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Points de convergence et de divergence du texte « The Capacity to be Alone » par rapport aux nuits obscures du cheminement spirituel

PREMIÈRE PARTIE Purification

SILENCE INTÉRIEUR ET DÉSTRUCTURATION DU FAUX SELF INTRODUCTION

3.3 La compatibilité de la pratique du silence intérieur avec la pensée de Winnicott

3.3.1 La capacité d’être seul

3.3.1.7 Points de convergence et de divergence du texte « The Capacity to be Alone » par rapport aux nuits obscures du cheminement spirituel

Nous présentons les points de convergence et de divergence par rapport aux nuits séparé- ment de ceux concernant la dynamique cyclique, afin d’en faciliter la compréhension, mais retenons que rien d’autre ne justifie cette séparation qui présente l’inconvénient de revenir parfois sur des caractéristiques déjà mentionnées.

Nous tenons aussi à souligner que notre intention, dans cette recherche ne se veut aucu- nement réductrice de l’expérience de Dieu au cours des nuits, mais est seulement de faire ressortir une certaine cohérence entre la spiritualité des nuits obscures et les observations de Winnicott, afin d’apporter un peu d’éclairage si possible aux pèlerins sur leur chemin spirituel.

Points de convergence

1 - Absence d’orientation dans l’intentionnalité et l’action

Winnicott caractérise le fait d’être seul par un état de non orientation dans l’intentionnalité et l’action; c’est-à-dire d’un arrêt de stimulations extérieures ou inté- rieures constantes en présence d’un autre, et conséquemment d’absence de réactions. Cet état de non orientation et de non réaction se relie au sentiment de perte et d’aridité, et à la diminution du goût pour le créé ressentis au cours des nuits obscures. De plus, cet état de non orientation et de non réaction que Winnicott a observé tant chez le patient adulte – « an achievement…to be alone » – que chez l’enfant, rappelle l’attitude d’abandon ou de lâcher-prise, qui s’installe lors de la traversée de la nuit des sens. En effet, aux prises avec l’impossible tâche de satisfaire adéquatement des besoins excessifs de sécurité, de con- trôle et d’estime de soi, l’orant est amené au cours de cette nuit à s’abandonner en toute

confiance à la Transcendance, malgré la peur de l’inconnu et de l’insécurité qu’elle peut susciter, tout comme l’enfant a à s’abandonner aux soins de sa mère.

2 - Modification du mode relationnel

Pour favoriser la capacité d’être seul de l’enfant, et son passage à un état plus indépen- dant, la mère suffisamment bonne diminue graduellement sa présence continuelle et ses interactions avec l’enfant. Plus tard au cours du sevrage, l’enfant s’oppose généralement à ce développement déplaisant et insécurisant dans la relation maternelle, mais lorsqu’il apprend avec le temps à accepter la situation, il apprécie beaucoup la nourriture solide plus énergétique.

La dynamique au cours de la nuit des sens est semblable, selon Keating, alors que l’orant a à consentir à un passage, celui d’un mode nouveau et plus intense de relation à Dieu détaché des sens, de la rationalité, des consolations427, et libéré de la domination par les

émotions. Nous pouvons voir ici une convergence avec le troisième fruit de la nuit de l’esprit, alors que Dieu se révèle à l’orant dans le silence d’une manière immensément supérieure comme étant l’infini, l’incompréhensible et l’ineffable.

3 - Bons objets intériorisés et goût de l’intimité avec Dieu

Pour Winnicott, la capacité d’être seul est basée sur l’existence dans la réalité psychique de bons objets intériorisés. Au cours de la nuit des sens, l’orant a le goût d’être seul en intimité avec Dieu, puisque les représentations de Dieu peuvent référer à l’amour ressenti, par exemple lors de bonnes relations parentales qui ont été intériorisées.

