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PREMIÈRE PARTIE Purification

LES NOTIONS DE VRAI SELF ET DE FAUX SELF KEATINGNIENS À L’ÉPREUVE DES OBSERVATIONS DE WINNICOTT

2.3 Comparaison des concepts de vrai self et de faux self, keatingniens et winni cottiens.

2.3.1 Comparaison du vrai self keatingnien au vrai self winnicottien 1 L’unicité de la personne

L’unicité de la personne humaine nous semble être une première caractéristique du vrai self keatingnien qui entre en résonnance avec des observations de Winnicott.

Points de convergence

1o Notre psychanalyste affirme que le bébé a des idées bien à lui presque dès le début, et

que l’intégration de sa personnalité se fait rapidement lorsqu’il se sent accepté et aimé comme quelqu’un d’unique par l’intermédiaire des relations d’objet, et surtout des soins prodigués par une mère suffisamment bonne.

2o Winnicott se demande comment l’enfant peut réussir à se séparer mentalement de sa

mère, et à se différencier en un self personnel, alors qu’elle l’a tant supporté dans l’édification de son moi, afin qu’il parvienne à maîtriser le ça. Il est observé, en effet, qu’au cours du stade du holding, l’enfant passe d’un état non intégré à une intégration structurée, et devient capable de ressentir l’angoisse liée à la désintégration; ce qui montre qu’il forme de plus en plus une personne unique et unifiée.

3o D’après Winnicott, l’enfant acquiert, par l’intermédiaire de la fonction d’absorber et

de rejeter, le sens d’un intérieur et d’un extérieur au self, de sorte que l’ensemble psyché- soma s’établit en un état d’unité personnelle unique suite à cette somme d’interactions personnelles et continuelles avec l’environnement.

4o Enfin, le besoin le plus fondamental du nourrisson n’est pas tant, d’après notre psy-

chanalyste, de se faire nourrir ou sécuriser, mais d’en arriver à discerner que les exigences instinctuelles ou les pulsions qu’il ressent, proviennent de lui et font partie de son self, et non de l’extérieur. Le vrai self ne peut donc se réduire à des fonctions somatiques automa- tisées pour la simple survie d’un organisme vivant. L’auteur nous semble exprimer plutôt

l’établissement d’une personnalité de plus en plus authentique, accordée au noyau du self ou du développement d’un sentiment d’être une personne unique dans un corps, lorsqu’il utilise le mot « personalization » pour dire l’accomplissement d’une relation étroite entre la psyché et le soma.

2 - Une profonde liberté

Une deuxième caractéristique soulignée par Keating est que le vrai self jaillit d’une source d’énergie exprimant une profonde liberté au fond de nous. Winnicott fait écho à cette li- berté.

Points de convergence

1o Pour notre psychanalyste, c’est parce que le nourrisson devient capable de passer

d’une relation avec un objet conçu subjectivement à une relation avec un objet perçu ob- jectivement, qu’il peut sortir de la fusion complète avec sa mère et entrer en relation avec elle en tant que personne séparée de lui. Winnicott mentionne à ce propos que la relation à une mère ordonnée suscite l’éveil de l’intellect325, et simultanément l’intégration du self,

pour donner à l’enfant un sentiment satisfaisant de sa personne dans son corps, tout en lui permettant de développer son autonomie et sa confiance en l’incitant à prendre des initia- tives.

2o Winnicott signale que l’enfant, à six mois, commence à jeter par terre les objets qui

ne l’intéressent plus. Ceci indique qu’il commence à comprendre qu’il a un dedans et un dehors, et qu’il utilise sa liberté pour décider de ce qu’il incorpore ou rejette.

3o L’auteur ajoute qu’à six mois le bébé est suffisamment avancé dans son intégration

pour sentir qu’il forme un tout capable de relation avec d’autres « touts » ou personnes comme lui. Le vrai self a donc le sentiment de réalité. Il produit les gestes spontanés, il est capable d’avoir des idées personnelles et d’inventer. Le choix d’entrer en relation ou non, tout comme la spontanéité et la créativité, ne requiert-il pas l’usage d’une liberté pro- fonde?

325 L’intellect est une instance du moi, et le moi est une dimension du self. Le tout s’organise en simultanéi-

té dès le début selon Winnicott que nous avons cité déjà sur ce point au début de ce chapitre: « The first

question that is asked about that which is labelled ego is this: is there an ego from the start? The answer is that the start is when the ego starts. […] It is well to remember that the beginning is a summation of begin- nings ». Cf., D. W. WINNICOTT: « Ego Integration in Child Development » […], p. 56. [p. 9-10.]

