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Déjà, durant les tous premiers travaux de modélisation expérimentale, beaucoup reconnaissaient l’importance des processus d’érosion et de sédimentation (processus de surface) sur l’évolution des reliefs d’une chaîne de montagnes mais aucun ne les mettait en pratique (Favre, 1878 ; Schardt, 1884). L’essentiel des efforts était souvent concentré sur la modélisation des processus tectoniques car il s’agit du paramètre de premier ordre régissant la formation des reliefs.

Dans la littérature, deux techniques expérimentales ont été décrites pour modéliser les processus de surface : une technique utilisant les propriétés d’avalanche des matériaux granulaires et une autre effectuant manuellement les transferts de matière. Ces deux techniques modélisent au premier ordre les flux de matière ainsi que leurs effets dominants : à savoir le déchargement lithologique dans la chaîne et le chargement sédimentaire dans l’avant-pays. Le transport et les mécanismes d’érosion et de sédimentation qui s’y rattachent (incision fluviale, glissement de versant, etc.) ne sont pas représentés.

(1) Erosion et Sédimentation par avalanche granulaire

Cette technique repose sur une propriété intrinsèque des matériaux granulaires : l’angle de repos (fig.III.17.A). Cette propriété veut que les grains de sable sec ne puissent supporter des contraintes cisaillantes au-delà d’une limite imposée par les caractéristiques frictionnelles entre les grains (forme, rugosité). Macroscopiquement, cette limite se définit par un « angle de repos ». Il correspond grossièrement à la pente d’avalanche adoptée par tous les matériaux granulaires s’écoulant d’un entonnoir ou d’un silo.

Dans les premiers travaux analogiques de formation des prismes orogéniques (Koons, 1990) l’érosion et la sédimentation pouvaient ainsi être modélisées simplement par l’effondrement du sable sur les versants du modèle atteignant l’angle de repos (fig.III.17.B). L’activité du chevauchement permet de recouvrir progressivement les produits effondrés (les débris) et de les intégrer au prisme. Ce type de processus ne se produit pas dès le début de l’expérience car il faut attendre qu’un des versants du prisme ait dépassé l’angle de repos. Une fois le processus enclenché, l’érosion et la sédimentation peuvent être considérées comme syntectoniques puisqu’elles accompagnent l’activité des chevauchements.

Fig.III. 17 : Erosion des modèles analogiques par utilisation de l’angle de repos des matériaux granulaires. A) Définition de l’angle de repos. B) Mise en pratique dans une expérience analogique (d’après Storti et al., 2000). Dans cet exemple, seul le flanc rétrochevauchant du prisme (rétro-wedge) atteint l’angle critique du sable. Les grains s’effondrent au pied de la pente et sont recouverts par l’activité continue du rétrochevauchement.

Néanmoins, une telle modélisation des processus d’érosion et sédimentation reste peu représentative des processus naturels, notamment en raison des très faibles taux d’érosion et de sédimentation qu’elle entraîne. C’est pourquoi, ce type d’érosion et sédimentation est souvent négligé dans les expériences et une alternative beaucoup plus efficace est utilisée : la technique dite « d’érosion manuelle » (Cobbold et al., 1993 ; Malavieille et al., 1993 ; Tondji-Biyo, 1995 ; Larroque et al., 1995 ; Storti & McClay, 1995 ; Mugnier et al., 1997 parmi les premiers).

(2) Erosion/Sédimentation « manuelle »

Avant-propos : L’emploi du terme « manuelle » ne se veut en aucun cas réducteur. Je souhaite simplement souligner par ce terme la procédure technique par laquelle l’érosion et la sédimentation sont appliquées au modèle. Les modèles d’érosion/sédimentation appliqués sont souvent différents (en fonction des problématiques) mais la procédure d’application reste identique.

En matière d’érosion, la technique « manuelle » est relativement simple car elle consiste à racler précisément les quantités de matériaux jugées excédentaires et à les retirer à l’aide d’un aspirateur (Mulugeta & Koyi, 1987). Pour définir ces quantités à retirer, il existe dans la littérature de nombreux modèles d’érosion. Beaucoup font intervenir un profil topographique au-dessus duquel tout relief généré est systématiquement érodé.

