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Le droit de subrogation des créanciers

c. La limitation de la responsabilité du trustee

D. Le droit de subrogation des créanciers

Il ressort de ce qui précède que les créanciers qui détiennent une créance née dans l’exercice du trust doivent en principe se retourner contre le trustee à titre personnel, puisque lui seul assume une responsabilité à leur égard. Il existe néanmoins des exceptions à cette règle, et donc des cas où le droit anglais positif confère au créancier une mainmise directe ou indi-recte sur les biens en trust.

admits of limited liability, contract that he will not be liable to make payment person-ally, but be liable only to make payment out of the trust fund.” ; cf. aussi Panico, p. 240, N 6.16 ss ; smith, p. 339.

31 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 679, N 21-12.

32 smith, p. 339.

33 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 679, N 21-12 ; smith, p. 339.

34 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 680, N 21-14.

Les créanciers qui disposent d’un gage sur tout ou partie de la propriété du trust ont une mainmise directe sur les biens du trust concernés. La situation des créanciers non garantis (unsecured creditors) est en revanche moins avantageuse, puisqu’ils ne peuvent faire valoir aucune prétention directe contre la propriété du trust. Le trustee qui traite avec des tiers pour le compte du trust n’engage en effet que lui-même. Cela étant, pour pallier la précarité de la situation de ces créanciers en cas de défaillance du trustee, le droit anglais leur accorde dans certaines circonstances un accès indi-rect aux biens du trust au moyen d’un droit de subrogation : les créanciers peuvent être subrogés au trustee dans son droit d’indemnité à l’encontre du fonds du trust35. Lewin on Trusts l’exprime en ces termes : “Although unsecured creditors and other claimants do not have a direct claim against the trust property in respect of unsecured liabilities incurred by trustees in the administration of the trust, and cannot levy execution upon the trust fund property they may by subrogation have a right to stand in the place of the trustee and enforce their liabilities against the trust property to the extent that the trustee would be so entitled.”36

Les circonstances qui donnent naissance à un tel droit de subroga-tion sont incertaines37. Il est en tout cas admis en cas d’insolvabilité du trustee. Par ailleurs, certains auteurs font valoir qu’il est également donné lorsqu’un jugement à l’encontre du trustee serait vain38. Dans l’affaire Raybould v Turner, Lord. J Byrne semble avoir ouvert assez largement les circonstances dans lequel ce droit peut naître : “When once a trustee is en-titled to be thus indemnified out of his trust estate, I cannot myself see why the person who has recovered judgment against the trustee should not have the benefit of this right to indemnity and go direct against the trust estate or the assets, as the case may be, just as an ordinary creditor of a business carried on by a trustee or executor has been allowed to do, instead of having to go through the double process of suing the trustee, recovering the damages from him, and leaving the trustee to recoup himself out of the trust estate.39 La matière semble en l’état incertaine.

35 mitchell Hayton & mitchell, p. 350, N 8-80 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 694, N 21-38.

36 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 694, N 21-38.

37 Bogert, p. 460.

38 se fondant sur diverses jurisprudences, cf. Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1081, N 81.52.

39 Raybould v Turner [1900] 1 Ch 199, 69 LJ Ch 249.

Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust 125

Quant à l’objet du droit de subrogation, celui-ci peut se rapporter non seulement au droit d’indemnité du trustee à l’égard du trust estate, mais également à son droit d’indemnité personnel à l’encontre des bénéficiaires40.

L’efficacité de ce moyen est toutefois relativement limitée, s’agissant d’un droit dit dérivé (derivative right). Par la subrogation, le créancier se substitue au trustee et dispose à ce titre ni plus ni moins des mêmes droits que celui-ci41. Ce droit dépend donc entièrement de l’existence d’un droit d’indemnité du trustee, qui peut ne jamais naître ou disparaître en raison de diverses pathologies (défaut d’autorisation, défaut de capacité, etc.)42. Il appartient ainsi au créancier de prouver que le droit d’indemnité n’est pas exclu par l’instrument du trust, que la dette a été contractée de façon régulière (le cas échéant, selon la procédure interne requise), que le trustee n’a pas commis de violation de ses equitable duties en concluant le contrat et qu’il n’est pas non plus endetté à l’égard des bénéficiaires en raison d’un breach of trust43. Une telle démonstration, qui requiert l’accès à des don-nées internes et souvent confidentielles, est assurément très difficile à faire.