La complaisance du vrai self winnicottien, un point de divergence

Nous avons mentionné plus haut que le vrai self pouvait faire des compromis. Winnicott parle de la complaisance du vrai self dans deux articles différents écrits à peu près à la même époque : « Ego Distortion in terms of True and False Self » (1960) et dans « Is there a Psycho-Analytic Contribution to Psychiatric Classification? » (1959-1964). Dans le premier, nous avons cité plus haut : « There is a compliant aspect to the True Self in healthy living, an ability of the infant to comply and not to be exposed. The ability to compromise is an achievement. […] ». Dans le second, déjà cité aussi, nous lisons: « […] the true self must never be affected by external reality, must never comply ». Il semble bien y avoir contradiction, même si l’auteur apporte une nuance dans le premier en posant que la complaisance est une acquisition, et qu’elle cesse lorsque le vrai self est plus étroi- tement concerné326. On constate que pour notre psychanalyste le comportement du vrai

self est toujours un objet de recherche et son rôle plus complexe que ne le laisse entendre Keating. Ce dernier considère le vrai self tout d’un bloc, soit une vraie personnalité sans aucune tendance au conformisme en certaines circonstances. Pour Winnicott, il existe une zone intermédiaire où le vrai self fait des compromis sans que le noyau soit affecté par la réalité extérieure qui exige parfois des accommodements.

3 - Notre identité véritable

On peut discerner une troisième caractéristique du vrai self, chez Keating, lorsqu'il le con- sidère comme étant notre réalité la plus profonde, soit notre identité véritable au centre le plus intérieur de notre être.

Points de convergence

1o Winnicott affirme que les défenses de la première enfance apparaissent à la suite de

soins maternels insuffisants, relativement à des empiètements qui n’ont pu être évités. Si des défenses se forment, c’est que toute menace dirigée contre l’isolement du vrai self, au cours de l’étape du holding, constitue une angoisse majeure. Cette dissimulation du noyau de la personnalité indique qu’il y a quelque chose de très important à protéger.

2o Retenons aussi que pour notre psychanalyste seul le vrai self peut être éprouvé

comme réel, et que la réalité extérieure ne doit jamais l’affecter et qu’il ne doit jamais s’y soumettre.

326 Winnicott precise au début de son article: « This chapter is intended as a preliminary contribution call- ing attention to the importance of the subject, given in the hope that it will lead to a discussion in which analysts with various types of experience will take part. […] This sketch will be inadequate and perhaps inaccurate, […] ». Cf., D. W. WINNICOTT. « Classification : Is there a Psycho-Analytic Contribution […],

3o Le point essentiel, pour Winnicott, est que même si des personnes en bonne santé

utilisent et apprécient des modes de communication, le noyau du self est néanmoins un élément isolé et en état de non communication permanente, toujours inconnu, jamais dé- couvert en fait, parce que sa nature est insaisissable.

Winnicott n’a-t-il pas lui aussi la même intuition que Keating à propos de la nature pro- fonde et mystérieuse du vrai self, lorsqu’il fait référence à l’attitude des artistes? Ils veu- lent se dire et être reconnus, mais en même temps toujours rester secrets, uniques et indé- finissables.

Points de divergence

1o Keating parle d’un vrai self qui, malgré son unicité en chaque personne, n’est pas

séparé de celui des autres, grâce à une communion profonde, ontologique. Winnicott in- siste beaucoup sur l’importance du système mère-nourrisson, et de l’identification intense de la mère à son bébé qui permet d’établir son sentiment d’omnipotence, de même que du support capital de celle-ci pour l’intégration du self de l’enfant; mais notre psychanalyste ne s’avance pas au-delà des caractéristiques communes du self des individus au niveau biologique ou physiologique et du développement affectif. Il parle du vrai self comme du résultat d’un somme d’expériences, et de la nature mystérieuse et silencieuse du noyau du vrai self, mais il ne fait aucunement allusion à une communion plus essentielle au niveau profond de chaque vrai self327.

2o Winnicott parle une seule fois d’une personnalité comportant trois parties : un vrai self

avec un sens clairement établis de moi et non-moi, et avec une certaine fusion des élé- ments agressifs et libidinaux; une deuxième partie facilement séduite par l’expérience libidinale, mais ayant comme conséquence une perte du sentiment de réalité, et une troi- sième partie entièrement livrée à l’agressivité et qui apporte un sentiment de réalité328.

Chez Keating, il n’est jamais question d’un vrai self comportant trois parties sur le plan psychologique, même s’il parle de « Divine Indwelling of the Trinity » dans le vrai self.

4 – Un potentiel transcendant

327 Il utilise une seule fois le mot « sacred » à propos du vrai self, mais le mot nous semble plutôt faire allu-

sion au caractère précieux ou inviolable du vrai self.

Le potentiel transcendant est une autre caractéristique du vrai self keatingnien. Ce poten- tiel surgit d’une partie de l’inconscient qualifiée d’« ontologique » et, par sa bonté fonda- mentale, nous invite à aimer les autres inconditionnellement.

Points de convergence

1o Pour Winnicott, le développement du vrai self est dû à un potentiel inné, « The cen-

tral self could be said to be the inherited potential », qui lui permet de se complexifier rapidement, suite à l’accumulation continuelle d’expériences sensori-motrices avec la réalité extérieure. On peut dire que ce potentiel inné a quelque chose de transcendant pour notre psychanalyste, puisqu’il l’identifie au vrai self duquel il reconnaît le mystère.

