus qualitative, la biographie familiale et éducative, la biographie lectorale, la socialisation de la lecture, les représentations du livre et de la lecture… Qui est alors le « faible lecteur » (que la chercheuse nomme également « lecteur fragile » ou « lecteur précaire » – c’est d’ailleurs cette dernière dénomination qui l’emporte dans le titre de son ouvrage) ? Considérant, au vu de ses investigations, que le « faible » lecteur n’est pas seulement un non-lecteur ou un « petit » lecteur, Joëlle Bahloul propose la caractérisation suivante.

Dans le discours et la représentation de soi tout d’abord, le « faible » lecteur se définit comme lecteur par sa trajectoire scolaire (marquée par la faiblesse ou par l’échec) et s’envisage lui-même comme démuni de capital culturel (en référence à la lecture savante reconnue comme légitime). Ensuite, il recourt principalement aux moyens de communication de masse pour s’informer sur le livre et aux réseaux de commercialisation en grandes surfaces pour l’acquérir. La lecture se situe en outre pour lui dans le registre du passif : elle n’occupe que les temps morts. Par ailleurs, le « faible » lecteur sélectionne les genres thématiquement : l’univers narratif de son livre de prédilection est dominé par l’« action », le « vécu » et le « pratique » ; les ouvrages qui retiennent son attention n’ont pas reçu la légitimation institutionnelle de l’école. Enfin, la lecture ne vise à acquérir, à ses yeux, ni un capital culturel ni un capital social (la lecture ne fait pas l’objet d’échanges ou d’interactions sociales) ; mais le « faible » lecteur a toutefois la conscience d’appartenir à la culture majoritaire, transmise par

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toute la gamme des médias (dominée culturellement, la « faible » lecture ne représente ainsi pas un univers socialement exclu). On le voit, dans les travaux de Bahloul (mais on aurait pu se référer aussi à ceux de Lahire, de Poulain ou de Robine, pour ne citer qu’eux), le « faible » lecteur ne désigne pas d’abord ou exclusivement le lecteur qui ne fréquente pas ou peu les livres, mais celui qui entretient un rapport fragile au livre, entre désir (le livre est valorisé et fait l’objet d’une croyance symbolique forte) et doute (ses propres lectures sont déniées).

Si le terme « faible » lecteur circule principalement dans le champ de la sociologie, celui de « mauvais » lecteur est davantage utilisé dans les domaines de la didactique, de la pédagogie ou de la psychologie cognitive16. Elisabeth Nonnon et Roland Goigoux, dans le numéro 35 de la revue Repères (2007) qu’ils ont coordonné, retiennent cette dénomination et explicitent ainsi leur choix :

Le choix a été fait de reprendre le terme de « mauvais lecteurs », non pour lui donner le statut de catégorie d’évidence et le naturaliser, mais pour le questionner : ce terme en effet circule dans différents espaces sociaux et est utilisé, notamment à l’école et par les enseignants, pour désigner des situations problématiques réelles, mais de type différent. (Nonnon, 2007 : 6)

C’est donc principalement par souci de distinction d’avec le terme de « faible » lecteur au sens sociologique – « ceux qui ne pratiquent pas les livres ou qui ne sont que des "lecteurs ordinaires" utilisant l’imprimé pour des usages de régulation de leur vie pratique ou sociologique » (Nonnon, 2007 : 11) – que celui de « mauvais lecteurs » est adopté. L’examen des articles réunis dans ce numéro de la revue révèle toutefois l’usage, par les différents chercheurs, des termes ou expressions « élèves en (très) (grande) difficulté de lecture (compréhension) », « lecteurs précaires », « lecteurs moins performants » et même « faibles lecteurs » comme synonymes de « mauvais lecteurs ». Dans ces travaux, la population de jeunes lecteurs visée est décrite comme très hétérogène – tous s’accordent d’ailleurs pour mettre en évidence cette diversité comme l’une des principales caractéristiques du groupe des « mauvais lecteurs ». Mais au-delà de cette diversité inhérente aux élèves en difficulté de lecture, il me semble que la formule « mauvais » lecteurs (ou ses équivalents) désigne le plus souvent, non pas uniquement ou prioritairement un rapport fragile au livre ou à l’écrit, mais une faiblesse de performance dans le traitement de l’écrit, sans méconnaitre l’extrême variabilité des raisons qui mettent ces lecteurs en difficulté. Ce déficit en termes de performances peut toucher à différentes facettes de l’activité de lecture (l’identification des mots, la compréhension ou encore la métacognition). Ainsi, le

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« mauvais » lecteur, outre qu’il est souvent (d’abord) un lecteur scolaire (ce que n’est pas nécessairement le « faible » lecteur), peut être par ailleurs un lecteur « moyen » en termes de quantité de livres lus (voire un gros lecteur si l’on songe, par exemple, à certains lecteurs en grande difficulté qui sont par ailleurs spécialisés dans la lecture de mangas).

2. De quelles difficultés parle-t-on quand on parle de mauvais lecteurs au

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