L’on peut ainsi conclure que les créanciers qui traitent avec un trustee sont relativement mal équipés pour obtenir la satisfaction de leurs prétentions sur les biens en trust.

e. Appréciation et perspectives futures du droit anglais

1. Les propositions du Trust law committee

Il ressort des considérations qui précèdent que l’approche traditionnelle du droit anglais est très protectrice à l’égard du fonds du trust. Cette protection intervient d’abord au détriment des créanciers, dont l’accès au fonds du trust est exclu voire très limité étant sujet à un mécanisme de

40 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1077, N 81.40. Cf. aussi mowbray [et al.], Lewin on Trusts, N 21-39. sur le droit personnel du trustee contre les bénéficiaires, cf. supra p. 121 s.

41 Re British Power Traction & Lighting Co. Ltd [1910] 2 Ch. 470.

42 Cf. supra p. 121 s.

43 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1080, N 81.50 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 694 s., N 21-39. A noter toutefois que s’il y a plusieurs trustees et que l’un deux au moins n’est pas endetté à l’égard du trust, et si les autres conditions sont remplies, le créancier pourra s’en prendre à son droit d’indemnité. Cf. à cet égard les références citées.

subrogation difficile à mettre en œuvre. L’approche traditionnelle est sur-tout défavorable aux trustees qui doivent personnellement répondre des dettes nées dans l’exercice du trust, sans avoir eux-mêmes bénéficié de la prestation du tiers et sans avoir toujours la possibilité d’être indemnisés (par exemple si le fonds du trust est insuffisant).

Le constat de la fragilité de la position des créanciers a incité un groupe d’experts rassemblés au sein du Trust law committee44 à se pencher sur une réforme du droit anglais positif. Le groupe s’est attaché à recenser les problèmes liés à la situation actuelle et à leur trouver des solutions afin de renforcer les droits des créanciers. Il se justifie d’examiner ces propositions dans le détail, dans la mesure où elles pourraient être le reflet du régime de responsabilité pour dettes en droit anglais d’ici quelques années.

Les propositions de réforme du Trust law committee portent no-tamment sur deux problématiques majeures qui font obstacle au droit de subrogation des créanciers : d’une part, l’endettement du trustee à l’égard du trust (unconnected indebtedness) et, d’autre part, la violation par le trustee de ses devoirs fiduciaires (equitable duties). Elles seront examinées ci-après.

a. La problématique de l’endettement du trustee

Le principe selon lequel le créancier ne peut être subrogé au droit d’in-demnité du trustee qu’à condition que celui-ci ne soit pas endetté à l’égard du trust est perçu comme très problématique45. L’endettement du trustee peut en effet n’entretenir aucun lien avec la conclusion du contrat litigieux (unconnected indebtedness) et résulter par exemple d’une violation du trust antérieure, voire même postérieure à ce contrat46. Le créancier n’a donc aucune influence sur le sort qui sera réservé à ses prétentions47.

44 Le Trust law committee regroupe d’éminents théoriciens et praticiens du trust. il s’est donné pour objectif d’identifier et de remédier aux faiblesses du droit anglais en matière de trusts. son activité consiste à formuler des propositions de réforme, consignées dans des Consultation Papers et mises en circulation parmi les milieux intéressés, et à publier des rapports de synthèse, destinés aux instances officielles, notamment la Law Commission.

