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Iv. synthèse : mise en perspective des approches moderne et classique

Les approches moderne et classique admettent en commun l’absence de personnalité juridique du trust, la propriété légale du trustee sur le fonds du trust, ainsi que le caractère ségrégué de ce dernier (“ring-fenced fund”), elles appréhendent néanmoins de façon fondamentalement différente la question de la responsabilité pour les dettes encourues dans l’exercice du trust.

La doctrine classique tire la conséquence logique des caractéristiques précitées. Dans la mesure où le trustee est le propriétaire du fonds du trust, il ne peut en être le représentant (“agent”), faute de personne à représen-ter. Le trustee n’a donc aucune “capacité représentative” (“representative capacity”). Cela signifie que, lorsqu’il contracte des obligations à l’égard des tiers, c’est toujours à titre personnel, et ce quand bien même il agit dans l’exercice du trust et non dans son intérêt privé. Il en découle que les dettes du trust incombent à son patrimoine personnel, en contrepartie d’un droit d’indemnité qu’il peut exercer à l’encontre du fonds du trust, soit de façon préalable pour acquitter la créance du tiers, soit de façon subséquente pour se rembourser de ses dépenses et de ses frais. Dans la mesure où la respon-sabilité du trustee est exposée en première ligne, le système est relative-ment défavorable aux personnes qui exercent cette charge. Il est égalerelative-ment dés avantageux pour les créanciers, dans la mesure où les fonds personnels du trustee sont généralement sensiblement inférieurs à la valeur des actifs en trust et qu’un accès à ces derniers n’est ouvert que de façon très limitée et moyennant un mécanisme compliqué de subrogation. En définitive, l’on peut observer que la vision traditionnelle présente l’avantage de la cohé-rence juridique, mais est relativement peu adaptée aux impératifs écono-miques de la société moderne, ce qui explique certaines propositions de réforme qui sont en cours d’étude en Angleterre114.

L’approche moderne s’écarte du modèle traditionnel en reconnaissant au contraire au trustee une double capacité, à savoir une capacité person-nelle et une “capacité fiduciaire” (“fiduciary capacity”). Lorsqu’il agit en qualité de trustee dans l’exercice du trust, il s’engage en principe dans

114 Cf. supra p. 125 ss.

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sa “capacité fiduciaire”, et non dans sa capacité personnelle. Cela revient concrètement à faire naître des dettes à la charge immédiate du fonds du trust, si toutes les prescriptions légales ont été observées115. En cela, le ré-gime moderne de responsabilité pour dettes peut être considéré comme plus simple et plus équitable que son équivalent traditionnel. Plus simple pour le créancier, parce qu’il peut accéder directement au fonds du trust sans devoir faire le détour par le mécanisme compliqué de la subrogation.

Plus équitable pour le trustee, parce qu’il semble juste qu’une dette donnée vienne grever le patrimoine qui a bénéficié de la contre prestation ou en lien avec lequel elle est née.

L’on peut observer que l’approche moderne pousse la logique du fonds séparé plus loin que ne le fait l’approche traditionnelle. Le fonds du trust est en effet perçu comme une masse entièrement ségréguée qui assume une responsabilité patrimoniale propre et cohérente. Négativement, le fonds du trust ne répond pas des obligations des parties au trust (en particulier des dettes personnelles du trustee). Positivement, il assume directement ses propres passifs. Dans l’approche moderne, le trust prend ainsi la forme d’une masse patrimoniale qui, bien qu’elle soit dépourvue de personnalité juridique, répond de ses propres obligations.

A vrai dire, l’approche moderne constitue en cela un certain pas dans la direction d’une “personnification” du trust, et donc vers une dénatu-ration de l’institution. Le Restatement (Third) of Trusts constate à cet égard une tendance croissante des Etats américains à traiter implicite-ment le trust comme une entité juridique, fondée notamimplicite-ment sur la re-connaissance d’une capacité fiduciaire du trustee, à côté de sa capacité personnelle : “Increasingly, modern common-law and statutory concept and terminology tacitly recognize the trust as a legal ‘entity’, consisting of the trust estate and the associated fiduciary relation between the trustee and beneficiaries. This is increasingly and appropriately reflected both in lan-guage (referring, for example, to the duties or liability of a trustee to ‘the trust’) and in doctrine, especially in distinguishing between the trustee per-sonally or as an individual and the trustee in a fiduciary or representative capacity.”116 P.  Panico pose un constat général similaire : “The limitation of trustee liability, in the most radical cases by imposing liability directly on the trust fund, is an instance of a general trend towards the ‘reification’ of

