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Le protective trust et les forfeiture provisions

L’equiTABLe inTereST ET LES TRuSTS dE PRoTECTIoN aNgLo-aMéRICaINS

A. Le protective trust et les forfeiture provisions

Institution du droit anglais aujourd’hui consacrée à la section 33 du Trustee Act de 1925, le protective trust confère au bénéficiaire un droit (générale-ment un life interest ou un droit de plus courte durée) qui prend fin lors de la survenance d’événements déterminés (tels que sa faillite, une tentative

62 Hudson, p. 159 ; Pearce / stevens, p. 459 ; ridall, p. 285 ; Thomas / Hudson, p. 172 ss, N 7.29 ss.

63 Thomas / Hudson, p. 173, N 7.32.

64 en droit anglais : Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 507 s., N 20-51 ; Thomas / Hudson, p. 177 s., N 7.40. en droit américain : restatement (second) of Trusts § 155, cmt on subs. (1), b ; Bogert, p. 160 ; Waggoner / Alexander / Fellows / Gallanis, pp. 14-17. Cf. aussi Dyer / Van Loon, p. 25 ; Lupoi (Comparative study), p. 132.

65 matthews (From Obligation to Property), p. 212, citant à l’appui les affaires Re Coleman (1888) 39 ChD 443 et Re Ashby [1892] 1 QB 872.

66 Cf. infra p. 235 ss.

Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains 197

de saisie par ses créanciers ou tout autre événement de nature à le priver de son droit aux revenus) pour être remplacé par un trust discrétionnaire67.

Un protective trust s’articule autour de trois composantes distinctes : (i) un life interest68 ou un droit de moindre durée soumis à extinction en fonction d’événements déterminés, (ii) une clause de déchéance, dite “ for-feiture clause”, et (iii) un trust discrétionnaire survenant à l’extinction du droit fixe69. L’événement extinctif prend la forme de toute tentative d’alié-nation volontaire du droit par le bénéficiaire lui-même ou tout dessaisisse-ment forcé par des tiers70. Le trust fixe est remplacé par un trust de nature discrétionnaire qui vise à favoriser le bénéficiaire principal dont le droit fixe a pris fin, ainsi que ses proches (époux et descendants) ou, à défaut, le bénéficiaire principal et le remainderman71. Le life interest peut éventuelle-ment renaître une fois que la procédure d’insolvabilité est close.

Comme son nom l’indique, la finalité d’un tel trust est en principe de protéger le droit d’un bénéficiaire contre des événements qui entraîne-raient la perte de celui-ci72. La substitution du life interest par un discre-tionary interest peut en effet avoir pour conséquence de contrecarrer les visées des créanciers sur l’interest du bénéficiaire73.

Selon Maudsley & Burn, cette situation est délicate, car elle met en présence deux intérêts contradictoires : d’un côté, il appartient à chaque individu de répondre de ses dettes sur l’ensemble de ses biens ; de l’autre, il est tenu pour légitime qu’un débiteur cherche à subvenir aux besoins financiers des membres de sa famille au-delà de sa propre insolvabilité : “It represents a compromise between two forces : the desire on the one hand to make a person’s property available for the creditors ; and on the other to en-able family property to be availen-able for the support of the family in the event of the insolvency of the head of the family.”74 Cette institution représente

67 Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 508, N 20-52 ; mitchell, Hayton & mitchell, p. 35, N 1-145 ; oakley, Parker and mellow, p. 284, N 8-003.

68 sur la notion de “life interest”, cf. supra p. 187.

69 moffat, p. 276 s.

70 sur les évènements entraînant l’extinction du droit, cf. section 33(1)(i) Trustee Act 1925 ; Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 510, N 20-54 s. ; mitchell, Hayton &

mitchell, p. 37, N 1-151 ; oakley, Parker and mellow, p. 286 ; Pettit, p. 83 ss.

71 section 33(1)(ii) Trustee Act 1925. sur la notion d’ “interest in remainder” et de “re-mainderman”, cf. supra p. 187 s.

72 section 33(1)(ii) Trustee Act 1925.

73 Cf. supra p. 194 s. et infra p. 235 ss.

74 Virgo / Burn, maudsley and Burn’s Trusts and Trustees, p. 60.

à cet égard l’extrême limite de la tolérance du droit anglais à l’égard des mécanismes de protection patrimoniale. Dans une édition antérieure, R. Maudsley la justifiait néanmoins par le fait qu’un trust est destiné à favoriser les bénéficiaires et non leurs créanciers75.

Le protective trust trouve son origine dans la jurisprudence anglaise.

Sa validité fut consacrée pour la première fois par Lord Eldon dans la décision Brandon v Robinson de 181176. Un tel mécanisme de protection fut tenu pour admissible au motif qu’il n’opérait qu’une restriction indirecte à l’aliénabilité et à la saisissabilité d’un droit (intervenant par son extinction naturelle). Cette situation fut distinguée des clauses excluant directement et expressément la cessibilité ou la saisissabilité du droit, qui sont quant à elles prohibées en droit anglais. La raison de la prohibition de telles clauses d’incessibilité en droit anglais est la suivante. Dans l’approche tradition-nelle, le droit de propriété ne peut être privé de l’un de ses attributs essen-tiels, à savoir le pouvoir de disposer de son objet. Cette règle s’applique aussi bien à la propriété légale qu’“équitable”77. En substance, elle a pour but d’éviter l’immobilisation d’un patrimoine et de limiter la mainmise du donateur/testateur sur celui-ci au-delà de sa mort (dead hand’s reach).

