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DE LA PRODUCTION DU SYSTÈME BÉTON PAR CONSERVATION D’ÉNERGIES.

SELON FOUCAULT

II. CRITIQUE DE L‘ECONOMIE DES DISPOSITIFS À PARTIR L‘ETUDE DU BETON ARMÉ.

II.3. L’ANALYTIQUE DU BÉTON COMME THÉORIE SYSTEMATIQUE.

II. 3.3. DE LA PRODUCTION DU SYSTÈME BÉTON PAR CONSERVATION D’ÉNERGIES.

La fabrique du béton est soutenue par une mécanique qui préconise le mode de production du matériau à mettre en place. Ceci, à travers une procédure ordonnée par des principes de monotonie et d’inertie. Cette théorie est, en les termes de Simonnet, rassurante.

« De fait les premiers théoriciens travaillent plus en algébristes qu’en constructeurs, au sens où leur souci de rigueur, leur volonté de traduire au plus près les systèmes de contraintes propres au béton armé les aliènent à l’étude des efforts d’ensemble (flexion, cisaillement) où ne compte pour finir que la répartition des contraintes dans les sections droites. Quand la théorie s’empare du béton

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armé, elle ne conçoit pas des structures, elle ne fait que les calculer. La théorie rassure, elle n’incite pas encore à inventer à proprement parler. »145

Simonnet met ainsi en cause la notion d’invention. Les théoriciens, plus que produire, permettent (ou poussent) l’invention des structures (Ils calculent à travers l’analyse). En analysant les structures existantes, les théoriciens parviennent à les calculer. Il est intéressant de constater que les « systèmes de contraintes » aliènent les théoriciens vers l’étude des efforts d’ensemble. Par « systèmes de contraintes » il faut comprendre les forces menaçant la tenue de la structure dans un milieu affecté par la pesanteur. Or, l’aliénation conduit aussi le résultat des études des contraintes. En effet, si l’étude des efforts d’ensemble donne comme produit de fabrication la répartition des contraintes sur les sections droites, la notion d’ensemble se réplique dans le résultat de l’analyse. La répartition des contraintes se fait au milieu des sections droites, elle ne porte pas sur une seule section. C’est alors l’ensemble des sections qui peut offrir une distribution des efforts toujours d’ensemble.

L’étude des efforts d’ensemble produit donc une solution soutenue par un autre ensemble, celui des pièces droites. En fait, « la distribution des forces » comme prémisse général de l’étude analytique des structures dures, implique une orientation du regard du théoricien. Il vise tout d’abord les efforts d’ensemble pour ensuite proposer comme solution un autre ensemble capable d’y répondre. Il s’agit, comme nous l’avons argumenté, de la conservation d’énergie, de la transmission des forces qui ne peuvent pas être éliminées ou neutralisées, mais reconduites. Le circuit des forces concerne donc une conservation des forces dont la notion analytique la plus adéquate et rassurante est celle d’ensemble.

Or, la conservation de l’énergie n’est pas, nécessairement, un fait scientifique conscient pour les premiers théoriciens du béton armé. En fait, la fin du XIXème siècle, vers 1873, l’émergence de la deuxième loi de la thermodynamique est un progrès pour la science. Cette loi voit le jour au sein d’une dispute entre les physiciens allemands à propos d’une confusion « mécanique ». « Les- physiciens allemands, en l'occurrence Rudolf Clausius, Hermann von Helmholtz et Ludwig Boltzmann, se disputent donc l'honneur de savoir qui, le premier, a démontré que la loi de croissance de l'entropie

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thermodynamique dérivait de la mécanique hamiltonienne »146. Les théoriciens du béton ne devaient pas être au jour de cette dispute ni des implications de l’entropie pour la conception de l’énergie. Néanmoins, l’affaire se montre exemplaire pour la révision de l’élaboration théorique du béton.

