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Carte 3. Ratio manuels par élèves au niveau régional au Mali en 2007-08

5. Les langues nationales

La question des langues d’instruction, et en particulier l’introduction des langues nationales dans l’éducation de base, est évoquée dans les rapports de la Banque mondiale aux différents niveaux comme étant un domaine clé des politiques éducatives, d’où l’intérêt de l’avoir également retenu comme thème pour l’analyse des orientations.

a. Au niveau global

Déjà dans les années 1980, les auteurs de la Banque mondiale montrent l’intérêt d’intégrer les langues nationales dans les politiques éducatives d’éducation de base :

Dans les pays où les langues étrangères sont devenues le moyen d’enseignement, des efforts pour améliorer la pertinence de l’éducation comprennent une réactivation des

langues nationales. Naturellement, c’est un problème de sensibilité politique et culturelle profond qui fait émerger d’importantes questions politiques. (World Bank, 1979, p. 9) Cela dit, face aux éventuelles résistances, ce n’est pas une recommandation ferme. La Banque mondiale recommande « l’utilisation, lorsque cela est possible, des langues locales » (World Bank, 1979, p. 10).

Dans les années 1990 également, il est précisé que « la langue initiale d’enseignement la plus efficace est la langue maternelle de l’enfant » (Banque mondiale, 1995, p. 8).

Dans les années 2000, cet engouement pour les langues nationales en tant que facteur de qualité sera renouvelé dans la mesure où la Banque mondiale valorise des projets qui ont fonctionné dans le monde :

Bien que la simple reconnaissance des différences linguistiques ne garantisse pas nécessairement l’harmonie sociale, la subordination des groupes minoritaires favorise presque inévitablement l’antagonisme. Quelque 14 pays en Amérique centrale et dans la région andine bénéficient d’une réduction des tensions en raison de programmes d’éducation bilingues qui utilisent des langues autochtones au début de l’éducation de base. Ces programmes pourraient également se traduire par l’amélioration de l’apprentissage des élèves. (World Bank, 2005, p. 37)

b. Au niveau régional

Les documents institutionnels dans les années 1980 au niveau régional soulignent l’importance de s’intéresser aux langues maternelles dans l’éducation de base des pays africains :

La plupart des linguistes s’accordent pour dire que même si l’instruction est en fin de compte donnée dans une langue autre que la langue maternelle de l’enfant, la politique la plus efficace est celle où l’instruction initiale s’effectue dans la langue maternelle, suivie d’une transition graduelle vers la langue nationale comme médium. Idéalement, l’étude de la langue maternelle se poursuivra après que la transition soit terminée. (World Bank, 1988, p. 44)

Dans les années 2000, les auteurs des textes de la Banque regrettent même que les politiques

africaines ne mettent pas assez l’accent sur les langues maternelles alors qu’il permet une amélioration de la qualité :

Les programmes d’études ne tiennent que rarement compte du fait que la plupart des élèves entrent à l’école avec peu ou pas de connaissances de la langue d’instruction.

L’apprentissage des élèves s’améliore lorsque l’enseignement est dispensé dans leur langue maternelle. Des études ont régulièrement démontré que les étudiants apprennent à lire et à acquérir plus rapidement d’autres aptitudes académiques lorsque les cours sont dispensés dans leur langue maternelle. (Banque mondiale, 2001, p. 37)

c. Au niveau national

Au Mali

Au Mali, les acteurs de l’organisation recommande pour améliorer la qualité de l’enseignement dans les années 1980, « l’augmentation de la production de matériel pédagogique en langue locale » (World Bank, 1984, p. 9).

Il est seulement fait allusion dans les documents institutionnels aux langues locales dans les années 2000 pour les médersas (World Bank, 2001).

Aussi, dans les entretiens, les représentants de la Banque mondiale sont-ils plus nuancés sur la nécessité d’insister sur des politiques en faveur des langues nationales. D’ailleurs, une seule personne est intervenue réellement sur cette question, et met notamment en avant le coût élevé de telles mesures :

Les choix, c’est des choix de société, c’est parfois des choix politiques. D’accord ? Parfois pour créer les conditions pour une cohésion nationale, le gouvernement pourrait dire : il faut que j’enseigne une langue nationale à nos enfants. Je ne peux pas contester ce choix. Il est extrêmement important. Mais évidemment, cela a un coût. L’argent que tu vas mettre dans un contexte multilingue, évidemment, c’est une somme qui est prise ailleurs. Vous voyez, il faut assumer ses responsabilités. Le gouvernement peut aussi dire : si j’enseigne à mes enfants dès la maternelle les langues qu’ils parlent à la maison, ça ouvre son esprit, ça lui permet de progresser très rapidement. C’est évidemment un choix qui est parfaitement justifié que je ne peux pas contester. Mais évidemment, je veux également constater que dans un pays pauvre comme le Mali avec des ressources extrêmement limitées, c’est aussi

les ressources qui sont distraites ailleurs. [E3]

Au Sénégal

La Banque mondiale soutient un projet au Sénégal qui est en faveur d’une prise en compte de la diversité linguistique dans les années 1980 (Banque mondiale, 1979).

Dans les années 2000, même si des mesures en faveur du bilinguisme sont prévues, comme au Mali, la volonté de mener des actions en faveur des langues nationale est moins soutenue que pour les autres niveaux :

Parce que c’est clair qu’on a des évidences plutôt anecdotiques qu’il y a des problèmes : il y a des enfants en troisième année du primaire qui ne savent pas lire. Alors on a des débats entre nous. X5 dit : ce n’est pas leur langue maternelle. Oui, mais ce n’est pas comme si on avait une expérience convaincante d’un changement de système par exemple pour une région scolaire avec un développement du curriculum, une formation des maîtres, avec les ajustements qui viennent avec… comment on fait pour que les enfants apprennent quelque chose dans une langue véhiculaire nationale ? Que ce soit le français pour le Sénégal ou le wolof. Et encore le wolof, non, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas wolofs. Le wolof, c’est une langue d’échange dans la rue, ce n’est pas une langue nationale. Et en fait il y a beaucoup de gens au Sénégal qui n’aime pas l’idée du wolof. C’est aussi ethnique, bien que ce ne soit pas aussi criant ici que dans d’autres pays. Ce n’est pas conflictuel.

Mais quand même. [E6]

Les langues d’instruction ont été analysées dans cette partie pour saisir l’influence de la Banque mondiale en termes d’orientations. Il est intéressant de constater que l’organisation est plutôt en faveur de la valorisation des langues nationales dans les politiques d’éducation de base, en particulier aux niveaux global et régional, et reproche même le peu d’enthousiasme pour cette question dans les pays.

Pour ce qui est du niveau national, même si la Banque a pu soutenir des projets en lien avec

5 Autre représentant de la Banque mondiale au Sénégal interrogé. Le prénom a été supprimé pour des raisons d’anonymat.

les langues nationales, les acteurs de l’organisation sont plus prudents, très certainement parce qu’ils savent que cette question est sensible et difficilement opérationnalisable, au-delà de déclarations générales dans les pays. Et d’ailleurs les acteurs des ministères les ont peut-être convaincus de ne pas trop s’immiscer dans ce domaine.