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SELON FOUCAULT

II. CRITIQUE DE L‘ECONOMIE DES DISPOSITIFS À PARTIR L‘ETUDE DU BETON ARMÉ.

II.3. L’ANALYTIQUE DU BÉTON COMME THÉORIE SYSTEMATIQUE.

II. 3.4. DE LA MÉCANIQUE ANALYTIQUE ET PHYSICALISTE.

Désormais (à partir la fin du XIXème jusqu’à la fin du XXème siècle), les études mathématiques sur le béton constituent le socle de la conception mécanique du monde, à travers leurs expressions statistiques. Même si la distribution des forces dans la structure du béton, l’ossature, signifie d’après nous un fait de conservation de forces, son étude préalable se fait à travers des outils mécaniques statistiques. De plus, si le matériau lui-même est conçu comme une structure, c’est toujours la mécanique qui accorde les outils nécessaires à sa projection. On projette le matériau depuis des outils de calcul convenables à une représentation de portée mécanique, les statistiques, même si son comportement physique n’est pas nécessairement statique mais dynamique. Il n’est pas sensé, par lui-même ou par ses potentialités objectives, se comporter nécessairement selon la mécanique analytique. On pense le béton à partir de ces termes parce qu’on l’a transformé en structure supportant des systèmes analytiques. Le béton a été assimilé à ce pour quoi les bâtisseurs ont commencé à l’utiliser, les structures en tant qu’ossatures. Mais, une telle structuration du béton comme structure portante a été, comme nous l’avons vu, organisée par une analytique mécanique. La mécanique, sans tomber dans le champ de son analytique, entraine d’autres parcours et manifestations qui, pouvant être plus en accord avec les potentialités du béton, n’ont pas assisté son étude théorique et mathématique. Comme nous l’avons annoncé tout à debout de chapitre précèdent, nous nous occuperons plus tard de ces autres cas de « mécanique ».

Or, un problème se pose dès qu’on sait que même les ossatures ne doivent pas seulement répondre aux lois de l’analytique mécanique. L’énergie conservatrice et la distribution des forces montrent que l’entropie thermodynamique concerne aussi le comportement de ces structures. Mais cette fois-ci, la conservation d’énergies n’est pas un outil de la fonction tectonique pour structurer l’espace. Le problème de l’entropie sera développé plus tard. Voyons pour l’instant qu’en plus des mathématiques et de leur représentation graphique, la mécanique analytique englobe aussi une considération importante de ce qu’on a eu pour habitude d’appeler le « réel ».

La théorie mathématique supportée par une économie, est aussi subsidiaire d’une conception scientifique concevant le monde comme soumis aux lois physiques. En ce sens, aux mathématiques algébriques et analytiques des premiers théoriciens du béton,

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une conception mécanique du « réel » y est associée. Autrement dit, le domaine de représentation abstrait que calcule le béton, est parallèle à une autre conception portant sur l’ensemble du réel cette fois-ci ; conception qui lui est concomitante. La conception mécanique du réel prône que toute manifestation phénoménologique, objectale et même mentale, dépend des lois physiques constantes. Selon les termes d’Isabelle Stengers, il s’agit de deux sortes de pouvoir, le pouvoir de la représentation hautement abstraite de la mathématique, et celui de l’explication physicaliste. L’argument de la philosophe à ce propos émerge de sa lecture critique de la physique classique et contemporaine.

« La physique, aujourd’hui, est hantée par les lois (…) elle se présentera comme la science qui a découvert que la nature obéissant à des lois (…) Comme Max Planck, au début du siècle, comme Steven Weinberg et bien d’autres aujourd’hui153, le physicien continuera à prétendre avoir découvert des (…) lois qui, bien sûr avec des notations et dans des langages différents, devraient avoir également été « découvertes » par des extraterrestres intelligents. (…)

Ce ne serait pas bien grave si la physique ne donnait pas un mauvais exemple. (…) : le mind­body problem, (…) et les théories mathématiques du marché économique. Dans le premier cas, c’est le pouvoir de l’explication physicaliste qui fascine, dans le second c’est au contraire le pouvoir du mode de représentation hautement abstrait, apparemment détaché de tout modèle physique particulier, de l’état dynamique qui attire l’attention. »154

