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UN CONCEPT SCOLAIRE DE COMPOSITION, LES BEAUX-ARTS AU SERVICE DE L’INGIÈNERIE.

I. LA FONCTION TECTONIQUE COMME PENSÉE DES DISPOSITIFS.

I.1. DE LA TECTONIQUE COMME DISPOSITIF

I. 1.4. UN CONCEPT SCOLAIRE DE COMPOSITION, LES BEAUX-ARTS AU SERVICE DE L’INGIÈNERIE.

La prééminence de la « fonction générale » en architecture, renforcée par la fonction tectonique, a pu s’endurcir dans la durée, grâce à l’influence du mode compositionnel dans plusieurs pratiques architecturales. Nous pensons que ce mode de conception, se manifeste en traitant formellement l’une des fonctions techniques dont parle Foucault. Dans le cas du mode compositionnel, les architectes travaillent la vitesse, la communication mais surtout le territoire, en termes de forme constructive. Ainsi, le

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SIMONNET, Cyrille. Destinée  tectonique, extrait de « FACES », journal d’architecture n° 47, hiver 1999-2000, pp. 2-3

26 PICON, Culture numérique et architecture, une introduction, op.cit., p. 126. 27

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développement de la composition en fonction des prérogatives du territoire a été rendu possible, sans que les architectes ne le perçoivent nécessairement.

Par composition, nous comprenons un dispositif de conception architecturale qui souligne des valeurs dites classiques – telles que la symétrie, les axes parallèles et perpendiculaires, la distribution correcte, la continuité entre espaces –, afin de rendre opérationnel le rapport « partie-unité » comme principe d’organisation spatial. Or, même si ces valeurs ont leurs origines dans l’architecture grecque et renascentiste, c’est avec l’école française que leurs caractères compositionnels deviennent plus forts. Par composition, nous comprenons étymologiquement « cosmos ». Or, cosmos ne se réduit pas à composition, surtout pas au concept scolaire de composition. Cependant, la valeur classique qui adhère au concept scolaire à travers un affinage de son sens, est la « distribution ». À ce propos, Jacques Lucan prend comme exemple Jacques-François Blondel pour affirmer ceci,

« Lorsque Jacques-François Blondel (1705 – 1774) publie en 1737 – 1738,

De  la  Distribution  des  maisons  de  plaisance  et  de  la  décoration  des  édifices  en  général, il aborde des problèmes dont les architectes français sont réputés de

s’être fait une « spécialité » en développant une « manière française » beaucoup plus préoccupé des dedans que de la « manière italienne » attentive aux dehors »28.

L’affaire à relever dans la mise en œuvre de la manière française, est qu’elle dépend des commandements venus du gouvernement : il faut s’étendre , il faut agrandir le règne . Ensuite, l’État poursuit l’orientation de la composition d’école à travers une autre modalité. Si le règne conquérait de nouveaux terrains, l’État ferait présence partout où il gouverne. Le moyen le plus répandu pour cette expansion de sa présence, a été la mise en place d’un circuit territorial de communication. La communication a ainsi été accomplie à travers une action d’ingénierie pure, la construction des voies. Cependant, dans le domaine de l’architecture, l’expansion s’est déployée à travers la distribution comme catégorie esthétique et typologie architecturale. Même si ce sujet semble porteur d’incohérence, entre l’expansion comme ligne de traitement du

28 LUCAN, Jacques, Composition,  non  composition : Architecture  et  théories,  XIXème­XXème 

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territoire, et la composition française comme distribution, il n’y a pas de contradiction en réalité.

La distribution comme valeur principale du mode compositionnel, s’applique entièrement aux demandes de « confort intérieur ». La déclination de la trilogie vitruvienne faite par Blondel en est une illustration. Cette trilogie s’énonce dans l’ordre suivant dans les Cours  d’architecture de Vitruve: 1. Solidité ou construction, 2. Commodité ou distribution, 3. Beauté ou décoration. La déclination de Blondel propose un chemin inverse. D’abord la décoration, ensuite la distribution, et finalement la construction. Deux questions découlent de l’inversion que fait Blondel de Vitruve. Comment est-il possible qu’une disposition tellement soucieuse de la commodité interne, soit capable d’obéir à l’ordre d’expansion ? Et comment une telle disposition devient convenable au développement de la fonction tectonique ? L’inquiétude que Blondel porte sur l’intérieur de l’architecture, est paradoxalement accompagnée par le développement d’une capacité fonctionnelle de l’architecture à propos du dehors. En fait, Le Corbusier a travaillé sur le sujet de l’intérieur plusieurs années après ; sujet qui comporte aussi chez l’architecte suisse, des conséquences sur l’extérieur. 