La même idée est du reste contenue dans l’interdiction des trusts de durée illimitée (rule against perpetuity), qui tend elle aussi à limiter la mainmise du settlor sur un patrimoine78.

La formulation de la clause de protection est essentielle. Pour être valable, la tentative d’aliénation volontaire ou involontaire doit être ex-primée comme une limite temporelle, au terme de laquelle le life interest expire naturellement, et non comme une condition résolutoire79. Autre-ment dit, le droit existe “jusqu’à” la survenance de l’événeAutre-ment déterminé à l’occasion duquel il prend naturellement fin, mais ce dernier ne doit pas être la cause directe de sa déchéance. A défaut, l’extinction du droit ap-paraîtrait comme prématurée et artificielle et équivaudrait à une fraude aux créanciers, frappée de nullité80. En pratique, il est néanmoins admis

75 maudsley (1978), p. 130 s.

76 (1811) 18 Ves. Jr. 429, 433-434 ; moffat, p. 275 ; sheridan, p.168.

77 matthews (Saunders v Vautier), p. 274 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 177, N 5-128 et p. 1184, N 33-04.

78 sur cette question, cf. les développements de matthews (Saunders v Vautier), p. 276 ss.

79 mitchell, Hayton & mitchell, p. 35, N 1-145 s. ; ridall, p. 286 ; Watt, p. 197 s.

80 ridall, p. 286 ; Watt, p. 197 s.

Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains 199

que le résultat est similaire que la restriction soit directe ou indirecte81. Quoi qu’il en soit, les anglo-saxons sont très sensibles à la formulation.

L’on aura compris que ces exigences de forme sont directement liées à la différence de régimes existant entre les restrictions indirectes (admises) et les restrictions directes (non admises) à l’aliénabilité et à la saisissabilité d’un droit. L’on relèvera enfin qu’un protective trust peut être mis en place par le simple emploi du terme correspondant dans l’instrument du trust, ce qui l’assujettit à la section 33 du Trustee Act 1925, lorsque le trust est soumis au droit anglais.

Un settlor ne peut créer un protective trust en sa propre faveur, une telle clause étant tenue pour radicalement nulle, car contraire aux prin-cipes fondamentaux de l’exécution forcée. Dans de telles circonstances, la clause de protection n’est pas valable – ce qui n’affecte toutefois pas la validité du trust lui-même – avec pour conséquence que le créancier ou l’administrateur de la faillite (trustee in bankruptcy) peut saisir le droit que le settlor s’est réservé dans le trust82.

L’ordre juridique américain connaît et recourt à un mécanisme simi-laire au protective trust sous une autre appellation. Une “forfeiture pro-vision”, littéralement “clause de déchéance”, est une clause insérée par le settlor dans l’instrument du trust prévoyant la fin du droit du bénéficiaire dans le trust au moment de la survenance d’évènements déterminés, par exemple lors d’une tentative d’aliénation par le bénéficiaire, de saisie par ses créanciers ou lors de sa faillite. Le cas échéant, le life interest peut être remplacé par un trust discrétionnaire83. Ces clauses sont considérées comme des minima, dans la mesure où elles sont permises en toutes cir-constances, en particulier lorsque la loi de l’Etat en question prohibe les clauses de spendthrift, qui sont de nature plus incisive quant aux droits des créanciers.

La formulation de la clause n’est pas soumise aux mêmes contraintes qu’en droit anglais. La tentative de saisie ou la faillite du bénéficiaire peut être stipulée comme étant la cause immédiate de l’extinction du life interest

81 Béraudo, p. 167, N 297 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 1184, N 33-05.

82 Re Burroughs-Fowler [1916] 2 Ch. 251 ; Watt, p. 198.

83 restatement (Third)of Trusts § 57 : “Except with respect to an interest retained by the settlor, the terms of a trust may validly provide that an interest shall terminate or become discretionary upon an attempt by the beneficiary to transfer it or by the beneficiary’s creditors to reach it, or upon the bankruptcy of the beneficiary.”

sans constituer pour autant une fraude aux créanciers. Une clause de dé-chéance est tenue pour entièrement compatible avec l’ordre public, dans la mesure où – contrairement au spendthrift trust – elle n’a pas pour effet de permettre au bénéficiaire de jouir des revenus du trust pendant qu’elle in-terdit aux créanciers de les saisir, mais vise simplement à prévenir la main-mise de ces derniers en provoquant la fin du droit84.

Cette solution ne vaut toutefois pas si le trust a été constitué en faveur du settlor. A défaut, le transfert de propriété dans le trust équivaudrait à un transfert frauduleux anticipé, destiné à opérer ultérieurement au moment de l’insolvabilité du settlor85. En effet, au moment de la création du trust, le transfert de propriété ne constitue pas à proprement parler un trans-fert frauduleux, puisque le settlor n’est pas encore insolvable, mais il le devient dès que celui-ci tombe en faillite ou est saisi et que le life interest est soustrait à la mainmise des créanciers par sa transformation en un intérêt discrétionnaire.

B. Le spendthrift trust du droit américain