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La portion du piémont sud du Tian Shan à laquelle je me suis intéressée s’étend sur 200 km depuis la longitude 84°E jusqu’à 86°E (près de la ville de Korla) (fig.II.21&22). Ici encore le piémont est relativement rectiligne et orienté WNW/ESE. Le point culminant se situe au nord-est de la carte et atteint quasiment 4 800 m. Un autre massif dépassant les 4 500 m s’étend au centre-ouest. Les points les plus bas se situent dans la plaine d’avant-pays du Tarim et s’élèvent autour de 900 m.

Ce piémont est drainé par une vingtaine de bassins versants s’écoulant du nord vers le sud. Ces bassins versants n’ayant pas été étudiés par le passé (à ma connaissance), j’ai choisi de reprendre la même logique de dénomination que celle adoptée pour le piémont nord. Faute d’avoir trouvé les noms chinois pour chacun de ces bassins versants, je les ai nommés successivement de 1 à 23 d’ouest en est. Leur dimension est nettement plus petite que celles des bassins du nord (surface moyenne autour de 250 km2). Le plus grand bassin versant possède une surface de 1620 km2 (2) tandis que les plus petits s’échelonnent autour de 50 km2. Dans l’ensemble, les bassins versants sont allongés dans une direction nord-sud. Tous sont drainés par une seule rivière majeure (aucune ramification importante n’est constatée). Cela suggère que l’histoire tectonique de ce piémont n’a pas subi plusieurs épisodes de propagation de la déformation (accrétion de nouvelles unités) propices aux captures de rivières et à la croissance des bassins versants (voir la définition du mécanisme au chapitre I).

Les longueurs de rivières sont beaucoup plus courtes que dans le piémont nord. La plus longue atteint près de 80 km (2) tandis que les plus courtes font seulement 10-15 km. Certaines rivières (notamment la 2, 8, 17, 19 et 22) ont une trajectoire courbée vers l’ouest dans les parties amont du bassin versant. Enfin, la ligne principale de partage des eaux séparant les précipitations qui se déversent vers le bassin du Tarim (au sud) de celles s’écoulant vers le bassin de Yanqi (à l’est) ne conserve pas une même distance vis-à-vis du front de déformation. A l’ouest, elle se situe à près de 80 km du front de déformation (pli de Yakeng) tandis qu’elle se situe à 35 km près de Yeyungou et seulement 10 km près de Qarqi. Elle diminue donc régulièrement vers l’est.

b) Lithologie

Les lithologies du piémont sud sont sensiblement comparables à celles du piémont Nord (fig.II.23). Les roches formant les bassins versants sont d’âges primaires et consistent en des roches sédimentaires détritiques et carbonatées variées de l’ancienne plate-forme du paléo-océan sud Tian Shan (fig.II.23.A). La couverture plissée du cénozoïque est de même nature que dans le piémont nord mais cependant plus épaisse. Il y a en effet plus de 7 km de cénozoïque et environ 5 km de mésozoïque dans le sud (fig.II.23.B) contre deux fois 4 km pour les deux ères dans le piémont nord (fig.II.16.B). Les formations cénozoïques du sud présentent également davantage de faciès carbonatés.

Fig.II. 21 : Carte topographique du Piémont sud du Tian Shan. Les principaux bassins versants sont en rouge et les principales rivières en bleu.

Fig.II. 23 : Géologie du Piémont sud du Tian Shan. A) Carte géologique synthétique (d’après Fu et al., 2003. B) Log stratigraphique synthétique des séries mésozoïques et cénozoïques (d’après Charreau, 2005).

c) Structures tectoniques

Les structures tectoniques dans la portion du piémont sud qui m’intéresse sont plus simples que celles du piémont nord ou de sections situées un peu plus à l’ouest (voir carte fig.II.2 et thèse B. Poisson, 2002). En effet, on observe à l’ouest de notre zone d’étude des plis très semblables à ceux du piémont nord (Suppe et al., 2004). Mais pour l’essentiel, on n’observe que deux structures tectoniques majeures. La première, d’orientation WNW/ENSE, traverse l’intégralité de la zone d’étude et marque le contact chevauchant des roches du paléozoïque sur le mésozoïque. La seconde, d’orientation E-W correspond à la terminaison périclinale d’un anticlinal (le pli de Kelasu) qui vient se brancher sur le chevauchement précédent. De façon remarquable, la partie orientale de ce piémont présente une géométrie relativement simple avec un chevauchement majeur permettant la surrection d’un massif au-dessus de la plaine de dépôt du Tarim. Quelques petits chevauchements sont présents sur quelques kilomètres au front de l’accident majeur (voir notamment la signature morphologique au niveau du bassin versant 22 sur la carte de pentes ci-après ; fig.II.24).

