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Les sous-identités deviendront le point d'ancrage du processus de remise en question qu'elles influenceront au premier plan. Toutefois, les sous-identités ne suffisent pas à engendrer le processus identitaire. Selon Day et Kington (2008), les émotions jouent un rôle clé dans la construction de l’identité de l’enseignant. Elles sont le lien nécessaire entre la structure sociale dans laquelle ils travaillent et la façon dont ils se comportent. Ainsi, les émotions agiront ici en tant que symptôme d'une

cohérence ou d'une dissonance entre les sous-identités (Dumoulin, 2014), amorçant alors le processus de remise en question propre au processus identitaire.

Prenons l'exemple d'un enseignant novice en début d’année scolaire. Avant même le moment où il pénètre dans sa classe, il a une idée de l’enseignant qu’il veut être. Cette image, il la puise dans ses expériences antérieures, alors qu’il était lui- même un élève. Il se rappelle comment il réagissait face à un enseignant qui jouait les dictateurs, voire le méchant, pour appuyer son autorité. Cette attitude provocatrice aurait même servi à lui faire adopter des comportements indésirables. Comme il fréquentait les classes performantes, composées d’élèves triés sur le volet, il ne voyait pas l'intérêt pour un enseignant d'utiliser cette méthode en début d'année. Ainsi, dans sa sous-identité professionnelle, c’est le modèle d'un bon enseignant conciliant, souriant et accueillant, qui n'a pas besoin de menacer les élèves pour obtenir le contrôle sur le groupe, qui guidera son agir.

Sa sous-identité personnelle corrobore son choix. Il est en effet quelqu'un de tempéré et qui, de manière générale, ne parle pas très fort. Il préfère de loin chercher des solutions que de provoquer des conflits. Il est aussi convaincu que le respect attire le respect. Conséquemment, les élèves respecteront plus facilement un enseignant gentil qui n'a pas besoin d'être autoritaire. De toute manière, il ne s'en sent pas capable et anticipe que cette situation serait inconfortable pour lui tant professionnellement que personnellement. Toutefois, les premières semaines de classe sont éprouvantes. En effet, dans sa classe de 2e secondaire, les élèves sont

turbulents, ne respectent pas les consignes et il arrive difficilement à leur enseigner. Dans sa sous-identité située, les élèves lui renvoient l'image d'un enseignant qui n'a pas le contrôle. Ses collègues sont de plus en plus nombreux à remettre en question ses interventions. Pour l’aider, ils lui proposent des outils qu'il n'aime pas. Son directeur, quant à lui, a tenu à le rencontrer parce qu'un parent s'est plaint des difficultés rencontrées dans sa gestion de classe. Son enfant lui a relaté des scènes où

le groupe est incontrôlable. Il est pris au piège. Le modèle qu'il s'est fait de l'enseignant qu'il veut être se coordonne avec les forces et les faiblesses de sa sous- identité personnelle mais pas avec sa sous-identité située. Un mal-être s'installe et l'envahit de plus en plus jour après jour, symptôme de la dissonance identitaire, amorçant ainsi le processus de remise en question (Gohier et al., 2001).

Étant donné que l'identité de l’enseignant est un construit des interactions entre les différentes sous-identités, comment le novice arrive-t-il à les accommoder? Lorsqu'un novice comprend qu'il y a une tension qui existe entre ses sous-identités, tension manifestée par un sentiment d'inconfort, de quelle manière arrive-t-il à les concilier afin de créer un nouveau soi professionnel qui soit malgré tout cohérent avec lui-même? Comment cette négociation entre les différentes sous-identités s'accomplit-elle?

2 OBJECTIFS SPÉCIFIQUES DE RECHERCHE

Le processus de construction de l'identité professionnelle des enseignants novices est complexe et d’autres aspects peuvent encore être explorés. Au regard de notre cadre conceptuel, nous observons que les sous-identités sont les éléments constitutifs de la construction identitaire (Day et Kington, 2008; Flores et Day, 2006) et que les émotions, en tant que symptômes d’un déséquilibre (Dumoulin, 2014), amorcent le processus de remise en question. Dans cette optique, nous identifions l’objectif général de recherche suivant :

Décrire le processus de construction identitaire d’enseignants novices du secondaire au Québec pendant la première année d’insertion professionnelle.

En lien avec ces questionnements et à la lumière des concepts présentés, nous identifions deux objectifs spécifiques de notre recherche:

1. Décrire l’articulation entre les sous-identités au cours de ce processus. 2. Décrire le rôle attribué à la sous-identité située.

Il est à noter que le deuxième objectif de cette recherche est né de questionnements liés à des observations effectuées dans le cadre d’entretiens exploratoires. En effet, les écrits scientifiques recensés ayant montré des flous théoriques quant au processus de construction identitaire et afin d’envisager de nouvelles pistes de lecture de notre problème (Poupart, 2012; Van Campenhoudt et Quivy, 2011), des entretiens exploratoires ont été menés au cours du printemps 2013. Pour constituer ce premier échantillon d’acteurs, nous avons utilisé l’échantillon de volontaires (Beaud, 2010). À l’aide du bouche à oreille, deux volontaires se sont manifestés, le premier appartenant au champ des mathématiques, le deuxième au champ du français langue d’enseignement.

