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Les mécanismes de déformation dans les prismes d’accrétion sont nombreux et variés. Ils changent en fonction des conditions géométriques et cinématiques de la subduction continentale (chevauchement, plissement, sous-placage, duplex) et en fonction de la profondeur (variations de pression / température). Dans ce travail, je me limite aux déformations compressives de surface, c’est-à-dire se produisant dans les 10 à 15 premiers kilomètres de la croûte continentale. Pour ces profondeurs, les mesures en laboratoire sur la résistance des roches suggèrent que la friction et les mécanismes de rupture fragile dominent l’état de contrainte (Brace & Kohlstedt, 1980). Les processus de déformation de la croûte inférieure (fluage, cisaillement ductile) ne sont donc pas considérés.

Au niveau d’un piémont de chaîne, les processus par lesquels la surface de la croûte supérieure se déforme sont principalement le plissement (folding) et la fracturation (faulting). Typiquement, le plissement produit des flambages de la couverture sédimentaire d’avant-pays (anticlinaux, synclinaux) tandis que la fracturation produit diverses discontinuités de tailles et de magnitudes de déplacement variées (failles, niveaux de décollement). Ces deux modes de déformation sont étroitement liés (Dahlstrom, 1969) et leurs relations géométriques et cinématiques sont étudiées depuis longtemps (Rich, 1934 ; Dahlstrom, 1969 ; Fail, 1973). L’incrément de déplacement de chacun de ces modes de déformation s’effectue généralement « à coup de séismes » ou par glissement asismique (creeping). Durant ce travail, je ne considère pas cette déformation élastique à courte échelle de temps (milliers d’années) mais me focalise sur la déformation plastique finie, irréversible induite par la succession de plusieurs cycles sismiques.

(1) Plissement

Dans un orogène, le plissement s’observe sur plusieurs ordres de grandeur d’échelles spatiales : depuis l’échelle centimétrique de l’échantillon jusqu’à l’échelle plurikilométrique de la croûte supérieure. Dans les niveaux rhéologiques superficiels, il représente souvent un stade précoce de la déformation qui précède la rupture fragile (formation de failles). Au niveau d’un piémont de chaîne, le plissement est essentiellement lié à la propagation de la déformation vers l’avant-pays. Il déforme de larges épaisseurs de sédiments qui se sont accumulées dans les bassins d’avant-pays et qui proviennent de l’érosion des reliefs. Les plis présentent très souvent des plans axiaux orientés parallèlement à la direction principale de la chaîne (fig.I.6).

Les modes de plissement sont décrits par différents modèles mécaniques qui décrivent les relations géométriques entre les plis et les failles (fig.I.15). Ils se résument aux :

• Plis de rampe ou pli de cintrage (fault-bend fold ou thrust-ramp fold ; fig.I.15.A) : Ce sont des plis qui se développent au-dessus d’un chevauchement non-planaire qui change de niveau de décollement au niveau d’une rampe. Le chevauchement n’émerge pas en surface. La géométrie du plissement peut-être prédite si l’épaisseur du compartiment chevauchant, la géométrie de la rampe (longueur, angle) sont connues et les longueurs et épaisseurs de bancs sont conservées (Suppe, 1983). Les surfaces axiales du pli sont définies par des « bandes kinkées » (kink band). Entre ces surfaces, les couches restent parallèles les unes aux autres.

• Plis de terminaison de faille (fault-tip folds) :

Ce sont des plis qui se développent à la terminaison d’une faille (ou toute surface de glissement) au cours de la migration de la déformation. Il n’y a pas de rupture de surface. Le déplacement est variable le long de la faille : il est maximal à la base et nul à la terminaison. Ces plis peuvent être divisés en deux catégories selon l’état de la propagation de la terminaison vers la surface (Burbank & Anderson, 2001) :

o Si la faille est horizontale, on parle de pli de décollement (decollement fold) ou pli de détachement (detachment fold ; fig.I.15.D ; Jamison, 1987 ; Dahlstrom, 1990 ; Mitra, 2003). Ces plis déforment les roches dans une large zone au-dessus de la terminaison d’une faille qui reste parallèle aux couches. La longueur des couches et leurs aires varient.

o Si la faille se propage vers la surface, on parle de pli de propagation

(fault-propagation fold) ou « pli sur chevauchement aveugle » ou encore « pli

d’amortissement » (fig.I.15.B ; Suppe & Medwedeff, 1990). Si la terminaison reste fixe, on parle de pli de gradient de déplacement (displacement-gradient fold ; fig.I.15.C ; Wickham, 1995). Ces deux types de plis peuvent constituer l’étape consécutive à un pli de décollement. Si la faille arrive jusqu’en surface, le pli devient un pli-faille.

