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PREMIÈRE PARTIE Purification

LES NOTIONS DE VRAI SELF ET DE FAUX SELF KEATINGNIENS À L’ÉPREUVE DES OBSERVATIONS DE WINNICOTT

2.1 Compatibilité du vrai self keatingnien avec la pensée de Winnicott

2.1.2 Une profonde liberté

Voyons maintenant comment la liberté inhérente au vrai self, perçue par Keating et mani- festée par les initiatives de l’enfant, est reçue par Winnicott. Celui-ci écrit:

At the earliest stage the True Self is the theoretical position from which come the spontaneous gesture and the personal idea. The spontaneous gesture is the True Self in action. Only the True Self can be creative and only the True Self can feel real. […]The True Self comes from the aliveness of the body tissues and the working of body-functions, including the heart's action and breathing. It is closely linked with the idea of the Primary Process, and is, at the begin- ning, essentially not reactive to external stimuli, but primary206 .

Winnicott affirme ici que la formation du vrai self provient de la vie des tissus corporels et du libre jeu des fonctions du corps, et que le fait d’avoir un vrai self donne le sentiment de réalité, produit les gestes spontanés, la créativité et l’idée personnelle. Le vrai self win- nicottien peut s’épanouir grâce à l’existence d’un processus primaire* rendu possible par

un environnement bienveillant; c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’empiètements de la part de l’environnement comme un désir de prolongement narcissique parental projeté sur l’enfant. En effet, la nature humaine, selon Winnicott, est telle qu’au début notre vrai self peut exister tout simplement avant d’entrer en réaction avec des stimuli extérieurs. Il con- tinue:

It is important to note that according to the theory being formulated here the concept of an individual inner reality of objects applies to a stage later than does the concept of what is being termed the True Self. The True Self appears as soon as there is any mental organization of the individual at all, and it means little more than the summation of sensori-motor aliveness.

The True Self quickly develops complexity, and relates to external reality by natural processes, by such processes as develop in the individual infant in the course of time. The infant then comes to be able to react to a stimulus without trauma because the stimulus has a counterpart in the individual's inner, psy- chic reality207.

206D. W. WINNICOTT. « Ego Distortion in Terms of True and False Self […], p. 149. [p. 125-126.] 207 Ibid., p. 149. [p. 126.]

Notre auteur avance ici que le vrai self existe avant même que l’enfant acquière une re- présentation intérieure des objets. Le vrai self résulte de l’accumulation progressive des diverses expériences sensori-motrices liées au fait de vivre, et apparaîtrait dès que débute l’organisation mentale de l’enfant, c’est-à-dire le moi. Ce vrai self se complexifie ensuite en se reliant à la réalité extérieure, et cela sans subir de traumatisme s’il a déjà en sa réali- té intérieure une contrepartie aux stimuli ressentis. D’où la très grande importance des soins maternels suffisamment bons pouvant mettre en place cette contrepartie, car elle permet au vrai self de se développer librement, au lieu d’être entravé par une attitude dé- fensive. Winnicott ajoute à ce propos, dans « Anxiety Associated with insecurity », – un texte dans lequel il essaie d’exposer à ses collègues ce qui précède la première relation d’objet, – qu’un bébé isolé d’un environnement ne peut exister : « There is no such thing as a baby208», c’est-à-dire qu’il n’est pas possible qu’un bébé puisse vivre sans aucune

relation affectueuse. La relation d’objet commence, d’après l’auteur, aux cours des pre- mières semaines de la vie, alors que l’enfant est au début du processus de défusion mater- nel. Pour Winnicott, la situation qui précède la première relation d’objet est telle que ce n’est pas l’individu qui est la cellule, mais la structure fusionnelle du couple nourrice- nourrisson. Le centre de l’être ou du self potentiel du nourrisson, « centre of gravity of the being » selon l’expression de l’auteur, ne se constitue pas à partir de l’enfant, mais à partir d’abord du centre de cette structure mère-enfant. Alors, si la mère est suffisamment bonne dans son holding, elle ne provoque pas d’empiètements et le centre de gravité de l’être commence à se déplacer pour s’installer au centre même de l’enfant, au lieu de se fixer à sa périphérie de façon à exercer une défense. L’enfant, ainsi centré en son être vrai, com- mence alors à se créer un monde extérieur, c’est-à-dire à entrer dans sa première relation d’objet. Il acquiert aussi en même temps le sens de son intérieur et de la limite de son self par rapport à ce monde extérieur209.