Dans la préparation de l’entretien, un exercice de réflexion faisant intervenir à la fois les aptitudes personnelles du novice (sous-identité personnelle) et son intervention dans la classe (sous-identité professionnelle), à l’annexe A, a été proposé aux novices. Pour concevoir cet exercice, nous avons adapté le cadre d’analyse des pratiques de Boutet (Rousseau et Boutet, 2003) notamment parce qu’il tient compte des valeurs éducatives et des ressources personnelles dans l’élaboration du profil de gestion de classe. Originalement, ce cadre d’analyse est utilisé en formation initiale des enseignants du primaire et du préscolaire, ce qui explique que nous ayons dû l’adapter à notre échantillon, c’est-à-dire des enseignants novices du secondaire. Les objectifs de cet exercice étaient d’amener les novices à réfléchir sur leur perception de soi en tant qu’enseignant, de leur permettre d’analyser leur propre pratique et d’élaborer une ébauche de leur identité professionnelle. Ils devaient remettre cet exercice la veille de l’entrevue afin que la chercheure puisse en prendre connaissance et ajuster le guide de l’entretien exploratoire en conséquence (Paillé, 1991), notamment dans les questions touchant l’explicitation des pratiques.

Or, un premier constat déroutant a émergé à la suite de la lecture de l’exercice. Il s’est avéré que les deux participants n’avaient pas été en mesure de remplir complètement ledit exercice. Plusieurs hypothèses ont alors été avancées : manque de temps, incompréhension des consignes ou des questions, désintérêt pour l’exercice, manque d’implication. Lors de l’entretien exploratoire qui a suivi, la question a été posée aux participants : « Pourquoi ne pas avoir répondu à toutes les questions de l’exercice ? » Les réponses fournies indiquent que les novices ne se sentaient pas en mesure d’y répondre puisqu’elles exigeaient, selon eux, un contexte qui n’était pas défini, par exemple, le type d’école (privée ou publique), de milieu (défavorisé, rural, urbain), de tâche, de groupe, de niveau. Leurs réponses dépendraient de leur milieu d’accueil. Une hypothèse inusitée est alors envisagée : Les novices ont-ils nécessairement besoin d’un contexte pour ancrer leur action et leur réflexion? Est-ce que la sous-identité située est perçue par les novices comme étant importante dans le processus de construction identitaire? Au terme de leur formation, sont-ils capable de se percevoir comme des enseignants et d’anticiper le type d’enseignant qu’ils seront, et ce, sans connaître leur futur milieu de travail? La non-identification du milieu d’accueil est-elle un frein ou un obstacle à la construction de l’identité professionnelle des enseignants, ce qui expliquerait pourquoi, comme le mentionne Chong, Low et Goh (2011), l’identité professionnelle des enseignants novices n’en est qu’à ses tous premiers balbutiements?

Les entretiens exploratoires ont soulevé l’importance, pour les enseignants novices, de la sous-identité située dans le processus identitaire. Toutefois, nous ignorons comment s'effectue la conciliation entre tous ses éléments pour donner vie au nouveau construit de l'identité enseignante ni l’importance de la sous-identité située dans cette conciliation, d’où ce deuxième objectif de recherche. Pour répondre à ces objectifs, une collecte de données qualitative sera privilégiée. Il s’agira essentiellement de propos tenus par des novices du secondaire tout au long de leur première année d’insertion professionnelle.

TROISIÈME CHAPITRE – LE DISPOSITIF MÉTHODOLOGIQUE TROISIÈME CHAPITRE

LE DISPOSITIF MÉTHODOLOGIQUE

Ce chapitre sera consacré à la méthodologie utilisée dans la présente recherche. Il abordera cinq points importants soit l’approche méthodologique utilisée, la définition de notre échantillon, les outils de collecte et l'analyse des données et les considérations déontologiques.

1 APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE

Dans cette recherche, nous privilégions une approche qualitative/interprétative. Premièrement, cette approche nous permet de « comprendre les significations que les individus donnent à leur propre vie et à leurs expériences » (Anadon, 2006, p.15). Ici, le chercheur tire des conclusions à partir des observations faites dans la réalité. Le savoir obtenu est donc « enraciné dans un contexte, une culture et une temporalité » (Savoie-Zajc et Karsenti, 2011, p. 126). Bien qu’elle soit partagée par tous les nouveaux enseignants et soit constituée d’éléments communs à tous, la construction de l’identité professionnelle des enseignants novices demeure un vécu (Forget et Paillé, 2012) individuel.

Deuxièmement, cette approche permet un cadre plus souple et moins rigide (Savoie-Zajc et Karsenti, 2011) favorable à la démarche exploratoire entreprise. En effet, malgré la présence dans la littérature d’écrits portant sur la construction identitaire des enseignants, tel que mentionné dans les chapitres précédents, ces derniers ne nous permettent pas d’énoncer des hypothèses qui proposeraient une réponse à notre question de recherche (Coallier et Mazalon, 2012). Les recherches antérieures ont servi à cerner soit des facteurs influençant la construction identitaire des novices (Day et Kington, 2008; Day et Flores, 2006; Gohier et al., 2001; Pellanda, Weise et Monnier, 2012; Vallerand, 2008 ), soit sa complétude (Carlier et

al., 2012; Cattonar, 2006; Riopel, 2006; Perez-Roux, 2003), sans toutefois rendre compte des processus internes permettant le passage d’un facteur à l’autre, ni les interactions entre eux, un peu à l’image de la boîte noire béhavioriste.

Ce choix méthodologique impose toutefois des critères de rigueur scientifique particuliers quant à l'échantillonnage, à la collecte et à l'analyse des données.

2 DÉFINITION DE L’ÉCHANTILLON