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Carte 3. Ratio manuels par élèves au niveau régional au Mali en 2007-08

1. Les finalités de l’éducation

Au-delà des orientations spécifiques recommandées par la Banque mondiale, quelles sont les motivations des acteurs de l’organisation pour s’impliquer dans les politiques d’éducation de base ?

Dans ses rapports globaux et régionaux aux différentes époques (1980-2010), la Banque mondiale est explicite quant aux finalités de l’éducation. Celles-ci ne sont pas particulièrement mises en avant dans les rapports nationaux, en revanche, elles ont été évoquées par les représentants sur le terrain au Mali et au Sénégal.

a. Au niveau global

Pour l’organisation au niveau global, l’éducation a de nombreux atouts tant du point de vue du développement économique, que du développement social dans les années 1980 :

L’éducation a longtemps été reconnue comme un élément central dans le développement.

Sa valeur d’augmenter l’offre et la qualité de la main-d’œuvre qualifiée, et de rehausser la conscience politique et sociale, a été reconnue il y a près de trois décennies, lorsque les pays en développement ont pris leur départ vers le développement social et économique.

(World Bank, 1979, p. i)

La Banque mondiale insiste sur l’idée que l’éducation peut augmenter la productivité des travailleurs « les rendant plus autonomes, plus adaptables aux nouvelles situations, et, surtout, plus faciles à former. Il est donc nécessaire d’élargir et d’améliorer l’efficacité de l’éducation de base » (World Bank, 1979, p. v).

D’après le rapport de 1995, la finalité de l’éducation pour la Banque mondiale correspond au développement politique, social et économique. En particulier, une éducation de qualité est une éducation qui permet d’avoir une population éduquée et compétente qui peut agir dans des sociétés démocratiques et peut répondre aux besoins du marché du travail en changement.

Le schéma ci-dessous, présent dans le rapport de 1999, résume comment l’organisation considère les finalités de l’éducation à cette époque. S’y rencontrent finalités à caractère économique et social.

Figure 5. L’importance de l’éducation selon la Banque mondiale

Source : World Bank, 1999, p. 5

En analysant plus en détail l’ensemble du rapport de 1995, j’ai constaté que l’organisation considère davantage la finalité économique de l’éducation. Des concepts, tels que « croissance économique », « marché de l’emploi », « travailleurs compétents et adaptables », « capital humain », « augmentation de la productivité », apparaissent comme des leitmotivs tout au long du rapport. Je précise que le concept de capital humain était présent dans le précédent rapport uniquement dans les références bibliographiques. Il ressort d’ailleurs clairement que les analyses dans le domaine de l’éducation se font surtout sous un angle économique :

Les pays où la scolarisation dans l’enseignement fondamental n’est pas encore universelle devront s’intéresser à tous les niveaux de l’enseignement, en ayant recours à l’analyse économique pour aider les pouvoirs publics à choisir les investissements qui auront le plus d’impact. (Banque mondiale, 1995, p. 11)

D’ailleurs, la Banque mondiale explique que, comme pour l’Asie de l’Est ou l’Amérique latine, l’éducation de base doit être au premier plan des agendas gouvernementaux pour des raisons strictement économiques :

L’enseignement primaire a été le plus déterminant de tous les facteurs qui ont contribué au taux de croissance économique des économies hautement performantes d’Asie. […] Les économies hautement performantes d’Asie ont un taux de croissance sensiblement plus élevé que toutes les autres économies qui tient au facteur éducation. (Banque mondiale, 1995, p. 25)

En particulier, à cette époque, une des raisons qui poussent à investir dans l’éducation correspond aux changements mondiaux, et en particulier la globalisation, thématique qui apparaît pour la première fois dans les rapports analysés :

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Paramount among the many reasons why education is important is that it contributes to improving peoples’ lives and reducing poverty. It does so through multiple pathways, including: (1) helping people to become more productive and earn more (because education is an investment, strengthening their skills and abilities — their human capital); (2) improving health and nutrition; (3) enriching lives directly (e.g. the pleasure of intelligent thought and the sense of empowerment it helps give); and (4) promoting social development through strengthening social cohesion and giving more people better opportunities (and thus greater equity through opportunity). In addition, many of the world’s states, through international conventions and commitments, have recognized education as a human right.

