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Dans son journal des moments, Diane nous fait le récit de trois contrats obtenus au cours de l’année scolaire, et ce, dans différentes écoles. Cela signifie qu’elle se voit confier le remplacement d’un enseignant de français pendant plus d’une semaine. Or, ces contrats ont tous un point commun : « 4 enseignants que je remplace cette année (plus d’une semaine) et le 4e à être mal organisé8 ». (Diane, 21)

8 Le journal des moments ne contient des informations que sur trois remplacements. Nous ignorons si

À la fin du mois de mars, Diane remplace pendant huit jours un enseignant de français de 5e secondaire. Toutefois, l’enseignant ne lui a laissé que du travail dans

le cahier d’exercices. Elle décide alors de bâtir ses propres activités, ce que les élèves semblent apprécier. Elle se rend compte du même coup qu’enseigner lui manquait.

Je me rends compte qu’enseigner me manquait beaucoup. J’ai tellement eu de plaisir à bâtir des activités et à donner des cours. (Je me suis donnée du travail puisque j’aurais simplement pu leur faire faire du cahier d’exercices.) […] Certains étaient vraiment heureux de faire des activités et ils appréciaient beaucoup le travail que je faisais. […] Pour ma part, j’étais contente que les élèves s’adaptent bien à ma façon de travailler et qu’ils participent à mes activités. (Diane, 18.1)

Fin avril, elle obtient un nouveau contrat, soit le remplacement d’une enseignante de français. Or, ce contrat suscite plusieurs craintes chez Diane.

Je vais remplacer une enseignante dans une autre école. Peurs :

 Je ne connais pas l’école  Je ne connais pas la clientèle

 J’entends souvent de mauvais commentaires

 Les groupes de l’enseignante ne sont sûrement pas faciles

 Elle a une grosse tâche (PP3-PP49-groupe régulier-PPO10).

(Diane, 19)

Encore une fois, Diane se heurte à une organisation déficiente. Non seulement l’enseignante est-elle en retard à leur rencontre, mais Diane apprend que ce sera elle qui donnera les cours de la journée, ce qui n’était pas prévu. Normalement, son contrat ne doit commencer que le lendemain et elle devait utiliser cette journée pour se préparer et rencontrer l’enseignante.

9 Les groupes PP3 et PP4 désignent des élèves présentant des difficultés scolaires variées : difficultés

d’apprentissage, absentéisme, risque de décrochage, etc. La grille horaire de ces groupes ne comporte que les matières essentielles à l’obtention d’une attestation d’étude secondaire ou des prérequis pour l’inscription à un diplôme d’étude professionnelle.

10 PPO est l’acronyme de « projet personnel d’orientation ». Il s’agit d’un cours permettant aux élèves

Je me présente à l’école à 8h 30 pour la rencontre qui était planifiée avec l’enseignante. 9h 5 : arrivée de l’enseignante. […] 9h 20, j’apprends que c’est moi qui donne les cours de la journée. (Une chance que la personne de la c.s. m’avait dit que le remplacement commençait le 21 avril et que j’aurais 1 journée avec l’enseignante pour me préparer). (Diane, 20)

En discutant avec l’enseignante, elle comprend que ce remplacement ne sera pas de tout repos. Aucun travail n’est prévu en dehors du manuel scolaire des élèves, aucune planification n’a été faite et plusieurs corrections seront à faire. L’anxiété gagne rapidement Diane.

10h 30 : Le stress embarque. Je ne sais pas où je m’en vais, je me rends compte que je vais avoir plein de correction (ils terminent une p.é. [production écrite] aujourd’hui), il n’y a rien de préparé sauf du manuel (Boring!). (Diane, 20)

Finalement, elle apprendra que la chirurgie de l’enseignante est reportée à une date ultérieure, mettant fin au contrat.

Début juin, Diane obtient un dernier contrat. De retour dans l’école de son premier contrat, Diane se sent ballotée d’une école à l’autre: « Je me sens pitchée (sic) d’un bord et de l’autre cette année. » (Diane, 21) Une fois de plus, l’organisation déficiente de l’enseignant ne lui plait guère: « Hier soir, j’ai reçu un courriel de l’enseignant dans lequel il m’écrivait le travail laissé. […] Il me disait d’aller louer dans un club vidéo un reportage parce que le sien ne fonctionnait plus. Une chance que je l’ai trouvé sur Youtube ». (Diane, 21)

Ces nouvelles expériences amèneront Diane à réfléchir sur son attitude envers d’éventuels remplaçants lorsqu’elle aura un jour un contrat : « Point à retenir : si je m’absente à long terme, laisser du travail clair pour le remplaçant. » (Diane, 21)

3.5.1 Description de l’articulation entre les sous-identités

Dans son journal des moments, Diane affirme que ces situations ont toutes un point commun, soit le manque d’organisation des enseignants qu’elle remplace : « 4 enseignants que je remplace cette année (plus d’une semaine) et 4e à être mal

organisé. » (Diane, 21) Toutefois, une lecture plus fine de ces situations nous amène à penser que ce n’est pas tant la désorganisation des enseignants qui dérange Diane, mais bien leur manque d’investissement (SIPr – Mauvais enseignant) : retard, planification ennuyante, manque de matériel, etc. C’est d’ailleurs cette perception qui semble être au cœur du processus identitaire observé ici.