115 Panico, p. 253, N 6.61 ; Thévenoz (Trusts), p. 26.

116 restatement (Third) of Trusts, § 2, cmt a.

trusts, letting them acquire some of the features of corporate entities.”117 De la même façon, L. Smith relève : “Even in the common law, it is not uncom-mon to speak of the trust as if it were a distinct legal person.”118

L’on relèvera qu’un tel phénomène a également été observé en droit écossais. Il a acquis au demeurant une ampleur suffisante pour que la Scottish law commission se penche sur l’opportunité d’attribuer au trust la personnalité juridique, dans le cadre d’une étude plus globale consa- crée à la nature et la constitution d’un trust119. La Scottish law com-mission a observé à cet égard une forte tendance à appréhender le trust comme une personne morale dans le langage courant, étant par ailleurs précisé qu’un tel statut est conféré au trust par le droit fiscal et que la loi écossaise sur la faillite se réfère aux “dettes encourues par un trust”120.

En l’occurrence, la Scottish law commission a toutefois considéré qu’il ne se justifiait pas d’attribuer la personnalité juridique au trust en raison d’un abus de langage ou sur la simple base d’une perception erronée de la nature du trust et de la responsabilité personnelle du trustee : “There was general agreement that the use of language which tended to personify a trust and implied an incorrect understanding of the legal analysis of a trust was not in itself a convincing argument for reform of the law. It did not fol-low that when a trust was being reified, it was being regarded as an entity with legal or juristic personality. If as a result of their administration, lay trustees incurred personal liability to third parties under the mistaken belief that ‘the trust’ would be liable, the rules on liability could be changed : it was not necessary to give trusts legal personality.”121

De façon générale, les juridictions de common law ne semblent pas remettre en cause l’absence de personnalité juridique du trust. L. Smith relève notamment qu’une telle démarche reviendrait à gommer les

spéci-117 Panico, p. 267 s., N 6.105.

118 Cf. smith, p. 348, et les divers exemples cités.

119 Cf. scottish law commission, Discussion Paper No 133.

120 scottish law commission, Discussion Paper No 133, p. 15, N 2.36 : “In these cir-cumstances, there is again an understandable temptation to create a structure that appears better to represent the economic and social realities of how a trust operates in practice : namely, that it is ‘the trust’ which owns the trust fund which is only managed by trustees. This is reinforced by the fact that trusts are treated as separate entities for most tax purposes. And in the context of the sequestration of a trust estate in respect of debts incurred by the trustees on behalf of ‘the trust’, section 6(1)(a) of the Bankruptcy (Scotland) Act 1985 refers to ‘a trust in respect of debts incurred by it’.”

121 scottish law commission, Discussion Paper No 133, p. 16, N 2.40.

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ficités du trust et à faire disparaître l’institution du paysage juridique122. Cela étant, diverses juridictions ont édicté des règles dans des contextes spécifiques (en particulier en matière d’exécution forcée) qui prêtent au trust certains attributs de la personnalité juridique. L’on observe ainsi un désir de conserver au trust son statut de simple masse de biens, tout en supprimant les inconvénients résultant d’une telle situation, notamment la responsabilité patrimoniale personnelle du titulaire pour les dettes du trust. Tel qu’appréhendé dans l’approche moderne, le trust se situe quelque part entre le simple patrimoine et la personne morale123. Entre ces deux pôles s’exerce une certaine tension qui rejaillit sur la question de la nature juridique du trust et par ricochet sur sa qualification en droit civil124. Elle se manifeste également au moment de la mise en œuvre de l’exécution for-cée pour les dettes du trust. Ce sera l’objet du chapitre suivant.

122 smith, p. 349 s. : “Conversely, treating the trust as one of those things – in particular, treating it as a legal person will, in the long run, threaten to destroy its status as a fundamental institution.”

123 une conclusion similaire est adoptée par Gaillard, p. 312, au vu du caractère sé-paré du fonds du trust, sans que l’auteur ne vise spécifiquement l’approche moderne :

“Cette caractéristique ne signifie pas, dans les systèmes de common law, que le trust ait la personnalité morale et c’est précisément ce qui heurte, en droit continental, le dogme hérité d’Aubry et rau. il faut reconnaître toutefois que tout se passe comme si le trust était une personne morale distincte et qu’il n’y a plus guère d’intérêt pratique à maintenir la fiction de l’unicité du patrimoine dans des droits où ce principe a déjà été passablement écorné.”

124 L’on renverra à ce propos au chapitre 1, en particulier au point iii, p. 50 ss.

Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust 145

Chapitre 5

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