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Profils sémantiques de l’Allemand-type dans les fictions québécoises

Chapitre 2 : Dynamique de la fiction : de l’histoire à l’imaginaire fictionnalisé

2.2 L’Allemagne moderne : puissance industrielle et commerciale dans les fictions

2.2.3 Profils sémantiques de l’Allemand-type dans les fictions québécoises

trait aux descriptions physiques des personnages allemands : les personnages correspondant à ce qu’on appellera plus tard au vingtième siècle le type aryen, dans les romans La coccinelle du 22e et Ma cousine Mandine, et les personnages érudits ayant aussi un physique typé, étant petits,

dégarnis du cuir chevelu et portant des lunettes, dans « La série B-472 » et Le talisman du pharaon.

Les personnages allemands qui ont un physique correspondant aux traits stéréotypés aryens sont l’espion qui se fait passer pour un agent de l’armée française dans La coccinelle du 22e et Mandine dans Ma cousine Mandine. Les deux personnages, d’âge et de sexe différents,

ont une chevelure blonde, une allure élancée et leurs yeux sont de couleur bleu ciel. Dans La coccinelle du 22e, le personnage de l’espion allemand est tout d’abord présenté par une

description physique dans la narration : « Un jeune homme blond, grand, élancé, cinglé [sic] de l’uniforme de lieutenant d’état-major français, portant croix de guerre et Légion d’honneur, s’avança sévèrement vers eux275 »276. Au moment de la lecture de cette phrase, il n’a pas encore

été révélé dans la narration que ce lieutenant prétendument français est en fait un espion allemand. L’auteur donne cependant un premier indice de la vraie nationalité du personnage en

275 C. Corneloup, La coccinelle du 22e, op.cit., p. 31.

276 Le jeune homme semble aussi être austère, selon ce que donne à lire l’adverbe « sévèrement », ce qui correspond

présentant l’apparence physique de l’espion comme une incarnation du stéréotype de l’apparence physique allemande.

Dans Ma cousine Mandine, la protagoniste est d’origine allemande. La jeune fille, devenue orpheline à la suite de l’immigration de ses parents au Québec, est adoptée dans son jeune âge par des campagnards québécois. À l’image de l’espion allemand dans La coccinelle du 22e, le personnage de la jeune femme allemande dans Ma cousine Mandine n’échappe pas

aux stéréotypes associés à l’apparence des Allemands :

Mandine, qui avait maintenant dix-huit ans, était grande et bien prise. Elle était vraiment délicieuse avec ses longs cheveux blonds comme l’avoine dorée, ses yeux d’un bleu de myosotis, et ses lèvres rouges comme le corail […] Elle était bien de sa race : blonde, blanche et rose277.

Une fois de plus, la pâleur des cheveux, la taille et la couleur des yeux sont perçues comme étant des traits typiquement allemands. Le nom « race278 » met quant à lui en relief l’idée du caractère

héréditaire du physique décrit et considéré comme étant propre aux Allemands. Ainsi, le personnage de l’espion dans La coccinelle du 22e et Mandine dans Ma cousine Mandine sont

identifiables visuellement par les autres personnages canadiens-français grâce à leurs traits physiques. Dans les deux romans, la génétique ne ment pas.

Les descriptions physiques des érudits allemands dans les œuvres de fiction ne sont pas les mêmes que celles des personnages de l’espion et de Mandine qui représentent « leur race », c’est-à-dire la race allemande. Le bibliothécaire de « La série B-472 » et l’archéologue du

277 N.-M. Marthé, Ma cousine Mandine, op. cit., p. 4.

278 À l’époque, ce terme est fréquemment utilisé pour désigner une nation, une population sous l’angle de son

homogénéité culturelle. Le terme « race canadienne-française » est d’ailleurs commun au Québec pendant l’entre-deux-guerres.

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Talisman du pharaon nous permettent d’étudier plus en détail ce que nous appellerons le profil type de l’érudit allemand.

L’archéologue allemand du Talisman du pharaon est loin de représenter visuellement l’idéal blond et grand souligné dans La coccinelle du 22e et Ma cousine Mandine. Le chercheur

allemand n’a pas la silhouette fine. Il est bien en chair et a un physique peu attrayant. Ses cheveux ne sont pas blonds non plus. Par contre, ses yeux sont bleus, à l’image des autres représentants de sa race analysés plus tôt :

Un des archéologues allemands les plus considérés, Herr Karl von Haffner, en fut un des premiers informés. C’était un homme de quarante-cinq ans, gros et trapu. Une chevelure rare et grisonnante couronnait son front développé de savant, que la menace de la calvitie agrandissait encore. Les yeux bleu clair, au regard de glace étaient dissimulés par d’énormes lunettes. Sa figure bouffie, largement fendue d’une bouche aux lèvres épaisses le révélait bestialement méchant279.

