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Le professionnel et l’intime : une conciliation encore plus problématique pour les jeunes femmes

Les dix personnes rencontrées, sept femmes et trois hommes, ont toutes entre 35 et 40 ans au moment de l’entretien. Tous sont ou ont été en couple, parfois des couples formés sur les bancs de l’université (dans trois cas sur dix). Plusieurs ont une vie de famille et des enfants (entre un et quatre pour la famille la plus nombreuse). Pour tous, hommes et femmes, la question de la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle est posée. Elle est évoquée le plus souvent spontanément par les femmes, mais pas toujours, à l’instar des hommes qui compartimentent volontiers les domaines professionnels et personnels, mais répondent volontiers aux questions portant sur ce thème.

À tous, aux femmes en particulier mais également aux hommes, la disponibilité et la mobilité requises des cadres de la fonction RH posent un certain nombre de questions :

• compte tenu de la disponibilité requise, comment concilier vie personnelle et familiale et vie professionnelle ?

• compte tenu de la fréquence des mobilités, comment gérer les carrières respectives au sein de couples le plus souvent bi-actifs ?

• compte tenu des contraintes qui pèsent sur les débuts de carrière des cadres RH, quel jugement rétrospectif portent-ils sur leur parcours et quelles sont leurs perspectives ?

Les stratégies, ou plus prosaïquement les tentatives de réponse à la difficile question de la conciliation ne sont pas de même nature pour les hommes et pour les femmes, et pour ces dernières, apparaissent extrêmement différenciées.

2.1. La question de la conciliation n’est pas l’apanage des femmes, les hommes y sont également confrontés

Les trois hommes rencontrés sont dans des situations personnelles très différentes. Jacques correspond au modèle classique de l’homme marié et père de famille (deux petites filles) dont la carrière préside aux destinées familiales. Il conduit son évolution professionnelle au sein d’un groupe équipementier automobile en jouant le jeu de la mobilité et répond aux propositions de postes qui lui sont faites en moyenne tous les trois ans en fonction de deux critères : la possibilité pour son épouse, enseignante, de le suivre au gré de ses affectations (quatre postes et quatre mobilités géographiques en douze ans) ; un rayon de mobilité permettant de ne pas trop éloigner le couple de ses racines familiales orléanaises. Ces deux critères répondent à un même objectif : ne pas être éloigné des siens et conserver une vie de famille est nécessaire à son équilibre personnel et constitue en quelque sorte la contrepartie de la disponibilité exigée par son métier de RRH.

Patrice, pour sa part, après un mariage suivi d’un divorce rapide, refait ensuite sa vie avec une femme qui vit dans la région lyonnaise alors que lui-même est en poste à Paris, dans un centre de recrutement d’une grande entreprise publique. Sa stratégie consiste alors à demander et à obtenir sa mutation au centre de recrutement de Lyon. Il se débrouille ensuite pour évoluer au sein de ce centre, dont il est aujourd’hui directeur adjoint. Sa compagne n’étant pas mobile géographiquement et sa fille en bas âge, il refuse les propositions de direction d’un centre de recrutement assorties d’une contrainte de mobilité et attend

« tranquillement » que son directeur parte à la retraite pour lui succéder.

Enfin, Colin connaît une situation aussi difficile au plan personnel que professionnel. Après avoir vécu en couple pendant de longues années avec une jeune femme rencontrée au cours de la période étudiante, il est aujourd’hui séparé, vit seul et reconnaît traverser une période de dépression consécutive à l’enchaînement des difficultés professionnelles et personnelles au cours des dernières années. Discret sur cet aspect de sa vie, il laisse toutefois entendre que les années de stress professionnel (lui-même parle de harcèlement moral) qu’il a connu au sein d’un grand cabinet français de conseil et d’audit et qui ont débouché sur son licenciement, sont également à l’origine des difficultés de son couple et de sa séparation. Aujourd’hui en poste comme assistant commercial dans une société de luminaires, emploi sans rapport avec sa compétence de départ en micro-informatique, il précise qu’il s’agit d’un emploi alimentaire lui permettant de se reconstruire tant au plan personnel que professionnel.

2.2. Les femmes et la question de la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle : une grande hétérogénéité de positionnements

Les sept femmes rencontrées ont toutes évoqué, plus ou moins spontanément, la manière dont leur vie personnelle, conjugale et familiale, croisait leur vie professionnelle et avait un impact sur leur parcours. Il en ressort une très grande variété de positionnements par rapport aux relations entre vie personnelle et vie professionnelle, ou encore par rapport à la manière de gérer les carrières respectives au sein de couples bi-actifs. Trois groupes émergent : les « amazones », les « post-modernes » et les « classiques ».