Dans le cas du béton armé, les théories mathématiques, même englobant une économie marchante, ne sont pas évidement les mêmes théories du marché économique évoquées par Stengers. En outre, les théories mathématiques portant sur le béton, étant hautement abstraites, ne sont pas néanmoins détachées des modèles physiques. Elles répondent au modèle de la physique mécanique « cause-effet ». Il nous semble qu’en quelque sorte, entre le modèle mécanique et les théories mathématiques abstraites, il existe une certaine pensée théorique qui fait cercle. Elle établit un circuit préétablie de la théorie. Par telle circularité, les théories mathématiques analysant et

153 WEINBERG, Steven, Dreams of Final Theory, Vintage, Londres, 1993, p. 36.

154 STENGERS, Isabelle, Cosmopolitiques, Tome 2 : L’invention de la mécanique : pouvoir et raison, Paris :

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calculant le béton deviennent rassurantes. La pensée théorique qui les entoure les supporte.

La notion d’ensemble possède le sens d’une catégorie. Elle émerge de manière nécessaire comme produit analytique des théories mathématiques appliquées au béton pour permettre la conservation des forces dans le bâtiment. En d’autres termes, l’« ensemble » est la réponse nécessaire qui donne le calcul, le domaine abstrait, vis-à- vis du pouvoir du modèle physique mécanique portant sur le monde réel. Le pouvoir de ce modèle est établi, parmi d’autres raisons, par la multiplicité des lois gouvernant le monde et par la quantité de force que chacune d’entre elles porte en elle-même. Il y a donc un ensemble de forces, toutes assez puissantes, qui agissent de manière agencée, c’est-à-dire, toujours ensemble. Les différents éléments, objets et phénomènes du monde, attendent pour être individualisés par ces forces. Ces forces les agencent toujours. A travers l’individuation, ces éléments entrer dans le domaine de l’analytique. L’entrée dans l’analytique ne garantit pas seulement l’existence physique de ces êtres, elle dispose aussi les conditions de leurs performances.

En l’occurrence, si le « monde réel » est un ensemble de forces fortes, la théorie mathématique des matériaux ne peut pas ne pas qu’élaborer des calculs d’ensemble. Dans le cas du béton armé comme structure résistante, l’analytique mécanique essaye de traduire les systèmes de contraintes de la manière la plus précise possible. Une seule pièce de la structure en béton ne peut pas répondre au système des contraintes des lois auxquelles la nature obéit. Le calcul répond au système extérieur des contraintes par un « autre » système, par l’ensemble des efforts des pièces solidaires. Les forces de la nature sont solidaires et très fortes, les mathématiques produisent donc un calcul du même genre, solidaire et fort. Il ne s’agit donc pas d’inventer des structures comme le disait Simonnet, il s’agit de les maintenir, de les calculer, de les rendre capables de répondre aux forces de la nature, en les conservant, en les transmettant. Ceci est l’expression majeure de la notion de système.

Nous pensons qu’un tel système dont les éléments d’ensemble et de force se reproduisent du côté du calcul mathématique (l’analytique mécanique) et du modèle physique du réel, est propice à la prépondérance de la fonction tectonique dans le domaine de la construction. Le calcul entretient la fonction tectonique, il ne s’occupe pas de l’invention des structures. En fait, c’est à propos de ce domaine que le parallélisme entre le modèle physique du réel et le calcul mathématique est le mieux

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achevé. Le traitement du béton armé en tant que matériau structurel qui doit répondre aux forces de la pesanteur, habilite un tel parallélisme. On ne peut pas que le concevoir vis-à-vis de ce à quoi il répond. Il est devenu structure, précisément, pour tenir au milieu du système mécanique de la pesanteur.

Isabelle Stengers pense que ce système n’est pas apte pour l’invention, ou dans les termes deleuziens qu’elle utilise, pour l’évènement. « Comment caractériser ce rôle de la physique en tant que modèle ? Il faut d’abord souligner qu’il ne peut être question ici ni d’invention, ni donc d’évènement »155 . Dans le cas du béton armé, le pouvoir de ce

modèle est si fort que les mathématiques s’apprêtent à le traduire au plus près, pour en produire un calcul rassurant qui puisse proclamer, en langage algébrique, que la structure peut tenir. Il ne s’agit donc pas, à travers le calcul mathématique, de faire progresser ou développer le matériau ni dans sa fonction ni dans sa forme, mais de le faire subsister en accord avec les systèmes des contraintes. Et ainsi, les forces, mais aussi la pensée théorique circule en rond autour des conditions de l’analytique mécanique, depuis le modèle physique au calcul abstrait mathématique, et vice-versa.

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II.4. LES SYSTÈMES DE CONTRAINTES ET DE

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