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c. Les effets de l’insolvabilité du trustee sur le trust

B. Processus législatif

Il n’est pas inutile de passer en revue les diverses modifications dont l’art. 284a LP a fait l’objet au cours du processus législatif pré-parlemen-taire. Ce dernier donne de précieux renseignements sur les contours de la norme actuelle.

1. Le premier avant-projet d’arrêté fédéral

Le premier avant-projet d’arrêté fédéral du 18 décembre 2003 portant rati-fication de la Convention de La Haye (non publié) comportait trois normes relatives à la poursuite d’un trust traitant respectivement du mode de la poursuite (art. 39 al. 4 1erAP-LP), du for (art. 46 al. 2bis 1erAP-LP), et de la notification des actes de poursuite (art. 65 al. 1bis 1erAP-LP). Elles étaient formulées comme suit :

Art. 39 1erAP-LP (nouvel alinéa)

4 Sont également soumis à la poursuite par voie de faillite les trusts au sens du chapitre 9a de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé.”

Art. 46 1erAP-LP (nouvel alinéa)

2bis Le trust est poursuivi au domicile ou au siège d’un trustee. Lorsque

aucun des trustees a son domicile ou son siège en Suisse, le trust est pour-suivi au siège principal de son administration.”

Art. 65 1erAP-LP (nouvel alinéa)

1bis S’agissant de trusts, la notification doit être faite à l’un des trustees.”

Les caractéristiques principales de la poursuite, telles que prévues par le premier avant-projet, étaient les suivantes. Premièrement, selon l’art. 46 al. 2bis 1erAP-LP, le trust pouvait être poursuivi de façon séparée et pour

lui-Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust 153

même, indépendamment du ou des trustee(s). Cette solution était calquée sur la poursuite contre la succession indivise, dont on rappellera qu’elle peut être poursuivie en tant que telle, indépendamment de la communauté des héritiers (cf. art. 49 LP)23. Deuxièmement, le for de la poursuite était prévu au domicile ou au siège du trustee en Suisse, et à défaut au “siège principal de l’administration” du trust. En d’autres termes, le principal cri-tère de rattachement était fonction du trustee, quand bien même l’objet de la poursuite était le trust. Troisièmement, les actes de poursuite devaient être notifiés à l’un des trustees (cf. art. 65 al. 1bis 1erAP-LP). Enfin, le trust était soumis à la poursuite par voie de faillite, conformément à l’art. 39 al. 4 1erAP-LP.

2. Le second avant-projet d’arrêté fédéral

Dans le second avant-projet soumis à la procédure de consultation formelle, les trois dispositions précitées furent remaniées et fondues en une seule norme, devenue l’art. 284a 2eAP-LP. Ce dernier était formulé comme suit :

Art. 284a 2eAP-LP (nouveau) Poursuite pour dettes du patrimoine d’un trust

1 Les poursuites pour les dettes dont répond le patrimoine d’un trust au sens de … LDIP doivent être dirigées contre un trustee en qualité de représentant du trust.

2 La poursuite se continue par voie de faillite. La faillite est limitée au patrimoine du trust.

3 Demeurent réservées la poursuite en réalisation de gage ainsi que la poursuite pour effets de change.”

Contrairement au premier avant-projet non publié, le second avant-pro-jet prévoyait que la poursuite pour les dettes du trust devait être dirigée contre un trustee “en qualité de représentant du trust” (cf. alinéa 1er). Selon le Message, ce changement repose sur l’observation – émise lors de la pro-cédure de consultation – que dans les juridictions qui connaissent le trust, c’est en principe toujours contre le trustee qu’il faut agir, le trust n’ayant pas lui-même la capacité d’être partie. Une poursuite formellement dirigée contre le trust entrerait donc en conflit avec le droit anglo-américain, ce

23 messages (Trusts), p. 608. sur la poursuite contre une succession indivise, cf infra p. 161 s.

qui serait susceptible de poser problème lors d’une procédure de recon-naissance d’un jugement suisse à l’étranger24. L’Office fédéral a été sensible à cet argument et a modifié l’organisation de la poursuite. Selon le Mes-sage : “Le projet soumis à consultation prévoyait donc un autre système : le patrimoine du trust peut et doit toujours être poursuivi de manière indé-pendante. Toutefois, la poursuite doit formellement être dirigée contre le trustee ou contre l’un des trustees en tant que représentant du trust. Ainsi c’est le trustee qui est poursuivi, non pas en qualité de débiteur, mais uni-quement comme représentant du trust.”25

Quant à la réglementation du for de la poursuite, elle a été supprimée dans le second avant-projet sur la base de la justification suivante : “Etant donné que la poursuite doit être dirigée contre le trustee, il est évident que toutes les notifications doivent être adressées à ce dernier et que la pour-suite doit être engagée au for ordinaire du trustee.”26 Enfin, la règle sur la notification des actes de poursuite contenue dans le premier avant-projet n’a pas été reprise, probablement en raison du fait qu’elle était devenue superflue, puisque la poursuite devait être formellement dirigée contre le trustee.

