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Carte 3. Ratio manuels par élèves au niveau régional au Mali en 2007-08

2. Les dynamiques des politiques éducatives dans un contexte de la globalisation

Avant de préciser comment je conçois le concept d’influence dans le cadre de cette recherche, il me paraît indispensable de présenter ma vision des politiques éducatives.

a. Les dynamiques des politiques éducatives

Tout en gardant les aspects qui me paraissent pertinents dans les approches adoptées par la plupart des textes critiques, en particulier les arguments sur la Banque mondiale en tant qu’agent du néolibéralisme, je souhaite apporter des éléments théoriques qui permettront une analyse plus fine de l’influence de l’organisation sur les politiques nationales d’éducation, y compris en Afrique de l’Ouest francophone. En effet, pour pouvoir justement critiquer le néolibéralisme et ses promoteurs, en l’occurrence la Banque mondiale, il faut pouvoir saisir finement comment l’idéologie est répandue et jusqu’à quel point.

Certains auteurs ont réfléchi à comment penser l’analyse des politiques éducatives dans le contexte actuel de globalisation. Ainsi, je vais clarifier ce que j’entends par « politique éducative » pour ensuite préciser sous quel prisme je vais les analyser.

Dans le Dictionnaire de l’éducation, van Zanten (2008) révèle l’approche classique des politiques éducatives qui se réfèrent à « des programmes d’action gouvernementale, informés par des valeurs et des idées, s’adressant à des publics scolaires et mis en œuvre par l’administration et les professionnels de l’éducation » (p. 535). Mais cette conception est trop étriquée. Elle correspond à une vision très institutionnelle. Je pense, toujours d’après van Zanten (2004), qu’il faut également insister sur d’autres aspects des politiques éducatives, à savoir :

L’hétérogénéité des intérêts en présence, la complexité des stratégies d’acteurs concernés, les méandres de la prise de décision publique, les réinterprétations lors de la mise en œuvre concrète, les effets en retour et les réajustement réguliers des dispositions nationales rendent impossible tout raisonnement linéaire et causal. (p. 26, d’après Lascousmes, 1994)

Cette définition exprime clairement le dynamisme des politiques publiques d’éducation. Yang (2010) propose une autre dimension primordiale, celle de la négociation :

Les politiques ne représentent en aucun cas l’opinion consensuelle de tous les membres d’une société. L’élaboration de politiques, selon Ball, ne suit jamais une séquence logique ou rationnelle mais résulte de l’éternel conflit et du compromis entre plusieurs groupes d’intérêt, pour devenir éventuellement un symbole des valeurs dominantes du groupe détenteur de l’autorité. Sachant que les valeurs sont toujours rattachées à un contexte social, il est donc important de savoir à qui appartiennent les valeurs validées par les politiques, et à qui elles ne le sont pas. (p. 230)

Au cœur de cette vision, il y a aussi l’idée de relations de pouvoir, concept important de la sociologie politique. Pour Ball (1990), « les politiques ne peuvent être dissociés des intérêts, des conflits, de la domination ou de la justice » (p. 3).

De nombreux auteurs ont aussi écrit sur la complexité de la mise en œuvre des politiques d’éducation. Celle-ci exige que les acteurs qui la mettent en œuvre puissent interpréter les exigences politiques à la lumière de leurs contextes locaux et supposent des réponses contrastées allant de l’intégration jusqu’à la résistance de ces politiques (Coburn, 2001 ; Spillane et al., 2002 ; Honig, 2006). A cette complexité du processus de mise en œuvre s’ajoute le chevauchement de programmes politiques qui peut pousser à des contradictions et des incohérences (Bray & Russel, 2013).

Finalement, van Zanten et Ball (2000) précisent que les politiques éducatives ne sont « jamais une simple application mais il y a toujours processus de recontextualisation par les acteurs sociaux en fonction des configurations sociales et des opportunités politiques, qui peut à son tour informer l’orientation des politiques au niveau national et supranational » (p. 123).

b. Les dynamiques de la globalisation

L’analyse des politiques éducatives, en particulier quand l’on traite de l’influence d’une organisation internationale sur celles-ci, suppose que l’on s’intéresse aux forces transnationales et donc aux phénomènes de globalisation.

Robertson, Bonal et Dale (2012) mettent effectivement en évidence le lien direct entre globalisation et Banque mondiale :

Un élément clé de la mondialisation est l’épaississement des interactions et

interconnexions multilatérales dans le paysage de la gouvernance mondiale. […] La Banque mondiale, par exemple, qui a tout d’abord hésité à s’impliquer dans l’éducation, est devenu un investisseur majeur – bien que controversé – dans l’éducation. (p. xii)

Une fois de plus, il faut être au clair sur la vision choisie du concept de globalisation.