45 Trust Law Committee report, N 3.4.

46 Trust Law Committee report, N 2.5 et N 3.4.

47 Trust Law Committee report, N 2.6.

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Deux propositions ont été formulées pour remédier à ces inconvé-nients. La première vise à conférer au trustee le pouvoir de créer un gage en faveur d’un créancier, sous la forme d’une fixed charge sur des biens spéci-fiques du trust ou d’une floating charge48 sur le fonds du trust49. Un tel gage permettrait au créancier d’avoir accès au fonds du trust, indépendamment de l’état des comptes entre le trustee et le trust. Il appartiendrait par ail- leurs au trustee de vérifier au cas par cas si l’exercice de ce pouvoir est conforme à ses equitable duties, qui commandent d’agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires50. La deuxième proposition tend purement et simplement à abolir la problématique de l’unconnected indebtedness. Elle vise à spécifier dans la loi qu’un endettement du trustee simultané à une demande d’indemnité d’un créancier contractuel ou d’une victime d’un préjudice n’y fait pas obstacle51.

b. La violation par le trustee de ses devoirs fiduciaires

Le deuxième obstacle, soit la violation d’un equitable duty par le trustee, est perçu comme l’un des plus insatisfaisants. D’une part, au moment de procéder à l’acte, le cocontractant n’a aucun moyen d’établir si le trustee agit conformément à ses devoirs. D’autre part, le droit anglais le place assez curieusement dans la position d’un fiduciaire (fiduciary)52 : lors de la conclusion du contrat, il appartient au cocontractant qui pense tirer le meilleur parti du contrat de le faire savoir au trustee. A défaut, le trustee est susceptible de conclure un contrat négligeant les intérêts des bénéfi-ciaires et de commettre un manquement à ses equitable duties, causant

48 Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 778, N 34-02, définit les charges comme des sûretés, qui viennent grever la propriété concernée, en vue du paiement de dettes ou d’autres obligations, et qui permettent de requérir judiciairement la réalisation des biens. Les fixed charges et les floating charges sont toutes deux des types de sûreté.

Les secondes se distinguent des premières en ce qu’elles ne sont pas attachées à des biens spécifiques, mais sont au contraire “flottantes”. elles ne se “cristallisent” sur des biens particuliers que lors de la survenance de circonstances déterminées. L’avantage de ces sûretés par rapport aux premières réside dans le fait qu’elles n’empêchent pas le débiteur du gage de disposer d’un bien dans le cadre de son activité, puisqu’aucun bien précis n’est grevé.

49 Trust Law Committee report, p. 5, N 3.1 et p. 18, N 10.1.

50 Trust Law Committee report, p. 5, N 3.1.

51 Trust Law Committee report, p. 6 s., N 3.4 et p. 18, N 10.2.

52 Trust Law Committee report, p. 9, N 3.9.

ainsi la perte de son droit d’indemnité53. Pour remédier à ce problème tout en préservant les intérêts tant des créanciers que des bénéficiaires, le Trust law committee recommande l’insertion d’une norme prévoyant expres-sément que la violation par le trustee de l’un de ses devoirs fiduciaires lors de négociations avec un tiers, ne porte pas atteinte à son droit d’être in-demnisé sur la base du fonds du trust. Le dol du créancier est réservé54.

c. Autres propositions

Le Trust law committee vise encore d’autres améliorations du régime de la responsabilité pour dettes55, telle que l’harmonisation du sens juridique de certains termes avec le sens commun. Comme on l’a vu, contrairement à la croyance commune, contracter “as trustee” ne suffit pas à limiter la res-ponsabilité personnelle du trustee. Pour parvenir à un tel résultat, le droit anglais actuel exige l’emploi des termes “as trustee and not otherwise” ou