Education thus contributes, within the context of a sound macro-economic and political environment, to the entire society’s growth and development, which in turn raises incomes for all (Figure l). A good education system is a necessary but insufficient condition for development, and its benefits are strongest when crucial other areas of public policy are equally well managed. In particular, macroeconomic policies, political processes, regulatory practices, the enabling environment for business development, public participatory processes, and labor market processes need to be sound. To be effective, educa-tion planning and implementaeduca-tion in turn need to take into account the social, cultural, religious, economic and political context in which they take place.

Face à la mondialisation croissante, la propagation rapide de la démocratie, l’innovation technologique, l’émergence de nouvelles économies de marché, et l’évolution des rôles public/privé, les pays ont besoin de populations plus hautement instruites et compétentes, et les individus ont besoin de plus de compétences et d’informations pour concurrencer et prospérer. (World Bank, 1999, p. vii)

Ainsi, la finalité majeure de l’éducation correspond à l’acquisition de compétences pour participer à l’économie globale.

Dans les années 2000, la Banque mondiale vise un « développement dans sa globalité » (World Bank, 2005, p. 14). En détail, le rapport de 2005 énumère un certain nombre de finalités que je trouve intéressantes à présenter. Y sont justifiées les raisons de mettre l’accent sur l’éducation de base :

! Des cours sur les compétences de vie, des clubs de santé, et d’autres programmes scolaires, y compris le counseling peut favoriser la sensibilisation à la santé et des comportements sains sur le long terme (tabagisme, toxicomanie, hygiène, nutrition, prévention du VIH). Une meilleure éducation et formation produit des travailleurs en meilleure santé […] ;

! L’expansion d’opportunités éducatives réduit la vulnérabilité des pauvres, fournit un moyen de sortir de la pauvreté pour beaucoup […] ;

! Des citoyens instruits sont plus susceptibles d’exiger des normes et de l’accountability du gouvernement et les fournisseurs de services publics. Une meilleure éducation produit plus de dirigeants et de fonctionnaires compétents […] ;

! Une main-d’œuvre instruite soutient le développement du secteur privé et attire l’investissement direct étranger […] ;

! L’éducation peut promouvoir la cohésion sociale, le capital social, réduire la criminalité et la délinquance juvénile […] ;

! La scolarisation augmente la productivité agricole et la sensibilisation aux questions environnementales. L’alphabétisation facilite la communication et la sensibilisation des agriculteurs et des communautés rurales, la capacité organisationnelle, l’expression de leur ‘voix’. (World Bank, 2005, pp. 43-45)

Plus précisément, la finalité de l’éducation reste similaire aux années précédentes dans ce rapport puisqu’il s’agit de concevoir « des stratégies d’éducation qui maximisent l’impact de

l’éducation sur la croissance économique et la réduction de la pauvreté » (World Bank, 2005, p. 5).

Il faut particulièrement renforcer l’éducation dans les années 2000 pour l’économie du savoir, concept émergent dans le discours. L’économie du savoir est définie de la manière suivante :

« La capacité de produire et d’utiliser le savoir est devenu un facteur majeur dans le développement économique » (World Bank, 2005, p. 7). Elle est justifiée par le fait que « la révolution de l’information et le rythme de l’intégration mondiale ont conduit à une évolution plus rapide des niches de marché et de la nécessité d’une main-d’œuvre flexible, qualifiée et en mesure de renforcer la compétitivité des nations » (World Bank, 2005, p. 22). L’accent mis sur les aspects économiques est encore donc bien présent.

b. Au niveau régional

Au niveau de l’Afrique subsaharienne, le rapport de 1988 mentionne quelles sont les finalités qui poussent l’organisation à agir dans le domaine de l’éducation : « Seuls les gens instruits peuvent dominer les compétences nécessaires pour une croissance durable et une meilleure qualité de vie » (World Bank, 1988, p. v). Sont donc mêlés finalités économiques et sociales.