Différentes approches existent concernant sa définition. Il y a la vision néo-marxiste classique fréquemment employée qui a pour idée un processus top-down, à sens unique, dans lequel les gouvernements nationaux et les entités locales subissent la pression « d’en haut » (Vidovich, 2001).

Mais il existe d’autres approches qui me paraissent plus pertinentes. Voici à quoi se réfère la globalisation selon Arnove, Torres et Franz (2012) :

Des prescriptions similaires sont offertes par des organismes puissants (Banque mondiale, Fonds monétaire international et agences nationales étrangères) pour améliorer l'égalité, l’efficacité et la qualité des systèmes éducatifs. Ces réformes sont mises en œuvre par des décideurs de l’éducation, qui ont souvent peu de choix mais le font en échange de l’accès aux fonds nécessaires. Ces prescriptions communes et forces transnationales, cependant, ne sont pas appliquées de manière uniforme ou reçues sans remise en cause. […] Il existe une dialectique à l’œuvre par laquelle ces processus mondiaux interagissent avec les acteurs nationaux et locaux, et des contextes, afin d'être modifiés et, dans certains cas, transformés.

Il y a un processus de concessions mutuelles, un échange par lequel les tendances internationales sont remodelées à des fins locales. (p. 2)

Même s’ils ne remettent pas en cause une certaine homogénéisation au niveau global, ils nuancent les effets puissants de la globalisation. Yang (2010) va dans le même sens que ces auteurs avec l’idée d’hybridation :

Cela ne veut pas forcément dire qu’il existe une convergence transnationale des politiques et des pratiques appliquées par les institutions d’enseignement, mais plutôt que la prise en compte des tendances mondiales au niveau local donne lieu à une sorte d’hybridation de résultats qui, issue de la combinaison d’éléments, débouchera sur le programme final de transposition de politiques. (p. 233)

Ainsi, face aux tentatives de trouver des solutions globales comme si un modèle pouvait fonctionner dans toutes les situations (Crossley & Watson, 2003), de nombreux auteurs, et en

particulier Samoff (2005) pour le cas de la Banque mondiale, ont démontré que ces solutions étaient difficilement applicables telles que pensées à l’origine. Sadler (1990 dans Higginson, 1979) rappelle que tout système éducatif est façonné par son contexte local, historique, économique, culturel et social. Napier (2005) rappellent notamment que les pays du Sud connaissent la pauvreté, la corruption, l’analphabétisme et la forte croissance démographique, ces facteurs venant compliquer la procédure de mise en œuvre et reporte à plus tard la réforme actuelle.

D’où l’intérêt de saisir dans différents systèmes comment des solutions globales ont été retraduites. C’est effectivement l’un des objectifs de cette recherche. Je vais donc aller au-delà de la compréhension de la globalisation comme une force omnipotente qui s’impose aux Etats, et ainsi aux politiques nationales.

La globalisation n’est pas un processus linéaire et laisse de la place à une multiplicité d’acteurs, y compris au niveau local, qui agit au niveau des politiques éducatives. Robertson (2012b) rappelle qu’il n’est d’ailleurs plus possible d’analyser les politiques éducatives sous le seul prisme de l’Etat, unité d’analyse classique de la sociologie politique :

Après trois décennies, avec le néolibéralisme comme projet hégémonique dans de nombreuses parties du monde, il n’est plus possible de penser le ‘national’ comme l’unique conteneur de l’élaboration des politiques éducatives ou que l’Etat (national) est le seul ensemble d’institutions engagées dans une ‘affectation autoritaire de valeurs’. (p. 4) Elle propose de conceptualiser les politiques éducatives comme étant à « des niveaux multiples, qui comprennent aujourd’hui le local, le national et le transnational » (p. 4). Dale (2002) parle à ce propos d’une « nouvelle division du travail » dans le secteur éducatif.

A l’intérieur de ces niveaux, il peut y avoir là aussi une multiplicité d’acteurs. Par exemple, pour le niveau nation, Any-Gbayere (2005) précise que trois catégories d’acteurs interviennent en Afrique subsaharienne : 1) les politiciens ; 2) les administrateurs et planificateurs ; 3) les partenaires (parents, syndicats d’enseignants et d’élèves, organismes œuvrant dans le secteur éducatif).

