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L’abandon progressif de la règle classique

f. Mise en œuvre de l’exécution forcée (aperçu)

A. L’abandon progressif de la règle classique

Le droit anglais a été pendant longtemps le droit de référence en matière de trusts pour toutes les juridictions de common law. Cela a notamment été le cas aux Etats-Unis. Le régime de responsabilité pour dettes était conçu dans les divers Etats américains selon le modèle anglais. Toutefois, ses règles rigides et défavorables aux trustees et aux créanciers ont suscité progressivement des mécontentements au sein des milieux concernés. Des règles plus libérales ont ainsi peu à peu vu le jour dans les divers Etats amé-ricains, puis dans les juridictions offshore. C’est ainsi qu’un concept plus moderne et plus pragmatique de responsabilité pour les dettes encourues dans l’exercice du trust est apparu.

Le Restatement (Second) of Trusts71, publié en 1959, est un bon témoin du glissement d’idées, déjà entamé à cette époque dans les diverses juri-dictions américaines. Certes, l’ouvrage reproduit encore la règle classique selon laquelle le trustee est personnellement responsable à l’égard des tiers des dettes encourues dans l’exercice du trust72, que la dette découle d’un contrat73, d’un préjudice causé à un tiers, même sans sa faute74, ou qu’elle dérive de son statut de propriétaire juridique du trust75. De même, il pré-voit encore un droit d’indemnité du trustee dans ces diverses situations, en contrepartie des dettes assumées sur sa fortune propre76. Mais à y regarder de plus près, on y décèle déjà les premières brèches opérées dans le système

71 Le restatement of the Law of Trusts émane de l’American Law institute. il s’agit d’une œuvre d’harmonisation et de compilation majeure en matière de trusts. il a fait l’objet de trois versions successives relativement éloignées dans le temps. Le restate-ment (second) of Trusts de 1959 fait suite au restaterestate-ment of the Law, Trusts, publié en 1935, qui en est la version initiale. La dernière version en date, connue sous le nom de restatement (Third) of Trusts, a été publiée en 2003 (vol. 1 et 2) et en 2007 (vol. 3).

72 restatement (second) of Trusts § 261.

73 restatement (second) of Trusts § 262. sont réservées les clauses d’exclusion de res-ponsabilité, cf. § 263.

74 restatement (second) of Trusts § 264 et cmt a.

75 restatement (second) of Trusts § 265.

76 restatement (second) of Trusts § 244-248.

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traditionnel. Des exceptions viennent en effet libéraliser la règle stricte. En tant que détenteur de la propriété du trust, le trustee doit assumer person-nellement les dettes qui résultent de cette détention, mais seulement dans la mesure où les biens en trust sont suffisants pour l’indemniser77. Cette règle est dite correspondre à la “tendance moderne”78.

Une telle libéralisation est également vraie eu égard aux droits des créanciers. S’il est encore prévu que les créanciers ne peuvent pas agir par une action at law pour obtenir la satisfaction de leurs prétentions sur les biens en trust79, il est admis qu’ils peuvent y parvenir par une suit in equity80. Cette possibilité est certes limitée à cinq hypothèses81, mais il est frappant de constater que ces hypothèses couvrent en réalité toutes ou presque toutes les situations. Le créancier est admis à rechercher le fonds du trust en cas de défaillance du trustee82 si le trust a bénéficié de la pres-tation du tiers83 ou encore si une clause de l’instrument du trust84 ou du contrat85 le prévoit. La dernière règle veille, quant à elle, à ne pas laisser sans moyen un créancier qui ne tomberait pas dans l’un de ces cas : “A person to whom the trustee has incurred a liability in the course of the ad-ministration of the trust may be permitted to obtain satisfaction of his claim out of the trust estate if it is equitable to permit him to do so, although his claim does not fall within the rules stated in §§ 268-271.”86

Ces quelques règles sont une bonne illustration du vent de libéralisme qui souffle sur le Restatement (Second) of Trusts, et qui voudrait qu’à l’ins-tar d’un représentant le trustee puisse engager la responsabilité du trust87. Cette vision s’appuie à cette époque sur les réglementations de certains Etats américains considérant le trustee non comme le propriétaire du

77 restatement (second) of Trusts § 265.

78 restatement (second) of Trusts § 265, cmt a.

79 restatement (second) of Trusts § 266.

80 restatement (second) of Trusts § 267.

81 restatement (second) of Trusts § 268-271A.

82 restatement (second) of Trusts § 268. sont notamment visés ici l’insolvabilité du trustee et le fait qu’il ne soit pas soumis à la juridiction du tribunal compétent. en principe, il faut toutefois que le trustee ait un droit d’indemnité sur le trust estate.

83 restatement (second) of Trusts § 269. Peu importe dans ce cas que le trustee n’ait aucun droit d’indemnité sur les biens en trust.

84 restatement (second) of Trusts § 270.

85 restatement (second) of Trusts § 271.

86 restatement (second) of Trusts § 271A.

87 restatement (second) of Trusts § 271A, cmt a.

trust mais comme son représentant, de sorte à permettre aux créanciers d’obtenir satisfaction sur le fonds du trust par une action contre le trustee pris dans sa capacité “représentative” : “It is coming to be recognized that just as an agent or servant acting within the general scope of his authority can subject his principal to liability, so a trustee acting within the general scope of his authority can subject the trust estate, although not the beneficia-ries personally, to liability. In a few States it is expressly provided by statute that a trustee is a general agent for the trust property and that his acts, within the scope of his authority, bind the trust property to the same extent as the acts of an agent bind his principal.”88

Le dogme traditionnel, de plus en plus ébréché, a perduré en tout cas jusqu’à la fin des années 80. Les théoriciens du trust en font encore l’écho dans leurs ouvrages datant de cette époque89. Ces auteurs relèvent toute fois des règles dissidentes dans de nombreux Etats, qui permettent au créan-cier contractuel du trustee de l’actionner at law dans sa capacité de re-présentation et d’obtenir un jugement contre la propriété du trust90. Scott and Ascher on Trusts résume l’émergence d’un nouveau concept en ces termes : “There is a growing tendency today, however, to regard the trustee as not the owner of the trust estate but the administrator of the trust, even where the rights of third persons are concerned. […]. But there is a growing feeling that third persons should also, if necessary, be permitted to obtain satisfaction of their claims out of the trust estate.”91

Le modèle classique a donc progressivement fait place à un nouveau concept de responsabilité pour dettes dans le cadre d’un trust. Le concept moderne a érigé en principe ce qui était auparavant des exceptions. Cette tendance a frappé les divers postulats à la base du régime de responsabilité pour dettes : la responsabilité contractuelle, délictuelle, et celle dérivant de la qualité de propriétaire juridique du trust, les prérogatives des créanciers, ainsi que les aspects procéduraux.

88 Ibidem.

89 Cf. notamment Bogert, p. 450 ss.

90 Cf. Bogert, p. 452, note 14, qui donne parmi d’autres l’exemple de l’Alabama, du Connecticut, de l’indiana ou du massachussetts. Cf. également p. 452, n. 19, qui relève l’existence de certaines réglementations qui permettent au cocontractant d’ac-tionner soit le trustee dans sa capacité de représentation, soit à titre personnel.

91 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 1870 s.

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