Mais j’ai remarqué malgré tout que comme pour le niveau global la perspective est davantage centrée sur les bénéfices économiques dans les années 1980. Une des justifications se situent dans les forts taux de rendements internes de l’éducation primaire :

La plupart des études, y compris la plupart de celles menées en Afrique, ont rapporté des taux considérablement plus élevés de rendement au niveau du primaire. L’implication générale de cela est que la priorité devrait être donnée à l’enseignement primaire comme une forme d’investissement dans les ressources humaines. (World Bank, 1988, p. 23)

Les auteurs du rapport de 2001 reprennent à leur compte une citation du président de la Banque mondiale pour préciser leurs intentions : « Tout le monde est d’accord sur le fait que l’éducation représente la clé essentielle pour le développement et pour l’allègement de la pauvreté » (Banque mondiale, 2001, p. iii). Ces finalités laisseraient penser un accent mis sur le social.

Cependant, les auteurs du rapport traitent de nouveau du lien entre éducation et insertion dans une économie globalisée : « Sans avancées majeures dans le domaine de l’éducation, l’Afrique ne sera pas en mesure de tirer profit des opportunités commerciales et de

développement dans une économie mondiale basée sur la technologie et la globalisation » (Banque mondiale, 2001, p. 1).

c. Au niveau national

Il est intéressant de se demander si les acteurs de la Banque mondiale sur le terrain partagent la vision des documents institutionnels des niveaux global et régional.

Au Mali

Lorsque j’ai souhaité savoir pourquoi la Banque mondiale intervient dans l’éducation, j’ai noté que pour les acteurs de l’institution au Mali, ce secteur correspond à « un levier du développement » [E1] dans la mesure où il permettrait la croissance économique.

D’autres finalités sont mentionnées par les personnes interrogées, telles que s’ouvrir sur les marchés ou devenir compétitifs : « Si on veut donner les mêmes opportunités aux enfants maliens qu’aux enfants des pays avec lesquels nous sommes en compétition dans une économie globalisée, il est évident qu’on a besoin d’appui beaucoup plus consistant » [E3].

Il est intéressant de constater qu’il est conseillé au Mali de prendre exemple sur d’autres pays performants, souvent dans d’autres régions du monde. Cela correspond à la diffusion de

« bonnes pratiques » que j’évoquerai dans la partie sur les moyens d’action. Mes interlocuteurs font notamment référence aux pays émergents en Asie ou en Amérique latine :

Et donc chacun de ces pays compte tenu de l’ampleur du marché essaie de positionner des écoles pour répondre à cette main-d’œuvre. Bon, mais ils oublient aussi qu’à côté il y a l’Inde et la Chine qui arrivent et bientôt le Brésil, et donc il va falloir se positionner pas simplement pour une compétitivité sous régionale, mais pour une compétitivité internationale. [E4]

Pour un des représentants maliens de l’institution, le Sénégal serait plus près de la vision de la Banque mondiale que le Mali :

Je crois qu’il y a quand même une différence de perception entre les pays. Le Sénégal semble un peu plus avancé dans cette perception, au niveau même du design et des politiques. […] Et le Mali est tout à fait à ses débuts. [E4]

Ainsi, les finalités de l’éducation sont pensées par les représentants de l’organisation sur le terrain dans une perspective avant tout économique.

