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En plus de sa tâche d’enseignement, la tâche de Béatrice comporte cinq heures de francisation par semaine. Cette solution est souvent utilisée dans les écoles où un trop faible nombre d’élèves allophones ne peut justifier la création d’une classe dite d’accueil. L’élève est alors intégré à une classe correspondant à son niveau académique et bénéficie d’un enseignement supplémentaire en français

individuellement ou en petit groupe. Au début de septembre, Béatrice commence la francisation avec le petit Joël. Toutefois, une surprise de taille l’attend.

Je savais que mon élève faisait partie d’une classe DIMS [déficience intellectuelle moyenne à sévère], qu’il était afghan, que ça fait 1 an et demi qu’il est au Québec et que sa mère lui parle dari et son beau-père en anglais, mais je ne savais pas qu’il était trisomique et qu’il n’était pas tout à fait autonome. En effet, le petit Joël a de la difficulté à parler dans sa propre langue. Je n’ai même pas son dossier de l’année passée pour connaître au moins ce qu’il a appris. Je trouve que c’est un énorme défi. (Béatrice, 7)

Béatrice réalise alors le défi qui l’attend. Son objectif principal est de briser son isolement en s’assurant qu’il comprenne lorsque les autres, adultes comme élèves, veulent communiquer avec lui. « Je suis consciente qu’il ne parlera pas correctement, mais au moins, il faudrait qu’il comprenne lorsque nous voulons communiquer avec lui. » (Béatrice, 7) Pour se faire, elle veut d’abord créer un lien avec lui.

Mon objectif premier pour le moment est de créer un lien avec lui. Je ne peux pas lui apprendre quelque chose sans avoir un lien avec cet élève. Un enfant trisomique n’est pas facile d’approche. De plus, il est dans un nouvel environnement. Je vais y aller graduellement avec ce petit Joël! (Béatrice, 7)

Par la suite, elle veut l’impliquer davantage dans différentes activités : Je l’amène souvent dans ma classe et mes élèves l’adorent. (Béatrice, 19.1)

Quand mes élèves sont allés à la cuisine, j’ai été chercher (sic) Joël pour qu’il vienne avec nous popoter. Il a adoré et c’était agréable de le voir avoir du plaisir. (Béatrice, 19.2)

Toutefois, Béatrice remarque que l’enseignante régulière de Joël le met souvent à l’écart, ce qui la déçoit et la rend triste. Selon elle, Joël comprend très bien quand on s’adresse à lui.

Je trouve ça triste que l’enseignante de Joël, dans la classe DIMS, le mette souvent à l’écart. Ça me déçoit énormément!!! Le pire, c’est que Joël comprend très bien quand nous lui parlons mais plusieurs personnes préfèrent l’ignorer!! (Béatrice, 19.2)

Devant cette situation, Béatrice décide de rencontrer le directeur et de lui faire part de son opinion concernant l’implication de Joël dans l’école : « J’en ai parlé au directeur pour l’implication de Joël dans l’école… Il a dit être d’accord avec moi! J’ai hâte de voir si ça va changer un peu… À suivre. » (Béatrice, 19.2)

1.5.1 Description de l’articulation entre les sous-identités

Dans le cas de Joël, la sous-identité professionnelle évolue au fil des interventions de Béatrice. Nous diviserons donc cette situation en deux parties, soit le premier contact et l’intégration de Joël. Malgré le fait que l’intégration de Joël amènera Béatrice à remettre en question l’agir professionnel d’une collègue, nous ne ferons pas l’analyse de cette négociation. En fait, le journal des moments ne donne pas suffisamment d’informations quant à la progression de la situation à la suite de cette intervention pour faire une analyse adéquate. Nous l’avons donc délibérément omise.

1.5.1.1 Le premier contact. Dans le cas de Joël, le contexte particulier de la sous-

identité située, un élève trisomique qui « s’est inventé une langue parce qu’il est dans son monde » (Béatrice, 19.1), se coordonne à la fois à la sous-identité personnelle et à la sous-identité professionnelle de Béatrice. À cause de son handicap, il est difficile d’entrer en contact avec Joël. Lors de ses premières rencontres avec lui, Béatrice note l’importance de la création d’« un lien avec lui » (Béatrice, 7) (SIPr - Idéal professionnel). Elle est d’ailleurs consciente que, compte-tenu des particularités de cet élève, cette étape ne sera pas sans heurt, qu’elle devra se montrer patiente et « y aller graduellement avec ce petit Joël » (Béatrice, 7) (SIPr - Pratique déclarée).

Heureusement, sa nature patiente et optimiste (SIP – Qualités) lui sera d’un grand secours. La figure 7 montre ces relations.

Figure 7 - Briser l'isolement de Joël

On observe que la coordination présente entre les trois sous-identités de Béatrice lui a permis d’atteindre l’objectif qu’elle s’était fixée et de briser l’isolement de Joël. Il ne s’agit plus d’un élève particulier avec lequel on doit créer un lien, mais d’un élève avec qui on a un lien et dont on doit combler le besoin d’apprentissage. Cette évolution de la sous-identité située ne sera pas sans conséquence. Celle-ci sera l’amorce d’un nouveau processus identitaire.

1.5.1.2 L’intégration de Joël. Béatrice s’était fixée comme objectif de l’impliquer

davantage. Pour ce faire, elle va l’intégrer à ses propres élèves (SIPr - Démarches privilégiées), et ce, même s’il ne fait pas partie de son groupe habituel. On remarque que cette intervention semble être née de la coordination entre les sous-identités personnelle et professionnelle. En effet, avant son insertion professionnelle, Béatrice avait déjà mentionné l’idée de mélanger ses élèves comme étant une pratique intéressante. Toutefois, cette démarche s’intégrait dans un contexte où elle

enseignerait le français à des classes régulières : « on peut jumeler avec une autre classe, des classes de français. » (Entrevue Béatrice, p. 29) Or, face à ce contexte fort différent (SIS), elle utilise sa capacité d’adaptation (SIP – Forces), pour adapter son approche et tenter l’expérience. Elle l’amène avec elle en classe et l’invite à se joindre à eux lors d’activités de cuisine ou de bricolage. Elle est alors surprise de constater que ses élèves adorent Joël. « Ça m’a beaucoup surprise, mais je suis fière d’eux. » (Béatrice 19.1)

On perçoit alors que la sous-identité professionnelle, en se coordonnant à la sous-identité personnelle, a permis à Béatrice d’adapter sa démarche pour pouvoir répondre aux besoins particuliers de son élève. En contrepartie, les réactions des élèves confirment la pertinence d’avoir mobilisé cette composante identitaire dans la situation, renforçant ainsi le lien entre la sous-identité située et la sous-identité professionnelle. Ces relations sont présentées dans la figure 8.

Figure 8 - Intégration de Joël

La réaction positive de Joël ainsi que celle de ses élèves réguliers par rapport à cette intégration ne seront pas sans conséquences. Ce sont ces éléments, constitutifs

de la sous-identité située, qui la mèneront à remettre en question l’attitude de sa collègue qui elle, semble « le mettre souvent à l’écart » (Béatrice, 19.2). Conséquemment, elle rencontrera le directeur pour lui faire part de ses observations et encourager le milieu à l’impliquer davantage dans l’école. Toutefois, le journal des moments de Béatrice ne nous mentionne pas si la situation a évolué dans le sens voulu.