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L’histoire géologique de la chaîne du Tian Shan est longue et morcelée en différents épisodes d’accrétion continentale résultant de subductions océaniques et continentales. Cette histoire est généralement divisée en deux étapes. Une première, ancienne (paléozoïque), regroupe l’ensemble des phases de fermeture de divers domaines océaniques et se termine par l’accrétion et à la formation du continent asiatique à la fin du Permien. La seconde, plus récente (méso-cénozoïque), est directement liée à la collision entre l’Inde et l’Eurasie et permet la réactivation d’anciennes structures du Tian Shan et la formation des reliefs actuels (Tapponnier & Molnar, 1977).

(1) Subduction et accrétion au Paléozoïque

Selon les modèles aujourd’hui proposés (Windley, et al., 1990 ; Gao et al., 1998 ; Laurent-Charvet, 2001), l’histoire paléozoïque du Tian Shan correspond à l’accrétion de divers arcs volcaniques et microcontinents (fig.II.12).

Fig.II. 12 : Modèles d’évolution géodynamique du Tian Shan durant le Paléozoïque d’après A) Gao et al. (1998) et B) Laurent-Charvet (2001).

Selon le modèle de Gao et al. (1998), la construction du Tian Shan débute au cambrien par la fermeture d’un domaine océanique (paléo-océan Junggar : PJO) et l’ouverture consécutive d’un domaine d’arrière arc à l’ordovicien-silurien (paléo-océan du sud Tian Shan : PSO) (fig.II.12.A). Un microcontinent insulaire se forme alors (bloc du Tian Shan central + Yili : YCTP). Au silurien supérieur - carbonifère inférieur, deux nouvelles subductions apparaissent et permettent le développement d’arcs. L’une se forme à l’intérieur même du domaine océanique PJO et individualise un arc volcanique insulaire (arc Insulaire du nord Tian Shan : NTIA). L’autre apparaît à la transition océan/continent PSO/YCTP. Noter dans ce cas la double subduction à vergence opposée au carbonifère inférieur. Aujourd’hui, ces anciennes limites de plaques correspondent respectivement aux sutures nord Tian Shan (North Tian Shan Fault Zone : NTSZ) et sud Tian Shan (South Tian Shan Fault Zone : STFZ). Selon ce schéma, le Tian Shan est totalement accrété au permien inférieur.

Un modèle alternatif propose que l’accrétion du Tian Shan est marquée par deux étapes principales de subduction vers le sud (Laurent-Charvet, 2001) (fig.II.12.B). La première correspond à la subduction du paléo océan nord Tian Shan (NTO) entre l’ordovicien et le silurien inférieur. La seconde correspond quant à elle à un saut de subduction vers le nord une fois le domaine océanique nord Tian Shan totalement fermé. Cette deuxième subduction fait plonger l’océan Junggar sous le bloc nord Tian Shan nouvellement accrété (NTSB). Ces deux subductions sont caractérisées par un important volcanisme d’arc. Au permien, le Tian Shan est totalement accrété et d’importants mouvements décrochants réactivent finalement les anciennes structures. Noter que ce modèle n’invoque aucune subduction vers le nord.

(2) « Quiescence » au Mésozoïque

Avant la réactivation au cénozoïque, la chaîne du Tian Shan devait certainement posséder au Mésozoïque une topographie résiduelle héritée des phases compressives précédentes (Hendrix et al., 1992). Des études de l’évolution de la subsidence des bassins sédimentaires du Tarim et du Junggar indiquent des mécanismes d’enfouissement plutôt d’origine thermique que tectonique qui tendent à s’atténuer au jurassique et crétacé (ie : les taux de sédimentation diminuent au cours du secondaire ; Allen et al., 1991). Enfin, l’observation de conglomérats triasiques ou jurassiques ainsi que quelques plis et failles inverses mineurs tendent à indiquer que les failles bordières du Tian Shan ont pu être occasionnellement réactivées durant le secondaire (Hendrix et al., 1992 ; Hendrix, 2000).

