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Les aventures extraordinaires de deux Canayens, Le talisman du pharaon et La

Chapitre 2 : Dynamique de la fiction : de l’histoire à l’imaginaire fictionnalisé

2.3 L’Allemagne ennemie : politique, militarisme et pouvoir

2.3.1 Les aventures extraordinaires de deux Canayens, Le talisman du pharaon et La

pharaon et La coccinelle du 22

e

: le stéréotype allemand par excellence,

l’espion

L’espionnage allemand est central dans plusieurs œuvres à l’étude, plus particulièrement dans trois romans : Les aventures extraordinaires de deux Canayens, Le talisman du pharaon et La coccinelle du 22e. Comme nous l’avons vu, Le talisman du pharaon raconte les aventures

d’un agent secret allemand qui espionne en Égypte une expédition archéologique française. Les deux autres récits exploitent quant à eux le motif de l’espionnage de guerre.

Dans Les aventures extraordinaires de deux Canayens, des personnages canadiens-français découvrent une nouvelle technologie qui leur permet de construire un dirigeable hors pair. Ce vaisseau peut même aller dans l’espace, du jamais vu. Le roi de Prusse craint que cette technologie ne se tourne contre lui si elle devient un outil des Alliés. Cette crainte de la part de Guillaume II est justifiée, puisque les Canadiens français à bord du vaisseau utilisent leur technologie contre l’Allemagne, détruisant un sous-marin allemand afin de contrer la Triple Entente. L’empereur d’Allemagne fait alors appel à des agents du renseignement allemand pour tout savoir sur le vaisseau.

Le récit de La coccinelle du 22e est aussi centré sur l’espionnage. La coccinelle du 22e

se déroule pendant la Grande Guerre, près d’Ypres en Belgique. Le 22e dans le titre renvoie au

royal 22e régiment, l’unique bataillon canadien-français de l’armée canadienne à l’époque285.

On suit dans ce roman les aventures de soldats canadiens-français qui, en plus d’accomplir de hauts faits de guerre contre l’Allemagne dans de violents combats dans les tranchées,

285 Voir à ce sujet J.-P. Gagnon, Le 22e bataillon (canadien-français) 1914-1919 : étude socio-militaire, Québec,

démasquent un espion allemand qui, comme nous l’avons vu plus tôt, se fait passer pour un lieutenant appartenant à l’armée française et interagit avec les personnages alliés. Grâce à la perspicacité des Canadiens français, l’espion allemand est en fin de compte démasqué et exécuté par les Alliés. Pour ajouter à cette défaite, une jeune femme, qui porte le nom de guerre de « Coccinelle », empoisonne toute une compagnie de soldats allemands pour se venger de la traitrise de l’espion.

La réputation de l’art du renseignement allemand est déjà établie dans les trois récits, qui sont unanimes : l’espionnage allemand est « remarquable et unique au monde286 ». Dans l’œuvre

de Jéhin, l’empereur allemand Guillaume II prend la parole à quelques reprises, avec d’autres dirigeants allemands, au sujet de son service d’espionnage. Guillaume II affirme que ses « espions sont incomparables287 ». Fait intéressant, c’est le seul récit qui donne la parole à des

personnages allemands qui discutent entre eux. Le lecteur a donc accès au monde germanique de l’intérieur. Tous cas confondus, les adjectifs qui ponctuent le discours de fiction sont connotés positivement lorsqu’il est question de l’art du renseignement allemand dans les romans, même si l’espion allemand est un ennemi.

La trame narrative de La coccinelle du 22e s’attache aussi au motif du service de

renseignement allemand hors pair. Toutefois, les qualificatifs sont cette fois présentés de manière négative ou traduisent, à tout le moins, une atmosphère de crainte : « redoutable service d’espionnage288 », « la plus redoutable organisation du monde entier289 », « Rien n’est à leur

286 J. Jéhin, Les aventures extraordinaires de deux Canayens, op. cit., p. 57. 287 Ibid.

288 C. Corneloup, La coccinelle du 22e, op.cit., p. 48.

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épreuve290 ». La répétition de l’adjectif « redoutable » dans la narration suggère que les

personnages qui ne sont pas allemands devraient se méfier des espions allemands inquiétants qui ne sont pas à prendre à la légère. Le superlatif « la plus » crée une figure de l’exagération291 :

le caractère hors pair de l’art du renseignement allemand est amplifié par l’hyperbole.

