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La PouRSuITE EN SuISSE PouR LES dETTES du TRuST

I. remarques introductives et aperçu schématique

Le chapitre précédent a permis de mettre en exergue divers éléments qu’il n’est pas inutile de rappeler ici. Primo, le trustee est amené à encourir des obligations diverses et variées dans l’exercice du trust sur la base de trois chefs de responsabilité (contrats, délits, détention de la propriété). Secundo, c’est à la loi applicable au trust qu’il appartient d’organiser la responsabi-lité pour ces dettes et de déterminer quelle masse en assume la charge. Le trustee peut être tenu d’en répondre sur sa fortune propre ou sur le fonds du trust. Tertio, les juridictions de common law se rattachent généralement soit à l’approche traditionnelle, soit à l’approche dite “moderne” de res-ponsabilité pour dettes, chacune reposant sur des fondements théoriques qui lui sont propres. La première prône une responsabilité personnelle du trustee pour les dettes du trust1. La seconde lui reconnaît la capacité de s’engager dans une capacité fiduciaire, ce qui revient concrètement à faire naître la dette directement à charge du fonds du trust et à l’exonérer de toute responsabilité individuelle.

Ces bases théoriques posées, il y a désormais lieu d’examiner com-ment la poursuite peut et doit être mise en œuvre en Suisse pour ces deux catégories distinctes de dettes. Les créanciers doivent en effet pouvoir re-courir à l’exécution forcée lorsque le trustee n’acquitte pas volontairement les dettes nées de la gestion du trust. La question a une incidence pratique, dans la mesure où nombre de trustees individuels et sociétés trustees (trust companies) sont actifs en Suisse et que nombre de trusts y sont créés et administrés. Elle devient concrètement pertinente lorsque la masse patri-moniale qui répond de la dette (le patrimoine personnel du trustee ou le fonds du trust) est d’une valeur insuffisante pour y faire face, qu’elle ne comprend pas les liquidités nécessaires à cet effet et/ou que le trustee fait

1 sur l’expression “dettes du trust”, cf. supra p. 116.

preuve de négligence. Cette problématique présente au surplus un grand intérêt théorique, car elle montre comment la Suisse, juridiction de droit civil sans tradition du trust, a concrétisé tant l’approche traditionnelle que l’approche moderne dans son droit de l’exécution forcée.

Le présent chapitre est organisé comme suit :

– Le point II traite de la poursuite pour les dettes du trust dont le trustee répond sur son patrimoine personnel. Nous verrons le type de dettes qui peuvent se côtoyer dans une telle procédure (A), le déroulement de la poursuite dans ses grandes lignes (B) et les effets de l’insolvabilité du trustee sur la marche du trust (C).

– Le point III examine la poursuite pour les dettes du trust dont le trustee répond sur le fonds du trust. Elle fait l’objet du nouvel art. 284a LP.

Après une présentation de la norme (A) et de son histoire législa-tive (B), nous en examinerons les principaux aspects, notamment la qualité de poursuivant (C), celle de poursuivi (D), le for de la poursuite (E) et son mode de continuation (F). Nous verrons que la norme repose sur des solutions originales, dont certaines se trouvent en rupture avec les solutions existantes de la LP ou avec la logique du trust.

Les dettes encourues par le trustee et les poursuites auxquelles elles don-nent respectivement lieu peuvent être synthétisées comme suit :

Trustee agissant à titre privé

Trustee agissant dans l’exercice

du trust

dettes privées à charge du patrimoine

du trustee

dettes du trust à charge du fonds

du trust

Poursuite selon les règles existantes de la Lp

(cf. infra ii)

Poursuite selon l’art. 284a Lp

(cf. infra iii) dettes du trust

à charge du patrimoine du trustee

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II. La poursuite pour les dettes à charge du patrimoine du trustee

A. Les dettes en poursuite

Lorsque la loi applicable le prévoit, le trustee est tenu des dettes du trust sur sa fortune propre. Il s’agit là de la situation courante dans l’approche traditionnelle2. Elle peut également se produire lorsque la loi applicable au trust observe l’approche moderne mais que l’une des conditions de la mise en œuvre de l’imputation directe de la dette au fonds du trust n’est pas réalisée. Tel sera par exemple le cas lorsque les actes du trustee ont causé un préjudice à un tiers pour lequel il est personnellement fautif3. Simultanément, le trustee continue d’assumer des obligations diverses dans le cadre de son activité privée dont il a également à répondre sur son patrimoine personnel. Elles sont toutes des dettes du trustee et doivent pouvoir faire l’objet d’une exécution forcée lorsque le trustee ne s’exécute pas volontairement.

Autrement dit, la procédure d’exécution forcée contre le trustee, en particulier s’il est soumis à la faillite, rassemblera généralement tant ses créanciers privés, i.e. ceux dont la créance est issue de son activité privée, que les créanciers du trust dont la prétention incombe personnellement au trustee4. Est également susceptible d’y prendre part tout intervenant au trust qui peut faire valoir des prétentions contre le trustee lui-même, à commencer par les bénéficiaires du trust, lorsque le trustee a causé un dommage en raison d’une violation du trust (breach of trust), dont il doit répondre à titre personnel5.