Dans le premier contrat, la planification que propose l’enseignant (SIS) se coordonne à la sous-identité personnelle de Diane en comblant son besoin de planification (SIS – Besoins). Toutefois, cette même planification s’oppose à sa sous- identité professionnelle. En effet, la nature du travail laissé par l’enseignant, en l’occurrence du travail dans le cahier d’exercices, s’oppose à sa pratique déclarée, notamment parce qu’elle considère ce travail comme étant ennuyeux. « Il n’y a rien de préparé sauf du manuel. (Boring!) » (Diane, 20) Cette opposition entre sa sous- identité professionnelle et sa sous-identité située n’entraine pas à proprement parler une remise en question ou une tension chez Diane. Toutefois, si petite soit-elle, elle est suffisante pour générer une action de la part de Diane et l’amener à vouloir s’investir au-delà de ce qui lui est demandé. Elle s’engage ainsi dans la conception de matériel personnalisé : « Je me suis donnée du travail puisque j’aurais simplement pu leur faire faire du cahier d’exercices. » (Diane, 18.1) La figure 26 présente cette relation.

Figure 26 - Planification du premier contrat

De cette manière, le processus de création d’activités plus personnalisées dans lequel s’est engagé Diane permet le retour d’une cohérence entre les trois sous- identités, notamment par une coordination nouvelle entre la sous-identité professionnelle et la sous-identité située et l’intervention d’un deuxième repère identitaire de la sous-identité personnelle. Cette personnalisation lui permet d’adopter un style plus dynamique (SIPr – Pratique déclarée) et plus personnel (SIPr – Modèle enseignant). Conséquemment, s’engager dans ce processus lui procure un sentiment de bien-être (SIP – Principes de vie et valeurs) qui la conforte dans ce choix professionnel: « Je me rends compte que l’enseignement me manquait beaucoup. J’ai tellement eu de plaisir à bâtir des activités et à donner des cours. » (Diane, 18.1) Cette relation est exprimée par la figure 27.

Figure 27 - Retour au bien-être professionnel

Lors du deuxième contrat, l’enseignante propose elle aussi une planification liée au manuel scolaire, ce que Diane perçoit, une fois de plus, comme ennuyant. En ce sens, le schéma du premier contrat se répète, d’autant qu’il est prévu que Diane dispose d’une journée pour se préparer. Elle pourra alors s’investir à nouveau et préparer du matériel qui correspond mieux à sa pratique déclarée.

Or, la réalité est tout autre. Peu après son arrivée, on lui annonce qu’elle devra donner les cours de la journée, modifiant ainsi les relations entre les sous- identités. Si auparavant les sous-identités personnelle et située étaient en coordination, elles s’opposent désormais. Diane n’aura pas de temps pour pouvoir se préparer adéquatement (SIP – Besoins), et ce, même si l’enseignante a fourni une planification. « Je ne sais pas où je m’en vais […]. » (Diane, 20)

Aussi, cette modification de l’horaire (SIS) a un impact important sur la sous-identité professionnelle qui se retrouve alors subordonnée à la sous-identité personnelle. En effet, à cause de ses stages, Diane sait qu’arriver en classe mal

préparée et avec une organisation déficiente (SIPr – Difficultés vécues en exploration professionnelle) présente plusieurs risques quant à sa gestion de classe : « Ce stage-là m’a fait voir que si j’arrivais désorganisée en classe, bien c’est sûr que ça fonctionnait mal. » (Entrevue Diane, p. 13) De plus, Diane voit ses craintes liées à l’insertion professionnelle (SIPr) se matérialiser, notamment vis-à-vis la clientèle et les collègues, exacerbant ainsi son besoin d’être préparée. Enfin, le comportement de l’enseignante qu’elle remplace (SIS), notamment son retard et sa planification sommaire, combiné à la désorganisation du milieu, se coordonne à sa sous-identité professionnelle. Conséquemment, Diane sent le stress s’imposer. Dans ce contrat, ce n’est pas tant la désorganisation de l’enseignante que les conditions d’embauche qui provoquent la situation de crise chez Diane, comme le démontre la figure 28.

Figure 28 - Deuxième contrat

Le troisième contrat donne l’occasion à Diane d’amorcer une réflexion sur les différents contrats obtenus au cours de l’année scolaire. Une fois de plus, si l’enseignant fournit à Diane des informations sur le travail à réaliser en son absence, il lui mentionne aussi ne pas disposer du support audiovisuel et qu’il est de sa

responsabilité de le trouver. « Il me disait d’aller louer dans un club vidéo un reportage parce que le sien ne fonctionnait plus. » (Diane, 21)

Ici, contrairement aux deux situations précédentes, la désorganisation de l’enseignant n’enclenche pas le processus de construction identitaire ni ne modifie les relations entre les sous-identités. Toutefois, il enclenche chez Diane un processus de réflexion sur ses propres interventions l’amenant à bonifier les repères identitaires de sa sous-identité professionnelle (SIPr – Démarches privilégiées).

Point à retenir : Si je m’absente à long terme, laisser du travail clair au remplaçant. (Diane, 21)

Réflexion du jour : Quand j’aurai un contrat,  Être gentille avec les suppléants

 Préparer mes élèves à recevoir des suppléants  Fournir un plan de classe lors des suppléances

 Faire un retour avec les élèves si une suppléance se passe mal. (Diane, 15)

Ainsi, la répétition des mêmes difficultés, vécues à travers différents contrats et diverses conditions, amène Diane à revoir sa propre perception de la profession et à éventuellement modifier sa conduite.