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Si l'on veut rendre compte du fonctionnement organisationnel, il ne suffit pas d'analyser les "output" que sont les choix stratégiques, de décrire la structure de l'organisation, encore faut-il être en mesure d'expliquer par quels processus on aboutità ces choix. Tel est l'objet de l'étude des processus de prise de décision.

A partir des travaux réalisés par G.T.Allison (voir son étude de la crise des missiles de Cuba) (19), il est possible d'identifier trois modèles fondamentaux de la prise de décision stratégique.

1) La décision comme processus rationnel

Dans cette perspective, la décision est le fait d'un acteur unique (individuel ou collectif) dont la conduite est rationnelle au sens des économistes.

(19) Allison, G., Essence of Decision: explaining the Cuban missile crisis, Boston, ed. Little Brown, 1971.

Le processus de prise de décision comporte alors trois étapes. Dans un premier temps, un inventaire de toutes les actions possibles est effectué. Puis, ces différentes actions constitutives du champ des possibles sont évaluées en fonction de critères objectifs et rationnels. Enfin, en fonction des résultats:_de l'évaluation, la meilleure solution est retenue. Cette solution est en fait celle qui permettra de maximiser la réalisation des objectifs préalablement définis. Il s'agit "d'une monorationalité qui exclut tout conflit sur les objectifs et sur la façon de décider' (20).

2) La décision comme processus organisationnel

Dans une organisation, les différentes unités constituent des entités dotées d'une autonomie relative. En effet, chaque unité possède ses propres règles et procédures de fonctionnement. Lorsque la direction leur attribue des objectifs, ces unités ont tendance à les réinterpréter de façon à les rendre compatibles avec les procédures standards (routines) qu'elles utilisent habituellement. Suivant le principe du satisficing (21), dès que la première solution satisfaisante est trouvée, la recherche d'autres solutions est arrêtée. Cette conception de la prise de décision se démarque ainsi nettement du modèle monorationnel.

3) La décision comme processus politique

La décision est ici le résultat d'un jeu politique entre plusieurs acteurs présents dans l'organisation. A la différence du modèle de l'acteur unique, cette vision des mécanismes de décision laisse une place importante aux luttes de pouvoir.

Les objectifs de l'organisation ne sont pas stables et précis mais subissent une permanente redéfinition en fonction de l'évolution des rapports de force. En effet,

(20) Stratégor, op.cit., p.342.

plusieurs agents. ont des intérêts en commun, des coalitions se forment. Les membres de la coalition dominante vont chercher à impo~r leurs objectifs personnels à l'organisation dans son ensemble.

De nombreux autres modèles (plus ou moins proches de ceux identifiés par Allison) ont été définis par des spécialistes des organisations en vue de rendre compte des pratiques décisionnelles. On peut citer à titre d'exemple le modèle "itératif" (22), le modèle "d'allocation des ressources" (23), le modèle "de la poubelle" (24), etc. Dans Pour une nouvelle politique d'entreprise, Jean-Pierre Nioche propose un "modèle général de la décision stratégique" permettant d'expliquer les conditions de validité de ces différents modèles (25).

D -

L'identité

Les recherches sur l'identité des organisations ont été initiées en France par des enseignants du Département Stratégie et Politique d'entreprise du Groupe HEC (R. Reitter, J.? Larçon et B. Ramanantsoa) (26) et par des auteurs américains tels que Kets de Vries (27). Considérant les approches traditionnelles de la culture d'entreprise comme trop superficielles, ces chercheurs ont préféré utiliser la notion

(22) Ghertman, M., La prise de décision,Paris, éd. PUF, 1981.

(23) Bower, J., Managing the Ressource Allocation Process,Harvard, Harvard University Press, 1970. (24) March, J., Cohen, M., Olsen, J., "A Garbage Can Model of Organizational Choice", Administrative Science Quarterly,vo1.17, 1972.

