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Carte 3. Ratio manuels par élèves au niveau régional au Mali en 2007-08

2. La production de données

Lors de mon analyse, j’ai pris la décennie dans son ensemble, et j’ai mis en lumière les changements, mais également les continuités de période à période.

Enfin, contrairement à la comparaison entre pays, celle entre époques s’est davantage réalisée à partir des documents institutionnels qu’à partir des entretiens. En effet, j’ai pu difficilement retrouver des acteurs en place aux différentes époques mentionnées ci-dessus, même si quelques-uns des personnes interviewées ont pu les évoquer.

2. La production de données

Les données de ma recherche proviennent de deux sources distinctes : d’un côté, j’ai utilisé les documents institutionnels stratégiques des politiques éducatives, et d’un autre côté, les entretiens. Pour chaque question de recherche, j’ai donc choisi des types de données et des méthodes d’analyse appropriés dans la perspective d’une étude essentiellement qualitative.

a. Les documents institutionnels

J’ai fait le choix d’analyser les documents institutionnels dans la mesure où ils font ressortir le discours autour des stratégies des acteurs concernés. Et puisque j’analyse l’influence de la Banque mondiale sur les politiques éducatives du Mali et du Sénégal, j’ai considéré qu’il était pertinent de choisir d’une part des sources provenant de l’organisation internationale elle-même, et d’autre part, provenant des ministères de l’éducation des deux pays. L’analyse de ces dernières sources est justifiée par le fait que c’est l’Etat qui produit officiellement les textes de politique éducative nationale. L’idée est également de comparer les orientations présentes dans les documents de la Banque mondiale et ceux des ministères pour voir dans quelle mesure le discours de l’organisation internationale a été intégré par les acteurs nationaux. J’ai sélectionné dans la mesure du possible des documents couvrant la période 1980-2010 dans l’objectif de mon étude comparée susmentionnée. Le tableau 15 en annexe développe en détail les sources précises choisies.

Ainsi, j’ai retenu pour cette recherche des documents de la Banque mondiale qui concernent trois échelles différentes :

! Quatre rapports globaux du secteur de l’éducation ;

! Deux rapports régionaux sur l’Afrique subsaharienne ;

! Quatre rapports nationaux sur le Mali et le Sénégal.

L’utilisation de plusieurs niveaux est justifiée par le fait que la Banque intervient à ces différentes échelles. Il sera notamment intéressant d’identifier un continuum dans le discours ou au contraire des effets de contextualisation.

Pour l’analyse des moyens d’action de la Banque mondiale, il a été nécessaire, pour avoir suffisamment de données en particulier sur les financements de l’institution, de me référer à d’autres sources qui sont mentionnées dans le chapitre en question, telles que la littérature grise provenant de l’organisation.

Pour ce qui est des documents des ministères malien et sénégalais, j’ai analysé ceux qui traitent directement de l’éducation de base, à savoir :

! Deux lois d’orientations ;

! Deux plans décennaux ;

! Quatre rapports nationaux des conférences internationales du Bureau International de l’Education (BIE-UNESCO) qui sont produits tous les quatre ans.

Pour les années 1980, il n’y avait pas de documents communs aux deux pays. Cependant, les textes de la période suivante en donnent des indications. A chaque fois, ma volonté était en effet d’avoir des documents identiques entre pays pour pouvoir comparer ce qui est comparable. C’est pour cela que pour certaines périodes, je n’ai pas sélectionné de rapports car l’analyse n’aurait pas pu être comparative.

Je souhaite préciser qu’après une pré-analyse de chaque rapport, j’ai sélectionné les parties en lien avec la problématique, à savoir les politiques d’éducation de base.

b. Les entretiens

Mon deuxième type de données correspond à des entretiens. Ils viennent compléter les données provenant des documents institutionnels dans la mesure où les acteurs de terrain s’expriment sur leur vision par rapport à celles qui peuvent être proposés dans les documents, et sur l’opérationnalisation des orientations politiques. Le croisement de données est donc pertinent en ce qu’il permet notamment de comprendre la cohérence des orientations et les retraductions des orientations officielles. Les entretiens permettent en quelques sortes l’incarnation de l’influence de la Banque mondiale sur le terrain.

