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III.1 Approche ethnographique adoptée

III.1.2 Processus de description et d’analyse

Pour procéder aux tâches de description et d’analyse, on s’est appuyé sur l’hypothèse qui consiste à ce que les découpages entre différentes formes de cultures et de dynamiques identitaires puissent exprimer de meilleures identifications des enjeux liés à la notion de citoyenneté, et donner in fine à cette dernière une nature précise et une définition particulière. Il en découle que ce degré de proximité permet de mettre en exergue l’existence éventuelle de nouvelles tendances émergentes dans la compréhension et la pratique de la citoyenneté et ceci à la lumière du pluralisme culturel et religieux qui fait partie de la réalité de la société québécoise d’aujourd’hui. C’est en étudiant les efforts de raisonnement autour des défis du pluralisme chez les trois composantes étudiées, surtout en périodes de tensions (exemple : lors de la proposition du projet de « charte des valeurs québécoise »), que l’on découvre vraisemblablement ces significations de la citoyenneté qui varient somme toute selon les vécus sociaux des acteurs dans leurs rapports avec les autres.

Ainsi, ce travail passe par deux étapes : la première étant purement descriptive, la seconde est analytique. La première étape suppose une description dense, dans sa définition originale de Geertz (1973), de la forme sociale que prend la définition de la citoyenneté chez nos acteurs sociaux. On considère alors nos entrevues comme des discours sociaux, qui seraient comme les « traces » d’une activité socio-symbolique. Les événements qui sont liés à cette dernière sont autant d’occasions pour valider ces formes sociales et démystifier leur nature.

La démarche de description, première étape à l’étude de notre hypothèse ne se résume pas à un résultat statique, mais est plutôt le résultat d’une démarche de rétroaction entre l’écrit et la conceptualisation théorique sous forme de catégories descriptives. En effet, cette catégorisation ou l’art de former des catégories n’est pas chose aisée selon (Latour 2012 : 71). Pour lui, ce processus nécessite de l’éloquence, de la diplomatie et une capacité à prévoir les réactions des interlocuteurs.

En seconde étape, la méthodologie qualitative permet d’élaborer de manière progressive un objet d’analyse grâce à la définition d’un ensemble de catégories et d’un schéma de classification à partir du corpus des notes collectées du terrain ethnographique et évidemment en utilisant également les entrevues réalisées. Le choix de ce processus progressif est motivé par l’objectif de l’étude qui consiste à connaitre la sémantique du langage social d’un nombre limité de personnes. La notion de « langage social » se base sur le principe que le langage porte, au-delà des significations habituelles des mots, des informations sur les activités d’une personne, ses pensées, ses émotions et ses engagements dans la société. En ce sens le langage reflète les processus sociaux dans lesquelles cette personne est impliquée ou ce que (Foucault 1971 : 46) appelle « l’appropriation sociale » du discours.

Une analyse de l’aspect qualitatif qui est limitée aux points de vue des participants exprimés en entrevues n’ajoutera pas une valeur suffisamment tangible à une meilleure compréhension de ce langage social. La richesse des représentativités de la réalité des interactions et des échanges entre les trois groupes étudiés en serait affectée. C’est pour cette raison que nous avons opté principalement pour une analyse qualitative des notes descriptives des interactions lors de certains événements, ce qui nous a garanti plus de profondeur dans notre lecture de ce langage et des éléments qui le forment et servent à la construction de la rhétorique dans ce langage.

Toujours durant la deuxième étape, nous avons effectué ensuite une analyse de la forme sociale des symboles sociaux découverts et décrits dans la première étape en cherchant les règles implicites résidant derrière, et qui guident l'élaboration de ces formes sociales. Nous avons exploré également à ce stade les organisations lexicales et syntaxiques qui lui donnent un sens. Ce sont ces relations qui définissent les significations des catégories en les positionnant dans le réseau global de toutes ces relations (Latour 2012 : 74).

Cet effort effectué pour l’analyse des notes collectées lors de l’observation participative a été enrichie par des techniques d’analyse du discours des entrevues que nous avions effectuées au fur et à mesure du suivi des événements choisis. Ce discours peut être considéré comme un ensemble de formes sociales de connaissance ou ce que Latour (2012) appelle le « bon sens » en opposition au « sens commun ». Le « bon sens » est donc capable de nous permettre de comprendre le rapport de ces individus au monde et à la société même sans qu’on le confronte au « sens commun ». Ce dernier découle d’habitude d’une définition établie par une discipline ou d’une science sociale ou qui circule dans l’utilisation courante sans qu’il soit examiné de plus près. Pour déceler ce « bon sens », il faut, en plus de la description de son contexte, aller construire les contenus grâce à une analyse sémantique, c’est-à-dire une analyse de réseau des rapports entre différentes significations et des multiples constructions de ces rapports. On aboutit alors à un mode flexible pour analyser ce discours et en révéler les sens :

« Le grand avantage de ce mode de saisie, c’est qu’il permet de donner à l’analyste une liberté aussi grande que celle des acteurs dans le tricotage de leurs mondes et qu’il libère entièrement le terrain de son organisation par domaines. Surtout lorsqu’on apprend à s’affranchir de quelques-unes des limites prétendument infranchissables — et que les Modernes traversent pourtant constamment — entre, par exemple, nature et culture, force et raison, humains et , abstrait et concret. Ceci nous évitera d’arriver trop rapidement à des constatations qui risqueraient de nous faire tomber dans la réduction du sens recherché. » (p. 74)

C’est ce qui explique notre démarche qui a pour objectif de redécouvrir ce discours sous différents angles afin de constater, grâce à des « délibérations » continues sur son contenu, ses « différentes versions » aux mots de Latour (2007 : 83).