Fig.II. 13 : Exemple de topographie possible du Tian Shan au Mésozoïque (ie, avant la réactivation au Cénozoïque). On distingue des reliefs résiduels (1000 à 1500 m d’altitude) peu ou pas actifs (d’un point de vue surrection tectonique) ennoyés dans une plaine de dépôt. La photographie a été prise par avion lors d’un trajet sur la ligne Beijing-Urumqi près du pôle de rotation du Tarim (la zone a subi très peu de raccourcissement cumulé depuis le Cénozoïque ).

Quoiqu’il en soit, beaucoup d’auteurs s’accordent à penser que les reliefs du Tian Shan au mésozoïque devaient être très émoussés mais possédaient certainement une topographie résiduelle non négligeable. Cette topographie devait constituer une barrière entre les bassins du Junggar et du Tarim. Une photographie aérienne de la terminaison est du Tian Shan au niveau du pôle de rotation des plaques (convergence quasiment nulle) illustre assez bien ce que pouvait être la morphologie du Tian Shan à cette époque. On y observe des topographies peu ou pas actives (d’un point de vue tectonique) composées de reliefs de faible amplitude (à peine plus de 1000-1500 m) actuellement en cours d’érosion et d’ennoiement dans la plaine de dépôt (fig.II.13). Cette morphologie rappelle les mécanismes de génération des pénéplaines d’altitude dans les Pyrénées par ennoiement du piémont (Babault et al., 2005a ; voir chapitre I).

(3) Réactivation tertiaire

Les reliefs élevés du Tian Shan actuel suggèrent que des mouvements tectoniques compressifs « récents » sont à l’origine de ces reliefs. Tapponnier & Molnar (1979) sont les premiers à proposer qu’ils soient une conséquence de la collision entre l’Inde et l’Asie et de la propagation de la déformation vers le nord. Sur le terrain, il existe principalement deux moyens pour essayer de dater précisément cette réactivation : d’une part, l’étude de l’enregistrement sédimentaire des bassins de piémont et d’autre part, l’analyse thermochronologique des roches des bassins versants (estimation des histoires d’exhumation par géochronologie basse température ; voir chapitre I).

Pour identifier la réactivation de la chaîne à partir des archives sédimentaires préservées dans les bassins, cela suppose que la reprise de la tectonique dans le Tian Shan ait entraîné une augmentation des flux sédimentaires. En soulevant le relief, l’érosion devient plus importante et les flux de sédiments vers les bassins de piémont augmentent également. Ce changement dans la sédimentation se caractérise aussi bien par des modifications du faciès des séries stratigraphiques (passage d’une sédimentation fine à une sédimentation grossière) que par des variations des vitesses d’accumulation (augmentation des vitesses de sédimentation).

Les données de forages des bassins du Tarim et du Junggar permettent de mettre en évidence deux augmentations significatives des taux d’accumulation : le premier vers 17 Ma et le second vers 5-6 Ma (Métivier & Gaudemer, 1997 ; fig.II.14.A). Plusieurs études paléomagnétiques sur les séries détritiques des piémonts ont aussi permis de contraindre ces changements des taux de sédimentation. Dans le piémont sud, la transition entre une séquence stratigraphique lacustre d’extension régionale à une séquence fluviatile franche a été datée à 21-25 Ma autour de Kuche (Yin et al., 1998). Ce changement brutal de l’environnement de dépôt a été mis en relation avec la réactivation de la chaîne qui débuterait à cette époque. Plus récemment, Charreau et al. (2006) sur ce même piémont mais quelques dizaines de km plus à l’est (près de Yaha) ont observé une première augmentation du taux de sédimentation à 11 Ma puis une seconde à 5 Ma (fig.II.14.C). Dans le piémont nord, quelques études sur la partie ouest de la chaîne (bassin de Chu ; Tian Shan kirghiz) indiquent aussi une augmentation du taux de sédimentation à 11 Ma (Bullen et al., 2001, 2003 ; fig.II.14.B). Quelques centaines de kilomètres plus à l’est, Charreau et al. (2005) observent dans une première étude menée sur une coupe près de Kuytun que le Tian Shan était déjà réactivé à 10.5 Ma (fig.II.14.D). Dernièrement, une étude complémentaire sur une coupe voisine (la rivière Jingou) indique que la chaîne était déjà réactivée vers 24-21 Ma et qu’elle a subi deux accélérations de la surrection et de l’érosion (et donc la sédimentation) vers 15 et 11 Ma (Charreau et al., soumis ; fig.II.14.E). Enfin, l’analyse de traces de fission sur des apatites détritiques préservées dans les séries mésozoïques du piémont nord du Tian Shan ont montré d’une part un début de la surrection vers 24 Ma (rivière Manas ; Hendrix et al., 1994) et confirme les 11 Ma trouvés plus à l’ouest dans le bassin de Chu avec les données de paléomagnétisme (Bullen et al., 2001, 2003).