Dans Les aventures extraordinaires de deux Canayens et Le talisman du pharaon, les espions allemands sont l’ennemi de l’ombre. L’art du renseignement allemand fait penser à l’hydre. À l’image de la créature mythique en forme de serpent dont les têtes repoussent même si on les coupe, le service d’espionnage allemand n’est jamais battu. Ainsi, un réseau d’espionnage est présenté dans La coccinelle du 22e et Les aventures extraordinaires de deux

Canayens, en plus des compétences générales de l’espionnage allemand : « Mais tous nos efforts étaient connus de l’ennemi […] : chacun de nos mouvements l’ennemi en connaissait la portée et la dimension292 »; « Son réseau est relié à toutes les activités civiles, politiques et

militaires »; « Sans pénétrer plus avant dans son système, je me borne à ceci : que les passeports, imprimés, sceaux d’état et autres pièces importantes ne sont plus des secrets pour lui293 »;

« L’espionnage prussien existe là comme ailleurs, éclairé, très renseigné, il voit d’avance le bénéfice qu’il peut tirer des moindres circonstances294 ». Chacun de ces exemples comporte des

répétitions ou des accumulations, ce qui crée une figure d’insistance : l’ennemi, l’espion allemand, est partout. Ces accumulations témoignent par ailleurs d’une crainte à l’égard du système d’espionnage allemand en raison de sa puissance. Le terme de « réseau », utilisé pour parler de l’espionnage allemand, renvoie quant à lui à l’effet toile d’araignée des services de

290 C. Corneloup, La coccinelle du 22e, op.cit., p. 150.

291 O. Reboul, Introduction à la rhétorique : théorie et pratique, op. cit., p. 130. 292 C. Corneloup, La coccinelle du 22e, op.cit., p. 48.

293 Ibid., p. 150.

renseignement germanique : les pièges allemands sont partout pour capturer les proies insouciantes. En outre, la répétition du terme « ennemi » dans les exemples précédents souligne que l’espion allemand est bel et bien un adversaire pour les personnages français ou canadiens-français. Selon la logique du récit, les Alliés ne peuvent pas contrer l’efficacité de l’espionnage allemand. De ce fait, les personnages non allemands doivent toujours être « sur le qui-vive295 ».

Malgré la force de leur service d’espionnage, les espions allemands échouent dans leur mission dans les trois œuvres examinées. En effet, dans Le talisman du pharaon, l’espion allemand, l’archéologue, meurt dans une tempête de sable à la fin du récit, en plus d’avoir failli à sa mission initiale : dérober le joyau égyptien trouvé par l’équipe d’archéologues français. L’espion est montré sous son vrai jour et il échoue dans son art. Même chose dans La coccinelle du 22e : l’espion qui se fait passer pour un lieutenant français est démasqué, le voile sur ses

actions secrètes est alors levé. Une fois de plus, l’espion est vaincu. Dans Les aventures extraordinaires de deux Canayens, les espions sont aussi perdants, quoique ce soit moins directement que dans les deux autres récits, puisque c’est le service d’espionnage entier qui a échoué et non un espion en particulier. Dans Le talisman du pharaon, l’Allemand est perdant face aux Français; dans La coccinelle du 22e, l’Allemand est perdant face aux Canadiens français

et à leurs alliés, dont la France; dans Les aventures extraordinaires de deux Canayens, les espions allemands ne parviennent pas à déjouer les habiles personnages canadiens-français, qui apportent leur aide aux Alliés jusqu’à la perte de leur vaisseau dans une bourrasque. Ainsi,

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même si la supériorité du service d’espionnage allemand est reconnue par tous, la nation germanique ne défait jamais son ennemi grâce à l’espionnage.