Le souci de la distribution et du confort intérieur a habilité un dispositif d’appropriation du dehors apte pour tirer parti des irrégularités extérieures : la symétrie. Pour montrer le lien entre l’embellissement, la symétrie et l’expansion chez Blondel, nous faisons appel aux mots de Charles Percier et de Pierre-François Léonard Fontaine. La distribution intérieure, disent-ils,

«… s’adresse à la manière de s’approprier avec profit un terrain, (…), c’est-à- dire (…) d’agrandir par une heureuse disposition les terraines les plus resserrés. Elle s’adresse enfin à la ville tout entière lorsqu’il s’agit de concevoir des plans d’embellissement pour l’établissement desquels on a recours aux mêmes principes de mise en symétrie, créant ainsi ce que l’on peut nommer des enfilades urbaines. (…) l’équivalence des principes de mise en symétrie prouve qu’il n’y a pas de 

discontinuité entre conception architecturale et conception urbaine : aux rues, aux

places, aux cours, aux mails, etc., correspondent les vestibules, les antichambres, les salons, les chambres, etc. »29

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Alors, l’accent mis sur le dedans n’empêche pas le fonctionnement correct et la continuité des fonctions techniques du dehors. Le problème réside dans le fait que, ce qui s’étend grâce aux valeurs intérieures de distribution ne concerne pas les valeurs architecturales elles-mêmes. Ces valeurs obéissent à la primatie de la fonction technique (en termes foucaldiens) du territoire. Cette fonction rend possible l’application d’une valeur intérieure à l’extérieur. L’application répond donc aux besoins d’extension du territoire, et non pas aux valeurs dites de composition architecturales. Le souci formel de la « commodité-distribution » devient ainsi fonctionnel (à l’extérieur mais aussi à l’intérieur). Il ne s’agit pas en somme d’une affaire d’embellissement, mais de gestion spatiale.

Or, cette gestion spatiale est convenable à la perduration de la fonction tectonique. Même si les architectes pensent qu’ils ne s’occupent que des thèmes de « composition beaux-arts », à l’inverse son travail compose avec le territoire. Sans approfondir le thème de l’architecture moderne ni contemporaine, l’exemple de la manière à travers laquelle le plan libre de Le Corbusier a été développé, sert aussi à montrer comment un souci formel rend service à une autre fonction technique, la communication.

Juste pour l’évoquer, le plan libre, c’est-à-dire l’un des aspects les plus fonctionnels de l’architecture et qui a donné libre recours aux surfaces multi usages de l’architecture contemporaine, provient d’un souci formel. Le Corbusier était émerveillé par la disposition visuelle des bâtiments de l’acropole. L’architecte ne s’intéressait pas à la disposition fonctionnelle, mais à l’allure pittoresque. Dans l’Acropole, il était captivé par la manière à travers laquelle les formes se présentent à l’œil30. Par conséquent, en se servant des schémas dessinés, il arrive à faire entrer le paysage extérieur irrégulier à l’intérieur du bâtiment, grâce à l’usage de la promenade constitutive de ses premiers plans libres (le cas de la Villa Savoye31).

Peut-être que la fonction technique prédominante de la contemporanéité est la communication, et que dans ce sens, le rapport qui allait de l’intérieur à l’extérieur, est inversé. Plusieurs architectes et théoriciens disent aujourd’hui que le bâtiment inclut les circulations de l’urbanisme pour s’en composer. En effet, ceci est aussi l’un des sens du mot « composition » : le fait de s’approprier des irrégularités extérieures. Le mot

30 Voir figure 5 à la page 96 31

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« composition », autant en Angleterre qu’en France, implique dans le XIXème siècle, l’appropriation de terrains irréguliers.

« Le mot « composition » a réellement fait son entrée dans le vocabulaire architecturale anglais à la suite des innovations formelles du pittoresque. Il s’appliquait tout particulièrement aux nouvelles dispositions libres et asymétriques qui n’entraient pas dans les catégories esthétiques de la tradition académique ». La coïncidence n’est sans doute pas fortuite : en Angleterre, l’emploi du mot composition est lié aux dispositions irrégulières et notamment à celles des jardins ; en France, l’accent mis sur la distribution et sur l’habileté se rapportant à l’appropriation des formes irréguliers ─d’aucuns diraient l’appropriation de situations pittoresques »32

Le mot « composition » est donc couplé au mot « disposition ». Or, « disposition » est synonyme de « dispositif ». Comme nous le démontrerons par la suite, la composition est un mode de conception architectural en vigueur et utile tant à l’action des fonctions techniques, qu’à la sédimentation de la tectonique. Si par « composition » on entend « disposition », il faut par ailleurs décoder le sens premier de ce terme dont les racines sont d’origine philosophique.

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I. 2. DE LA DISPOSITION.

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