Lorsque ce profil est horizontal, tout ce qui dépasse une certaine altitude est enlevé [voir Davy & Cobbold (1991) pour une des premières applications]. Cet horizon de référence peut être:

• à la même altitude que l’épaisseur originale du modèle. Il n’y a pas de création de reliefs et la surrection est intégralement compensée par l’érosion (fig.III.18.A ; Merle & Abidi, 1995).

• à la même altitude que le remplissage d’avant-pays (fig.III.18.B ; Baby et al., 1995). A chaque étape d’érosion/sédimentation, 1 mm de matériau est ajouté dans le bassin sédimentaire. Les reliefs ne peuvent croître au-delà de cet horizon.

• en constant décalage par rapport au niveau de remplissage sédimentaire (fig.III.18.C). A chaque instant, la limite supérieure des reliefs est au-dessus du niveau de sédimentation (5 mm pour Mugnier et al., 1997 ; Leturmy et al., 2000).

• en constante croissance par rapport au niveau de référence d’entrée (fig.III.18.D ; Persson & Sokoutis, 2002). A chaque incrément de raccourcissement, la topographie croît par palier. Ces incréments de surrection topographique dépendent de la géométrie de la butée rigide.

D’autres modèles développés à Géosciences Montpellier, utilisent un profil d’érosion faiblement incliné vers l’avant-pays (fig.III.18.E ; Konstantinovskaia & Malavieille, 2005 ; Bonnet et al., 2007, 2008). Cette pente d’équilibre – généralement de l’ordre de 4 à 8° – correspond à la pente de surface des prismes d’accrétion critique à l’équilibre (Davis et al., 1983). Les taux d’érosion locaux sont alors directement contrôlés par l’activité des chevauchements et le volume érodé total correspond à l’apport de matériel par convergence. Il s’agit d’un état stationnaire de flux où le flux entrant est égal au flux sortant (Willett & Brandon, 2002).

Fig.III. 18 : Erosion & Sédimentation « manuelle » en modélisation des processus tectoniques. A)Erosion totale des reliefs se formant au niveau d’une rampe de socle (Merle & Abidi, 1995). B) Erosion totale des reliefs se trouvant au-dessus d’un niveau de référence guidé par le remplissage sédimentaire (Baby et al., 1995). C) Erosion totale des reliefs se trouvant au-dessus d’un niveau de référence placé 5mm au-dessus du remplissage sédimentaire (Leturmy et al., 2000). D) Erosion plane des reliefs se formant au-dessus d’un niveau de référence en constante élévation (Persson & Sokoutis, 2002). E) Erosion suivant un profil incliné (Konstantinovskaia & Malavieille, 2005). F) Erosion distribuée ou localisée sur les flancs d’un prisme bivergent (Hoth, 2005). G) Erosion d’un escarpement de chevauchement et érosion localisée (effet de l’incision fluviatile) d’après Marques & Cobbold, 2002. H) Modèle érosion numérique appliquée aux topographies d’un prisme d’accrétion analogique (Persson et al., 2004). I) Technique de sédimentation par déversement direct des produits de l’érosion (d’après Persson & Sokoutis, 2002). J) Technique de sédimentation par saupoudrage de matériau « frais » dans les bassins sédimentaires d’avant-chaîne et intra-d’avant-chaînes (d’après Malavieille et al., 1993).

S. Hoth (GFZ, Potsdam) a développé également durant sa thèse des modèles d’érosion focalisés sur l’un des deux flancs d’un prisme bivergent (fig.III.18.F ; Hoth, 2005 ; Hoth et al. 2006, 2007). Il teste des modèles d’érosion distribuée (érosion croissante vers les sommets) ou focalisée (érosion maximale au milieu du flanc).

Quelques travaux ont par ailleurs porté sur les effets de modèles d’érosion ponctuelle afin d’observer précisément l’effet d’un déchargement lithologique localisé sur l’évolution structurale d’un prisme. Ce sont par exemple les travaux de Marques & Cobbold, (2002, 2006) qui étudient l’effet d’une incision fluviale marquée ou l’effet de l’érosion d’un escarpement sur la formation des chevauchements arqués (fig.III.18.G).