(25) Anastassopoulos, J.P., Blanc, G., Nioche, J.P., Ramanantsoa, B, op.cit, p.149-156. (26) Voir notamment:

Larçon, J.P., Reitter, R., Structures de pouvoir et identité de l'entreprise,éd. Nathan, 1979.

Reitter, R., Ramanantsoa, B., Pouvoir et politique: au delà de la culture d'entreprise, Paris, éd. McGraw-HiII, 1985.

d'identité. Dans la perspective adoptée, la culture appréhendée au travers des productions symboliques n'est plus que la "face émergée de l'iceberg", le signifiant de /'identité. L'identité constitue alors le fondement, les racines de cette culture: "La culture est un vaste (et vague) ensemble de postulats et de symboles liés à l'action collective. Nul ne parviendra jamais à en faire le répertoire complet, faute de temps d'observation (...). L'identité, c'est l'ensemble des caractéristiques de l'entreprise qui la rendent spécifique, stable et cohérente, donc identifiable" (28).

Cette identité peut être appréhendée au travers d'une étude de l'imaginaire organisationnel et des productions symboliques.

1) L'imaginaire organisationnel

L'imaginaire organisationnel est constitué d'un ensemble d'images internes. Une première catégorie de représentations a trait à l'image que les membres ont de leur organisation. Les agents perçoivent ainsi leur organisation comme cohérente ou morcelée, puissante ou faible, juste ou injuste, bonne ou méchante, indépendante ou dépendante, etc.

En outre, chaque individu est amené àacquérir une image de son métier, des qualités morales et professionnelles nécessaires à la réussite dans l'organisation. Vaut-il mieux être diplômé d'une Grande Ecole ou posséder une ancienneté dans la structure? Est-il préférable d'avoir une formation de technicien ou de commercial? etc.

Enfin, il existe une troisième image, celle renvoyant à la carte des pouvoirs. Tout agent dans J'organisation est en effet amené à se poser des questions telles que: qui sont les individus les plus influents? Sont-ils à l'intérieur ou à l'extérieur de l'organisation?, etc.

2) Les productions symboliques

Ces productions symboliques sont des manifestations de l'imaginaire que nous venons d'évoquer et sont constitutives de la structure informelle de l'organisation. Elles peuvent être décomposées en plusieurs catégories: mythes, rites, tabous, etc.

Les mythes sont des "histoires sur l'histoire" de l'organisation. Ils font référence à ses succès passés, à ses époques héroïques, à ses "grands hommes". Le mythe remplit plusieurs fonctions (29). En unifiant les croyances, il contribue à la cohésion du groupe. Il décrit également un ordre social et joue un rôle de régulation. Enfin, il a une fonction "ontologique" (30), c'est-à-dire qu'il rassure les membres de l'organisation. Mais le mythe est aussi un instrument de pouvoir dans la mesure où il peut fonctionner comme instrument de légitimation de l'ordre établi.

Les rites "sont liés aux mythes dont ils permettent l'expression réitérée" (31). Dans toute organisation, il existe des manifestations rituelles plus ou moins formalisées. La grand-messe annuelle à l'occasion de laquelle les principaux dirigeants présentent le bilan de l'exercice écoulé constitue un exemple de rite codifié et souvent reconnu comme tel. A l'opposé, l'identification de nombreux rites plus informels nécessite un véritable apprentissage.

Les tabous se manifestent essentiellement par des interdictions, des restrictions. Ils renvoient à une peur collective que les membres de l'organisation cherchent à fuir en trouvant refuge dans le silence. Ce n'est qu'à l'occasion de crises organisationnelles profondes que ces sujets sont parfois évoqués. Très souvent, la mise à jour d'un tabou induit une remise en cause des imaginaires collectifs.

(29) Stratégor, op.cit., p.412-413.

(30) Voir Durand, G., Les Structures anthropologiques de /'imaginaire, Paris, éd. PUF, 1960. (31) Stratégor, op.cit., p.414.

IV -

De la description

à

l'explication du fonctionnement