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C Des modalités de pratique en concurrence

A l'intérieur des disciplines appréhendées en tant que sous champ du champ du patinage sur glace, il semble possible de mettre en évidence l'existence d'une lutte entre modalités de pratique.

En effet, l'imposition d'une manière légitime de pratiquer, d'un style, etc. peut constituer un enjeu de ce sous champ.

Il n'est pas rare de pouvoir décripter des opinions émises par certains agents comme reflétant cette lutte.

Ainsi, lors des réunions de juges de patinage artistique, l'importance à

accorder aux figures imposée (6) constitue fréquemment un sujet de débat. On voit s'affronter les défenseurs d'une pratique traditionnelle, généralement les agents les plus âgés ou ceux s'étant reconvertis au jugement n'ayant pas réussià

"percer" en tant que pratiquant, et les "réformateurs" (plus jeunes et souvent plus "culturalisés") désireux de voir diminuer le pourcentage des figures imposées lors des compétitions. Depuis une vingtaine d'années, nous assistons à une diminution

(5) Annexe 3 C.

(6) Exécuter des figures imposées consiste à dessiner sur la glace des cercles dont la taille est codifiée. Le patineur doit effectuer plusieurs passages en superposant les traces laissées par la lame de son patin sur la glace. Ces épreuves non spectaculaires se déroulent généralement très tôt le matin dans une patinoire froide et silencieuse.

progressive de l'importance accordée aux figures imposées lors des compétitions. Cette évolution est une conséquence de la "spectacularisation" des pratiques (7). Ce changement s'accompagne d'une évolution du "cour:~"des différentes sous-

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espèces de capital technique. Ainsi, les spécialistes des figures imposées voient progressivement diminuer le rendement de leur capital au profit des spécialistes des figures libres (8).

En hockey sur glace, l'opposition la plus marquée semble être celle existant entre le "hockey de la ville et le hockey de la montagne", symbolisée par la lutte que se livrent les équipes des "Français Volants" (Paris) et du "Mont Blanc" (Chamonix, Mont blanc, Saint gervais). Cette opposition exerce une action structurante sur le champ du hockey sur glace et ce à tous les niveaux. Sur le plan technique, à en croire les spécialistes, la façon de jouer diffère. Mais au delà des différences techniques, il s'agit d'une opposition entre agents sociaux. Il n'est pas possible d'accéder à une véritable compréhension de cet univers associatif si l'on ne prend pas en compte ce principe de structuration du champ. Mme L., épouse d'un président de club de hockey parisien qui est chef d'entreprise déclare: "Certains ne voient que leur clocher (...) A Paris, le niveau intellectuel des joueurs est bien supérieur, ce sont surtout des universitaires alors qu'à la montagne ce ne sont que des menuisiers ou des métiers comme cela (...) ils ne sont pas techniques, ils jouent en force et sont violents." Ces propos comportent des

(7) Concernant l'influence de la "spectacularisation" des pratiques (liée à des impératifs économiques) sur l'évolution des disciplines sportives, voir: Chartier, R., Vigarello, G., "Les trajectoires du sport, Pratiques et spectacles",Le Débat, n° 19, Février 1982, p.SO.

(8) Pierre Bourdieu a mis en évidence l'existence d'un phénomène de dévaluation de certains titres scolaires. (Voir: Bourdieu, P.,La noblesse d'Etat: grandes écoles et esprit de corps, Paris, éd. de Minuit, 1989, p.484.) Il en va ainsi des titres sportifs. Si la possession de médailles en figures imposées permettait en 1960 de devenir enseignant de patinage, le marché est aujourd'hui favorable aux spécialistes des figures libres. Avec la disparition des figures imposées, certains patineurs se retrouvent dans la situation des détenteurs d'emprunts russes!

est clair: il y a hockey et hockey. Pour cette personne, parler de hockey sur glace de façon générale n'a pas de sens. Il yale hockey '~~istingué" et le hockey vulgaire. On retrouve dans ces propos différents principes d'opposition: ville / montagne, intellectuel/manuel, technique / force.

Il est possible de réaliser un parallèle avec le rugby où l'on observe une lutte technique et symbolique entre le Sud Ouest et la capitale. Dans les deux cas, il semblerait qu'en plus du désir d'imposer une manière de jouer ou de pratiquer conformeà leurs dispositions (doncà leur habitus), il faille voir dans les prises de position des agents de véritables stratégies politiques de conquête du pouvoir dans ces organisations associatives.

(9) Concernant les marques de mépris dans les discours, on peut se reporter à Urbin, J.O., L'idiot du voyage. Histoires de touristes. Paris, éd. Plon, 1991.

CONCLUSION

Les résultats obtenus nous ont permis de mettre en évidence l'existence d'un pluralisme de modalités de pratique à l'intérieur d'une même discipline, modalités à analyser à travers différents types d'investissements.

Si méthodologiquement nous avons été confrontés à des problèmes liés au nombre important de facteurs à maîtriser (facteurs en interaction), et rendant par là même l'exploitation des données délicates, il nous paraît tout de même possible d'appuyer l'hypothèse visant à montrer qu'à une pluralité de modalités de pratique semble correspondre un pluralisme social.

En effet, comme le souligne Pierre Bourdieu: "(...) il est rare que l'homogénéité sociale des pratiquants soit si grande que les publics définis par la pratique d'une même activité ne fonctionnent pas comme des champs dans lesquels la définition même de la pratique légitime est en jeu : les conflits à propos de la manière légitime de pratiquer (...) retraduisant presque toujours des différences sociales dans la logique spécifique du champ" (1).

Enfin, il convient de noter que la présence de différentes techniques ne semble pas constituer une condition indispensable à l'existence de modalités différentes. "Du fait que les agents appréhendent les objets à travers les schémas de perception et d'appréciation de leur habitus, il serait na"itde supposer que tous les pratiquants d'un même sport (ou de toute autre pratique) confèrent le même

(1) Bourdieu, P., La distinction critique sociale du jugement, Paris, éd.de Minuit, 1984, p.231 et

pratique" (2).