“as trustee only”56. Pour éviter toute méprise, il est recommandé d’adopter une norme disposant qu’en l’absence d’intention contraire dans le contrat, lorsqu’une personne contracte “as trustee”, elle n’est tenue personnelle-ment à l’égard du tiers qu’à concurrence de la valeur du fonds du trust au moment de la demande en paiement. Si toutefois le trustee diminue la va-leur du fonds du trust en procédant à des distributions aux bénéficiaires ou en contractant de nouvelles obligations non nécessaires à sa préservation, alors qu’il sait qu’une dette est due ou deviendra exigible à une date ulté-rieure, il demeure tenu personnellement à concurrence de la diminution en cause57. Relevons que cette proposition paraît être davantage qu’une

ré-53 Trust Law Committee report, p. 9, N 3.9 : “It is far short of astonishing that if C knows that T is a trustee but desires to be able to have recourse to the trust assets (in case T cannot personally satisfy a judgement obtained by C) then, if C believes he is clearly getting the better of the bargain with T, C has to disclose this to T in order that T does not become guilty of breach of trust for negligently failing to safeguard the interests of the beneficiaries. Creditors are this effectively placed in the position of a fiduciary.”

54 Trust Law Committee report, p. 10, N 3.11 et p. 19, N 10.3.

55 Les deux propositions de réforme relatives au rang des créanciers et à la compensation de créances, dans le cadre de l’exécution forcée d’un trust, ne sont pas abordées ici, l’examen des recommandations du Trust Law Committee étant limité à la probléma-tique de la responsabilité pour dettes.

56 Cf. supra p. 122.

57 Trust Law Committee report, N 3.14 et N 10.4.

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volution cosmétique, puisque la portée des clauses de limitation de respon-sabilité serait de la sorte largement étendue.

D’autres réformes sont proposées que nous mentionnerons ici unique-ment pour mémoire : d’une part une clarification du rang des créanciers en cas d’insolvabilité du trust58, d’autre part des règles précisant le système de compensation de créances entre le trustee et les créanciers59.

2. Vers une réforme plus fondamentale ?

L’on constate qu’un large consensus s’est formé outre-Manche sur la né-cessité de revoir et améliorer la situation des créanciers traitant avec un trustee. La question de l’ampleur de la réforme divise cependant les mi-lieux intéressés. Une tendance minoritaire plaide en faveur d’une réforme plus fondamentale du régime anglais de la responsabilité pour dettes et souhaite faire du trust une entité qui répondrait des dettes en première ligne, le trustee n’assumant qu’une responsabilité personnelle subsidiaire, à moins que le contrat ne l’exclue, respectivement seulement si le contrat le prévoit. Ce courant n’entend pas revenir sur l’absence de personnalité juridique du trust, mais suggère de le considérer comme un patrimoine séparé couplé avec des responsabilités. Cette position est résumée comme suit : “The Chancery Bar Association ‘regards reform of this area of the law as highly desirable’ stating ‘The law is ill-understood und uncertain, and clarification is the least required. More importantly, the law does not match the reasonable expectations of parties dealing with trustees or of trustees themselves and their beneficiaries, and should be modified to match those expectations’. While favouring modification and clarification of the existing law on the lines indicated in the preceding section of this Report, the CBA states ‘more fundamental reform’ is needed along the lines canvassed in our Consultation Paper viz. regarding the trust fund as the primarily liable entity (albeit having no legal personality, but being treated like a separate patrimony of assets coupled with liability) with the trustee having a second-ary personal liability unless excluded by the contract with the creditor or perhaps if included in the contract.”60

58 Cf. Trust Law Committee report, N 5.1 et N 10.5 (a), (b).

59 Cf. Trust Law Committee report, N 6.1- N 6.6 et N 10.5 (c).

60 Cf. à cet égard Trust Law Committee report, N 4.1.

La tendance majoritaire61 s’oppose quant à elle à un tel remaniement du système, notamment au motif qu’une responsabilité primaire du fonds du trust serait inadéquate dans certaines situations. Compte tenu des op-positions, une révision aussi fondamentale du droit anglais ne doit pas être attendue ces prochaines années. Le Trust law committee a renoncé quant à lui à faire des recommandations sur ce point62.