Par ailleurs, même si le national n’est plus le seul acteur majeur des politiques éducatives, à travers cette vision, il peut encore jouer un rôle non négligeable. Cela permet entre autres de maintenir des spécificités nationales et locales au niveau des politiques éducatives. Ainsi, Giddens (1999) rappelle que les cultures nationales et locales peuvent et doivent jouer un rôle

important dans la médiation des influences mondiales. De ce point de vue, il faut intégrer les unités d’analyse qui prêtent attention aux effets locaux de la mondialisation. Différents processus se déploient ainsi lorsque dans les politiques éducatives il y a de l’exogène et de l’endogène. Mais en aucun cas, il y aurait du vide sur l’un des deux niveaux. Le but n’étant pas de tomber dans l’écueil inverse en excluant toute influence externe : il faut croiser cette double dynamique (Banégas, 2000).

Yang (2010) note en effet que les acteurs aux différents niveaux peuvent avoir des marges de manœuvre non négligeables en fonction des contextes : « L’autorité que détiennent les praticiens leur confère le pouvoir d’interpréter les politiques selon leur propre entendement, qui peut d’ailleurs être assez différent, voire contraire à celui des promoteurs des politiques » (p. 231). D’ailleurs, ce même auteurs pense qu’il ne faut pas faire « l’impasse sur les médiations – souvent contradictoires – locales et nationales que subissent les ‘tendances mondiales’ en matière de politiques éducatives, dans la mesure où c’est là que les différences liées au contexte voient le jour » (p. 233). Quelle est la part de responsabilité des autres acteurs dans la mise en œuvre de politiques éducatives ?

Ainsi, Stromquist (2002) suggère que la convergence ou la divergence visible dans les politiques éducatives correspond au produit d’une adaptation consciente, d’imitation aveugle, ou d’une pression à se conformer.

Cette approche de la globalisation laisse donc entrevoir des interactions entre différents niveaux et entre différents acteurs, chacun pouvant avoir leur spécificité.

Ainsi, dans les cadres de la sociologie politique du développement, valables pour la sociologie politique d’éducation, je me situe comme suit :

Dépasser le triple obstacle des approches institutionnelle, développementaliste et dépendantiste, dans leurs visées téléologiques […] ; refus concomitant d’une conception trop étroite du politique et d’analyses universalistes privilégiant exagérément les dynamiques du ‘dehors’ […] ; éviter tout réductionnisme ethnocentrique en s’abstenant de projeter leurs schémas intellectuels les plus situés sur des réalités différentes […] ; mettre en avant la spécificité des trajectoires politiques des pays du Sud […] ; réhabiliter l’acteur africain, à réinsérer dans l’analyse les dynamiques du ‘dedans’. (Marchesin, 1993, p. 105) En synthèse, Samoff (2005) propose une vision qui est pertinente pour ma recherche, et qui est liée à l’intervention de la Banque mondiale :

Vu de près, les prêts de la Banque mondiale à l’éducation et les conditionnalités sont

ballotés et façonnés par des courants politiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution.

Chaque projet, chaque prêt, chaque interaction est une histoire locale avec des détails infinis, tous apparemment importants. Pourtant, il y a des grandes tendances, et ils comptent. (p. 10)

c. Analyser l’influence

Ainsi, comment considérer l’influence de la Banque mondiale dans ce cadre complexe des politiques éducatives ?

Pour saisir ce qu’est l’influence, qui plus est de la Banque mondiale, je vais retenir certains aspects de la conception de Samoff (2003, 2005), d’autant plus qu’il s’est focalisé dans de nombreuses études sur l’action de cette organisation en Afrique subsaharienne.

Dans ses travaux, deux dimensions sont liées à ce concept et retiennent mon attention pour l’analyser : d’une part, les moyens d’action permettant l’influence de l’organisation ; et d’autre part, les approches ou orientations provenant de l’organisation et qui correspondent aux motivations de l’influence. J’avais déjà utilisé ces dimensions pour organiser la revue de la littérature.

Pour les moyens d’action, Samoff (2005) propose que « pour comprendre l’influence de la Banque mondiale, et d’autres agences de financement et d’assistance technique, nous devons examiner comment cette influence est médiatisée et négociée » (p. 14). Les moyens d’action sont donc ce « comment l’influence est médiatisée et négociée ».

Cet auteur traite de différents moyens d’actions : conseils et conditions directs, conditions indirects, financements, conférences, staffs, évaluation, alliance avec d’autres institutions etc.

Dale et Robertson (2002) parlent de « processus/moyens d’influence sur le système éducatif » (p. 19). Cela passe par diverses stratégies employées, telles que l’harmonisation, le transfert de pratiques, l’apprentissage, l’imposition, l’analyse comparative, les conseils ou les réseaux.

Pour ma part, j’axerai mon analyse sur les financements, les conditionnalités et l’expertise, tout en prenant en compte les dimensions proposées ci-dessus. Samoff (2005) précise que

« les contraintes et influences extérieures peuvent donc être directes et indirectes, évidentes et très subtiles » (p. 6).