4 - Relation au moi et infusion d’amour divin

La capacité d’être seul, selon Winnicott, est un indice de maturité affective, et cette matu- rité augmente grâce à la relation au moi que la mère entretient avec l’enfant. L’éloignement progressif de la mère suffisamment bonne peut être éprouvant pour l’enfant habitué à plus de proximité, mais la modification du mode relationnel l’amène à découvrir plus de liberté et d’autonomie dans la relation.

427 « What has ended is their overdependence on the senses and reasoning in order to pray. God is offering them a more intimate relationship; if they would not reflect on their anxious feelings, they would begin to perceive it. […] The night of sense is a period of weaning from the consolations that characterized the be- ginning of our relationship with God. The solid nourishment of pure faith is an acquired taste, like solid food for the weaned child. » Cf., T. KEATING. Invitation to Love […], p. 69.

Pour Keating, les sentiments d’absence de Dieu et d’abandon, éprouvés au cours des nuits obscures, se modifient, grâce à une infusion d’amour divin, qui amène graduellement le priant vers une relation à Dieu plus mature, où la rétribution dans le rapport à Dieu laisse place de plus en plus à la gratuité.

5 - Fidélité maternelle et confiance en la fidélité divine

En utilisant symboliquement les mots « Je », « Je suis. », et « Je suis seul. », Winnicott exprime que l’enfant acquiert progressivement, au cours de son développement affectif, une capacité d’être seul. Cette capacité est devenue de plus en plus grande grâce à une mère qui était fiable et revenait tout le temps, malgré ses absences plus fréquentes ou de plus en plus longues. L’enfant a ainsi développé la confiance de ne pas être abandonné par celle qui l’aime.

De même, au cours des nuits obscures, l’orant subit l’angoisse de l’absence de consola- tions et de la remise en question de ses repères théologiques. C’est d’abord par la média- tion de l’amour ressenti dans la relation maternelle et ensuite au cours de l’appropriation des Écritures428 que l’orant peut garder l’espoir et la confiance en la grâce et la fidélité de

Dieu.

Points de divergence

1 - Amour humain et amour divin

Dans l’établissement de ce qui nous semble converger entre Keating et Winnicott à pro- pos des nuits, une analogie est posée entre le rôle de la mère avec l’enfant et le rôle de Dieu avec l’orant. Même si on considère que l’amour maternel prend sa source dans l’amour divin, il n’en demeure pas moins que la comparaison est limitée puisque pour Keating l’amour divin est infini, alors que pour Winnicott l’amour humain ne l’est pas.

2 - Différence dans les postulats

Keating pose Dieu qui intervient aux cours des nuits afin d’expliquer la dynamique de ces périodes de transformation. Winnicott reconnaît seulement l’existence d’un vrai self

428 Par l’expression « appropriation des Écritures » nous entendons que l’orant peut prendre conscience

graduellement en écoutant des témoins de la foi ou en pratiquant la lectio divina, que les témoignages con- cernant la relation à Dieu le concernent intimement et l’appellent à une croissance dans sa propre spirituali- té.

au potentiel mystérieux429, capable de guérir la personne430, d’accepter la bonté en lui431,

et de reconnaître toute l’importance de l’amour inconditionnel432. Cette divergence pro-

vient de la différence des horizons épistémologiques entre la théologie et la psychanalyse, et ne disqualifie donc pas du tout l’éclairage psychologique que Winnicott peut apporter. Après cette analyse de la dynamique de la Centering Prayer et des nuits obscures, en rap- port avec les observations et réflexions de Winnicott à propos de la capacité d’être seul, nous pouvons retenir que le texte de notre psychanalyste apporte un bon éclairage sur cette forme d’intériorisation sans créer de tensions pouvant mettre en doute le bien-fondé de la pratique du silence intérieur. Nous allons maintenant considérer un deuxième texte de Winnicott : « Metapsychological and Clinical Aspects of Regression within the Psy- cho-Analytical Set-Up » (1954), afin de vérifier jusqu’à quel point les effets thérapeu- tiques du silence intérieur peuvent trouver une correspondance dans les observations de notre psychanalyste.