d) Géomorphologie

Suivant la même démarche que pour le piémont nord, la carte des pentes du piémont sud fait ressortir quatre ensembles morphologiques majeurs caractérisés par des signatures et caractéristiques morphologiques différentes (fig.II.24).

Le premier (Zone 1) correspond au domaine amont des bassins versants. Il est caractérisé par des fortes pentes (supérieures à 30° ; couleur noire à rouge) et une morphologie très disséquée et encaissée. La limite sud de ce domaine correspond au contact chevauchant entre les roches primaires de la haute chaîne et les séries secondaires plissées.

Le second (Zone 2) possède une forme biseautée pointant vers l’est. Il est caractérisé par des pentes comprises entre quelques degrés (les cônes alluviaux ; couleur bleue) et 20-25° (couleur verte et jaune-orangée). Il correspond à l’anticlinal de Kelasu composé de roches sédimentaires détritiques du mésozoïque. Cette zone constitue souvent la partie aval des bassins versants s’écoulant vers le Tarim (à l’ouest) ou correspond aux dépôts des cônes alluviaux à l’est. Sa limite sud coïncide avec le front de déformation actif du piémont (pli de Yakeng) à l’ouest et au front de progradation des cônes (à l’est). On notera la forme bien individualisée des cônes alluviaux. La carte des pentes se révèle donc un excellent outil pour tracer leurs limites.

Le troisième domaine (Zone 3) correspond à la plaine d’avant-pays (pentes très faibles de l’ordre de 0,5° ; couleur bleue et blanche). Il est caractérisé par une absence de relief significatif et un réseau hydrographique très discret.

Enfin, le quatrième domaine (Zone 4) se retrouve essentiellement dans la partie orientale de la zone d’étude et correspond à une surface tabulaire située à 3000 – 3500 m d’altitude. Elle est relativement plane ou inclinée de quelques degrés vers l’est. Elle forme une surface continue qui se prolonge en lambeaux dans la partie centrale, au nord de notre zone d’étude. Il s’agit d’une surface d’érosion soulevée dont l’âge n’est pas contraint mais qui pourrait être jurassique (Jolivet, communication personnelle). Elle est en cours de dissection en raison de la croissance des bassins versants 17, 18, 19 et 22.

3. Comparaison morphologique des piémonts

a) Méthodologie

(1) Données topographiques

Suivant la démarche de B. Poisson, qui avait étudié la morphométrie des bassins versants et de leurs cônes alluviaux sur le piémont nord du Tian Shan, j’ai étudié et comparé les deux piémonts du Tian Shan précédemment décrits. J’ai choisi de réitérer les mesures sur le piémont nord afin de modifier les limites des objets étudiés et tester l’effet de l’amélioration de la précision des données topographiques (depuis la thèse de Poisson, 2002).

Fig.II. 25 : Comparaison des données topographiques du piémont nord entre A) Poisson (2002) et B) cette étude. Les MNT ont gagné en résolution (passage de 900 à 90 m) et les limites de certains bassins versants et cônes alluviaux ont été réinterprétées.

Dans son travail, B. Poisson utilise des MNT globaux Hydro1K déduits de la topographie mondiale GTOPO30 à 900 m de résolution. Pour ma part, je bénéficie des progrès réalisés sur les données topographiques mondiales et utilise les MNT NASA SRTM à 90 m de résolution. De plus, j’ai modifié les limites de certains bassins versants afin d’intégrer le domaine aval que B. Poisson avait tantôt considéré ou tantôt écarté (fig.II.25). S’il est vrai que l’ajout de ce domaine topographique n’influence certainement pas de façon déterminante les bilans de flux solides qui transitent dans les rivières (l’essentiel de la charge provient des hauts reliefs des bassins versants), j’ai choisi cette procédure afin de déterminer le plus objectivement possible les géométries réelles des objets morphologiques considérés. Nous verrons que les changements observés dans cette procédure influencent sensiblement les résultats et notamment les relations morphométriques entre les différentes variables caractérisant les bassins versants, cônes et rivières (surfaces, pentes moyennes, etc.).