Dale et Robertson (2002) proposent dans le même ordre d’idée de prendre en compte la

nature de l’effet de l’influence. Cela est à mettre en lien avec une recherche de Diop (2001) sur les politiques sociales en Afrique de l’Ouest pensées lors d’une grande rencontre internationale pour laquelle il était très difficile « d’isoler, parmi les bouleversements sociaux observés dans les pays du champ de l’étude, les impacts spécifiquement liés au Sommet de Copenhague » (p. 57).

Samoff (2005) met en relation le concept d’influence avec celui de partenariat puisqu’il suppose des négociations entre les différentes parties des politiques éducatives, et en particulier entre la Banque mondiale et l’Etat. Toute la question est de savoir si ce partenariat est effectif ou non :

Une forte notion de partenariat exige que les deux partenaires voient des avantages évidents dans la relation. […] Sinon, il peut y avoir de l’aide ou du soutien, mais pas de partenariat. […] Jusqu’à ce que les institutions étrangères reconnaissent qu’elles ont quelque chose à apprendre de leurs homologues africains, il ne peut pas y avoir de partenariat efficace. Jusqu’à ce qu’il y ait un partenariat efficace, les inégalités de pouvoir, l’autorité et la richesse ne seront pas gérés pour le bénéfice mutuel, mais perpétueront au lieu de cela des relations de dépendance. (p. 5)

Donc à travers les moyens d’action, la notion du concept d’influence s’intègre dans un modèle qui se situe au-delà d’un échange déséquilibré de haut en bas. L’idée est de comprendre dans quelle mesure l’influence de la Banque mondiale se rapproche ou non du partenariat.

Aussi les dynamiques des politiques éducatives supposent, comme je l’ai largement explicité plus haut, une multiplicité d’acteurs, notamment au niveau national et local, il sera intéressant d’analyser les marges de manœuvre de ces acteurs pour voir justement le rôle qu’ils peuvent jouer dans cette médiation. Ont-ils les outils nécessaires pour répondre à l’influence de la Banque mondiale ? Ou alors la Banque mondiale est-elle suffisamment puissante pour imposer des orientations ?

Justement, concernant les orientations, Samoff (2005) fait notamment allusion à des grandes tendances promues par la Banque mondiale, telles que l’éducation pour le capital humain, l’éducation comme production, l’éducation comme système de livraison. L’idéologie sous-jacente correspond au néolibéralisme. Je verrai donc dans cette recherche si l’influence de la Banque mondiale se déploie à travers ce type d’orientations.

Là aussi, comme la Banque mondiale s’insère dans des contextes nationaux, je m’intéresserai

aussi aux orientations par les acteurs des ministères qui sont censés également être une force de proposition dans le cadre des politiques d’éducation de base.

En plus de ces deux dimensions mises en avant par Samoff, je pense que lorsqu’on analyse l’influence d’une organisation, il faut traiter de la recontextualisation des orientations. En effet, il est plus que pertinent de se poser la question de la retraduction des orientations dans la mesure où il ne suffit pas pour la Banque mondiale d’avoir des idées, celle-ci doit également s’assurer que ses idées se soient concrétisées pour pouvoir véritablement parler d’influence. Pour cela, je me réfère notamment aux textes de Ball (1998) : « Dans nos tentatives pour comprendre les politiques d’éducation comparativement et globalement, les relations complexes entre les idées, la diffusion des idées et la recontextualisation des idées restent une tâche centrale » (p. 127).

Cette dimension de l’influence se retrouve très peu dans les études sur l’influence de la Banque mondiale. C’est effectivement un point délicat à analyser puisque la vision des politiques éducatives présentées plus haut fait comprendre que la recontextualisation des orientations n’est pas de la seule responsabilité de la Banque. De nombreuses dynamiques, divers acteurs, ont pu favoriser ou ont été un frein à la retraduction des orientations sur le terrain.

Voici donc de manière schématique comment j’envisage l’analyse de l’influence de la Banque mondiale.

Figure 2. Vision complexe de l’influence de la Banque mondiale

Source : Lauwerier, 2013

Ce schéma exprime donc les diverses facettes de l’analyse de l’influence de la Banque mondiale. Il ne faut pas le considérer de manière figée : il a l’avantage de proposer une analyse structurée, mais envisage des dynamiques avec des allers retours (flèches) entre les différentes dimensions. Par exemple, la recontextualisation des orientations peut conduire au remodelage de celles-ci, et donc au retour au point de départ.

Je pense que la façon de penser l’influence telle que je viens de la mentionner peut en grande partie être valable pour l’analyse de l’action des organisations internationales en Afrique subsaharienne.