2o Par les mots « incommunicado element, and this is sacred and most worthy of preser-

vation » rendus par « élément de non-communication qui est sacré et dont la sauvegarde est très précieuse », Winnicott exprime le caractère indéfinissable ou mystérieux du vrai self, dont la nature profonde dépasse l’entendement humain.

3o Notre psychanalyste exprime son saisissement face au mystère du surgissement de

l’être (« out of not-living and not-being ») à partir du néant, et face au potentiel prodi- gieux du noyau du self, dont la nature comporte un élément silencieux et incommuni- cable, mais qui rayonne quelque chose de substantiel et d’ineffable.

4o Winnicott utilise le terme « personalization » pour parler d’une habitation (« an in-

dwelling of the psyche in the soma ») de la psyché dans le soma. Pour notre psychana- lyste, il n’y a pas de séparation esprit-corps, de même que pour Keating comme nous l’avons souligné plus haut. Au contraire, Winnicott voit la psyché comme une partie de la personnalité, ce qui implique que le soma a ses caractéristiques impulsives propres, et qu’une habitation solidement implantée de la psyché à l’intérieur du corps représente l’atteinte d’un équilibre phénoménal sur le plan de la santé, et qui dépasse l’entendement humain. Cela peut sembler trivial à première vue parce que les individus en bonne santé mentale, étant plus apte à survivre, sont plus nombreux que les psychotiques. On peut, par contre, s’étonner davantage dans le cas, par exemple, d’une guérison mentale résultant d’une régression profonde, et percevoir alors plus facilement comme transcendant le po- tentiel du vrai self, parce que ce genre de phénomène est plus rare.

5o Winnicott rejoint Keating de près à propos de l’amour inconditionnel et de sa poten-

tielle manifestation au cœur du self, lorsqu’il déduit un principe concernant les relations humaines, et de ce qui est perçu comme un don à faire pour aider l’autre. Notre psychana- lyste conclut, en se basant sur des cas réels, qu’il est plus important pour celui qui reçoit l’aide de se sentir d’abord aimé sans conditions préalables, tel qu’il est, que de constater la volonté de l’autre à vouloir simplement corriger une situation qui lui semble anor- male329.

Point de divergence

Revenons à cette citation de Winnicott en début de chapitre: « A True Self begins to have life through the strength given to the infant’s weak ego by the mother’s implementation of the infant’s omnipotent expressions. » Par ses soins habituellement accompagnés de pe- tites défaillances fidèlement et promptement réparées, la mère suffisamment bonne per- met au vrai self de ressentir qu’il est aimé et de commencer à vivre330. L’être unique et

incommunicable « out of not-living and not-being » n’apparaît-il donc que grâce aux soins de la mère ou existe-t-il sous une autre forme avant son existence matériellement observable ? Winnicott ne pouvait certainement pas présenter, dans ses articles destinés souvent à des psychanalystes, des réflexions ou des hypothèses qui auraient débordé le cadre de la méthode scientifique ou de ce qui était admissible par son ordre professionnel. Les expressions qu’il a utilisées étaient sans doute déjà à la limite du tolérable. On ne peut

329Ce point nous révèle quand même quelque chose sur cette « incommunicado element » du vrai self win-

nicottien, à savoir que l’amour est premier et donc à la base de toute relation humaine.

330 En utilisant un paradoxe de plus, Winnicott explique que c’est en réparant continuellement ses petites

défaillances au niveau des soins que la mère donne vie au vrai self en communiquant à son bébé qu’elle est fiable, qu’il est important pour elle, et qu’elle l’aime. La communication est silencieuse, et le nourrisson mémorise les effets de la fiabilité maternelle par l’intermédiaire de la continuité de son développement à lui. C’est là toute la différence entre la perfection mécanique et l’amour humain. Winnicott écrit: « Is it not true

that the mother has communicated with the baby? She has said: " I am reliable ˗ not because I am a ma- chine, but because I know what you are needing; and I care, and I want to provide what you need. This is what I call love at this stage of your development. " The baby does not hear or register the communication, only the effects of failure of reliability; this is registered in terms of on-going development. The baby does not know about the communication except from the effects of failure of reliability. This is where the differ- ence comes in between mechanical perfection and human love. Human beings fail and fail; and in the course of ordinary care a mother is all the time mending her failures. The relative failures with immediate remedy undoubtedly add up eventually to a communication, so that the baby comes to know about success. Successful adaptation thus gives a sense of security, a feeling of having been loved. » Cf., D. W. WIN-

NICOTT, « Communication between infant and mother, and mother and infant, compared and contrasted », Walter G. JOFFE (Eds), What is psychoanalysis, London: The institute of Psycho-Analysis/Ballière, Tin- dall, &Cassel, 1968, p. 97-98, cité par J. ABRAM. The language of Winnicott […], p. 144.

donc pas affirmer à partir des textes, que les affirmations de notre psychanalyste à propos de la naissance du vrai self, s’accorde avec Keating, puisque ce dernier, en accordant au vrai self un inconscient ontologique, lui attribue une nature éternelle. Voyons maintenant comment se comparent les concepts de faux self.

2.3.2 Comparaison du faux self keatingnien au faux self winnicottien