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Au cours de la première moitié de l’année scolaire, Cloé fait beaucoup de suppléance. Cela l’amène à affronter ce qu’elle a identifié, dans son dernier stage, comme sa plus grande difficulté : la gestion de classe. Ce stage lui a confirmé qu’elle éprouvait des difficultés à s’éloigner suffisamment de son contenu pour voir ce qui se passe dans la classe et à anticiper les moments où elle ouvre la porte aux comportements problématiques.

Et puis je sais aussi que je suis trop dans mon contenu, c'est-à-dire que je suis … j'ai tellement bien préparé que je sais ce que je dois dire, que si j'ai des questions, on ne m'aura pas forcément, je saurai répondre, mais je ne vois pas les petits signes qui font me dire: « Bon Cloé, maintenant oublie, arrête d'être cérébrale, regarde, il y a des choses qui se passe devant toi. » (Entrevue Cloé, p. 27)

À la fin du mois de septembre, Cloé effectue une suppléance en 4e

secondaire, suppléance qu’elle qualifie d’entrée de jeu comme étant la pire de sa vie : « Suppléance du mardi 21 septembre, remplacement en maths : la pire période de cours de ma vie pour l’instant avec des secondaires 4! » (Cloé 8.1) Au début de la période, Marc, un élève, se présente en classe. Or, il s’avère qu’il ne s’agit pas de sa classe, ce que Cloé ignore. Avec une certaine agitation, tous les élèves attendent impatiemment la réaction de Cloé. Pendant la prise des présences, Marc commence à discuter et à rire bruyamment avec d’autres élèves, et ce, malgré les interventions verbales de Cloé. Il va même jusqu’à lever la main lorsqu’elle cite quelqu’un, ce qui fait bien entendu rire les élèves, Puis, il met de la musique, monte sur son pupitre et se met à danser. Cloé ne sait plus quoi faire.

Je ne sais pas quoi faire, je ne fais que répéter « Tu arrêtes et tu descends », tout en levant la tête vers lui (car il est debout sur la table…). Je suis dans l’impasse, que faire s’il ne m’obéit pas? Je ne veux pas appeler quelqu’un de peur de me ridiculiser en n’utilisant pas bien l’interphone. (Cloé, 8.1)

Enfin, Marc redescend de son bureau et quitte la classe. Cloé en profite pour lui dire de sortir, ce qu’il fait en niaisant. Tout en essayant de calmer le reste de la classe, Cloé comprend qui est cet élève : « C’est là que ça me fait tilt. Je l’avais vu une fois l’an dernier en secondaire 4, donc c’est un secondaire 5 qui n’avait rien à faire dans cette classe. » (Cloé, 8.2) Elle termine tant bien que mal l’appel mais lorsqu’elle envoie un élève porter la liste des absences au secrétariat, la situation dégénère.

Je finis la liste des présences, donne la liste des absences à un élève qui doit l’amener au secrétariat (procédure). Quand il ouvre la porte, Marc en profite pour rentrer à nouveau et à crier dans la salle. Je me mets aussi à crier, 3 profs sortent dans le couloir, le directeur est dans le couloir. Marc court dans le couloir, le directeur me fait signe qu’il s’en occupe. Je réintègre ma classe qui se calme petit à petit. Puis la période se finit « tranquillement ». Je ne sais pas du tout ce qu’il faut faire dans ce genre de situation. (Cloé, 8.2)

Quelques semaines plus tard, Cloé effectue un remplacement d’une semaine pour remplacer un de ses anciens collègues de français. Il est entendu qu’elle doit transmettre un contenu aux élèves. Or, si tout se passe généralement bien, un élève lui cause plus de soucis que les autres. Elle est à nouveau dans l’impasse.

Mais que faire quand je suis tannée d’envoyer le même élève dans le couloir parce qu’il lance des boulettes malgré mes avertissements? Je sais que les sanctions ne font rien sur son comportement. Je ne sais pas quoi faire pour qu’il ne dérange pas le cours. (Cloé, 10.1)

À la mi-novembre, elle se sent impuissante devant une autre situation : « Je note seulement qu’il est inutile de dire « tu arrêtes » à un élève, ça n’a que très peu d’impacts, il continuera de parler, il ne peut pas s’en empêcher. Mais je n’ai toujours rien trouvé d’autre ». (Cloé, 12.1) D’ailleurs, cette période tourne rapidement au cauchemar. À sa lecture, on comprend que plusieurs événements se déroulent simultanément et que Cloé est vite submergée par ce qui se passe.

