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Lors de son entrevue, Cloé nous a confié que ses stages avaient démontré qu’elle était de nature très rigide, ce qu’elle aimerait bien pouvoir améliorer.

Je me vois rigide. Et puis, ça été (sic) confirmé parce que dans … comment ça s'appelle, le … ce qu'ils doivent remplir, le questionnaire, tu sais, à la fin de chaque stage, le SOMA7. Ce qui ressortait, c'est que je

n'avais pas d'humour [...] Donc, je suis … je suis rigide, je suis directive et je sais qu'il faut que je m'améliore là-dessus. (Entrevue Cloé p. 27) Je vais me perfectionner, c'est-à-dire je vais arrêter d'être rigide et faire des cours magistraux. (Entrevue Cloé, p. 29)

Pour la première journée de l’année scolaire, Cloé effectue une suppléance en éthique et culture religieuse. Le cours débute et elle se sent en confiance. Or, une élève se met à discuter avec sa voisine et à utiliser un langage inadéquat, ce qui fait réagir Cloé.

Or, si pendant 5 minutes, j’ai l’attention des élèves, il y en a une qui se met à parler avec sa voisine et même à dire « fais chier ». Cela m’énerve (intérieurement), je la fais changer de place. Elle s’exécute de mauvaise grâce. (Cloé, 1)

7 Le SOMA est une mesure évaluative de l’Université du Québec à Montréal. Il s’agit d’un

questionnaire que les élèves du stagiaire doivent compléter lors de la dernière leçon du stagiaire. Ce questionnaire fait partie de l'évaluation du stagiaire et comporte des questions ouvertes et fermées sur leur appréciation du stagiaire.

Cette situation perturbe Cloé. En effet, elle s’était promise d’être plus détendue mais à peine cinq minutes passées, elle sévissait auprès d’une élève. Elle perçoit qu’elle ne connaît aucune autre manière d’intervenir.

Cela m’a énervé (sic) parce que je m’étais promise d’être relax et dès les 5 premières minutes de cours je sévissais et, d’autre part, j’ai ressenti de la peur, car je suis toujours dans le même pattern pour résoudre les comportements inadéquats minimes, je n’arrive pas à les empêcher de parler d’une autre façon. (Cloé, 1)

Quelques semaines plus tard, elle effectue une suppléance en mathématique dans une classe ressources, c’est-à-dire une classe dont les élèves éprouvent des difficultés d’apprentissage. Au début du cours, des élèves viennent se présenter à elle et commencent à discuter. De ce fait, elle « décide de jouer la prof gentille en ne faisant pas trop de remarques » (Cloé, 5.1). Mais rapidement, ça ne fonctionne plus et Cloé intervient: « Ils se parlent tous entre eux, se chamaillent. Je boue intérieurement. Mais, je souris et je fais changer de place un des élèves. » (Cloé, 5.1)

Au cours des mois qui suivent, Cloé ne mentionne pas d’autres situations en lien avec cette problématique dans son journal de bord. Toutefois, en mai, une entrée brève mentionne que si tout se déroule bien avec deux de ses groupes, elle ne s’en sort toujours pas avec la gestion de classe de son 3e groupe. Tout comme pendant son

stage quatre, elle sent qu’elle frappe un mur et que c’est à elle de changer son comportement. Elle ignore toutefois comment faire.

Je ne m’en sors pas en termes de gestion de classe avec mon 3e groupe. Je

commence sérieusement à frapper un mur et je sais que c’est principalement à moi de changer mon comportement pour calmer le jeu. Je n’ai pas encore trouvé comment. (Cloé, 20.3)

Pour ajouter au fardeau, la direction modifie les directives de l’école:

On ne peut plus punir les personnes au comportement inadéquat car cela engendre trop d’administratif à la direction puisque que les élèves ne vont

pas en retenue. La consigne est donc de ne plus les y envoyer! Maintenant, cela entre dans la gestion de classe. (Cloé, 20.2)

À la suite de ce changement, Cloé choisit « l’option de sévir de façon plus importante et systématiquement dans son groupe difficile » (Cloé 21), ce qui améliore sensiblement la situation. D’ailleurs, dans sa dernière fiche, Cloé constate qu’elle n’est « pas assez sévère les premières semaines » (Cloé, 24).

2.6.1 Description de l’articulation entre les sous-identités

Au début de son insertion professionnelle, Cloé mentionne un dilemme assez important entre ses repères identitaires. En effet, les rétroactions reçues des élèves, des enseignants associés et des superviseurs de stages (SIS) ont démontré qu’elle était une enseignante rigide, directive, possédant peu d’humour (SIPr – Pratique déclarée). Ces constats sont en cohérence avec plusieurs traits de sa personnalité, Cloé se définissant elle-même comme une personne analytique, cartésienne, cérébrale et rigoureuse (SIP – Qualités, SIP – Défauts, SIP – Faiblesses). Toutefois, elle souhaiterait être plus souple et s’éloigner de l’aspect magistral de l’enseignement, ce qui, une fois sur le terrain, présente plusieurs obstacles, notamment son manque de créativité.