Isabelle Stengers nous dit que Maxwell ricane d’une telle dispute entre les physiciens allemands, parce qu’il savait que les prédicats de la dynamique sont,  à l‘inverse de ceux de la mécanique, incommunicables147. Ils sont donc a-signifiants. Les

énoncés et formules avec lesquels les chercheurs communiquaient les phénomènes mécaniques, ne sont plus valables. En fait, ces énoncés et formules des phénomènes mécaniques, avaient la prétention d’expliquer les ciels et les trajectoires célestes. Ce qui attire notre attention, est le problème de communication formulé par Maxwell. La communication des phénomènes mécaniques se fait au moyen de statistiques148. Or, les statistiques sont l’expression en signes et graphique de l’étude mathématique du béton. Les statistiques fonctionnent ainsi comme une interface entre l’étude mathématique du matériau (ou de la structure) et un savoir dominante, la mécanique. D’après nous, le problème est de savoir jusqu’à quel point l’outil mathématique contraint à l’interface statistique. Cette interface est altère par la mise au point que l’outil mathématique éprouve dans sa confrontation aux matériaux ? Nous en discuterons dans le chapitre suivant pour conclure que l’armature des statistiques reste la même. Elle s’est constituée en termes mécaniques. Ainsi, l’outil mathématique a subi parfois dans l’histoire de ses applications (nous ne parlons pas de l’histoire de son progrès) un arrêt grâce au pouvoir des savoirs l’entretenant.

Les statistiques sont devenues dans le domaine des explications mécaniques du monde, un tamis à travers lequel on testait les nouveaux progrès scientifiques. Ces progrès pouvant être aussi mathématiques. Dans le cas des premiers théoriciens du béton (nous verrons par la suite que des théoriciens plus contemporains sont également concernés), les statistiques sont presque une interface autonome des savoirs prépondérants de tel ou tel moment historique. Ils servent de tamis utile pour essayer de faire concorder les savoirs les plus dissimiles. En fait ils sont proches de la notion de

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STENGERS, Isabelle, Cosmopolitiques, Tome III : Thermodynamique :  la  réalité  physique  en 

crise, Paris : La découverte/Les empêcheurs de penser en rond, 1997, p. 9 - 10.

147 Ibid, p. 10 148

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« concordance » que nous allons revisiter plus tard. La concordance concurrentielle des statistiques est une technique d’association.

Le cas de Maxwell face aux physiciens allemands, démontre comment les statistiques parviennent à se dépendre du savoir d’un moment donné, pour en agir presque de manière autosuffisant. À la fin du XIXème siècle, les statistiques se déprennent de la mécanique qui, simultanément, se trouve dans un état de progrès où son pouvoir est relativisé. La statistique servait à la mécanique. Ensuite elle permet d’accorder la nouvelle loi thermodynamique aux exigences mécaniques, mais sans les altérer. Autrement dit, les statistiques ne se sont pas transformées à cause d’un premier changement du savoir mécanique auquel ils essayaient, au bout du compte, de répondre pour appréhender une nouvelle loi. Les physiciens, sans se soucier de la mécanique opèrent la statistique. Ils connaissaient la capacité d’adaptation aux aléas d’une telle interface. Evoquons à ce propos ce qu’Isabelle Stengers dit du cas de Maxwell et les physiciens allemands. « La dynamique hamiltonienne est indifférente aux tracasseries statistiques au moyen desquelles les Allemands tentent de l'associer aux formes nuageuses de la thermodynamique. Un phénomène défini en termes thermodynamiques ne peut satisfaire les exigences de la mécanique. »149

Même si les statistiques constituent la science de l’aléatoire ou du possible dans l’étude du béton, celui-ci est préalablement conçu en termes mécaniques. En d’autres termes, l’aléatoire est saisi selon un rapport de « cause-effet ». La notion de « possible » est ainsi mise en cause. Ce possible n’existe donc pas, nécessairement, avant l’évènement. Au contraire, il s’explique après-coup. Ce possible obtiendra toujours sa place dans le vaste domaine des causes - effets. En fait, c’est en cela que consiste le pouvoir de la mécanique. Comme le dit Isabelle Stengers, la mécanique est une invention ; invention qui au fil du temps est devenue un pouvoir.

La philosophe situe sa critique de la mécanique au moment postérieur, dans l’histoire des sciences, à l’invention de la mécanique analytique. Cette analytique est appelée d’après le nom de son auteur « lagrangienne ». En fait, Joseph-Louis Lagrange connu en italien sous le nom de Giuseppe Lodovico de Lagrangia, formule les principes de sa mécanique analytique à partir 1788. En effet, le lagrangien « d'un système dynamique est une fonction des variables dynamiques qui permet d'écrire de manière

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concise les équations du mouvement du système »150. La mécanique de Lagrange se développe historiquement presque de manière parallèle à la mécanique des milieux, celle qui allie statistique et mécanique des fluides. Pour Stengers, l’évènement lagrangien enveloppe l’approche newtonienne de mouvement des corps, sauf que, depuis Lagrange, le « formalisme » de formules vouées à expliquer le mouvement augmente. Le schéma du mouvement souligne que les mobiles ne répondent plus à l’équilibre entre forces et accélération, mais à un axiome supporté par la notion d’énergie potentielle. Cette énergie est échangée par un corps en déplacement et cependant toujours soumis à une force conservatrice. La force conservatrice prône pour sa part, que le travail qu’elle produit est indépendant du chemin suivi par son point d’action151.