Enfin, Persson et al. (2004) ont adapté une nouvelle modélisation des processus de surface aux modèles de déformations tectoniques. Ils couplent une modélisation analogique de la déformation et une modélisation numérique des processus d’érosion-transport-sédimentation (fig.III.18.H). Ainsi, pour chaque stade de convergence et de construction du prisme orogénique, la surface topographique du modèle est numérisée et « érodée » numériquement en appliquant un modèle d’érosion fluviale (Garcia-Castellanos, 2002). Les domaines en érosion et sédimentation sont identifiés, quantifiés puis « appliqués » sur le modèle expérimental (ajout ou retrait de matière). Cette érosion/sédimentation est donc calculée numériquement mais son application reste toujours « manuelle ».

La sédimentation peut être modélisée par le raclage et le dépôt direct des produits d’érosion (Baby et al., 1995 ; Persson & Sokoutis, 2002) ou bien , comme le plus souvent, par le saupoudrage progressif et régulier de matériau « frais » (Vendeville & Cobbold, 1987 ; Cobbold et al., 1989 ; Tondji-Biyo, 1995 ; Malavieille et al., 1993 ; Storti & McClay, 1995 ; fig.III.18.I&J). Ceci permet de combler progressivement et précisément les bassins générés naturellement dans le modèle : bassins piggyback et bassin d’avant-pays (Baby et al., 1995 ; Storti & McClay, 1995 ; Storti et al., 1997 ; Mugnier et al., 1997 ; Nalpas et al., 1999 ; Storti et al., 2000 ; Leturmy et al., 2000 ; Bonini, 2001 ; Barrier et al., 2002 ; Gestain et al., 2004 ; Del Castello et al., 2004 ; Marques & Cobbold, 2006 ; Massoli et al., 2006 ; Bonnet, 2007 ; Bonnet et al., 2007 ; 2008). En outre, cette sédimentation par saupoudrage permet de disposer de fins marqueurs stratigraphiques colorés dans les sédiments permettant de visualiser leur future déformation.

Grâce à ces techniques de modélisation des processus de surface, les effets de l’érosion et de la sédimentation sur l’évolution tectonique et cinématique des prismes orogéniques ont pu être testés. Les principaux résultats indiquent que :

Pour l’érosion :

• Elle allonge la durée de fonctionnement d’un chevauchement et augmente son pendage (fig.III.19.A ; Tondji-Biyo, 1995 ; Cobbold et al., 1993 ; Merle & Abidi, 1995 ; Persson & Sokoutis, 2002 ; Persson et al., 2004).

• Elle retient la propagation de la déformation vers l’avant-pays et diminue la largeur finale du prisme (fig.III.19.A ; Mugnier et al., 1997 ; Leturmy et al., 2000 ; Marques & Cobbold, 2002 ; Persson & Sokoutis, 2002 ; Persson et al., 2004 ; Hoth et al., 2006). Noter que ce résultat a été également démontré en modélisation numérique (Masek & Duncan, 1998).

Dans le cas de variations d’intensité des processus de surface dans une direction parallèle à la chaîne (pouvant être liées à l’incision), cela peut contribuer à la formation de fronts de déformation arqués (fig.III.19.B&B’ ; Marques & Cobbold, 2002, 2006).

• Dans les zones internes d’un prisme, elle permet de réactiver d’anciennes structures (chevauchements hors-séquence ; fig.III.19.C&D ; Baby et al., 1995 ; McClay et al., 1999 ; Koyi et al., 2000 ; Storti et al., 2000 ; Marques & Cobbold, 2002 ; Konstantinovskaia & Malavieille, 2005) et peut générer des rétro-chevauchements majeurs (Mugnier et al., 1997 ; Leturmy et al., 2000).

• Elle contrôle la localisation et l’amplitude de l’exhumation dans les prismes d’accrétion (Konstantonovskaia & Malavieille, 2005 ; Persson & Sokoutis, 2002). Une augmentation des taux d’érosion fait migrer la zone d’exhumation maximale en direction des zones internes (fig.III.19.D).

Pour la sédimentation syntectonique :

• Elle modifie la forme du prisme d’accrétion : le nombre de chevauchements et la pente critique diminuent (fig.III.19.E ; Storti & McClay, 1995 ; Bonnet et al., 2008) ; résultat également démontré en modélisation numérique (Simpson, 2006a).

• Elle modifie la géométrie des chevauchements : ils passent d’une géométrie en rampe et plat à une géométrie sigmoïdale ou rectiligne plus pentue lorsque le taux de sédimentation augmente (fig.III.19.E ; Storti & McClay, 1995 ; Baby et al., 1995 ; Barrier et al., 2002 ; Persson et al., 2004 ; Bonnet et al., 2008). Ce résultat a également été démontré en modélisation numérique (Hardy et al., 1998).