Je suis une personne très théorique, très analytique, donc moi je suis forte aux examens. On me dit qu'il faut bucher 50 pages, bien moi, je les apprends et puis je suis très bonne en théorie. Mais en pratique, quand ça m'arrive … pourtant, en général, je suis très spontanée et je fais assez confiance à mon intuition. Mais, par contre, je suis beaucoup trop concrète, beaucoup trop cartésienne […] Et quand il s'agit de faire de la créativité, parce que je ne suis pas créative moi, donc il faut que je regarde ce qui existe. (Entrevue Cloé, p. 23 à 25)

Une analyse plus poussée des repères identitaires de Cloé nous permet de penser que ce désir de souplesse est attribuable à ses modèles. À cet effet, Cloé nous parle, dans son entrevue, des modèles qui l’ont influencée. Le premier est Monsieur

Pierre, son instituteur de 6e année, qui l’a influencée par sa gentillesse, sa marginalité

et sa capacité à mettre en valeur les forces des élèves.

Il m'a marquée tout simplement dans un premier temps parce qu'il était très gentil et puis, il m'appelait sa roue de secours. Comme je te disais, j'étais très bonne en calcul mental grâce à mon père, et puis à l'époque, on apprenait le calcul mental. […] Donc à chaque fois que quelqu'un ne savait pas, il m'appelait sa roue de secours: « On va faire appel à la roue de secours. » Donc, j'étais valorisée sur ces deux matières, la récitation, où je dépannais les gens, et le calcul mental. C'est toujours moi qui avais 20 sur 20, donc je l'aimais bien parce qu'il m'a mis en avant sur deux points, sur deux disciplines […] et parce qu'il était atypique, il mettait des sabots alors qu'on était quand même en ville, il avait sa façon d'être, sa personnalité, différentes des autres enseignants, il n'était pas dans le moule et j'aimais ça, alors que moi je devais être toujours dans le moule. (Entrevue Cloé, p. 11 à 12)

Son deuxième modèle est son père. Or, si elle lui attribue d’avoir été un excellent pédagogue, elle lui reproche aussi d’avoir été trop sévère.

Il était un excellent pédagogue. Je comprenais tout de suite ce qu'il disait, vraiment, et puis, on avait un … de toute façon, toute la classe avait intérêt à écouter, si on avait Monsieur Taillon, il fallait se taire et écouter. Mais c'est vrai que ses cours … bon nombre d'écoliers comprenaient parce qu'il était excellent, c'est juste qu’il aurait pu être un peu moins sévère dans la vie et puis pour les écoliers aussi. (Entrevue Cloé, p. 12)

Ainsi, on remarque que sa théorie d’action souhaitée (SIPr) est, en quelque sorte, le reflet de son désir de ressembler davantage à son premier modèle, plus ouvert, et de s’éloigner du deuxième modèle qui, selon ses dires, aurait pu être moins sévère. Or, si cette ambition est pleine de bonne volonté, dans la réalité, elle se heurte à la sous-identité personnelle de Cloé et devient rapidement une source de frustration. Dans un premier temps, Cloé mentionne que ce qu’elle aimait de Monsieur Pierre était qu’il ne soit pas « dans le moule » alors qu’elle devait y être. Dans un deuxième temps, lorsque Cloé adopte une position plus souple, comme lorsqu’elle décide de « jouer à la prof gentille en ne faisant pas trop de remarques » (Cloé, 5.1), elle augmente la pression sur sa sous-identité personnelle. En effet, les élèves « se parlent

tous entre eux, se chamaillent » (Cloé, 5.1) ou ils se mettent « à parler avec [leur] voisine » (Cloé, 1), ce que Cloé semble interpréter, observe-t-on, comme une forme de désobéissance. Ils devraient être en train de travailler ou être en silence.

Les élèves sont extrêmement silencieux. […] Tout marche impeccable (sic). C’est le meilleur cours de ma petite carrière en enseignement. TOUS les élèves sont attentifs, silencieux, les trois quarts participent durant tout le cours, je maitrise mon sujet, je donne beaucoup d’exemples, je les questionne souvent. TOUT A FONCTIONNÉ et AUCUNE discipline à faire. (Cloé, 3)

Selon sa perception, ce ne sont plus seulement sa rigueur ou son efficacité qui sont remis en cause (SIP –Qualités), mais aussi son principe d’obéissance (SIP – Principes de vie et valeurs). Ainsi, lorsqu’elle adopte une posture plus souple, sa sous-identité personnelle s’oppose à la fois à ses sous-identités professionnelle et située, ce qui entraine une insatisfaction quant à la gestion du groupe classe, engendrant ainsi une certaine frustration comme le démontre la figure 17.

Plus tard dans l’année, la décision de la direction de ne plus sanctionner par la retenue oblige Cloé à prendre une position définitive et elle opte pour « sévir de façon plus importante et systématiquement » (Cloé, 21), ce qui améliore la situation. On comprend ainsi que de conserver sa pratique déclarée (SIPr) lui a permis de rétablir l’équilibre entre ses trois sous-identités puisque celles-ci ne s’opposent plus désormais, comme le montre la figure 18.

Figure 18 - Satisfaction liée à la gestion de classe

Ainsi, on constate une amélioration du bien-être professionnel de Cloé lorsqu’elle tend à se rapprocher de sa pratique déclarée plutôt que de sa théorie d’action souhaitée. On peut alors penser que, si les modèles constituent le premier répertoire d’intervention des enseignants novices (Flores et Day, 2006; Lamote et Engels, 2010), ces dernières doivent tout de même être en assonance avec les caractéristiques individuelles des novices pour pouvoir être adoptées.