Fig.I. 15 : Modèles de plissement (d’après la synthèse de Burbank & Anderson, 2001). A) Pli de rampe (Suppe, 1983). B) Pli de propagation (Suppe & Medwedeff, 1990) C) Pli de «gradient de déplacement » (Wickham, 1995). D) Pli de détachement (Jamison, 1987). E) Pli par « tri-shear » (Erslev, 1991). Voir le texte pour plus de détails.

Il se forme un pli particulier lorsque la faille se divise en plusieurs branches au cours de sa propagation vers la surface. Cela forme une zone triangulaire de cisaillement distribué (Erslev, 1991 ; Hardy & Ford, 1997 ; Allmendinger ; 1998) qui est symétrique de part et d’autre de la terminaison du pli. Cette géométrie est appelée pli « trishear » (trishear fold ; fig.I.15.E). A l’intérieur de ce coin triangulaire, la déformation varie à la fois en orientation et en amplitude. Au niveau du segment supérieur, l’amplitude du déplacement est maximale et son orientation quasiment parallèle à la faille. Vers le bas, l’amplitude diminue et l’orientation tourne dans un sens horaire (Erslev, 1991). Il s’agit d’un modèle qui conserve les aires des couches déformées.

(2) Failles & chevauchements

Il existe différents types de failles : les failles inverses (thrust faults), les failles normales (normal faults) et les failles décrochantes (strike-slip faults). Leur présence dans la croûte terrestre s’explique très bien par le régime de contraintes environnant et en particulier l’orientation des contraintes principales. Mécaniquement, les failles résultent de la rupture de la roche après que le seuil de contrainte à la rupture ait été franchi (voir critère de Mohr-Coulomb : Eq.I.1). Dans cette section, je ne m’intéresse qu’à la première catégorie de failles (les failles inverses) car elle représente l’essentiel des structures de piémonts qui ont été rencontrées sur le terrain et modélisées expérimentalement durant ce travail.

Dans un piémont de chaîne de montagnes, les failles sont des objets tectoniques très documentées et étudiées car, à petite échelle de temps, elles sont à l’origine des séismes qui menacent les villes installées en bordure des chaînes de montagnes. A grande échelle de temps, elles permettent la déformation des roches du piémont et l’épaississement de la chaîne. Par la suite, je ne traite pas le premier aspect des failles (sismicité) mais me focalise sur le second (failles en tant que mécanisme de déformation de la croûte et de formation des reliefs).

Plusieurs séries de failles et chevauchements sont observables au pied des chaînes de montagnes. Tout comme les plis, ces structures sont quasiment parallèles à la direction principale de la chaîne de montagnes (voir expression fold-and-thrust belt et fig.I.6). En coupe, elles ont une géométrie imbriquée où chacune vient le plus souvent s’enraciner en profondeur au niveau d’un décollement principal. Leur pendage n’est pas toujours constant car elles peuvent posséder des portions parallèles à la stratification des couches (des « plats ») et des portions sécantes (les rampes). C’est notamment en raison de ces géométries que se forment les plis de rampe mentionnés ci-dessus. Les différents chevauchements d’avant-pays n’ont pas le même âge de formation. Souvent, les failles les plus internes de la chaîne sont plus anciennes que les structures frontales. Ainsi, on parle souvent de séquence « normale » de propagation de la déformation lorsque les nouveaux chevauchements se forment en avant des précédents, en direction de l’avant-pays non déformé. A l’inverse, un épisode de séquence inverse (ou hors-séquence) caractérise une propagation rétrograde (vers l’arrière) des chevauchements. En l’absence de processus de surface, l’activité des chevauchements s’effectue très souvent selon une séquence prograde : les chevauchements les plus frontaux sont les plus actifs (ils accommodent la majorité du raccourcissement) alors que les anciens chevauchements sont quasiment inactifs.