• Elle contrôle la vergence des principaux chevauchements : rétro-chevauchements ou chevauchements vers l’avant-pays (fig.III.19.F ; Persson et al., 2004 ; Bonnet et al., 2008).

• Elle modifie les périodes d’activité des chevauchements : la charge qu’elle exerce sur le piémont peut sceller temporairement le chevauchement frontal, bloquer son fonctionnement (Baby et al., 1995 ; Nalpas et al., 1999 ; Storti et al., 2000, Del Castello et al., 2004) et privilégier les chevauchements hors-séquence ou les rétro-chevauchements (fig.III.19.G ; Bonini, 2001). Tout comme l’érosion, cela tend donc à augmenter leur durée d’activité (Persson & Sokoutis, 2002). Ici encore, ce résultat a également été démontré en modélisation numérique (Hardy et al., 1998 ; Simpson, 2006a).

D’un autre côté, et de manière légèrement contradictoire, la sédimentation peut, au contraire, favoriser la propagation du front de déformation et le développement de larges systèmes chevauchants et bassins piggy-back (fig.III.19.G’ ; Mugnier et al., 1997 ; Leturmy et al., 2000 ; Persson et al., 2004). Cette divergence de comportement provient peut-être de la géométrie de la butée qui empêche dans le second cas l’activation d’un rétro-chevauchement. • En empêchant la propagation de la déformation et en favorisant l’activité des chevauchements hors-séquence, la sédimentation conduit plus rapidement le prisme dans un état critique.

Fig.III. 19 : Résultats expérimentaux sur les effets de processus de surface (Erosion et Sédimentation) sur la dynamique des prismes d’accrétion. A) Effet de l’érosion sur le nombre et la géométrie des chevauchements des

prismes d’accrétion (d’après Persson & Sokoutis, 2002). B) Effet des variations latérales d’érosion (notamment l’incision fluviatile) sur la géométrie des escarpements de chevauchements (d’après Marques & Cobbold, 2002). C) Réactivation hors séquence d’un chevauchement suite à l’érosion (d’après Koyi et al., 2000). D) Effet des variations des taux d’érosion sur l’activité des chevauchements au sein du prisme et la localisation des zones d’exhumation maximale (d’après Konstantinovskaia & Malavieille, 2005). E) Effet de la sédimentation sur le nombre et la géométrie des chevauchements des prismes d’accrétion (d’après Storti & McClay, 1995). F) Effet des variations latérales de sédimentation sur la vergence des chevauchements majeurs (d’après Persson et al., 2004). G&G’) Effet de la sédimentation sur l’activité des chevauchements frontaux (d’après Bonini, 2001 ; Mugnier et al., 1997 ). H) Effet de la sédimentation sur la géométrie et la cinématique d’un pli-faille (d’après Barrier et al., 2002). I) Enregistrement de l’activité des chevauchements bordant un prisme d’accrétion par le remplissage sédimentaire d’un bassin d’arrière-arc (d’après Larroque et al., 1995).

• La géométrie et la structure d’un pli sont contrôlées par le rapport entre vitesse de sédimentation et vitesse de soulèvement du compartiment chevauchant (Nalpas et al., 1999 ; Barrier et al., 2002) :

o Plus la vitesse de sédimentation est élevée, plus le pli a des difficultés à se développer (Nalpas et al., 1999).

o La dissymétrie des taux de sédimentation de part et d’autre d’un axe de pli peut favoriser son asymétrie (Nalpas et al., 1999).

o Le nombre de chevauchements augmente avec le taux de sédimentation (fig.III.19.H ; Barrier et al., 2002). Ils sont plats et uniques pour de faibles taux de sédimentation mais pentus et nombreux pour de forts taux de sédimentation. En particulier, les variations de taux de sédimentation le long de l’axe d’un pli (cas d’un cône alluvial par exemple) influencent la géométrie 3D des chevauchements (fig.III.19.H).

• La sédimentation dans les bassins sédimentaires d’avant-pays (piggy-back) ou d’arrière-arc enregistre la séquence d’activité des failles bordant les bassins (fig.III.19.I ; Malavieille et al., 1993 ; Larroque et al., 1995). Les variations de taux de sédimentation observables peuvent alors refléter les cycles d’activité des failles bordant le bassin.