Ainsi, j’ai effectué des séjours sur le terrain. Je me suis rendu au Mali en septembre-octobre 2009 et septembre-octobre 2010 pour une période d’un mois à chaque fois. Et je suis allé au Sénégal en mars-avril 2011 également pour une période d’environ un mois. La durée sur le terrain a été suffisante pour récolter les données dont j’avais besoin.

Au total, j’ai effectué 36 entretiens, tous en langue française. J’ai cherché à avoir une diversité de profils, de situations différentes liées à la problématique choisie plus qu’une représentativité des acteurs (Huberman & Miles, 1991 ; Mukamurera, Lacourse & Couturier, 2006). Je précise toutefois que l’échantillon est réduit : il s’agit de prendre le propos des acteurs avec une certaine prudence.

En lien avec les questions de recherche et les choix théoriques, j’ai souhaité viser pour les entretiens des acteurs à différents niveaux d’analyse, à savoir le niveau global, national et local, pour comprendre leur vision et leurs marges de manœuvre dans les politiques éducatives. Cette recherche multi-niveaux est donc à l’intermédiaire des études macro et de l’ethnographie.

Pour le niveau global, je me suis entretenu au Mali et au Sénégal avec des représentants4 de la Banque mondiale ; pour le niveau national, avec des représentants des ministères ; pour le niveau local, avec des représentants des administrations régionales, des directeurs d’école et des enseignants. Ces entretiens sont présentés en détail dans le tableau 16 en annexe.

Je souhaite déjà évoqué des limites dans ces choix théorico-méthodologiques concernant la volonté d’effectuer des entretiens avec les acteurs locaux, et en particulier les enseignants. En

4J’utilise consciemment le masculin, même si je me suis également entretenu avec des femmes.

effet, j’avais surestimé leur poids dans les politiques éducatives. Ils n’étaient en fait pas habitués à s’exprimer sur des questions dans ce domaine. Cela rejoint l’idée qu’ils ne sont généralement pas consultés comme ils l’ont évoqué dans les entretiens. D’ailleurs, c’était chez ces acteurs que j’ai ressenti le plus de craintes face aux questions posées sur la thématique abordée et sur l’enregistrement. Avaient-ils peur que leurs réponses aient un impact sur leur carrière ?

Mais je me suis également demandé : ont-ils réellement la volonté de jouer un rôle dans le changement politique ? C’est en effet une des hypothèses de certaines approches théoriques, et notamment le « glonacal agency ». Mais je rappelle que la fonction enseignante depuis les années 1990 est de moins en moins liée à un choix volontaire ou à une vocation avec le recrutement de personnel contractuel et sous-qualifié. J’ai senti peu d’intérêt pour les questions d’ordre politique ou pédagogique lors des entretiens. Leur adhésion à des syndicats est surtout à lier avec la nécessité de revendiquer des augmentations de salaire.

L’apport des acteurs locaux, bien que les entretiens aient permis de faire ressortir quelques données intéressantes, n’a pas été à la hauteur des attentes initiales. A cela, il faut ajouter dans une moindre mesure une barrière de la langue pour certaines personnes interrogées au niveau local. Elles sont pourtant censées maîtriser le français, langue d’enseignement officielle dans les deux pays. J’ai toutefois pu constater un malaise dans la compréhension des questions qui peut en partie expliquer des réponses limitées, et donc des données pas toujours facilement exploitables.

Je souhaite spécifier ici que j’avais pris contact avec certaines personnes interviewées avant mon séjour sur le terrain. C’est notamment le cas avec les acteurs de la Banque mondiale.

Mais dans l’ensemble, j’ai fait connaissance des personnes directement sur place soit à l’aide de connaissances personnelles, soit par le hasard des rencontres effectuées pendant le séjour sur le terrain.

Plus précisément, pour les représentants de la Banque mondiale, j’ai contacté les personnes grâce aux coordonnées disponibles sur le site internet. Après les premiers entretiens, j’ai été orienté vers d’autres personnes de l’institution.

Pour les représentants des ministères de l’éducation, je me suis directement rendu au ministère et j’ai sollicité des cadres du sous-secteur de l’éducation de base.

Les autres acteurs ont été choisis, soit parce qu’ils m’avaient été recommandés par des connaissances sur le terrain, soit en me rendant directement sur leur lieu de travail (écoles,

centres d’animation pédagogiques, etc.).