Pour ce qui est du piémont sud, aucun travail sur la morphométrie des bassins versants et leurs cônes alluviaux n’a, à ma connaissance, été réalisé jusqu’à présent.

(2) Procédure d’analyse

Les procédures d’analyse sont identiques d’un piémont à l’autre et consistent à extraire les mesures morphométriques spécifiques de chacun des bassins versants et de leur cône. Pour cela, j’utilise les MNT SRTM à 3 secondes d’arc de résolution (90 m) convertis en coordonnées UTM (zone 45 pour les régions du Tian Shan étudiées) et ré-échantillonnés à 75 m de résolution (résolution moyenne à ces latitutes).

Concernant le bassin versant :

Les MNT de chacun des bassins versants ont été extraits au moyen d’une procédure « informatique » et « manuelle » qui permet de vérifier la validité du relevé (en supposant que les données SRTM d’origine soient fiables). Cette procédure consiste à dessiner précisément sous le logiciel Adobe Illustrator les limites de partage des eaux. Pour cela, j’utilise les cartes de pentes et des cartes de « réseau hydrographique » (cartes obtenues artificiellement en soustrayant un MNT légèrement filtré au MNT brut d’origine). Un « masque » réalisé sous Adobe Illustrator et Photoshop permet ensuite (en association avec GMT) d’extraire les données topographiques de la région sélectionnée.

A partir des MNT ainsi modifiés, il est possible d’extraire le relief des bassins versants, leur aire, leur hypsométrie, leur longueur maximum, etc. J’ai également choisi de tester un descripteur morphométrique appelé « relief local» qui consiste à quantifier le relief moyen à partir d’une statistique des dénivelés mesurés pour une distance donnée (Ahnert, 1970 ; voir Hurtrez, 1998, pour une description de la méthode). Ce descripteur a été démontré comme étant un indicateur du taux de surrection enregistré par le bassin versant (Hurtrez, 1998 ; Hurtrez et al., 1999).

Concernant le réseau hydrographique :

En l’absence d’outil informatique disponible spécifiquement dédié à l’extraction semi-automatique du réseau hydrographique (tel que River Tools par exemple), j’ai extrait le profil des rivières principales en utilisant la même procédure que pour les bassins versants. Toutefois, cette procédure a été prise en relais par un programme écrit sous C++ avec M. Peyret permettant de « dérouler » le profil des rivières. De cette façon, il est possible d’avoir accès au profil « vrai » d’écoulement de la rivière, à sa longueur totale, les pentes moyennes du chenal, etc. Les profils bruts obtenus sont filtrés à 250 ou 500 m selon la longueur originale de la rivière afin de lisser les éventuels artéfacts de la procédure de traitement et du MNT SRTM original.

Concernant les cônes alluviaux:

Leur surface a été délimitée manuellement en utilisant la carte de pentes des piémonts (fig.II.20&24). Sur ces documents, il est beaucoup plus aisé (et sans doute fiable) d’extraire une surface « vraie » du cône alluvial qu’à partir d’une procédure basée sur la définition visuelle des limites du cône (données d’imagerie satellite Landsat 7 par exemple). Ces limites sont à mon sens incertaines car l’occupation humaine des sols a oblitéré les limites géologiques des cônes et fausse de ce fait la mesure.

La pente a été mesurée en traçant des profils topographiques suivant la ligne de plus fort gradient. Afin de définir ces profils, je me suis servi des données topographiques représentées sous forme de courbes de niveau (les lignes de plus grandes pentes sont orthogonales aux courbes de niveau) et de données de photographie satellite (les lignes de plus grandes pentes sont souvent indiquées par les chenaux d’écoulement à la surface des cônes).

Enfin, le rayon des cônes a été mesuré à partir de données topographiques (limites définies par la carte de pentes). Un cône n’ayant pas une forme cylindrique parfaite, j’ai réalisé plusieurs mesures dans la partie frontale (3 à 4) et pris la moyenne.