Deux personnes interviewées, au Mali, ont également, dans une moindre mesure, fait allusion à des finalités d’ordre social, telles que l’impact sur la santé : « On pense que ça aura un impact même sur les questions de santé. Et même sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes » [E1]. La question de la citoyenneté a également été évoquée :

La Banque mondiale doit créer les conditions pour que les enfants entrent dans l’école, restent dans le système éducatif, et acquièrent les aptitudes nécessaires pour pouvoir progresser dans le système éducatif, et en sortir en étant des citoyens bien formés, bien accomplis, mais également qu’ils soient capables de contribuer à l’émancipation économique et sociale du pays, donc en étant employable par l’économie ou en étant auto-employable. [E3]

Au Sénégal

De nouveau, les finalités économiques sont mises en avant dans ce pays, et peut-être davantage encore au Sénégal qu’au Mali : « Apprendre quoi ? Ça ne sert à rien de donner du certificat d’études à tout le monde. Qu’est-ce qu’ils ont appris ? Est-ce que l’éducation est utile pour le développement du capital humain, la production et la croissance économique ? » [E6].

Comme au Mali, il est fait référence à des pays qui ont atteint ces finalités. L’exemple de pays asiatiques a été utilisé, tout en étant conscient qu’il ne s’agit pas des mêmes configurations que les pays africains :

Leur thème, ça a été l’économie monsieur. La croissance. 600 millions d’euros dans les campagnes. Il faut leur donner des jobs. Il faut faire l’escalade dans la sophistication des produits, devenir important dans l’exportation etc. Et la réduction de la pauvreté viendra, et le reste viendra avec ça. […] Les « Asian Tigers », ils avaient ça. C’était une sorte d’acquis qui avait correspondu à une époque, à une sorte de projet. Mais depuis longtemps, ce n’était plus centralement un projet. Et je pense que beaucoup de pays d’Afrique doivent faire cet effort. Et même si ça ne sera pas une école forcément de grande qualité, pas parfaitement universalisée, avec des curriculums qui ne sont pas forcément adaptés, on gagne du terrain sur le développement. On avance indéniablement. Et ça, c’est des convictions. Ce n’est pas une science exacte du développement. Ce sont des convictions.

[E6]

Cependant, tout le monde ne partage pas cette vision strictement économique à l’interne au Sénégal : « La croissance, elle est importante, mais elle n’est pas suffisante. […] C’est un dialogue interne que nous avons. Vous voyez, nous sommes dans le secteur de l’éducation ; mon collègue, qui est là, est macro-économiste » [E5]. La forme verbale dévoile donc plus fortement les tensions plus ou moins cachées à l’interne, révèle la distance des cadres de la Banque mondiale par rapport à certaines normes de leur institution, mais aussi la divergence entre cadres d’un même bureau.

Finalement, avec les documents institutionnels de la Banque mondiale, que ce soit au niveau global ou régional, les finalités pour l’éducation visent un spectre large, à savoir social et économique. Je retiens toutefois que même si des aspects sociaux ont été mentionnés, l’insistance sur l’économie est incontestable. L’agenda néolibéral est bien défendu.

Les finalités néolibérales sont d’ailleurs de plus en plus fortes au cours des décennies puisque les sous-thèmes évoluent : le capital humain, la croissance économique ou la globalisation apparaissent progressivement. Je n’ai pas identifié de différence particulière entre le niveau global et régional. L’Afrique doit notamment s’intégrer dans une économie globalisée.

Par ailleurs, les finalités présentées dans les rapports correspondent parfois à des modèles de développement en contradiction. Par exemple, l’expansion du secteur privé est mise en parallèle avec la nécessité de cohésion sociale alors que ces deux finalités sont difficilement compatibles.

Au niveau des représentants de la Banque mondiale sur le terrain, même si des allusions à la citoyenneté et à la santé ont été retrouvées dans les entretiens, la dimension économique reste prépondérante. Ainsi, la vision présentée dans les rapports semble être partagée par les acteurs de la Banque mondiale sur le terrain, et est même accentuée au niveau des finalités en faveur de l’économie. Des divergences peuvent exister sur le fond concernant les finalités au Sénégal. A noter que dans ce pays les finalités économiques étaient mises en avant par un acteur occidental et les nuances ont été apportées par un acteur sénégalais.

Enfin, j’ai eu le sentiment que les représentants au Sénégal sont plus près de la vision des documents institutionnels qu’au Mali.