J’ai rencontré les représentants de la Banque mondiale et des ministères dans les capitales, à Bamako et à Dakar.

Les entretiens avec les autres acteurs ont été réalisés dans diverses zones géographiques. Sur les treize représentants des administrations régionales et des directions d’écoles, six d’entre eux se trouvaient dans les capitales ; deux dans la banlieue de Bamako, à Sabalibougou ; trois dans la banlieue de Dakar, à Pikine ; deux à Mopti, à 600 km de Bamako. Pour ce qui est des enseignants, sur un total de dix entretiens, cinq ont été effectués dans les capitales ; trois à Sabalibougou ; un à Pikine ; un à Mopti.

Je peux profiter pour expliquer mon choix des différents lieux que je viens de nommer. La sélection des capitales correspond au fait que les hauts lieux de décision des politiques et les sièges des organisations internationales se situent à ce niveau.

J’ai également choisi d’autres endroits que les capitales pour réaliser mes entretiens. Je voulais en effet me rendre dans des zones socio économiquement défavorisées, c’est pourquoi j’ai fait le choix de la banlieue de Dakar qui connaît une situation éducative peu propice, comme le précisent d’ailleurs les personnes interviewées. Le choix de Mopti au Mali est lié à la même raison, sauf que je voulais réellement m’éloigner de la capitale. Cette ville se situe dans une région parmi les moins scolarisées du pays. Cependant, il m’a été très difficile d’effectuer les entretiens que j’avais prévus. De nombreuses zones étaient notamment inondées à cette époque suite à des pluies intenses dans tout le pays. Certaines écoles se trouvaient sous l’eau comme le montre la photo ci-dessous.

Photographie 1. Une école de Mopti inondée

Source : Lauwerier, 2010

Cette expérience m’a conduit à ne pas la renouveler au Sénégal où je suis donc resté dans la capitale et sa banlieue.

Les points forts de la technique des entretiens correspondent non seulement à la richesse des données recueillies, mais aussi à sa souplesse dans la mesure où elle permet de recueillir des témoignages des interlocuteurs en respect de leurs propres cadres de référence, de leur langage et de leurs catégories mentales.

Les entretiens semi-directifs spécifiquement ont pour caractéristique de susciter de la part de l’enquêteur l’expression de son interlocuteur sur un certain nombre de thématiques précises, tout en s’adaptant au discours de l’interviewé : « Il n’est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un grand nombre de questions précises. Généralement, le chercheur dispose d’une série de questions-guides, relativement ouvertes, à propos desquelles il est impératif qu’il reçoive une information de la part de l’interviewé » (Quivy & Campenhoudt, 1995, p. 195). L’avantage de l’entretien semi-directif est en effet de pouvoir traiter des questions préalablement inscrites dans des guides d’entretien, et de laisser la personne interrogée s’exprimer comme elle le souhaite sur telle ou telle question. Ce dernier a des intérêts différents vis-à-vis des questions abordées, et peut préférer aborder un sujet particulier.

Le problème majeur quand la recherche traite de politique avec les acteurs-mêmes qui la font est lié à la langue de bois pratiquée par ces acteurs. Pour minimiser au maximum cette contrainte, j’ai croisé les entretiens des acteurs de mêmes organisations ou professions, par exemple, de plusieurs représentants de la Banque mondiale. Lors de l’analyse, j’ai aussi mis en parallèle ces entretiens avec les documents institutionnels.

Pour revenir sur les guides d’entretien, ils ont été constitués de manière à pouvoir explorer plusieurs axes fondamentaux construits à partir d’éléments clés de la littérature sur l’influence de la Banque mondiale dans les politiques éducatives. Un guide d’entretien a été conçu pour :

! Les représentants de la Banque mondiale ;

! Les représentants du ministère de l’Education ;

! Les représentants des administrations régionales et des directions d’école ;

! Les enseignants.

J’ai utilisé ces guides aussi bien au Mali qu’au Sénégal dans un souci de comparabilité des données lors de l’analyse. Cependant, après mon premier séjour en 2009 au Mali, qui a constitué un terrain préliminaire, j’ai complété les guides d’entretiens pour pouvoir approfondir certains points.