Les faire asseoir aux places qui leur sont assignées a été un calvaire. En plus, ils prennent les noms des copains durant les présences pour ne pas montrer qu’ils ne sont pas à la bonne place. Il y a deux gros tannants et plein de pipelettes, reines de l’argumentation. Elles contestent ce qui doit être fait. L’exercice ne doit pas être rendu à la fin du cours. Pourtant, j’ai la consigne contraire. Et je tombe dans le piège de la justification. Je n’ai pas fini les présences, je n’ai toujours pas obtenu le silence que j’en ai 3 à mon bureau qui veulent me poser des questions, elles rechignent à retourner à leur place pour que je finisse l’appel. Pendant ce temps, les autres en profitent pour se chamailler, rire ou se déplacer. Je retombe dans le modèle de la prof qui crie pour se faire entendre et pour se faire obéir et ça ne fonctionne pas du tout. (Cloé, 12.1 à 12.2)

Elle terminera tout de même sa période non sans avoir fait certains compromis. Je lâche un peu de mou pour que les choses se calment par elles-mêmes en leur distribuant l’exercice à rendre. Bien évidemment, ils ne respectent pas la consigne de travailler seuls, puis en équipes si tout va bien, ils se mettent directement en équipes alors que je n’ai pas fini la distribution. J’abandonne, je laisse faire sur ce coup-là. Ils se mettent à travailler. Bruyamment certes, mais ils travaillent. Cela va durer jusqu’à la fin de la période. Ils n’ont pas arrêté de parler fort, mais, au moins, ils ont travaillé et j’ai obtenu leur feuille à la fin. (Cloé, 12.2 à 12.3)

2.5.1 Description de l’articulation entre les sous-identités

L’ensemble de ces situations, quoique banales en surface, présentent toutes un point commun. Cloé semble être démunie de moyens d’intervention devant certaines situations. « Je suis dans l’impasse, que faire s’il ne m’obéit pas? » (Cloé, 8) « Je ne sais pas quoi faire pour qu’il ne dérange pas le cours. » (Cloé, 10) « Mais je n’ai toujours rien trouvé d’autre. » (Cloé, 12.1) Une analyse attentive des relations entre les sous-identités nous permet d’élaborer une hypothèse.

Dans chacune des situations, les attitudes des élèves (SIS) présentent une similitude. Il s’agit toujours de comportements inadéquats ou non désirés. Or, ceux-ci s’opposent à la sous-identité personnelle (SIP- Qualités, SIP- Principes de vie et valeurs) de Cloé. En réaction, elle applique les interventions qu’elle tire soit des

apprentissages réalisés lors de ses expériences professionnelles antérieures, soit des moyens liés à sa pratique déclarée (SIPr), ce qui subordonne alors la sous-identité professionnelle à la sous-identité située. Cloé doit ajuster ses interventions (SIPr) en fonction des élèves (SIS), comme le présente la figure 16.

Figure 16 - Réactions aux attitudes des élèves

Toutefois, dans le cas présent, Cloé ne semble pas posséder un répertoire de stratégies de gestion de classe assez large pour lui permettre d’envisager plusieurs options. Ainsi, lorsque ses interventions se révèlent inefficaces, la sous-identité professionnelle se retrouve insuffisante mettant du coup un frein au processus identitaire. Cloé se retrouve alors dans l’impasse. Pour être en mesure de réamorcer le processus identitaire, il faudrait que Cloé puisse tenter de nouvelles approches. Cependant, sa sous-identité personnelle s’oppose à cette avenue. En effet, son manque de créativité (SIP– Défauts) rend difficile cette initiative : « Et quand il s'agit de faire de la créativité, parce que je ne suis pas créative moi, donc il faut que je regarde ce qui existe. » (Entrevue Cloé, p. 25) De plus, l’importance qu’elle accorde

au regard de l’autre (SIP – Faiblesses) freine les expériences : « Je ne veux pas appeler quelqu’un de peur de me ridiculiser en n’utilisant pas bien l’interphone. » (Cloé, 8) Pour mettre fin à l’impasse dans laquelle elle se trouve, il lui faut accepter de faire certains compromis, comme tolérer le travail d’équipe, ou accepter une aide extérieure, par exemple le directeur dans le cas de Marc.