Au niveau des bassins versants, des datations U-Th/He et l’analyse de traces de fissions sur apatites magmatiques (granites) confirment les âges de 11 Ma du Tian Shan kirghiz (Bullen et al., 2001, 2003 ; fig.II.14.B). Sur un transect nord-sud de la chaîne entre les villes de Kuqa et Dushanzi, Dumitru et al. (2001) observent une phase d’exhumation vers 25 Ma.

Enfin, l’âge de la réactivation du Tian Shan a été estimé en extrapolant les mesures des taux de raccourcissement actuels et en considérant le raccourcissement total accommodé sur l’ensemble de la chaîne. Suivant cet exercice, Avouac et al. (1993) calculent un âge de réactivation de la chaîne à environ 15 Ma à partir de vitesses de raccourcissement déduites de l’analyse des escarpements de failles actives. De même, Abdrakhmatov et al (1996) calculent un âge de 10 Ma à partir des mesures de vitesses instantanées fournies par le GPS (voir section suivante). Ces deux estimations sont probablement minimales.

Fig.II. 14 : Datation de la réactivation tertiaire du Tian Shan. A) Evolution des taux d’accumulation des sédiments dans les bassins du Tarim et Junggar (données issues de forages : d’après Métivier, 1996). B) Vitesses d’exhumation et de sédimentation dans le Bassin de Chu (Tian Shan kyrgyz ; d’après Bullen et al., 2001). Datations magnétostratigraphiques dans le piémont sud (A :coupe de Yaha ; d’après Charreau et al., 2005) et dans le piémont nord (B : coupe de Kuytun ; d’après Charreau et al., 2006 et C) Jingou : d’après Charreau et al., soumis). L’ensemble des données s’accorde sur un âge moyen de réactivation du Tian Shan autour de 20-25 Ma suivi de phases locales d’accélération de la surrection.

En conclusion, l’âge de la réactivation du Tian Shan est toujours un sujet d’intenses recherches et de débats. Quelles que soient les techniques employées, l’ensemble des données semble tendre vers un âge moyen d’environ 20-25 Ma pour l’ensemble de la chaîne. Cependant, il faut considérer cet âge comme une valeur moyenne qui doit être tempérée selon la portion de la chaîne étudiée. Les différents chaînons du Tian Shan (voir paragraphe sur la topographie) ont potentiellement des histoires de réactivation différentes. Leur surrection peut être par ailleurs discontinue au cours du temps et refléter les contrecoups des orogenèses plus méridionales. Ces réactivations hétérogènes de la chaîne pourraient s’expliquer par l’héritage structural datant du Paléozoïque.

B. Les Piémonts

Au cours de ce travail de thèse, je me suis focalisé sur les piémonts nord et sud du Tian Shan. Je n’ai eu l’occasion d’étudier sur le terrain que le piémont nord mais j’ai choisi de présenter également le piémont sud afin de comparer la morphologie et la nature des interactions TES de ces deux régions. C’est pourquoi, je présente dans cette section ces deux piémonts en décrivant tout d’abord leur propres caractéristiques géologiques, structurales et morphologiques puis en les comparant dans un second temps. En particulier, je me base sur une étude morphométrique d’une vingtaine de bassins versants issus de chacun des piémonts.

1. Piémont nord