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PREMIÈRE PARTIE Purification

SILENCE INTÉRIEUR ET DÉSTRUCTURATION DU FAUX SELF INTRODUCTION

3.3 La compatibilité de la pratique du silence intérieur avec la pensée de Winnicott

3.3.1 La capacité d’être seul

3.3.1.4 Le développement de la capacité d’être seul

Winnicott utilise ensuite les mots « Je suis seul » pour montrer les étapes de l’élaboration de la capacité d’être seul416. Pour être à l’étape du « Je », il faut que l’enfant ait atteint une

bonne maturité affective et ait réussi son intégration, c’est-à-dire à coordonner affectivité et motricité, pris conscience des limites de son corps et du fait que ses pulsions ne pro- viennent pas du monde extérieur. Le self émerge alors de la fusion maternelle et le moi commence à s’organiser. Le nourrisson peut faire la différence entre moi et non-moi, et sa vie intérieure peut maintenant exister.

Avant l’étape du « Je suis417», le nourrisson est tout à fait sans défense. La mère qui est

suffisamment bonne s’identifie à son bébé et est capable de maintenir un environnement protecteur et rassurant. C’est seulement à cette condition que l’enfant peut acquérir plus

414 « Souvent, dans le fantasme de la scène primitive, l’enfant s’identifie à l’un des partenaires. Soit le " passif ", soit " l’actif ". Il interprète alors la relation sexuelle des parents comme une scène agressive de

laquelle résulte pour lui un fantasme d’abandon énorme (Sentiment de l'enfant face à la scène primitive dont il se sent exclu). Période de cauchemars, de besoin d’affection de la part de la mère… C’est à cette période qu’il demande à dormir dans le lit parental. » Cf., (page consultée le 1 avril 2016), Complexe d’Œdipe,

http://psychiatriinfirmiere.free.fr/infirmiere/formation/document/psychologie/oedipe.htm .

415 D. W. WINNICOTT. « The Capacity to be Alone […], p. 31. [p. 207-208.]

416 Il ne s’agit pas de référer nécessairement à la première utilisation de ces mots par l’enfant, comme nous

l’avons mentionné au chapitre précédent en référant à l’organisation du moi présentée par Winnicott dans « Ego Integration in Child Development » (1962).

417 L’étape du « Je suis » se situe entre 3 et 6 mois et se relie à l’atteinte de la position dépressive. Cf., J.

de confiance en lui, parce que la mère s’identifie au moi de l’enfant et est très attentive à ses besoins. Alors l’enfant atteint l’étape du « Je suis » dans son développement en tant qu’individu et cet état représente mentalement pour lui une existence établie dans un mi- lieu bienveillant.

Les mots « Je suis seul » représentent que, malgré les absences répétées418 de sa mère,

l’enfant se rend compte que celle-ci revient tout le temps et qu’il n’a pas à craindre sa disparition. Il sait qu’il peut avoir confiance en elle, ce qui le rend capable d’être seul pour une durée limitée419.

3.3.1.5 La relation au moi

Winnicott attache une grande importance à cette relation particulière de soutien du moi de l’enfant par celui de la mère. Il l’appelle « ego-relatedness », « relation au moi », parce qu’il veut la distinguer de la relation au ça. Il y voit la base de l’amitié et soupçonne aussi que s’y forment les différents facteurs qui favorisent le transfert au cours duquel une con- fiance s’établit, et amène à se confier à un autre, comme si c’était un parent ou un ami. La relation au moi est très calme et s’établit entre deux personnes dont l’une au moins est seule. La présence de chaque personne importe à l’autre dans cette relation qui diffère de la relation pulsionnelle où le moi est sans cesse perturbé dans son rôle de régulateur entre les pulsions et l’environnement.