Si le travail en physique signifie l’énergie fournie par une force lorsque son point d’application se déplace, en termes de construction lorsque la pièce subissant la force se 

déforme, les forces de l’ensemble structural sont conservées si leurs pièces ne cèdent

pas. Ainsi, le système de contraintes évalué par la structure, se réplique et se distribue dans la structure elle-même. La structure ne déforme pas ce système et permet ainsi la conservation des forces au sens mécanique du terme. Or, les actions de la structure face aux sollicitations des contraintes, produit de ce fait un « travail » qui demeure indépendant. Ce travail est donc apte pour être orientée vers d’autres propos, ceux que nous appelons « structurels » ou d’organisation spatiale.

Dans le deuxième moment de cette thèse, nous traitons le thème du bio-pouvoir à l’égard de Foucault. Ce pouvoir agit par forces ou énergies vitales (physiques et biologiques). C’est pourquoi, il nous semble possible que dans le cas de la construction, ce pouvoir puisse se servir des forces conservatrices. La conservation d’énergie de la fonction tectonique rassurerait ainsi tant le fonctionnement structural (tenir le bâtiment sans déformation des pièces) que le fonctionnement structurel (disposer l’espace architectural). Ce dernier fonctionnement sera donc adéquat à la propagation du bio- pouvoir. En fait, demeurant dans le régime métaphorique des « dispositifs », on peut conclure que le biopouvoir a besoin de ce surplus, de ce reste ou amas d’énergie qui se trouve disponible dans le bâtiment, pour le reconduire et poursuivre ainsi son éparpillement. Il s’agit donc d’une sorte de stockage d‘énergie grâce auquel la

150 Sur le thème « lagrangien,», voir :

http://moodle.insatoulouse.fr/pluginfile.php/39183/mod_resource/content/3/cours4.pdf

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disposition de l’espace du bâtiment est garantie. Les schémas analytiques de la mécanique ne rassurent pas seulement l’édification du bâtiment mais, également, sa structuration spatiale.

Sans traverser nécessairement le domaine de la construction, mais toujours en parlant des phénomènes physiques, Isabelle Stangers dénonce le pouvoir de la mécanique pour bâtir un « objet » définissant force, mouvement, mais aussi espace.

« Dans L'Invention de la mécanique, j'ai suivi le chemin divergent de deux héritages de ce que j'ai appelé l'événement lagrangien : la construction d' équations dont la syntaxe affirme le pouvoir de l' égalité entre « cause » et « effet », pouvoir devenu créateur de fiction, constructeur d ' un « objet » définissant sous ses propres conditions espace, force et mouvement. Hamilton marque l'un de ces chemins, et Carnot, l'autre, chacun prolongeant par des moyens mutuellement incompatibles le pouvoir de la fiction lagrangienne. »152

L’«objet » ou « mobile » d’après les physiciens, possède, comme nous l’avons vu, un barycentre qui simplifie l’analyse. L’analytique de la mécanique des points produit ainsi des référentiels. Si ceux-ci sont de grande taille, l’analyse néglige leurs effets dus à cette taille. Les « objets » de la mécanique sont de ce fait analogues à des mobiles mécaniques. Ils négligent, non pas nécessairement les effets dus à leur taille, mais les effets dus à leur pouvoir. L’objet mécanique défini ses propres conditions. Et ces conditions sont donc assez rassurantes. Elles ne donnent pas trop d’espace pour la déroute ou l’accident. Par accident nous ne parlons ici de catastrophe ni de risque, mais seulement de l’imprévu. Un imprévu structurel ou spatial, un imprévu structural ou constructif ne comportent pas, nécessairement, un risque. Or, même si les accidents imprévus arrivent, ces objets ont entamé d’avance un champ d’action capable de les réorienter, de les réémettre dans la trajectoire stipulée. Ces objets sont donc capables de gérer les nouveaux phénomènes. Voilà pourquoi il nous semble que la fonction tectonique en architecture implique cette sorte d’analytique mécanique des phénomènes et des objets physiques.

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