B. Le déroulement de la poursuite

1. L’application des règles existantes

Dans la mesure où le trustee est recherché pour des dettes qui lui in- combent personnellement, il est poursuivi pour lui-même au même titre

2 sur l’approche traditionnelle en matière de responsabilité pour dettes, cf. supra p. 117 ss.

3 Cf. par ex. section 1010(b) uniform Trust Code.

4 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 772, N 22-04.

5 Dans ce sens, cf. Peyrot / Barmes, p. 133.

que n’importe quelle autre personne physique ou morale. La procédure à suivre est une poursuite classique en application des règles existantes de la LP6.

Une poursuite contre le trustee peut avoir lieu en Suisse, si un for de la poursuite y est ouvert. Cette question s’examine à la lumière des tra-ditionnels art. 46 ss LP. Tel sera notamment le cas si le trustee a son do-micile ou son siège en Suisse (art. 46 al. 1 et 2 LP) ou s’il est domicilié à l’étranger mais qu’il a un établissement en Suisse au sens de l’art. 50 LP. Dans cette dernière hypothèse, la poursuite est limitée aux dettes de l’établissement. Le mode de continuation de la poursuite (saisie ou faillite) se déterminera à la lumière de l’art. 39 LP en fonction du statut du trustee. Il faut néanmoins compter avec quelques particularités dans le déroulement de cette poursuite, étant donné que le débiteur détient, à côté de ses avoirs propres, un ou plusieurs fonds de trusts, qui constituent des masses distinctes.

2. Le sort du fonds du trust et le droit d’indemnité

Les créanciers du trustee doivent pouvoir être satisfaits sur l’ensemble des actifs de ce dernier. En revanche, ils ne sauraient en principe l’être sur le fonds du trust, lequel ne répond pas des dettes personnelles du trustee. Concrètement, le fonds du trust doit ainsi être distrait de la pro-cédure d’exécution forcée dirigée contre le trustee7. L’on se référera ici à l’art. 284b LP et à la procédure de distraction décrite au chapitre 2 (cf. supra p. 57 ss).

L’on rappellera que la distraction d’office ou la revendication ne peut intervenir que sous déduction des prétentions du trustee contre le fonds du trust (cf. le texte de l’art. 284b LP)8. Comptent notamment parmi celles-ci le droit aux honoraires du trustee et son droit d’indemnité à l’encontre du fonds du trust pour les obligations qu’il a encourues dans l’exercice de sa charge9. Ces droits, lorsqu’ils sont donnés au regard de la loi étrangère ap-plicable, représentent des créances du trustee et donc des actifs réalisables

6 message (Trusts), p. 608.

7 message (Trusts), p. 608 et p. 611.

8 Cf. supra p. 69.

9 sur le droit d’indemnité du trustee, cf. supra p. 118 s.

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qui doivent servir à désintéresser ses créanciers10. Le échéant, ils peuvent être invoqués dans le cadre de la procédure de revendication pour faire obstacle à la soustraction du fonds du trust en tout ou en partie11.

Plus particulièrement, la clé de répartition du produit issu du droit d’indemnité dépend de savoir si le trustee a effectivement payé ou non la dette du trust au moyen de ses propres fonds. Lorsque tel est le cas, ses actifs ont subi une perte correspondante qui se répercute sur l’ensemble de ses créanciers, de sorte que le produit doit leur profiter à tous, que leur prétention soit issue de l’administration régulière du trust ou de l’activité privée du trustee12. En revanche, lorsque le trustee n’a pas mis en œuvre son patrimoine personnel pour acquitter les obligations touchant au trust, ses actifs ne sont pas amoindris. Il s’agit pour son patrimoine d’une opéra-tion neutre sans sortie de fonds. Le produit issu du droit d’indemnité doit dans ce cas être réservé aux créanciers dont les prétentions sont issues de l’administration régulière du trust et qui ont donné lieu à un tel droit. En effet, si le trustee était resté solvable, les montants tirés du fonds du trust auraient été employés au paiement exclusif des prétentions des créanciers du trust13.

L’on rappellera pour le surplus que le droit d’indemnité du trustee est selon le droit anglo-saxon doublé d’un gage (lien) et qu’il est prioritaire sur les droits des bénéficiaires. En d’autres termes, le fonds du trust devra d’abord servir à acquitter le droit d’indemnité en faveur des créanciers.

Son (éventuel) solde pourra être employé à la continuation du trust en fa-veur des bénéficiaires.

10 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1082 s., N 81.57 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 694, N 21-38.

11 sur la procédure de revendication, cf. supra p. 70 ss (faillite) et p. 77 ss (saisie).

12 Cf. mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 773, N 22-24.

13 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 773, N 22-24 : “On principle, therefore, in the trustee’s bankruptcy or winding-up, the proceeds of his right of indemnity are available to all creditors without distinction only so far as those proceeds represent reimburse-ment of payreimburse-ments made out of the trustee’s own funds ; if the trustee had remained solvent, he could have done as he pleased with monies reimbursed to him. But otherwise the proceeds of the right of indemnity can be applied only in paying the trust creditors, not the personal creditors. If the trustee had remained solvent he could properly have had recourse to the trust assets only for the purpose of paying trust liabilities, not his own.” Cf. aussi Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1082 s., N 81.57.