On remarque la mention du « front développé », comme si la taille du front était représentative des connaissances accumulées dans le cerveau de l’individu280. Qui plus est, l’archéologue

souffre de calvitie, ce qui accentue ce front de savant qui s’éloigne définitivement de l’idéal blond cité plus haut. C’est cependant le regard du bibliothécaire allemand qui retient notre attention dans ce passage : le personnage a des yeux d’un « bleu clair », comme l’espion se faisant passer pour un lieutenant français dans La coccinelle du 22e et Mandine dans Ma cousine

Mandine. L’émotion du personnage érudit, ou plutôt son manque d’émotions, passe par le regard : « regard de glace ». Aucune chaleur humaine ne se dégage de l’archéologue et ses yeux

279 M. de Vaubert, Le talisman du pharaon, op. cit., p. 54.

280 La phrénologie pourrait avoir influencé ce stéréotype. Voir à ce sujet des travaux sur la phrénologie (l’étude du

caractère de l’individu d’après la forme de son crâne) comme M. Jeannerod, De la physiologie mentale : histoire

des relations entre la biologie et la psychologie, Paris, Éditions Odile Jacob, 1996, 245 p., et A. R. Lecours et

froids ne font que renforcer une impression d’absence d’émotions; il semble être insensible. Le regard de glace de l’archéologue est aussi souligné plus loin dans le roman : « Karl songeait […] Son œil bleu était plus dur encore, sous ses sourcils rapprochés, et son poing se crispait281 ».

Ce personnage érudit ne dégage aucune cordialité. Il semble insensible et provoque une sensation désagréable : tout ceci est rendu dans le discours grâce aux adjectifs « de glace » et « dur » qui qualifient le regard de l’archéologue.

Les caractéristiques physiques de l’érudit sont aussi présentées dans la nouvelle « La série B-472 », par la description des traits physiques du bibliothécaire de la bibliothèque nationale de Berlin. La description de l’apparence du bibliothécaire dans la nouvelle de Roquebrune est beaucoup plus brève que celle de l’archéologue dans Le talisman du pharaon, mais invite encore une fois le lecteur à éprouver une certaine répulsion à l’endroit du personnage allemand, dès la première mention dans la trame narrative :

M. Otto Hartmann, bibliothécaire et auteur du fameux catalogue du fonds B-472. C’était un homme d’une trentaine d’années, l’air renfrogné et qui me déplut. Détail caractéristique pour un savant allemand, il ne portait pas de lunettes. Je ne sais pas pourquoi, mais cela me parut une singularité de sa part282.

Si l’archéologue du roman de Vaubert est bourru, le bibliothécaire est quant à lui « renfrogné ». Par ailleurs, l’association entre « lunettes » et « pour un savant allemand » est directement faite dans la phrase par le narrateur, ce qui nous porte à croire que dans l’imaginaire de l’époque, le savant (ici allemand) porte habituellement des lunettes, preuve visible de son érudition.

Les personnages savants que sont l’archéologue et le bibliothécaire de la bibliothèque impériale de Berlin ne correspondent pas à l’idéal physique allemand décrit précédemment,

281 M. de Vaubert, Le talisman du pharaon, op. cit., p. 143.

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blond, élancé et aux yeux bleus. Il ne s’agit pas, selon nous, de mettre en cause la crédibilité des connaissances de ces savants, malgré la répulsion que crée leur apparence. Cette représentation de personnages grisonnants et non conformes aux normes de beauté usuelles associées aux personnages allemands correspond à un imaginaire plus vaste lié aux grands savants.

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Bref, l’Allemagne moderne est présentée dans les œuvres de fiction par des références à la science et à la culture savante de son pays. Ce sont les personnages scientifiques allemands qui représentent plus spécifiquement la science allemande dans les textes, personnages qui ne sont toutefois pas beaucoup développés dans les récits. Ils représentent une image figée. Même chose pour les profils sémantiques de l’Allemand-type, qui représentent de manière figée ce à quoi devraient ressembler physiquement de jeunes Allemands ainsi que des universitaires allemands. Les auteurs semblent ainsi faire appel à des stéréotypes déjà en place dans la société, afin de construire leurs personnages allemands.

Les représentations de l’Allemagne culturelle sont paradoxales dans le discours. En effet, les personnages allemands sont des compétiteurs de taille dans la course à la prééminence culturelle. Cependant, malgré cette reconnaissance du haut savoir allemand, l’Allemagne est considérée comme un ennemi, même lorsque les récits se passent principalement hors des périodes de guerre, comme dans « La série B-472 » et Le talisman du pharaon. En effet, l’Allemagne représente dans les œuvres ici analysées une menace en tant que puissance culturelle. Elle est menaçante non seulement sur le plan guerrier, mais aussi culturel.