À notre avis, ce début de communication élémentaire dans son ensemble implique, pour le noyau du vrai self, une nature essentiellement libre, puisque l’enfant peut prendre l’initiative de répondre ou non, et d’une façon personnelle, aux soins reçus.

208 D. W. WINNICOTT. « Anxiety Associated with insecurity » (1952), Through Paediatrics […], p. 99. [ «

L’angoisse associée à l’insécurité », De la pédiatrie […], p. 128.]

De plus, à propos de la liberté du vrai self, Winnicott affirme dans son article « Ego Inte- gration in Child Development » (1962):

In the very early stages of the development of a human child, therefore, ego- functioning needs to be taken as a concept that is inseparable from that of the existence of the infant as a person. What instinctual life there may be apart from ego-functioning can be ignored, because the infant is not yet an entity having experiences. There is no id before ego. […] It will be seen that the ego offers itself for study long before the word self has relevance. The word self arrives after the child has begun to use the intellect to look-at what others see or feel or hear and what they conceive of when they meet this infant body. […].The first question that is asked about that which is labelled ego is this: is there an ego from the start? The answer is that the start is when the ego starts. […] It is well to remember that the beginning is a summation of begin- nings210.

Dans les tout premiers stades du développement de l’enfant, l’auteur avance que le fonc- tionnement du moi doit être vu comme un concept inséparable de l’existence de l’enfant en tant que personne. Winnicott affirme que si une vie instinctuelle existe en dehors du fonctionnement du moi, on peut ne pas en tenir compte parce que le nourrisson n’est pas encore une unité ayant des expériences. Contrairement à Freud211, il certifie que le ça

n’existe pas avant le moi, parce qu’il est possible d’observer des caractéristiques du moi212 bien avant que la pertinence du mot « self » – c’est-à-dire de tout ce qui est relié

aux pulsions du ça – soit déduite des observations tirées des patients au cours de leurs multiples régressions. En effet, les notions reliées au mot « self » arrivent dans le déve- loppement affectif bien après que l’enfant – le patient régressé au cours du transfert – ait commencé à se servir de son intellect pour décrire ce que les autres voient, éprouvent ou entendent, et ce qu’ils se représentent lorsqu’ils observent de près son petit corps de nour- risson. Alors, le moi existe dès les tout débuts de la personne, et grâce au holding d’une mère suffisamment bonne, devient capable d’établir une personnalité unifiée. Winnicott

210 D. W. WINNICOTT. « Ego Integration in Child Development » (1962), The Maturational Processes

[…], p. 56. [« Intégration du moi au cours du développement de l’enfant », Processus de maturation […], p. 9-10.]

211 « In Freud’s theory the ego emerges from the id . Winnicott, like Klein, believes there is an ego, however undeveloped, at the very beginning. » Cf., J. ABRAM. The language of Winnicott […], p. 158.

212 Lorsque Winnicott utilise le mot « ego », il parle d’un aspect du self qui sert spécifiquement à la fonction

ajoute que ce qu’il entend par « beginning » est une sommation de débuts, précisant ainsi qu’il y a une simultanéité dans le développement du moi et du self, mais que la mémorisa- tion concernant le moi précède les souvenirs d’une intégration du self213. Winnicott dé-

clare cependant dans « Birth Memories, Birth trauma, and Anxiety », que le nourrisson est préparé dès avant la naissance, à quelque empiètement de la part de l’environnement. L’enfant a déjà eu naturellement l’expérience d’un retour de l’état de réaction à un état où il n’est pas tenu de réagir, qui est le seul état dans lequel le self peut commencer à être214.

Nous déduisons donc de cette dernière affirmation de l’auteur que d’une part, le self commencerait son existence bien avant que des souvenirs de son intégration soient expri- més215, et d’autre part que le vrai self est naturellement et essentiellement un être de liber-

té, puisqu’il peut commencer à être seulement s’il est dans un état où il n’a pas à réagir à des stimuli.

En somme, cette liberté profonde du vrai self keatingnien trouve un écho très favorable chez Winnicott qui voit dans la spontanéité, la créativité et l’originalité, une signature du vrai self de chaque enfant qui s’anime de plus en plus, à mesure que la psyché s’installe dans son corps et lui donne le sentiment d’être réel. Pour notre psychanalyste, la bienveil- lance de l’environnement implique le maintien de soins maternels suffisamment bons. Ces soins favorisent la spontanéité de l’enfant au lieu de lui inculquer une fonction défensive excessif et potentiellement pathologique qui empêche la libre expression de son énergie, et conséquemment de sa personnalité unique, soit de son identité profonde.

Considérons maintenant cette troisième caractéristique du vrai self keatingnien.