Les entretiens ont duré en moyenne entre une demi-heure et une heure et demie. Ils ont été dans la mesure du possible enregistrés. Quelques personnes interviewées ont refusé l’enregistrement, j’ai bien entendu respecté leur choix, après avoir précisé que les entretiens étaient anonymes. Les refus se sont surtout faits sentir chez les directrices et directeurs d’écoles, et chez les enseignantes et enseignants.

De manière générale, au début de chaque entretien, j’ai expliqué à mes interlocuteurs le déroulement et la durée prévue d’environ une heure. J’ai présenté la thématique abordée, en précisant le cadre dans lequel s’inscrit la recherche. Cela a permis de mettre à l’aise mes interlocuteurs qui avaient pu être méfiants à prime abord. Ensuite, j’ai demandé l’accord pour l’enregistrement. Enfin, j’ai pu commencer l’entretien.

J’ai systématiquement transcrit intégralement les entretiens enregistrés. D’ailleurs, certains acteurs ont demandé la transcription de leur propre entretien pour validation. Je n’ai pourtant jamais eu de modifications à effectuer. Et lorsque les entretiens n’ont pas pu être enregistrés,

j’ai pris des notes complètes avec un certain nombre de citations.

Je pense pouvoir expliquer le refus de l’enregistrement par la peur de ne pouvoir s’exprimer librement sur des problématiques liées au politique et/ou d’un manque de confiance sur l’anonymat des entretiens.

Mais de manière générale, j’ai eu un accès facilité et chaleureux à mes interlocuteurs. Je développe d’ailleurs dans un article paru en 2013, « L’image et la recherche d’un européen en Afrique de l’Ouest francophone », ma position de chercheur sur le terrain. J’y évoque notamment l’effort de réflexivité et de décentration nécessaire pour mener ce type de recherche.

Ces entretiens ainsi que les documents institutionnels présentés plus haut ont donc permis de constituer d’importantes données pour une analyse approfondie de l’influence de la Banque mondiale sur les politiques éducatives nationales.

Pour chaque question de recherche, j’ai utilisé les outils qui me semblaient le plus pertinents et que je présente dans le tableau ci-dessous :

Q1 ! Documents institutionnels Banque

mondiale

! Entretiens Banque mondiale

Q2 ! Documents institutionnels ministères

de l’Education

! Entretiens ministères de l’Education

Q3 ! Documents institutionnels Banque

mondiale

! Entretiens Banque mondiale

! Entretiens ministères de l’Education

! Entretiens acteurs locaux

Q4 ! Documents institutionnels ministères

de l’Education

! Entretiens ministères de l’Education

! Entretiens Banque mondiale

! Entretiens acteurs locaux

Q5 ! Entretiens Banque mondiale

! Entretiens ministères de l’Education

! Entretiens acteurs locaux

3. Le traitement des données

Après avoir présenté le processus de production de données, je vais spécifier la manière dont j’ai traité ces données.

Ma recherche se situe dans une analyse de contenu que Mucchielli (1996) définit de la manière suivante : il s’agit d’un « ensemble de méthodes d’analyse de documents, le plus souvent textuels, permettant d’expliciter le ou les sens qui y sont contenus et/ou les manières dont ils parviennent à faire effet de sens » (p. 36). Selon Robert et Bouillaguet (2007), ce type d’analyse comporte quatre étapes principales :

! La pré-analyse ;

! La catégorisation ;

! La codification ;

! L’interprétation.

Je précise d’ores et déjà que l’ensemble de ce processus dans la recherche qualitative n’est pas linéaire, il faut le considérer de manière itérative comme le suggère la figure 4. Après avoir collecté les données issues des documents institutionnels et des entretiens semi-directifs, j’ai procédé à des allers retours entre l’étape de condensation des données, la présentation des données dans différents chapitres, et les conclusions liées à ces données.

Par exemple, l’analyse générale, même si elle est venue tardivement dans la réalisation de la thèse, a néanmoins débuté au moment de la production de données. En effet, j’ai testé la pertinence des questions de recherche sur les données pour combler les manques lors du séjour sur le terrain suivant. Cela a permis d’améliorer au fur et à mesure de l’avancée de la recherche la qualité des données produites.