Les « amazones » (Emma, Elisabeth) ont en commun de s’être donné les moyens de la disponibilité et de la mobilité. Elle se présentent comme célibataires et sans enfants. En réalité elles vivent en couple. Des couples singuliers puisque, dans les deux cas, il s’agit de couples constitués au cours de la période des études sur la base d’une priorité donnée à la carrière professionnelle et au développement personnel de leurs membres. En accord avec l’autre, chacun conduit sa carrière et gère ses décisions de mobilité professionnelle et géographique comme il l’entend, à une réserve près. Alors qu’ils ne se connaissent bien évidemment pas, les deux couples d’Emma et d’Elisabeth ont adopté une règle commune : faire en sorte que les affectations respectives de l’un et de l’autre ne se traduisent pas par un éloignement correspondant à plus de deux heures de trajet en voiture, de telle sorte que le couple puisse se retrouver le week-end, alternativement chez l’un ou chez l’autre. En d’autres termes, pour Emma comme pour Elisabeth, la semaine est consacré à la vie professionnelle, sans limite de disponibilité, et au développement personnel, le week-end étant consacré au couple. Il est frappant de souligner qu’au moment de l’entretien, l’un des deux couples tient toujours et ne semble pas vouloir remettre en cause son mode de fonctionnement, tandis que l’autre vient de se séparer, l’homme ne supportant plus les contraintes qui lui sont imposées.

Les « post-modernes » (Sylvianne, Sophie) ont inversé le schéma classique du couple. Elles donnent priorité à leur carrière et ont fait le choix de vivre avec des hommes beaucoup plus âgés qu’elles, proches de la

retraite, et qui de ce fait n’ont plus d’enjeux de carrière, ne se sentent pas en compétition avec leur compagne, sont également plus disponibles et assument l’essentiel des charges domestiques. Comme pour les « amazones », ce choix singulier est revendiqué par les « post-modernes » au nom d’un arbitrage et d’un équilibre entre raison et sentiments. Mais, là encore, il est significatif qu’au moment de l’entretien l’un des deux couples semble stable, porté par le projet commun de reprendre ensemble la direction d’un établissement pour personnes âgées dépendantes, tandis que le second couple vacille, l’homme, au chômage après avoir démissionné pour suivre sa compagne, supportant de plus en plus mal son statut d’inactif et d’homme au foyer.

Les « classiques », les plus nombreuses sans être majoritaires (Brigitte, Laurence, Anne-Charlotte), sont celles qui s’inscrivent dans le schéma traditionnel du couple : elles sont mariées ou vivent en couple, ont plusieurs enfants et doivent gérer simultanément leurs deux univers professionnel et familial. Au sein de ce groupe, on trouve toutefois deux situations relativement polaires du point de vue des modalités de gestion des carrières respectives au sein d’un couple bi-actif. Pour Anne-Charlotte, le choix a été fait dès le départ (ils se sont rencontrés sur les bancs du DESS) de donner priorité à la carrière de son compagnon et de le suivre au gré de ses mobilités géographiques. À l’arrivée, c’est-à-dire après douze années dans le sillage de la carrière de son compagnon, ce dernier est directeur des ressources humaines d’une grande entreprise, tandis qu’elle-même n’est que responsable adjointe des ressources humaines, après avoir connu, outre trois naissances, nombre de contrats précaires, de licenciements économiques et d’emplois plus subis que choisis. Au point, en congé parental après la naissance de son troisième enfant au moment de l’entretien, de se dire dégoûtée de l’entreprise et des ressources humaines et d’envisager une reconversion radicale dans la décoration d’intérieur. La situation de Laurence, tout aussi classique au départ, est en réalité très différente dans la mesure où le couple a d’emblée décidé de gérer conjointement les carrières sans privilégier l’une ou l’autre.

Ainsi, lorsque Laurence quitte sa région natale parce qu’elle a trouvé un premier emploi de chargée de communication dans une entreprise parisienne, son compagnon la rejoint. Plus tard, parce qu’ils n’envisagent pas d’avoir leur premier enfant à Paris, ils décident d’un commun accord qu’elle démissionne et retourne dans leur région d’origine où il la rejoint au bout d’un an, lorsqu’il a lui-même trouvé un emploi.

Cette conception égalitaire de la gestion des carrières au sein du couple prévaut encore à la naissance du deuxième enfant. Désormais consultante en formation et management, Laurence se déplace beaucoup et son compagnon prend le relais auprès des enfants. Mais avec l’arrivée de jumeaux, quelques années plus tard, il semble que l’équilibre soit rompu. Le discours change. Désormais directeur financier d’une collectivité locale, le compagnon de Laurence est lui-même moins disponible et lui laisse entendre qu’elle devrait prendre un congé parental d’éducation pour s’occuper des quatre enfants et réfléchir à la suite...