Pourquoi est-il important, afin que se développe la capacité d’être seul, que quelqu’un soit présent sans pourtant vouloir contrôler la situation ? L’auteur avance que les pulsions du ça peuvent renforcir un moi déjà fort ou affaiblir un moi déjà faible, d’où l’importance, dans le cadre de ce qu’il nomme une relation au moi, du support de la mère qui par la force de son moi vient soutenir celui de l’enfant et le sécuriser. Winnicott écrit: « It will now be seen why it is important that there is someone available, someone present, alt- hough present without making demands; the impulse having arrived, the id experience can be fruitful, and the object can be a part or the whole of the attendant person, namely the mother. It is only under these conditions that the infant can have an experience which

418 Ce serait aussi grâce à ces absences temporaires et répétées que l’enfant peut faire une différence entre

une mère qui est près de lui et une mère qui est partie. C’est parce qu’elle s’absente de temps à autre qu’il peut acquérir la notion de présence.

feels real420. » Dans ce passage, l’auteur explique que c’est lorsque le nourrisson est au

prise avec sa pulsion que l’expérience instinctuelle peut porter ses fruits, et que pour l’enfant, l’objet dans la relation peut être une partie de la mère ou la mère en totalité. C’est seulement dans ces conditions qu’un enfant peut avoir une expérience qu’il ressent comme réelle. Nous interprétons que Winnicott veut souligner l’importance de laisser l’espace libre (« without making demands ») à l’enfant, malgré le soutien nécessaire que la mère doit apporter à son moi, pour qu’il se sente exister indépendamment d’elle et ne développe pas une fausse personnalité caractérisée par la soumission. L’enfant serait alors en situation pour se rendre compte qu’une pulsion quelconque qu’il ressent provient bien de son corps et non de sa mère, si celle-ci ne cherche pas à contrôler cette pulsion. Et ain- si, il devient possible à l’enfant de découvrir sa pulsion de vie personnelle421. Pour illus-

trer pensons à l’allaitement. La pulsion de se nourrir vient de l’enfant seul en présence de la mère. La mère, en laissant le temps au nourrisson de ressentir sa pulsion et en répon- dant seulement ensuite à ses gestes, lui permettra de se rendre compte qu’il existe indé- pendamment d’elle et que sa pulsion est réelle, puisqu’il reçoit une réponse non immé- diate qui lui permet de faire la différence entre sa pulsion à lui et ce qui vient d’ailleurs (la réponse de la mère qui présente le sein).

En résumé, la capacité d’être seul se fonde, selon Winnicott, dès les premiers mois de la vie alors que l’enfant émerge lentement de la fusion maternelle, grâce à l’habileté de la mère suffisamment bonne qui sait doser très graduellement la durée des moments de sépa- ration. Ainsi le bébé ne se perd pas dans la solitude parce qu’elle est trop absente, ni dans l’étouffement parce qu’elle est omniprésente. L’enfant construit alors progressivement un sentiment de continuité interne, d’existence propre, et de confiance qui lui permet de prendre peu à peu de l’autonomie. Par la suite, il est alors très important de laisser pro- gressivement l’enfant interagir avec l’extérieur sans qu’il soit toujours en présence de la mère, afin qu’il ressente le besoin de recourir aux souvenirs intériorisés de celle-ci et de ses soins pour édifier encore plus son environnement interne qui le rend davantage apte à être seul. Selon Winnicott, cette étape est franchie avant l’introjection de la mère, et l’état

420 Ibid., p. 33-34. [p. 210-211.]

421 Nous pouvons voir ici un lien intéressant entre la capacité d’être seul en présence d’un autre, la décou-

verte de l’altérité de la mère et la sienne propre par l’enfant, de même que le sens critique que ce dernier aura développé à l’âge adulte face aux valeurs de groupes d’appartenance.

de solitude implique toujours la présence de quelqu’un d’autre422. Il veut dire par là qu’au

début la mère est présente réellement, et qu’ensuite, graduellement, l’enfant se crée un environnement interne qui peut lui permettre de plus en plus d’être seul sans la présence réelle; et finalement, grâce aux souvenirs des bonnes relations avec sa mère qu’il a inté- riorisés, l’enfant est capable d’être loin physiquement de sa mère en référant inconsciem- ment à la mère introjectée.

Voyons maintenant en quoi les discours, keatingnien et winnicottien, peuvent converger ou diverger, en identifiant certains points du texte « The Capacity to be Alone », qui nous semblent rejoindre ou s’opposer plus étroitement à la pratique du silence intérieur.

3.3.1.6 Points de convergence et de divergence du texte « The Capacity to be