3. Le projet d’arrêté fédéral

Par la suite, d’autres modifications de forme et de fond ont été apportées dans le projet d’arrêté fédéral. L’art. 284a P-LP, dont la teneur est identique à la norme actuelle, prévoyait ce qui suit :

Art. 284a P-LP Poursuite pour dettes du patrimoine d’un trust

1 Lorsque le patrimoine d’un trust au sens du chap. 9a de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP) répond d’une dette, la poursuite doit être dirigée contre un trustee en qualité de repré-sentant du trust.

2 Le for de la poursuite est le siège du trust selon l’art. 21, al. 3, LDIP.

Lorsque le lieu de l’administration désigné n’est pas en Suisse, le trust est poursuivi dans le lieu où il est administré en fait.

3 La poursuite se continue par voie de faillite. La faillite est limitée au patrimoine du trust.”

24 message (Trusts), p. 608 ; cf. aussi mayer (Schweizer Perspektiven), p. 108.

25 message (Trusts), p. 609.

26 message (Trusts), p. 609.

Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust 155

L’on observe que la réglementation du for a finalement été réintroduite mais modifiée. Plutôt que le domicile ou le siège du trustee, c’est le “siège du trust” qui a été choisi comme critère de rattachement. Selon le Message, ce choix se justifie principalement par le fait que le trust – en vertu du principe de territorialité – doit être mis en faillite au lieu où se trouve le centre principal de ses intérêts27, et non pas en fonction du trustee. Nous y reviendrons plus loin28.

c. Les dettes soumises à la poursuite de l’art. 284a LP

Une poursuite au sens de l’art. 284a LP peut être introduite par tout créan-cier dont la créance est issue de l’administration du trust et qui, à teneur de la loi qui le gouverne, incombe directement au fonds du trust29. Comme exposé dans le chapitre précédent, les conditions et les circonstances de la mainmise d’un créancier sur le fonds du trust varient sensiblement en fonction de la loi qui gouverne le trust30. Cette question particulièrement complexe pour un juge suisse peut déjà être réglée préalablement à la pour-suite si le créancier bénéficie par exemple d’un jugement étranger en force établissant ses droits sur le fonds du trust. A défaut, elle doit être tranchée dans le cadre de la poursuite préalable (à notre avis au moyen d’une action au fond, telle que l’action en reconnaissance ou en libération de dettes), voire dans la procédure de collocation en cas de faillite (art. 244 ss LP) lorsqu’elle n’a pas été examinée auparavant31.

En premier lieu, peuvent faire l’objet d’une poursuite au sens de l’art. 284a LP les dettes que la loi étrangère gouvernant le trust impute directement au fonds du trust, excluant par là même toute responsabilité personnelle du trustee. Tel est le cas lorsque la loi applicable est celle d’une juridiction qui suit l’approche moderne de responsabilité pour dettes et que les conditions sous-jacentes à la responsabilité patrimoniale directe du trust sont in casu réalisées32.

27 sur cet argument, cf. Thévenoz (Avant-projet), p. 98.

28 Cf. infra p. 173 ss.

29 Bopp, N 7 ad art. 284a LP ; Gutzwiller, p. 182, N 284a-5 : “Art. 284a bezieht und beschränkt sich auf andern Fall, wo auf Grund des Trustsstatuts der Trust direkt als Schuldner verpflichtet ist.”

30 Thévenoz (Avant-projet), p. 98.

31 D. staehelin (Sondervermögen), p. 108 ; Thévenoz (Avant-projet), p. 98.

32 sur l’approche moderne, cf. supra p. 132 ss.

En second lieu, sont également visées par l’art. 284a LP les dettes qui incombent à l’origine au patrimoine personnel du trustee, mais pour les-quelles le créancier n’a pas été désintéressé (ou seulement partiellement) et en vertu desquelles il dispose d’un droit de subrogation à teneur de la loi applicable au trust et des circonstances du cas d’espèce33. Cette dernière situation peut survenir lorsque la loi gouvernant le trust est celle d’une ju-ridiction qui observe l’approche traditionnelle en matière de responsabilité pour dettes ou lorsqu’elle suit la tendance moderne mais que les condi-tions relatives à une responsabilité patrimoniale directe du trust ne sont pas réalisées.

En outre, selon la doctrine, constituent également des obligations à charge du fonds du trust les prétentions des bénéficiaires du trust à des dis-tributions sur les revenus ou le capital du trust34. Ces prétentions peuvent être produites dans la procédure d’exécution forcée au sens de l’art. 284a LP pour autant qu’elles soient suffisamment concrètes35. L. Bopp précise qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération les prétentions d’un bé-néficiaire, lorsqu’elles ne représentent que de simples expectatives à des distributions du fonds du trust36.

D. L’organisation de la poursuite et la qualité de poursuivi